« Une heure-lumière, c’est la distance que parcourt un photon dans le vide en 3600 secondes, soit plus d’un milliard de kilomètres. Une distance supérieure à celle séparant Jupiter du Soleil. Ce qui nous emmène déjà très loin… » (Présentation de la collection Une heure-lumière sur le site du Bélial).

Pour une fois, je ne vais pas vous faire découvrir un livre en particulier, mais une collection : Une heure-lumière chez Le Bélial’. Les fans des genres de l’imaginaire la connaissent probablement, mais pour moi, ce fut une véritable découverte quand j’en ai tourné les premières pages en 2019. A cette époque, je ne lisais plus vraiment de science-fiction, m’étant un peu détournée d’un genre avec lequel je pensais n’avoir que peu d’atomes crochus. Et ça a été la révélation : j’ai (re)découvert à quel point la science-fiction possédait des facettes variées, pouvait traiter de nombreux sujets tout en gardant une profonde émotion, et même redonner de sacrées claques à la lecture. Le tout avec des livres qui peuvent se dévorer en une heure.

Une heure-lumière m’a donc refait aimer la science-fiction. Son concept : une collection qui publie environ six titres par an, souvent auréolés de prix, par des auteurs français aussi bien qu’étrangers, entre 100 et 200 pages, et explorant toutes les nuances de l’imaginaire. Cyberpunk, fantastique, lovacrafteries, hard SF, fantasy… on y trouve de tout, par des plumes très différentes, servies par les magnifiques couvertures d’Aurélien Police qui donne une identité unique à la collection. Et si je vous en parle, c’est parce que je suis persuadée que bien des ouvrages publiés chez Une heure-lumière plairont à ceux déjà convaincus par la SFFF (science-fiction, fantasy et fantastique) mais peuvent aussi permettre de découvrir ces genres à des personnes qui n’y connaissent rien, qui ont des préjugés ou qui sont simplement curieuses de s’y frotter. Embarquons donc chez Une heure-lumière et toutes ses possibilités !

Attention, cette présentation ne prend en compte que les titres que j’ai lus – pas tous donc – et reflètent d’un avis purement subjectif selon mes goûts personnels. Vous trouverez peut-être votre bonheur avec un Une heure-lumière qui m’est tombé des mains !

Le choc de la découverte

© Une heure-lumière, collection chez Le Bélial’ – Aurélien Police

Ma première rencontre avec Une heure-lumière a eu lieu avec deux titres chaudement recommandés sur divers blogs spécialisés en littérature de l’imaginaire – auquel je me permets cependant d’en rajouter un troisième !

L’homme qui mit fin à l’histoire de Ken Liu

S’il ne fallait en lire qu’un de la collection, ce serait peut-être celui-là ! L’auteur nous entraîne dans la science-fiction avec une machine à remonter le temps, inventée par deux scientifiques. Une machine qui permet de remonter une fois seulement à une temporalité précise, avant que celle-ci ne s’efface. Ils s’en servent alors pour essayer de démontrer l’horreur de l’Unité 731, véritable camp historique au Japon lors de la Seconde Guerre Mondiale, où on a torturé et expérimenté sur de nombreuses personnes. Une docu-fiction sur un fait historique qui n’a été reconnu qu’en 2002 par l’État Japonais, d’autant que l’Unité 731 se situe désormais en Chine. Un vrai choc que cette novella-ci, très dure, mais qui est également une brillante démonstration de l’importance du devoir de mémoire.

Les meurtres et La survie de Molly Southbourne

Dans une toute autre ambiance, mon second livre de Une heure-lumière fut Les meurtres de Molly Southbourne. Sorte de relecture des thématiques du Double et de Frankenstein, la novella nous fait découvrir Molly, une jeune fille qui, dès l’enfance, voit la moindre goutte de son sang versé donner naissance à un double agressif d’elle-même. Alors, il faut les tuer, encore et encore. Un récit à la fois sanglant et fantastique, tout en offrant à voir le parcours d’une héroïne atypique, qui devient scientifique pour essayer de s’expliquer elle-même, et qui a en texte sous-jacent la crainte de son propre corps, la violence qu’on peut exercer contre sa propre chair… L’auteur garde son style limpide et cinématographique avec la suite, La survie de Molly Southbourne, qui réussit à complètement retourner tout ce qu’on avait appris dans le premier tome. Au point qu’on pourrait même le lire de façon indépendante !

Ceux qui mettent une claque au lecteur

© Une heure-lumière, collection chez Le Bélial’ – Aurélien Police

Si L’homme qui mit fin à l’Histoire fait certainement partie des livres qui font réfléchir le lecteur après plusieurs jours, ce n’est pas le seul. Dragon de Thomas Day nous entraîne dans une Thaïlande terriblement réaliste et crue, où on sent littéralement au fil des pages la noirceur, la moisissure et la saleté de ces quartiers où se trafique la pédophilie dans l’ombre. Jusqu’au jour où un mystérieux dragon semble tuer les responsables de ces réseaux, amenant le narrateur à enquêter…

Vigilance de Robert Jackson Bennett immerge dans un récit aux enjeux a priori connus : la légalisation des armes aux Etats-Unis et la récurrence des tueries de masse, ont entraîné la naissance d’un immense jeu de télé-réalité, se passant dans un secteur précis, où n’importe qui peut être pris à part dans une fusillade de masse. La publicité et les médias fournissent généreusement de l’argent aux familles des victimes, et le gagnant parmi les tueurs remporte le gros lot – quoique les personnes présentes dans le secteur peuvent aussi éliminer les tueurs. Une vision dystopique à l’atmosphère glaçante et violente, qui là encore fait bien réfléchir à un futur qui s’est créé non seulement sur la peur de l’autre, mais aussi grâce à une communication massive des médias et réseaux sociaux.

Des univers familiers

Quelques-un des titres de Une heure-lumière seront également familiers et plus abordables par ceux et celles connaissant déjà les genres de l’imaginaire. Une nouvelle traduction de La Chose de John W. Campbell (le texte ayant donc inspiré le célèbre film The Thing de Carpenter) permet ainsi de découvrir l’inspiration première d’un mythe du cinéma. Une base scientifique et militaire isolée au milieu de l’Antarctique, où une créature venue d’ailleurs va semer la mort, prenant les apparences des uns et des autres. Et si le texte a une couche scientifique très perceptible, il n’a pas vieilli d’une ride au niveau de son action et de son ambiance, 70 ans après !

Pour ceux et celles qui aiment l’univers de H.P. Lovecraft, deux novellas y sont directement liées : Les agents de Dreamland de Caitlin R. Kiernan et La Ballade de Black Tom de Victor LaValle. Je ne saurais, malheureusement, vous en glisser quelques mots sans être mauvaise langue, car le monde créé par Lovecraft m’est inconnu et je n’ai donc guère compris ces deux histoires intertextuelles avec son œuvre !

Ceux qui me sont tombés des mains

Puisqu’une collection ne peut être parfaite – ou plutôt, parce qu’on a tous et toutes des goûts et des couleurs – quelques titres de Une heure-lumière ne m’ont pas laissé de souvenirs de lectures très vivaces, et je ne les recommande pas forcément pour une première découverte.

Le Choix de Paul J. McLauley est pourtant une belle histoire d’amitié entre deux adolescents, dans un monde où a eu lieu plusieurs catastrophes écologiques. Un Dragon tombe alors du ciel, et les deux ados décident d’aller observer la créature extraterrestre, ce qui entraînera la séparation de leurs chemins… mais hors cela, il ne m’est resté pas grand-chose de cette histoire s’appuyant sur le contact extraterrestre.

Le Nexus du Docteur Erdmann (Nancy Kress) nous présente Henry Erdmann, un physicien de génie qui vit désormais dans une maison de retraite suite à son âge avancé. Il se résigne à la fin, attendant la mort comme les autres pensionnaires de l’endroit, quand une douleur insupportable vrille son cerveau… reliant son esprit à ceux des autres occupants de l’endroit. Là encore, une intrigue qui ne m’a guère passionnée, mais qui plaira peut-être à d’autres !

De la SF pure et dure

© Une heure-lumière, collection chez Le Bélial’ – Aurélien Police

Si vous êtes plutôt amateur ou amatrice de science-fiction pure et dure, alors c’est peut-être vers ceux-là qu’il faudra vous tourner ! Le regard de Ken Liu est toujours servi par l’écriture magistrale de l’auteur malgré une intrigue un peu convenue : dans un futur très cyberpunk, une enquêtrice traque l’assassin de plusieurs prostituées, à qui on a pris le soin de voler les yeux. Mais si l’héroïne est aussi bonne enquêtrice, c’est aussi parce que son appareil Régulateur gère et canalise ses émotions, pour la rendre efficace sur le terrain et la mener aux choix les plus justes… Une nouvelle qui reprend les codes du polar avec efficacité et un brin d’émotion jusqu’à la toute fin.

Avec Cookie Monster de Vernor Vinge, on plonge dans le quotidien d’une employée d’un géant high-tech, LotsaTech, qui décroche un job au service clients… où elle reçoit des étranges mails d’une personne inconnue. Sa curiosité la mène à découvrir le revers de la société informatique, proposant un retournement vertigineux au cours de l’histoire, et qui a de quoi alimenter la stupéfaction à la lecture, au risque de s’y perdre un peu.

L’enfance attribuée (David Marusek), on est dans un univers extrêmement bien construit, avec un système solaire colonisé absolument partout, où la population dispose d’un traitement anti-vieillissement, devenant immortelle… à part pour les rebuts de la société qu’on veut mettre à l’écart. Un monde où on se télé-hologramme où l’on veut, où on sait beaucoup les uns sur les autres avant même de faire une rencontre, et où peu de couples reçoivent la permission de concevoir un enfant. Un bouleversement pour le couple du roman, à qui il faut réapprendre un instinct maternel et paternel, et qui n’est pas sans éveiller des jalousies. Une intrigue là encore assez vertigineuse, emplie de réflexions sur la parentalité, l’immortalité, l’omniprésence des intelligences artificielles.

« Atmosphère, atmosphère… »

© Une heure-lumière, collection chez Le Bélial’ – Aurélien Police

Et si votre style, c’est plutôt les ambiances qui s’installent page après page, les atmosphères mystérieuses et flirtant avec le fantastique, alors tournez-vous vers Un pont sur la brume de Kij Johnson. Une immense brume, remplie de monstres géants, a toujours séparé l’Empire en deux : on confie à l’architecte renommé Kit Meinem d’Atyar de construire un pont pour enfin relier le territoire et notamment les deux villes de chaque côté de la brume. Mais construire ce pont, c’est voir disparaître les deux petites villes traditionnelles avec leurs coutumes, c’est perturber un équilibre sociétal depuis longtemps établi, c’est faire abandonner les anciennes habitudes pour en créer de nouvelles, plus modernes, plus pratiques, mais oublieuses du passé… Une nouvelle mémorable par son atmosphère, sa subtilité et par ce qu’elle donne à voir de l’évolution d’une société, d’une ville, de ses habitants, par la construction d’un pont considéré comme salvateur, et qui va pourtant entraîner bien des changements.

Plus troublant avec sa narration à la deuxième personne du singulier, Abimagique de Lucius Shepard pourrait tout avoir d’un trip hallucinogène. Le narrateur rencontre Abimagique, une jeune femme au style gothique et aux pratiques New Age : une noirceur qui dissimule aussi une sensualité et un sens maternel troublants. Et quand Abimagique prétend vouloir sauver le monde et la nature, n’annonce-t-elle pas au contraire la venue de quelque chose de bien plus terrible ? Détonnant avec sa narration inhabituelle mais parfaitement maîtrisée, Abimagique regorge aussi de retournements de situations, flirte entre fantastique et réel, quotidien et sensualité, formant un texte bien à part dans la collection.

Retournons du côté de Ken Liu avec Toutes les saveurs : il nous embarque à l’époque de la Conquête de l’Ouest, en Amérique, alors que les Américains se méfient profondément des Chinois venus également s’installer. Malgré l’hostilité affichée entre les deux communautés, une jeune fille va passer outre les préjugés pour se rapprocher d’un Chinois, découvrir leur cuisine, ainsi que leurs mythes et légendes… Ken Liu a toujours cette façon bien à lui de mêler l’Histoire au fantastique sans en avoir l’air, tout en parlant des relations entre les gens, de la découverte de l’autre, de l’importance d’une culture à laquelle se rattacher.

Conclusion

Avec cet aperçu de la collection Une heure-lumière, j’espère vous avoir donné l’envie de découvrir au moins l’un de ces livres. Et, qui sait, si vous n’êtes pas adepte du genre, vous avoir persuadé de donner une chance aux littératures de l’imaginaire qui peuvent nous plonger dans des univers très différents. Ce qui n’est pas incompatible avec une réflexion sur le monde qui nous entoure et la présence de personnages parfois poignants – même en ne les côtoyant que pendant une centaine de pages !

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Plus fort que son thème principal, le football, Ao Ashi n’a cessé d’étonner au fil des tomes depuis son arrivée sur le marché francophone l’année dernière. Avec des sujets variés mais aussi une approche pragmatique et souvent intelligente du monde de football, le manga qui raconte l’histoire d’un prodige a multiplié les bonnes idées pour s’adresser à la fois aux fans de foot, mais aussi aux autres. Je n’ai d’ailleurs cessé, au fil des critiques sur les différents tomes ici sur Pod’Culture, d’en dire énormément de bien. Alors il va de soi que j’attendais avec impatience les tomes 5 et 6, censés entrer dans une nouvelle phase de la vie de son héros Ashito, avec une grande impatience.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’exemplaires par son éditeur.

La difficile compétition

Ashito découvre enfin la compétition dans ces tomes 5 et 6, et il est immédiatement confronté à la réalité : son talent inné ne vaut rien face à ses coéquipiers qui, eux, s’entraînent dur depuis des années. Un postulat assez classique dans le monde du football masculin, où l’on oppose souvent les joueurs qui travaillent dur à ceux qui se reposent sur leur talent, toutefois s’en sert essentiellement pour mettre un premier grand obstacle sur la route de son prodige. Lui qui s’en est toujours sorti par son talent se retrouve là face à un premier grand mur, dans le plus pur esprit shōnen, où il doit trouver au fond de lui un moyen de se perfectionner et de passer à la suite. C’est alors que, sans surprise, se révèle à lui une capacité quasiment surnaturelle à apprendre et à maîtriser des gestes, pourtant basiques du foot, mais qui semblent manquer à ses compétences. A la manière d’un héros de fantasy qui découvrirait soudainement qu’il a un grand pouvoir qui sommeil en lui, Ashito comprend enfin ses facultés uniques, et cela donne à ces deux tomes une saveur plutôt intéressant. Si le manga met de côté tout son propos sur le business du football, il le fait aussi pour son bien en alimentant l’histoire de deux grands tomes où l’opposition ne se trouve plus seulement dans le système, mais aussi sur le terrain. Ce double combat livré par Ashito est symbolisé par un match de foot qui sert de tournant.

C’était aussi la première fois que l’auteur Yugo Kobayashi met de côté ses personnages et s’intéresse purement à l’effort et à la « bataille » livrée par son héros. Plus encore que ses thématiques fétiches depuis le premier tome, l’auteur recherche les émotions profondes ressenties par le sportif en plein effort, qui se découvre presque un sixième sens lorsqu’il commence à comprendre le jeu, les intentions de ses partenaires et ce qu’il doit accomplir. Si cela aurait pu être barbant sur la durée, l’écriture est suffisamment fine, et la mise en scène toujours canon, pour accrocher d’un bout à l’autre. Certes, cela fait perdre de sa superbe à un manga qui brille avant tout pour ce qu’il dit du shōnen, du monde du football et des familles qui tentent d’en vivre, mais cela permet aussi de montrer que Ao Ashi est capable d’être un excellent shōnen « d’action », où les matchs de football sont mis en scène avec un suspense et une intensité bien dosées. Et ce sans jamais chercher à étendre ses scènes plus que de raison, contrairement à d’autres mangas de sport qui tombent parfois dans ce piège au nom d’une du dramaturgie du sport un peu facile. C’est d’ailleurs ce qui me donne plutôt envie de découvrir l’anime (qui débutera courant avril sur Crunchyroll), car cette manière de mettre en scène les matchs, si elle est aussi qualitative en anime, pourrait donner quelque chose d’assez exceptionnel.

Didactique et sincère

Il y a quand même une chose à reprocher à ce Ao Ashi, manga si séduisant qu’on en oublie parfois ses mauvais côtés. Je pense notamment à sa volonté d’être didactique, notamment quand il se lance dans des explications un poil longuettes sur des concepts de football (le jeu en triangle dans le tome 6, par exemple). Si cela se fait depuis le premier tome, certaines scènes finissent par être un peu lourdingues, avec un ton qui a tendance à nous prendre la main l’espace d’un instant, en dehors de l’histoire, avant d’y retourner. Si cela ouvre la compréhension de l’œuvre et par extension, du football, aux gens qui n’y connaissent rien, le procédé est amené avec de grands sabots et a parfois aussi tendance à ressembler à un cours magistral complètement décorrélé de l’histoire principale. Ainsi certaines pages se perdent dans de longues explications qui n’ont, souvent, franchement pas un énorme intérêt pour la compréhension de l’intensité d’une action. Heureusement, c’est l’aspect « tranche de vie » du manga qui permet souvent à l’intrigue de retomber sur ses pattes, un aspect certes moins présent sur ces deux tomes, mais qui est esquissé ici et là quand le héros est confronté à des erreurs de sa part qu’il doit vite résoudre.

J’ai un peu le sentiment de me répéter en ce qui concerne Ao Ashi, mais il est difficile de dire autre chose que de le complimenter. Le manga de Yugo Kobayashi montre tome après tome qu’il se tient très bien dans un récit capable d’aborder des thématiques très larges, sans pour autant manquer d’intensité et de finesse quand il arrive, dans ces tomes 5 et 6, à son thème principal : le football. Alors oui, j’ai parfois été peiné par son côté trop didactique qui a tendance à casser l’intensité du moment et à nous sortir de l’intrigue, mais en terminant sur un cliffhanger du plus bel effet, le tome 6 donne sacrément envie de lire la suite.

  • Le tome 5 de Ao Ashi est sorti le 3 novembre 2021, le tome 6 est sorti quant à lui le 5 janvier 2022. Les deux sont disponibles en librairie aux éditions Mangetsu.
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Alors que les deux premiers tomes de Fire Punch m’avaient moins emballé que Chainsaw Man, force est de constater que la suite des aventures de Agni se trouve être bien plus intéressantes et profondes que je ne l’aurais imaginé. Là où je pensais que Fujimoto ne faisait que tenter des choses avec sa première œuvre « longue », enchaînant des scènes subversives juste pour choquer le lecteur, il arrive déjà à insuffler à son œuvre des questionnements sur sa place et son utilité dans le monde, via un héros sans repère.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire par son éditeur.

De la libération à la découverte de son être

FIRE PUNCH © 2016 by Tatsuki Fujimoto/SHUEISHA Inc.

Alors que je pensais voir Fire Punch s’engouffrer dans une histoire basique de vengeance, limite « bas de plafond » tant les motivations et la façon dont tout est présenté laissent à penser ceci, le récit prend une toute autre tournure. Agni prend conscience de ce qu’il est réellement, et de ce qu’il peut apporter au monde ainsi qu’aux survivants. C’est alors avec cette prise de conscience qu’il va choisir de libérer tous les être humains prisonnier de Behemdolg, qu’ils soient humains « normaux » ou les êtres « élus » qui servent de « carburant » à leurs bourreaux. Tout cela ne va pas se réaliser sans mal et plusieurs combats, plus dantesques les uns que les autres vont avoir lieu. Cela apporte d’ailleurs des scènes complètements folles et spectaculaires dans leur mise en scène, comme la chute du ciel d’Agni, tel un ange déchu.

C’est à partir de ces trois tomes que le protagoniste de cette histoire prend enfin une consistance intéressante, et pour ma part m’a enfin donné envie de suivre ses aventures, tel le dieu qu’il devient et représente pour les âmes perdues qu’il a sauvé. Car oui, au-delà de l’aspect d’élu qu’est Agni, il en devient un dieu. Et c’est alors que Fujimoto s’amuse à complètement changer de style dans son récit. D’une simple histoire vengeresse, on passe à des questionnements sur la représentation que les autres se font de soi, l’image que l’on renvoie, et le culte qui peut être créé grâce aux actions que l’on accomplit. Même avec ça en tête, on a tout et rien dit en même temps, car chaque chapitre des tomes 3 à 5, redistribuent les cartes proposant toujours plus de profondeur aussi bien pour les personnages principaux que sont Agni et Togata, que pour le récit en lui-même.

Un plaisir morbide ?!

Tatsuki Fujimoto est un auteur qui aime faire subir les pires sévices psychologiques à ses protagonistes. À chaque fois que son héros trouve ne serait-ce qu’un peu de paix, il le détruit encore un peu plus. Alors qu’Agni trouve enfin le repos, après avoir pardonné à Doma, le tueur de sa sœur, il devient « Fire Punch », un être incontrôlable qui accompli la vengeance que le héros s’était résigné de faire. À cause des remords de cet acte, notre héros va vouloir se sacrifier, là encore il échoue et perd une personne qui lui est chère. Comme si tout cela ne suffisait pas, Agni va subir d’autres douleurs psychologiques avec cette fin du cinquième tome, dont je ne dévoilerai rien ici, mais qui me hante encore aujourd’hui tant la violence psychologique que celle-ci provoque en moi un tel sentiment d’injustice, et une profonde tristesse.

Il est clair que nous ne sommes pas dans un récit banal, et tout comme avant Chainsaw Man, Fujimoto s’amuse avec les codes préétablis des mangas en général, pour proposer sa propre vision d’un récit. Une vision pessimiste, sombre et qui n’épargnera jamais les héros qu’il crée. Je suis très curieux de lire la fin de ce récit, et d’en découvrir bien d’autres de sa part, tant le bonhomme a su imposer sa vision du manga, et proposer une relecture du média, très intéressante, profonde, même si par moment c’est extrêmement barré, tout est maitrisé du début à la fin.

  • Les tome 1 à 8 de Fire Punch, sont édités par Kazé France et sont disponibles en librairies. 
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Aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours été fan de Pokémon. Ma passion pour les monstres de poche débuta à la fin des années 90, tandis que je vivais ma première épopée vidéoludique sur Pokémon version Jaune ; l’anime et les différents produits dérivés n’étant bien sûr pas en reste. En grandissant, je finis toutefois par me détourner de la franchise. Si je ne peux plus poser un regard expert sur elle, cela me permet peut-être de garder un peu d’objectivité. Mes dernières aventures Pokémon, sur Nintendo Switch, m’ont laissé des souvenirs très hétéroclites. Après avoir passé un excellent moment sur Pokémon Epée et Bouclier, je n’en garde finalement pas un souvenir impérissable. Je me suis terriblement ennuyée sur le remake de Perle et Diamant tandis que, contre toute attente, New Pokémon Snap m’a captivée. Le dernier né de Game Freak et The Pokemon Company est un cas particulier car il était extrêmement attendu par les fans. Sorti le 28 janvier dernier, Légendes Pokémon : Arceus devait incarner le renouveau tant espéré de la saga ! Pour ce faire, le nouvel opus décide paradoxalement de nous transporter au sein des origines du folklore, dans une région inspirée du Japon féodal. Malheureusement, Game Freak a trop pris cette ambiance médiévale au mot, en proposant un rendu visuel résolument archaïque ! Les graphismes de Pokémon : Arceus ont fait couler beaucoup d’encre. Pourtant, il ne s’agit pas des réels défauts du jeu qui, quoi qu’on en dise, regorge de qualités.

Cette chronique a été rédigée suite à l’acquisition du jeu par nos soins. 

Un jeu Pokémon légendaire

La carte d’Hisui © Game Freak, The Pokemon Company

Les jeux Pokémon se sont toujours déroulés dans des univers contemporains voire futuristes. Ce n’est pas le cas d’Arceus qui nous plonge dans la région de Sinnoh alors qu’elle s’appelait encore Hisui. C’est à Sinnoh que se déroulaient les péripéties de Pokémon Perle et Diamant. De fait, certains environnements de la map vous seront familiers, à commencer par le légendaire Mont Couronné. Vous retrouverez aussi un nom délicieusement utilisé à contre-emploi, puisque vous serez amené(e)s à intégrer le Groupe Galaxie, (à ne pas confondre avec la Team Galaxie de Perle et Diamant !) On peut supposer que l’institution a mal tourné, au fil des siècles, ou qu’Hélio, le leader de la Team Galaxie, s’est tout simplement inspiré de l’Histoire de la région pour baptiser son équipe. Dans la mesure où Pokémon : Arceus raconte les origines de la saga, la région d’Hisui s’inspire du Japon féodal, comme en témoignent certaines tenues vestimentaires ou la nouvelle hiérarchie des Pokémon. Chaque zone de la région est gouvernée par un Pokémon Monarque, aux dimensions gargantuesques. Il est également possible de rencontrer des Pokémon Barons, plus grands que la moyenne, et dotés de yeux rouges. Enfin, les Pokémon ordinaires déambulent ici et là sur la map. Il s’agit d’un système résolument féodal, auquel s’ajoutent des formes régionales appropriées, à commencer par Voltorbe, ressemblant désormais à une Pokéball artisanale en bois.

Quant à vous, vous ferez vos premiers pas à Rusti-Cité, laquelle porte bien son nom, certes, mais sert aussi et surtout de quartier général au Groupe Galaxie. C’est ici que vous pourrez vous reposer, trier vos Pokémon (non pas dans un PC mais dans un pâturage), faire des achats et plus encore. Après avoir intégré le Corps des Chercheurs, votre mission consistera à compléter le tout premier Pokédex. Pour ce faire, il ne faudra pas attraper un seul membre de chaque espèce, mais plusieurs individus, afin d’établir des moyennes. Un certain nombre de tâches seront à accomplir afin de compléter la page de chaque créature. Si cette mission quasiment divine vous a été confiée par Arceus, il s’agit aussi d’un moyen de familiariser les humains avec les Pokémon, dans un monde où ces créatures sont encore méconnues et craintes. L’harmonie entre les espèces est d’autant plus fragile qu’une étrange faille spatio-temporelle modifie le comportement des Pokémon Monarques, au risque de provoquer des catastrophes…

Des graphismes Bulbizarres ?

A la rencontre de Pokémon aquatiques © Game Freak, The Pokemon Company

En s’inspirant du Japon féodal, Pokémon : Arceus propose des idées à la fois innovantes et intéressantes. Ce qui n’était certes pas une raison pour employer des graphismes aussi archaïques. Le sujet a fait particulièrement polémique, bien que les jeux Pokémon n’aient jamais brillé pour leur beauté technique. A tort ou à raison, Arceus est généralement comparé à Breath of the Wild, le célèbre épisode de Zelda, sorti cinq ans plus tôt. A bien des égards, Légendes Pokémon s’en inspire et ne s’en cache pas, sans pour autant égaler sa richesse ni sa beauté. Il me serait difficile de nier les défauts techniques d’Arceus, qu’il s’agisse de la grossièreté des textures, du clipping intempestif ou des contours baveux dès lors que l’on se trouve sur l’eau ou dans des environnements sombres, comme les grottes. Il n’est toutefois pas dans mes coutumes de juger un jeu à ses seuls graphismes, sans compter que je suis sans doute fatiguée que le moindre RPG ou Open-World soit désormais comparé à Breath of the Wild. Passons.

D’après jeuxvideo.com, Pokémon : Arceus a été victime de contraintes de développement qui expliquent le rendu visuel final, (faute de l’excuser). Seulement 167 personnes auraient été employées pour travailler sur Légendes Pokémon, au cours d’un délai de deux ans. A titre comparatif, entre 100 et 300 personnes travaillaient sur Breath of the Wild et par-dessus tout, elles disposaient d’un délai de cinq ans. En de telles circonstances, il est bien naturel que Pokémon : Arceus ait ce rendu, bien qu’on puisse en vouloir à The Pokemon Company ou Nintendo, malgré tout. Si Pokémon est la franchise la plus rentable de l’histoire, c’est précisément ce qui met des bâtons dans les roues du développement des jeux. En raison de la fréquence de leur sortie, aucun jeu Pokémon ne peut être reporté, d’autant plus que cela s’accompagne de l’arrivée de nombreux produits dérivés, à commencer par l’anime. Comme nous le disions il y a longtemps, lors d’un Podcast, les jeux vidéo Pokémon ne sont malheureusement qu’un élément parmi d’autres, au sein de tous les produits et médias constituant l’univers de la franchise. Au reste, les problèmes graphiques ne sont – à mon sens – pas les véritables défauts du jeu.

Des problèmes Déflaisants

« Ca va griller, chérie ! » © Game Freak, The Pokemon Company

Tout d’abord, je m’interroge sur l’utilité d’avoir sorti le Remake de Diamant et Perle, quelques mois plus tôt. Si l’on passe outre l’intérêt de (re)découvrir la région de Sinnoh avant Pokémon : Arceus, ou encore des motivations purement pécuniaires ; le jeu était si fade qu’il devenait rapidement ennuyeux. Par-dessus tout, je considère Arceus comme une réécriture – certes libre – de l’histoire de Diamant et Perle. L’ascension du Mont Couronné, la rivalité entre les Pokémon Dialga et Pialka sont assez revisitées pour rester divertissantes, mais inspirent une impression de déjà-vu, à peine deux mois après la sortie du remake mentionné. Ensuite, Pokémon : Arceus possède des défauts que d’aucuns jugeront inhérents aux RPG. S’il est appréciable que des quêtes annexes viennent vivifier la région d’Hisui, la plupart sont inintéressantes voire répétitives. Le sacro-saint rythme ternaire des quêtes vous poussera à chercher au moins trois endroits, à Rusti-Cité, pour suspendre le Pokémon carillon Eoko ; tout cela pour finir par le ramener à sa place initiale !

Enfin, si la plupart des joueurs et joueuses ne se plaindront pas que la difficulté ait été rehaussée ; je n’ai pas toujours trouvé les combats équilibrés. Votre compagnon peut régulièrement se retrouver cerné par plusieurs Pokémon sauvages. Vous n’êtes jamais à l’abri d’un one-shot ou du Style Rapide d’une capacité, permettant à un combattant d’attaquer plusieurs fois d’affilée. Or, bien qu’il existe de nombreuses manières de faire gagner de l’expérience à vos acolytes, les combats ne sont pas si nombreux, au cours de l’histoire principale. Ceci entraîne un pic de difficulté lorsque l’intrigue devient plus linéaire et jonchée de duels, lors du dernier arc puis durant le Post-Game. Aussi aurait-il été pertinent que les affrontements contre les Pokémon Monarques soient de réels combats plutôt qu’une étrange corrida, durant laquelle le dresseur (ou la dresseuse) doit lancer des sacs sur la créature, tout en évitant ses attaques !

Un jeu Ludicolo

La première Monture du jeu © Game Freak, The Pokemon Company

En dépit de ses défauts, Légendes Pokémon : Arceus est un bon jeu, que je ne saurais que trop vous conseiller. Si l’on considère que les objectifs principaux d’un jeu vidéo sont l’évasion et le divertissement, ce nouvel opus est clairement à la hauteur. Beaucoup diront que l’un de leurs rêves d’enfance a été maladroitement mais malgré tout concrétisé. A défaut de pouvoir véritablement parler d’Open-World, Pokémon : Arceus est constitué de zones semi-ouvertes, dans lesquelles nous partons en excursions. Chaque zone possède un climat, des couleurs et des Pokémon différents. Il s’agit d’écosystèmes distincts, que l’on se plaît à découvrir et à arpenter, afin de compléter le Pokédex. Cela est d’autant plus plaisant que plusieurs Montures Pokémon viennent faciliter les voyages. Si Cerbyllin (la nouvelle évolution de Cerfrousse) permet de courir à travers les plaines, Farfurex a la faculté d’escalader les falaises. J’ai rarement éprouvé un tel sentiment de liberté, de quiétude (notamment grâce à la musique) et même d’addiction lorsque j’attrapais des Pokémon.

Les graphismes sont beaucoup décriés, et pourtant, les créatures sont plus jolies qu’avant. Chaque espèce progresse de manière différente sur la map. Si certains Pokémon inoffensifs ne réagissent guère à votre approche, d’autres plus craintifs s’enfuient. C’est pourquoi il vous incombe d’être discrets avant de leur lancer une Pokéball. D’autres espèces sont agressives et il devient impératif de les vaincre, afin de les attraper. Bien que les combats soient au tour par tour, ils sont plus dynamiques. Les animations des attaques, sans êtres révolutionnaires, ont enfin été retravaillées. La chasse de Pokémon est d’autant plus grisante qu’il devient nécessaire d’attraper plusieurs membres de l’espèce ou d’accomplir des tâches spécifiques, comme les nourrir ou assister à certaines attaques, pour remplir les pages du Pokédex et vraiment les connaître. Dans la mesure où les Pokémon ne surgissent plus de manière aléatoire et imprévisible dans les hautes herbes ; il est sincèrement plaisant de se rendre sur leurs territoires respectifs afin de les observer et de les attraper. Mais tout cela est également possible grâce à la confection d’objets. Au cours de cette aventure, vous aurez besoin de beaucoup plus de Pokéballs qu’avant. Par chance, vous pourrez désormais les fabriquer. Un dernier mot sur la Shasse, peut-être. S’il n’est pas dans mes habitudes de traquer les Pokémon Shiny (ou chromatiques), il s’agit d’une activité très populaire parmi les fans. Il semblerait que la Shasse soit désormais plus agréable, notamment grâce au système d’apparitions massives.

En deux mots (et sans mauvais jeu de mots)

Légendes Pokémon : Arceus est un préquel dans la mesure où l’intrigue se déroule à Huisi, qui ne portera que plus tard le nom de Sinnoh. Le jeu est très dépaysant puisqu’il s’inspire de façon discrète, mais pertinente, du Japon féodal. Ce nouvel opus a été fort critiqué en raison d’une technique et de graphismes datés, voire ratés. Si on ne peut décemment les nier ou les excuser, ceci est expliqué par le peu de moyens humains ou de temps investi dans la conception du jeu. Pourtant, les réels défauts sont tout autres, à commencer par des combats pas toujours équilibrés. En dépit de cela, Légendes Pokémon : Arceus est un jeu extrêmement divertissant, dans lequel il est fort plaisant de voyager et surtout de partir à la rencontre de ces très chers Pokémon. Je conçois tout à fait qu’Arceus puisse décevoir. Je ne suis moi-même pas totalement convaincue. Mais force est de constater qu’il me donne énormément d’espoir pour l’avenir de cette franchise que j’affectionne tant.

  • Légendes Pokémon : Arceus est disponible sur Nintendo Switch depuis le 28 janvier 2022.
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Kaiju n°8 était la grosse sortie manga de la fin d’année dernière, et j’avais été considérablement convaincu par son premier tome qui savait mélanger l’imaginaire kaiju à un humour bien maîtrisé. Shōnen tout ce qu’il y a de plus classique, le manga de Naoya Matsumoto avait pour lui une vraie volonté de se réapproprier les codes du genre du kaiju, ces histoires typiquement japonaises qui imaginent les désastres provoqués par des gros monstres. Mais l’autrice peut-elle faire vivre son histoire au-delà de l’impact des premiers chapitres ?

La routine s’installe

KAIJU N°8 © 2020 by Naoya Matsumoto/SHUEISHA Inc.

L’imaginaire des kaiju dépasse souvent ces histoires de gros monstres : s’ils fascinent autant, c’est parce qu’ils ont toujours incarné un peu plus que la destruction. Sur un archipel qui a souvent été touché par des catastrophes naturelles (typhons, tsunamis, tremblements de terre), ces kaiju ont été des moyens créatifs pour raconter ces traumatismes. Et c’est quelque chose qui, pour le moment, tend à manquer à Kaiju n°8. En faisant le choix de n’aborder cet imaginaire qu’au travers des combats et la confrontation, Naoya Matsumoto fait tomber le manga dans ce que l’on redoutait déjà à la fin du premier tome : le train-train tant redouté est arrivé dans ce tome 3, avec une intrigue qui fait du surplace et des personnages secondaires qui ne parviennent toujours pas à intéresser. Enchaîner les combats et montrer les muscles permet certes de multiplier les scènes impressionnantes, mais tout ça manque quand même de substance. Certes, ce troisième tome met considérablement en avant Kikoru Shinomiya, une héroïne qui se révèle un peu plus dans ce tome, notamment au dernier chapitre où elle gagne en charisme avec une immense hache qui vient renouveler un peu les armes mises à disposition des héro·ïne·s pour vaincre les kaiju. Mais on en revient toujours à ces affrontements interminables, sans que l’histoire ni les personnages ne puissent réellement gagner en profondeur.

L’intrigue tourne certes autour du secret de Kafka Hibino, c’est-à-dire sa capacité à se transformer en kaiju, avec des soupçons qui commencent à l’entourer cependant le manga n’en fait pour le moment pas grand chose. Plus un gimmick qu’autre chose, cette faculté ne le met que rarement en danger face à ses coéquipiers, et si des soupçons s’éveillent, ils restent pour le moment bien trop timides. De son côté, ses facultés extraordinaires permettent à l’autrice du manga d’expédier tous les combats sans trop se poser de questions, avec une toute-puissance de son héros qui évoque un One Punch Man sans la finesse de l’oeuvre de ONE. La faute à des affrontements qui n’ont, dans ce troisième tome, que bien peu de saveurs. Il y a notamment une première opposition entre Kafka et le fameux kaiju humanoïde esquissé au tome précédent, un combat symbole du manga : tout tombe à l’eau rapidement, avec un manque de tension absolument dramatique pour un shōnen qui tente pourtant de jouer là-dessus.

Des forces devenues faiblesses

Plus surprenant encore, pour un manga qui accrochait par son rythme et l’énergie de ses dessins, on reste sur notre faim lors des combats où les dessins perdent de leur impact et sont même franchement plan-plan, parfois même difficilement lisibles à cause d’une mise en scène souvent défaillante. Il faut bien comprendre que Kaiju n°8 est un des nouveaux mangas qui m’ont énormément plu en fin d’année 2021, mais à l’heure où l’intrigue devrait déjà se mettre en place, je suis plutôt attristé de voir que l’on perd en qualité de mise en scène tome après tome. Quant au design des kaiju, ceux-ci peinent à se renouveler, tandis que les décors sont plats, sans imagination, dans une simple succession de rues et d’immeubles vides et sans âme. Et c’est difficile à comprendre, car bien que le contexte soit très urbain, il y a un paquet de mangas capables de donner une âme à des décors du quotidien qui n’ont, à l’origine, pas grand chose de captivant.

On a envie de l’aimer et de lui donner sa chance, on espère toujours que Kaiju n°8 sera la révélation tant attendue depuis sa sortie. Mais force est de constater qu’on a encore du mal à retrouver l’éclat du premier tome, à tel point qu’on a désormais le sentiment que la série tombe dans une routine qui lui fait plus de mal qu’autre chose. En ne parvenant pas à jouer sur ses qualités et, pire, en se découvrant des faiblesses, le manga de Naoya Matsumoto joue déjà gros et devra rapidement montrer de nouvelles qualités, sous peine de perdre l’élan qu’il s’était donné avec son excellent premier tome.

  • Le troisième tome de Kaiju n°8 est disponible depuis le 2 février 2022 en librairie aux éditions Kazé.
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Chill Chat, c’est l’émission de Pod’ Culture où l’on se pose et on cause avec une personne qui navigue dans les eaux de la Pop Culture ; que cette personne soit un créateur ou une créatrice, artiste, ou encore prescripteur ou prescriptrice.

Pour ce sixième épisode, Donnie Jeep laisse exceptionnellement sa place à Reblys, pour une discussion avec Vincent Mondiot, auteur de romans jeunesse et de l’imaginaire, à l’occasion de la sortie des deux derniers volumes de sa trilogie de romans cyberpunk « Colonie Kitej ».
La discussion va porter à la fois sur cette fameuse trilogie, de ses origines et de ses inspirations, mais également sur le monde de l’édition du point de vue d’un auteur de l’imaginaire. Le tout saupoudré de quelques discussion autour du manga, et en particulier de Naoki Urasawa, auteur très apprécié de l’invité comme de son hôte.

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Avec la sortie sur PS5 de la compilation Uncharted : Legacy of Thieves Collection en janvier dernier et cette semaine l’adaptation cinématographique qui débarque dans les salles obscures, on s’est dit à PodCulture qu’on allait parler un peu de chasse aux trésors avec Uncharted: The Lost Legacy, le dernier opus de la saga culte de Naughty Dog.
Un opus spin off qui nous emmène en Inde, sur les traces de l’Empire Hoysala, dans la jeep de Chloe Frazer et Nadine Ross, personnages jusqu’alors secondaires.
L’occasion donc de parler un petit peu de cette très belle aventure, de sa genèse et des personnes qui ont œuvré dans les coulisses ; une aventure qui se pose tout autant comme un point d’orgue que peut-être, seul l’avenir nous le dira, un renouveau pour la licence, et qui fait la part belle à ce duo d’aventurières charismatique et attachant.

  • Uncharted : The Lost Legacy est disponible sur Playstation 4 et Playstation 5.
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Les théories du complot n’ont jamais eu autant d’exposition médiatique qu’à notre époque. Entre Internet et les réseaux sociaux qui facilitent leur diffusion, ainsi que la capacité de ces mouvements à rassembler autour de grandes questions qui ont un impact sur nos vies. De nos jours, on pense au Covid-19 et toutes les théories complotistes qui l’entourent, mais en réalité ces mouvements sont bien plus vieux. Dans le monde moderne, il y a eu les théories du complot autour de l’homme sur la lune (qui serait selon eux filmé à Hollywood, par Stanley Kubrick), celles autour de l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy, ou encore le complot qui entourerait les attentats du 11 septembre 2001. Autant d’opportunités pour les mouvements de « post vérité » de se faire mousser (et de gagner des sous) par des personnes prêt·e·s à croire n’importe quoi. Et c’est là-dessus que joue The Department of Truth de James Tynion IV et Martin Simmonds, qui imaginent ce qu’il arriverait d’un monde où… ces théories seraient vraies.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire par l’éditeur.

La peur de la vérité

©James Tynion IV & Martin Simmonds / Urban Comics

Tous les grands complots américains du 20eme siècle y passent : du meurtre de JFK aux “attaques sous faux drapeau”, c’est-à-dire l’idée selon laquelle il y aurait des attentats terroristes commis par l’État pour détourner l’attention, en passant par l’homme qui ne serait jamais sur la lune (filmé dans un studio par Kubrick !) au fameux pizzagate où les républicains (dont Trump) mettaient en cause des élus démocrates dans une histoire de pédophilie à l’arrière d’une pizzeria. Partant de ces théories, James Tynion IV fait un constat plutôt triste sur le monde, disant que l’on est capables de croire n’importe quoi pour peu que cela puisse expliquer l’inexplicable, ou nous rassurer, nous donner un sentiment d’appartenance à un groupe. Il aborde ainsi de nombreux faits réels, à l’image de la tuerie de Sandy Hook, une énième tuerie dans une école primaire aux États-Unis survenue en 2012. Celle-ci avait comme particularité d’être dénoncée par les complotistes comme une fausse attaque, un délire médiatique, allant jusqu’à harceler les parents des victimes qui seraient des acteur·ice·s qui veulent mettre à mal le droit de porter une arme. Cet ancrage dans le réel permet au comics de s’identifier tout de suite, affirmer immédiatement ses positions et nous plonger sans mal dans son argumentaire, qui va bien au-delà de la simple dénonciation.

Car The Department of Truth imagine une organisation étatique, le Département de la Vérité, qui serait chargé de combattre ces nombreux complots. Une organisation secrète où l’on s’interroge le plus souvent non pas sur la véracité des complots -peut-être le sont-ils, le comics laisse le doute- mais sur la capacité des citoyen·ne·s à y croire ou non. La question de savoir si les complots disent vrai est directement posée au héros, qui est perdu entre les « preuves » amenées par les complotistes et les « preuves » du département de la vérité, où chacun débat de choses qui n’existent pas. Mais ce qui intéresse l’auteur c’est plutôt les raisons qui poussent chacun·e à y croire ou non, et les choses qui rendent un complot plus dangereux qu’un autre. On s’aperçoit vite que cette organisation ne lutte pas contre le complot lui-même, mais plutôt sur les manoeuvres enclenchées par les mouvements conspirationnistes pour obtenir de l’adhésion à leurs théories. Car le comics est très clair, ce n’est pas la théorie elle-même qui pose un souci, après tout, chacun·e peut bien penser ce qu’il·elle veut dans son coin. Le problème existe dès lors qu’il y a une adhésion, dès lors que des choses sont faites pour donner une vraisemblance à l’invraisemblable, dès lors que l’on trouve un moyen de faire croire à n’importe quoi. Pour expliquer cette idée, James Tynion IV aborde de manière très didactique la panique morale autour du satanisme qui est intervenue au cours des années 1980 aux États-Unis, où des écoles et professeur·e·s étaient accusé·e·s d’organiser des pratiques satanistes. Des rituels de sacrifices et d’abus sexuels sur des enfants, dont le héros du comics, Cole Turner, est un des « témoins ». Il garde en effet en tête ce qu’il aurait vu et/ou appris dans sa plus douce jeunesse, et il se retrouve vite confronté à cette croyance de son enfance : l’a-t-il vraiment vécu, ou est-ce que cette idée lui a été mise en tête par une panique morale générale qui a eu une influence sur ses prétendus souvenirs ?

Le comics joue habilement sur les peurs qui incitent à croire un complot, pour se rassurer et donner un sens à ce qui n’en a pas et ce qui nous échappe (croire au complot face à une attaque terroriste, par exemple)

Traumatismes d’enfance

©James Tynion IV & Martin Simmonds / Urban Comics

Le comics est extrêmement habile sur le sujet, jouant sur les peurs qui incitent à croire à un complot, pour se rassurer et donner un sens à ce qui n’en a pas et ce qui nous échappe. Les complots ont par exemple eu le vent en poupe suite à de multiples attaques terroristes, car ces violences sont dénuées de toute logique, dépassent notre faculté à nous défendre et notre capacité à comprendre le monde : c’est l’horreur et l’inattendu qui génèrent le complot. Le comics s’intéresse à cette peur du vide et de l’inexpliqué, ce qui pousse à croire des choses qui peuvent sembler plus rationnelles que la réalité. Et il le fait avec talent, en étant très fort et sombre dans une narration où l’on nous présente les complots comme un moyen de gouverner et d’obtenir l’adhésion. Pour mieux rendre compte de la force et de l’intensité du récit, Martin Simmonds y ajoute ses dessins surprenants, effrayants parfois, avec des planches qui ressemblent à des dessins d’enfants dont l’esprit est torturé, comme si un enfant donnait vie à ses pires cauchemars sur un papier où il dessine des monstres aux visages difformes. Et ce n’est pas un hasard : on s’aperçoit vite que c’est le traumatisme originel du « héros » qui alimente son questionnement sur ce qui est réel ou non.

The Department of Truth est une oeuvre tout à fait unique, car James Tynion IV y mélange la réalité au fantasme, à la manière d’un récit conspirationniste. Il intègre parfaitement les mécanismes de ce type de rhétorique pour mieux en montrer les limites, bien que son récit (foncièrement anti-complotiste) ne manque pas d’égratigner les politicien·ne·s qui profitent à moindre frais de toutes ces théories pour satisfaire leurs positions. A l’image d’un Trump qui a largement nourri ces milieux, mais aussi d’autres politiques anti-complots qui en profitent pour désigner celles et ceux qui voudraient mettre à mal leur pouvoir et sont donc des adversaires. En réalité, le comics a en réalité encore plus de choses à offrir, notamment toute une dimension qui dépasse le réel et que je n’ai pas abordé ici afin d’éviter de trop en dire, donc je ne peux que vous recommander la lecture et vous souhaiter un agréable voyage dans l’enfer d’esprits qui imaginent le pire à chaque instant.

  • Le premier tome de The Department of Truth est sorti le 28 janvier 2022 en librairie aux éditions Urban Comics.
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On connaît l’amour du public Français pour les J-RPG, et ce depuis les années 1990 où de nombreux titres du genre ont déferlé en Europe après avoir longtemps eu du mal à dépasser les frontières du Japon. Alors il n’y a rien d’étonnant à voir des studios s’essayer à des hommages, ou au moins à des inspirations, à l’image de Astria Ascending dont on parlait récemment. Mais cette fois-ci il s’agit d’un autre jeu et d’un autre studio, puisque Midgar Studio, une boîte basée à Nîmes s’est mis en tête il y a quelques années de créer son propre RPG à la Japonaise. Lancé avec un financement participatif en 2015, le jeu a d’abord connu un accès anticipé débuté en 2018 sur PC, puis une sortie finale le 8 juin 2021. Désormais, c’est un portage sur consoles qui passe entre nos mains, avec une édition PlayStation 5 qui sort ce 10 février 2022.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire par l’éditeur. Le jeu a été parcouru sur PlayStation 5.

Références et identité

© 2022 Midgar Studio

La planète Heryon est en proie à une terrible maladie, la « Corrosion », qui dévaste la population. En guerre, le monde est au bord du précipice, et parmi les soldats se trouve Daryon, un homme qui déserte le front après un terrible événement pour rejoindre sa sœur Sélène, une prêtresse. Tous deux au chevet de leur mère atteinte par la corrosion, ils se lancent dans une quête à travers le monde pour trouver un remède pour leur mère. Evidemment, et dans le plus pur esprit des J-RPG, on s’aperçoit vite que leur quête se mêle aussi au destin du monde et de sa guerre, eux qui incarnent une jeunesse qui cherche à survivre et à changer les choses. Très vite, on sent une démarche sincère et ambitieuse dans Edge of Eternity, tant dans son histoire qui rend hommage à des mastodontes du genre que pour sa volonté de créer sa propre identité. De Final Fantasy par son système de combat à Xenosaga ou Xenoblade pour son univers visuel, ou même Dragon Quest pour quelques thématiques et quêtes, le titre de Midgar Studio multiplie les références mais n’hésite en effet pas à s’en servir comme tremplin pour mieux assumer son identité. Le jeu parvient à façonner son propre ton, sa propre originalité, grâce à une direction artistique (notamment sur les environnements) qui est sublimée par son inventivité et ses belles idées. Il y a en effet quelque chose de très enchanteur dans l’univers de Edge of Eternity, avec un monde très divers, coloré et aguicheur, toujours prêt à nous éblouir par de nouvelles idées visuelles, incitant à l’exploration et donnant envie de toujours aller plus loin pour découvrir ce qu’il nous réserve.

© 2022 Midgar Studio

Mais cette direction artistique est plus capricieuse lorsqu’il s’agit des personnages, qui sont eux beaucoup plus classiques et rarement réussis. D’autant plus que les dialogues peinent à nous intéresser dans un premier temps, avec une caractérisation très lente, l’intérêt de nos héros principaux (Daryon et Sélène) n’apparaissant finalement qu’assez tard dans le jeu. C’est peut-être lié à l’histoire qui, elle-même, met du temps à se lancer, alors que le jeu repose énormément sur ses systèmes pour accrocher. Pourtant, l’histoire de Edge of Eternity a de belles choses à raconter, en mêlant des thématiques liées au Divin à des thématiques plus proches de nos préoccupations en matière d’environnement ou de rébellion face à l’ordre établi. Daryon, le héros, incarnant un déserteur prêt à outrepasser les ordres du corps militaire pour sauver les siens, mais aussi porter assistance aux personnes qui sont mises à l’écart ou opprimées par le pouvoir. Il n’est pas pour autant un personnage complètement désintéressé, comme l’indique un dialogue plutôt bienvenu entre lui et sa soeur où ils s’interrogent sur la difficulté à tenir le même esprit face aux personnes qu’ils rencontreront dans leur aventure : faut-il aider tout le monde ? Sauver toutes les personnes qui demandent leur aide ?

La démesure de Edge of Eternity n’est d’ailleurs pas que dans l’amour que le jeu montre pour le genre qu’il référence, mais aussi dans l’étendue de son aventure. Généreux dans ses quêtes, que ce soit en nombre ou en découverte de son lore, le titre de Midgar Studio nous embarque dans une longue aventure qui ne cesse de se renouveler et d’apporter des choses et des idées nouvelles, faisant découvrir que le petit monde d’Heryon n’est en réalité pas si petit. On y voit un monde avec une longue histoire, des habitant·e·s qui vivent leur vie, qui ont leurs tracas et qui ont toujours beaucoup de choses à nous raconter, un peu à la manière d’un Dragon Quest où l’on se déplace de ville en ville pour découvrir les petites histoires du coin. Cela donne au jeu un ton très chaleureux et accueillant, malgré les monstres qui peuplent les plaines. Mais c’est aussi à double tranchant, car l’ambition et la démesure de Edge of Eternity ne peut gommer le fait que le titre a été développé par une petite équipe, qui a parfois eu les yeux plus gros que le ventre. Ainsi le monde est plein de quêtes secondaires peu intéressantes, et c’est surtout dans sa mise en scène que l’on remarque toutes les limites du jeu. Plutôt pauvre, avec une narration qui a des (très) hauts et des (très) bas, la mise en scène des cinématiques est très statique, sans beaucoup de vie, avec des dialogues qui sonnent parfois faux et quelques personnages auxquels on a bien du mal à croire. Mais pourtant, Edge of Eternity arive toujours à retomber sur ses pieds, en fascinant pour son univers, et en faisant bien vite oublier ses défauts. On a envie de l’aimer, et le jeu nous le rend souvent bien. Notamment avec sa bande originale de Cédric Menendez qui convoque là aussi de nombreuses références dans les jeux cités ci-dessus, associé à l’immense compositeur Yasunori Mitsuda (Xenogears, Xenoblade, Chrono Trigger…) qui a fait un beau cadeau à l’équipe de développement en offrant quelques titres très inspirés.

L’originalité de son système

© 2022 Midgar Studio

Le système de combat de Edge of Eternity est plutôt atypique. Il ne serait pas bien difficile de se limiter à l’idée d’hommage encore une fois, puisque le jeu récupère le système ATB (active time battle) des Final Fantasy. Ainsi tous les personnages, qu’il s’agisse des protagonistes ou des ennemis disposent d’une barre d’action qui se recharge avec le temps, selon leurs stats de vitesse. Peu importe donc le concept de « tour par tour » puisqu’en réalité, un même personnage peut attaquer plusieurs fois de suite s’il est suffisamment rapide face à un ennemi lent. Un système qui a fait le succès de la saga Final Fantasy, et que Edge of Eternity vient doubler d’une organisation tactique par cases (en hexagones) où il faut placer nos personnages pour prendre l’ascendant. Soit profiter de bonus liés à un objet sur le terrain, pour se remettre face à un ennemi qui nous aurait contourné ou à l’inverse, contourner un ennemi pour le frapper dans le dos et ainsi multiplier les dégâts. Cela permet aussi d’esquiver des magies ennemies qui mettent plus d’un tour à se lancer. Ce mélange de deux systèmes donne un ensemble plutôt efficace, et si le jeu souffre de sérieux problèmes d’équilibrages avec des ennemis qui ont parfois trop de vie (ou qui tapent soudainement trop fort), on prend un malin plaisir à exploiter les forces et faiblesses du système. D’abord en tentant de prendre l’ascendant par le terrain, puis en utilisant à bon escient les magies élémentaires pour faire de sérieux dégâts selon les résistances et faiblesses adverses.

Il y a toutefois des limites au système. Le jeu offre certes plusieurs modes de difficultés pour pallier l’équilibrage qui pousse trop souvent à se lancer dans des sessions de gain d’expérience pour survivre à la suite du jeu. Toutefois, cela ne permet pas de passer outre un aspect visuel souvent confus avec des casques qui ne sont pas affichées de manière évidente, sans parler de la caméra que l’on bouge sans arrêt (malgré l’aspect statique des combats) pour tenter d’y voir plus clair. Il est ainsi parfois compliqué de voir si l’ennemi a l’ascendant, à cause d’un manque de clarté visuelle qui met à mal un système pourtant super intéressant. On peut quand même le surmonter en passant un peu plus de temps à trifouiller la caméra et en mettant en évidence les hexagones, toutefois le jeu n’a pas la finesse et l’évidence des tacticals les plus réputés, malgré ses excellentes idées et son choix malin de mélanger la tactique au système ATB. Un peu malgré lui, Edge of Eternity en devient plus exigeant qu’il n’en a vraiment l’intention, la faute aux quelques ratés de son système de combat plutôt qu’à ses nombreuses qualités. L’équilibre est un des éléments fondamentaux des J-RPG pour que leurs combats restent agréables jusqu’au bout sans que l’exigence ne tombe jamais dans la punition bête et méchante. Le titre de Midgar Studio flirte souvent avec cette limite et a parfois du mal à tomber du bon côté.

© 2022 Midgar Studio

La progression des personnages quant à elle repose essentiellement sur l’amélioration des armes, via le craft de cristaux. Un système au départ un peu obscur, mais qui se révèle vite être en réalité une sorte de sphérier qui se laisse manipuler avec plaisir, et qui permet de spécialiser nos personnages dans ce que l’on veut sans être véritablement obligé·e de suivre un fil conducteur défini par la classe d’un personnage, contrairement à beaucoup de J-RPG. Ce système pousse donc à utiliser régulièrement de nouvelles armes, toujours plus puissantes, et à monter leur niveau au fil du temps pour gagner de nouveaux slots afin d’y caser des cristaux que l’on a pu crafter plus tôt en les assemblant pour en varier les propriétés. Ce système a néanmoins quelques limites qui relèvent plutôt des chances de tomber sur des cristaux : ceux-ci sont distribués de manière aléatoire lors des combats contre des ennemis (ainsi que dans des coffres et en récompense de quêtes), ainsi il peut se passer un certain temps avant que l’on obtienne la bonne couleur de cristaux, certaines couleurs disparaissant totalement pendant quelques temps par manque de chance. On peut partiellement y pallier en allant du côté des boutiques pour en acheter, néanmoins le jeu est plutôt avare en argent dans les vingt premières heures de l’aventure, cela n’est donc pas toujours évident. Certes, il était inévitable pour le studio de mettre une dose d’aléatoire dans le drop de tels objets, toutefois on sentait parfois la progression ralentie à cause d’un manque de chance de ce côté-là, alors qu’il arrive inversement que l’on gagne soudainement énormément de puissance en ayant parvenu à faire tomber des cristaux supérieurs qui mettent un sacré coup de fouet aux armes.

Un déficit technique qu’on n’ignore pas

De ses animations jusqu’au chara design parfois à côté de la plaque, malgré quelques réussites sur les personnages principaux, Edge of Eternity est loin de briller. Le titre rappelle régulièrement, et malgré lui, qu’il n’a pas les moyens des mastodontes qu’il référence chaque fois qu’une cutscene intervient et que l’on voit des personnages en gros plans. Les animations apparaissent statiques, quelques protagonistes sont plutôt vilains, et la mise en scène manque d’énergie. L’ensemble tranche complètement avec les qualités de direction artistique du côté des décors et environnements qui sont, eux, malgré des limitations techniques, une véritable invitation au voyage. Et fort heureusement, on passe plus de temps à les admirer qu’à se coltiner des cutscenes que l’on peine souvent à prendre au sérieux, quand les personnages ressemblent à des mannequins sans vie. Ainsi, Edge of Eternity parvient tout de même à donner une bonne impression visuelle, fort de son univers que l’on adore arpenter et que l’on se rêve même à voir revenir dans une forme plus aboutie, avec une éventuelle suite. Le titre souffre toutefois d’une technique compliquée, y compris sur PlayStation 5 où de nombreuses chutes de framerate rendent l’exploration parfois pénible, et ce peu importe le mode graphique choisi. À cela s’ajoutent des collisions hasardeuses, et on en arrive à un jeu qui n’a jamais la technique de ses ambitions, malgré tout l’amour dont il déborde.

Initialement une sorte de fantasme de J-RPG par des personnes qui ont certainement grandi avec le genre, Edge of Eternity a pour lui un univers à l’identité bien marquée malgré les nombreuses références. Des hommages qu’il adresse avec beaucoup de sincérité, sans se réfugier derrière elles, et plutôt en assumant ses emprunts afin de se forger son propre monde. Le jeu déborde d’amour et d’envie de bien faire, ce qui rend sa critique d’autant plus difficile qu’il parvient le plus souvent à séduire. Mais il faut aussi avoir en tête que son histoire met un sérieux temps à démarrer, à tel point que l’on a parfois l’impression d’avancer sans raison, tandis que son déficit technique est clairement handicapant au moment où il débarque sur consoles. Qu’il est bon toutefois de voir des titres qui osent, qui assument pleinement leurs ambitions et qui prouvent que la création de jeux vidéo en France a de beau jour devant elles. Le studio a notamment bénéficié du Fonds d’aide au jeu vidéo du CNC, et c’est plutôt super de voir que ce type de projet, plein de bonnes idées, puisse profiter d’un coup de pouce. En bref, si vous aimez l’imaginaire des voyages dans les J-RPG vous devriez donner une chance au titre de Midgar Studio, et si vous ne connaissez pas le genre, ce ne serait pas une mauvaise idée que de s’y essayer.

  • Edge of Eternity est sorti le 8 juin 2021 sur PC en version finale (early access débuté le 5 décembre 2018).
  • Le titre sort le 10 février 2022 sur PlayStation 4, PlayStation 5, Xbox One et Xbox Series X|S. Il sera en outre disponible dans le Xbox Game Pass.
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Bonjour à toutes et à tous, et bienvenue dans cette nouvelle saison de la Rébliothèque !

Dans cet épisode j’aborde une autrice dont j’avais déjà écouté des interviews, sans pour autant avoir lu une seule de ses œuvres. Il était grand temps pour moi de découvrir le travail d’Alice Zeniter, et ce fut à travers « Comme un Empire dans un Empire ». Un roman contemporain, très riche de sens et à l’engagement politique et humain assez évident.

J’espère que cet épisode vous plaira, et vous donnera envie de lire !

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