Persona 4 – Tome 1 | Aventure sur fond d’introspection

par Anthony F.

Les adaptations de jeux vidéo en mangas sont monnaie courante. On en a d’ailleurs eu un bel exemple il y a quelques temps sur Pod’Culture avec le très intéressant Siren ReBIRTH. Le même éditeur, Mana Books, propose à partir de ce mois-ci l’adaptation du jeu Persona 4, un titre sorti à l’origine en 2008 et dont l’adaptation en manga a été publiée dans la foulée au Japon. Plus de dix ans après, le manga écrit par Shuji Sogabe (déjà à l’œuvre sur le manga Persona 3) arrive enfin dans nos contrées avec un tome 1 publié ce 4 mars 2021. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’on n’est pas insensible à l’idée de se replonger dans l’histoire de Persona 4

Cette critique a été rédigée grâce à un exemplaire envoyé par l’éditeur. 

On suit l’aventure de Soji Seta, un lycéen qui déménage à la campagne, dans le patelin d’Inaba, en cours d’année scolaire. Arrivé dans une nouvelle classe, il apprend via ses nouveaux amis qu’une rumeur se propage parmi les jeunes : si l’on regarde son propre reflet sur l’écran de la télévision à minuit un soir de pluie, notre âme sœur y apparaît. Lui et ses camarades s’y tentent et finissent plus tard par être aspirés par une télévision, les plongeant dans un monde parallèle. Dans le même temps, la panique se répand dans la petite ville alors qu’un meurtre vient d’y être commis.

Persona 4, un jeu culte

©ATLUS ©SEGA All rights reserved. ©Shuji Sogabe 2009 First published in Japan in 2009 by KADOKAWA CORPORATION, Tokyo.

Dire que le jeu Persona 4 a été un succès serait un doux euphémisme. Célébré par le public et les critiques pour ses nombreuses qualités, le titre est d’abord sorti sur une PlayStation 2 en fin de vie, la PlayStation 3 étant déjà sortie depuis deux ans à ce moment-là, en 2008. Mais c’est avec une nouvelle version, sortie sur PS Vita en 2012 et intitulée Persona 4 Golden que le phénomène s’est propagé, encore un peu plus parmi les amateurs et amatrices de jeux de rôle.  À tel point que son éditeur, Atlus, en a profité pour tirer sur la corde au fil des années en utilisant son titre dans des spin-off inattendus (un jeu de combat, un jeu de danse…), des dessins animés et enfin, un manga.  Le succès critique du titre n’est toutefois pas une surprise, les Persona ayant toujours eu une bonne côte auprès du public des J-RPG, quand bien même la série ne soit à la base elle-même qu’un spin-off de la saga des Megami Tensei. On l’a d’ailleurs vu plus récemment avec le beau succès de Persona 5, dont on a également parlé sur Pod’Culture avec son excellente suite Persona 5 Strikers. Si les Persona ont une telle côte, c’est parce qu’ils parviennent souvent à aborder des thèmes matures, difficiles, qui parlent sans mal aux joueur·euse·s. Des thèmes qu’ils racontent dans des univers séduisants, avec des personnages hauts en couleur qui traversent des problèmes auxquels chacun·e peut s’identifier. Dans le cas plus spécifique de Persona 4, c’est un titre qui s’intéresse à la difficile question de l’acceptation de soi, de ses propres caractéristiques, de sa propre histoire et de son identité. Une réflexion qui se fait au travers de l’histoire, mais également du gameplay du jeu, puisque comme le reste de la saga les personnages combattent au moyen de leurs « Persona ». Ces entités mystérieuses qui leur permet d’affronter des monstres portent le nom d’un concept de psychologie analytique qui vise le « rôle » prédéfini de chacun·e, un personnage dans lequel les individus se fondent pour tenir leur place dans la société.  

La narration est ainsi le point fort du jeu, en utilisant pleinement les moyens propres au jeu vidéo pour raconter ses idées, qui portent sur de nombreux concepts propres à la psychologie. On y parle par exemple, outre la persona, d’inconscient collectif ou encore d’introspection, en mettant ses personnages face à leurs propres décisions et face à l’influence de leur entourage sur leur comportement. Cela donnait à l’histoire de Persona 4 quelque chose de très fort, faisant du jeu une sorte de voyage introspectif qui se révélait particulièrement bien écrit, fort de sa capacité à nous immerger dans le quotidien de ses personnages. Car la notion de quotidien est essentielle, le jeu nous mettant dans la peau de lycéens et lycéennes qui font face à des problèmes divers (pression sociale, difficultés au lycée…) et qui doivent, entre deux expéditions dans des donjons pleins de monstres, réviser et travailler pour réussir leur année. Alors c’est un titre qui mélange les genres mais qui le fait avec beaucoup de talent, parfois assimilé à un visual novel, parfois à un jeu de rôle plus classique, mais toujours acclamé pour ses qualités d’écriture. Et c’est un titre qui est paradoxalement difficile à adapter en manga : Persona 4 est un titre très dense et généreux, qui a énormément de choses à dire. L’auteur avait la lourde tâche de raconter l’histoire d’un jeu qui se terminait en 70 à 80 heures, qui était très verbeux, et qui allait au plus profond des choses. Une tâche qu’il réussit plutôt bien avec ce premier tome, ce qui laisse espérer le meilleur pour les douze autres qui suivront (tous ont déjà été publiés au Japon). Cela passe d’abord par une certaine fidélité au jeu, d’ailleurs le mangaka explique dans les premières pages qu’il a été jusqu’à demander l’avis du studio de développement pour décider du nom du héros, sachant que dans le jeu il n’en dispose pas (c’est aux joueur·euse·s de le choisir). Mais aussi par une faculté à condenser le récit sans pour autant le dénaturer, et on s’aperçoit que ce premier tome part sur d’excellentes bases.

Des questions sans réponse

©ATLUS ©SEGA All rights reserved. ©Shuji Sogabe 2009 First published in Japan in 2009 by KADOKAWA CORPORATION, Tokyo.

Si ce premier tome est une réussite, c’est parce qu’il ne suit pas mot pour mot le jeu. Il y a un réel travail d’adaptation qui, sans renier ce qui fait la qualité de l’écriture originale du titre, bénéficie de la même force émotionnelle que les premières heures du jeu. On sent aussi bien l’amour de l’auteur pour Persona 4 que sa volonté de mettre en valeur à sa manière des personnages qui ont tant à offrir. Ce premier tome se concentre essentiellement sur Yosuke, un des premiers amis que se fait le protagoniste, qui occupe un rôle central dans la découverte du monde parallèle. Un monde sous forme de donjons inspirés du monde de la télé, et qui reproduisent de manière plutôt inquiétante l’environnement quotidien des personnages. C’est à l’intérieur de celui-ci que les personnages apprennent à se connaître eux-mêmes, mais également leurs proches, et le manga réussit très bien à raconter ces moments de doutes, de révélations et d’introspection. Les personnages y grandissent, y réalisent leurs valeurs et leur capacité à changer les choses. Il y a quelque chose d’extrêmement touchant que l’auteur Shuji Sogabe manie avec douceur, lors d’une longue phase d’exposition des personnages qui fonctionne particulièrement bien. On y découvre des personnages aux caractères affirmés, mais qui se retrouvent vite confrontés à leurs propres doutes, non pas pour les abattre, mais plutôt pour leur permettre de s’émanciper. Le manga profite en outre d’un style visuel fidèle à l’esprit du jeu, avec des dessins qui traduisent son dynamisme et son fort potentiel de séduction, avec un univers accrocheur. Il faudra évidemment voir ce qui arrivera par la suite puisqu’il ne s’agit encore que du début du manga, mais il y a déjà de quoi être optimiste. D’autant plus que le manga est parfaitement accessible aux personnes qui n’ont jamais joué au jeu : il ne présume jamais des connaissances des lecteur·ice·s et se lance tranquillement en posant très justement son univers.

Adapter Persona 4 n’est pas chose aisée, mais le manga de Shuji Sogabe le fait très bien. Alors on n’en est qu’à ses débuts, mais ce premier tome a le mérite d’installer déjà les thématiques complexes qui font tout le sel de l’œuvre, en s’appuyant sur l’esprit et l’ambiance caractéristique des Persona grâce à ses superbes dessins qui sont très proches de ceux du jeu. Ce n’est pas qu’une histoire de lycéen·ne·s confronté·e·s à un mystère ou une simple tranche de vie, ce tome 1 ne fait pas que poser les bases, il aborde déjà une question intéressante au travers de l’un de ses personnages. Finalement, le seul problème de ce premier tome c’est qu’il donne une irrépressible envie de relancer une partie du jeu, alors qu’il y a déjà bien trop de jeux à découvrir et que le temps n’est malheureusement pas encore extensible.

  • Le tome 1 de Persona 4 est paru ce 4 mars 2021 aux éditions Mana Books. Série en 13 tomes.
  • Le jeu Persona 4 est sorti sur PS2 et PS Vita, et a été porté l’année dernière sur PC (Steam).

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