Siren ReBIRTH – Tome 1 | Un premier pas dans l’horreur

par Anthony F.

Fin 2003, puis l’année suivante en Europe, un titre étonnant faisait son apparition sur PlayStation 2. Fruit de la collaboration entre le game designer Keichiro Toyama,  la scénariste Naoko Sato et le directeur artistique Isao Takahashi, l’équipe de développement Project Siren livrait enfin un projet qui tentait à sa manière de réinventer l’horreur dans les jeux vidéo : Forbidden Siren. Devenu culte, le titre s’est fait connaître tant pour le sentiment de peur qu’il installait avec brio que sa narration confuse et sa structure en épisodes non-linéaires, faisant de son récit une sorte de puzzle horrifique duquel il était bien difficile de s’échapper. Depuis, Forbidden Siren a gardé de nombreux fans et fête ses quinze ans avec une adaptation en manga, intitulée Siren ReBIRTH. Sorti le 7 janvier 2020 en Français chez Mana Books, le premier tome reprend les prémices de l’histoire du jeu et explore son univers poisseux et horrifique.

Cette critique a été rédigée grâce à l’envoi d’un exemplaire par l’éditeur. 

Une étrange rumeur suscite l’intérêt de jeunes en mal de sensations fortes : un village nommé Hanuda aurait littéralement disparu des cartes il y a 27 ans à la suite d’un terrible drame. Les rumeurs parlent de tuerie de masse et de malédiction, chose que souhaite vérifier Kyoya Suda, un jeune homme fasciné par ce genre de légende urbaine. Evidemment les choses vont mal tourner, et c’est bien là le propos de Forbidden Siren, avec son village en proie à une malédiction terrible.

Un imaginaire sans limite

© 2018 Sony Interactive Entertainment Inc. © Tsutomu Sakai 2018 © Yukai Asada 2018
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Adapter Forbidden Siren en manga est presque une évidence, avec la densité de son univers, le jeu offre suffisamment de latitude pour réimaginer son histoire. Et Siren ReBIRTH montre de jolies choses pour ses débuts, le manga supervisé par les créateurs du jeu profite en effet de son premier tome pour construire sa propre légende. Alors on verra plus tard qu’il reprend beaucoup d’éléments du jeu, mais l’auteur Tsutomu Sakai comprend ce qui fait l’essence du jeu, en commençant avant tout par installer le sentiment de détresse, de peur qui s’empare du village. Théâtre des horreurs, le patelin est un lieu particulièrement anxiogène avec ses rues désertes, ses vieilles bâtisses et surtout, son immense hôpital. C’est véritablement un tour de force réalisé par l’auteur, qui en quelques pages seulement parvient à suggérer toutes les horreurs qui pourraient avoir lieu à l’avenir dans ces décors. Car le premier tome du manga est avare en scène horrifique, s’il y a bien une ou deux entités malfaisantes qui apparaissent ici et là, la plupart des choses sont suggérées. C’est quelque chose qui vient directement des influences du jeu et que le dessinateur Yukai Asada assimile parfaitement : Forbidden Siren est l’héritier d’un cinéma d’horreur japonais qui joue sur les ombres, sur les décors poisseux et sur le sentiment d’être isolé dans un endroit où chaque coin de rue, chaque couloir peut cacher l’innommable. On peut citer notamment Dark Water de Hideo Nakata, un film auquel Forbidden Siren doit beaucoup. Il était ainsi attendu que Siren ReBIRTH reprenne ces influences, chose que le dessinateur et l’auteur font avec talent. Qui plus est pour l’adaptation d’une œuvre dont les liens avec le cinéma étaient déjà évidents pendant sa conception, puisque le jeu sorti sur PlayStation 2 faisait appel à des acteurs, actrices et mannequins pour réaliser la motion capture, cette technologie qui permet de capturer les mouvements des interprètes et de les retranscrire en 3D. L’équipe du Project Siren instillait donc déjà dans son jeu une dimension cinématographique qui apportait évidemment quelque chose de différent à sa mise en scène, face à d’autres jeux d’horreur plus classiques.

Le jeu était par ailleurs célèbre pour sa structure non-linéaire, bien difficile à aborder, une notion reprise par le manga qui s’évertue à offrir une action décousue, des scènes multiples où il se passe une tonne de choses pour lancer son premier tome qui part un peu dans tous les sens. On y découvre deux personnages bien connus du jeu, notamment des jumeaux au centre de la malédiction, et d’autres qui se retrouvent plus ou moins volontairement embourbés dans ce village dont on ne semble jamais pouvoir ressortir. Cela fait du premier tome une lecture plaisante, bien rythmée et qui nous lance vite dans l’action. Yukai Asada rappelle en outre les influences Lovecraftiennes dans le bestiaire de la licence lors d’une rare occurrence d’un monstre, insistant sur le côté poisseux et quasi-mystique d’une créature qui reviendra probablement vite hanter les protagonistes du manga.  Sans pour autant être effrayant, ce premier tome réalise avant tout un bel hommage à Forbidden Siren, tant dans le ton et les dialogues que ses dessins qui rappellent les ruelles sombres et brumeuses d’un jeu sans pareil.

Tous les maux de Siren

© 2018 Sony Interactive Entertainment Inc. © Tsutomu Sakai 2018 © Yukai Asada 2018
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Le manga s’évertue ainsi à respecter le jeu original, ce qui fait sens pour une oeuvre qui servait à fêter le quinzième anniversaire de la série. Pourtant il prend vite ses aises et ne cherche pas nécessairement à singer la narration du jeu. Là où il y avait un récit épisodique, le manga lui semble vouloir s’appuyer sur une action plus concentrée, mais il rappelle tout de même son aîné avec cet aspect « choral » qui permet d’aborder la même situation sous le point de vue de plusieurs personnages pourchassés par les Shibitos, les créatures du village. Visuellement, le manga retranscrit bien l’univers du jeu et la crainte qu’il inspire, en jouant sur les ombres, la nuit qui tombe, les rues désertes et le comportement erratique de certains personnages. On se retrouve ainsi avec un tome très rythmé, qui nous lance vite dans l’action, même s’il risque d’être frustrant pour les personnes qui ne connaissent rien à l’univers de Forbidden Siren tant il reste mystérieux sur ses intentions. Heureusement on profite en toute fin de tome d’un bonus sympathique avec quelques mots échangés entre Naoko Sato, la scénariste du jeu original, et Nobuaki Mitsuda, un acteur qui a donné sa voix aux deux personnages principaux et joué en motion capture. Un échange savoureux tant les deux n’hésitent pas à raconter leur rapport très personnel au jeu, à sa réception par le public mais aussi la folie que constituait un tel projet en son époque.

Aussi fascinant qu’inattendu, Siren ReBIRTH capte parfaitement ce qui inquiète et ce qui fait peur dans Forbidden Siren. Adapter son histoire n’est pas chose aisée, et ce premier tome est plutôt avare sur ses intentions, mais s’il y a une chose qu’il réussit c’est bien d’installer le contexte si particulier de l’œuvre. On sent l’amour de l’auteur pour un jeu si particulier, qui a marqué son époque, et qu’on est bien heureux de voir revenir sous une forme différente. Les personnes qui n’ont pas d’affinité particulière avec le jeu, ou qui ne le connaissent pas, trouveront tout de même là un manga horrifique qui commence avec de belles idées malgré une narration parfois décousue propre à l’œuvre originale.

  • Le tome 1 de Siren ReBIRTH est sorti le 7 janvier 2021 aux éditions Mana Books.
  • Le jeu PS2 Forbidden Siren est disponible sur PS4 depuis le 16 juin 2016.

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