Jared Reinmuth était plutôt habitué aux planches de théâtre et à la mise en scène, jusqu’à ce qu’une rencontre décisive bouleverse sa vie. Celle de Frank « Big Black » Smith, un rescapé de la mutinerie d’Attica, une prison de l’État de New York où les prisonniers, qui se sont rebellés en face aux conditions de détention inhumaines, ont été massacrés par la police avec la complicité du gouverneur de l’époque, Nelson Rockefeller. C’est via son beau-père que Jared Reinmuth, Dan Meyers, avocat qui a tenté d’aider Big Black à obtenir réparation pendant une trentaine d’années, a pu rencontrer cette figure emblématique et commencer dès 1997 à prendre des notes, à parler, à raconter ce qu’il ne fallait surtout pas oublier. Et c’est en 2021, dix-sept ans après le décès de Big Black, que l’acteur-metteur en scène de théâtre s’est mué en auteur de comics en s’associant au français Améziane pour raconter les quelques jours qui ont changé la vie de celui qu’il admirait.

Violence d’État, peuple complice

TM & © 2020 Frank B.B. Smith, Jared Reinmuth, Hammouche Améziane

Dans la chaleur d’un mois de septembre 1971, les choses commencent à bouger dans la prison d’Attica. Un lieu où sont jetés majoritairement des détenus afro-américains, certains condamnés pour des crimes, d’autres pour des broutilles, avec la même intention dans tous les cas : leur nier leur humanité et leur dignité. C’est un lieu d’une violence redoutable, où les choses les plus simples leur sont interdites. L’hygiène se limite à une douche par semaine, un rouleau de papier toilette par mois, les repas sont majoritairement composés de porc gras à bas prix sans l’ombre d’un légume ou de quoique ce soit de vaguement équilibré. Consulter un médecin relève du miracle, de nombreux détenus souffrent de pathologies plus ou moins graves mais n’ont droit à aucune forme de traitement médical. La réinsertion n’est une question pour personne, et on dit rapidement aux nouveaux arrivants qu’à leur sortie (si un jour ils en sortent) qu’ils ne pourront prétendre à mieux que « quarante dollars et un costume » en guise d’outil de réinsertion à la vie civile. Attica est aussi un outil politique, à un moment où le gouverneur de New York, Nelson Rockefeller (oui, de la fameuse famille) a des vues sur la prochaine élection présidentielle. Gouverneur républicain terriblement attaché aux valeurs de la droite, c’est-à-dire le genre de « valeur » qui considère qu’un prisonnier n’est pas humain, voit évidemment d’un bon oeil le traitement indigne infligé aux détenus. C’est un moyen d’appuyer sur l’idée raciste, qui fait écho à cette époque dans une Amérique encore moins attachée aux droits civiques des afro-américains qu’aujourd’hui, que ces hommes ne sont rien d’autre que des monstres, des bêtes qu’il faut mater. Et tant pis s’ils meurent avant de finir leur peine, ils ne méritent rien d’autre.

C’est dans ce contexte, ce monde extrêmement violent que se fait un nom Frank Smith, rapidement surnommé « Big Black ». Il se retrouve là pour vol, et il n’a pas vraiment l’image du monstre sanguinaire que le gouverneur va plus tard tenter de lui coller. Au contraire, il impose rapidement le respect à la fois parmi les détenus et parmi quelques gardes. Pour son charisme naturel, mais aussi pour sa volonté de rechercher un certain équilibre, une certaine paix dans un environnement où l’on tente pourtant de lui retirer toute forme d’humanité. C’est quelque chose que Dan Meyers raconte très bien dans la préface du comics, lui qui l’a côtoyé si longtemps en tant qu’avocat, et qui retrace en quelques lignes les 30 années de bataille juridique pour faire reconnaître le statut de victime aux prisonniers d’Attica. Car ce qu’il s’est passé est d’une violence inouïe. Au départ, les prisonniers prennent le contrôle de la prison en tentant dans la mesure du possible de ne pas porter atteinte aux gardes, en se contentant de les retenir sans leur faire de mal. Et leur liste de revendications était simple, elle relevait de la nécessité de revoir les conditions d’hygiène, l’alimentation, l’accès à un médecin, la liberté religieuse, la garantie que des efforts seraient faits pour améliorer la réinsertion des détenus (accompagnement, études…), ainsi que la fin du travail gratuit, c’est-à-dire le système esclavagiste mis en place en prison. Un sujet qui tient évidemment à coeur à Big Black puisque comme le raconte le comics dans ses premières pages, sa mère était fille d’esclaves.

Une dignité retrouvée

TM & © 2020 Frank B.B. Smith, Jared Reinmuth, Hammouche Améziane

Mais à une époque où les États-Unis commencent à décharger la responsabilité des prisons de l’état vers des groupes privés, avec une recherche de rentabilité maximale au mépris des droits les plus fondamentaux, et à un moment où Rockefeller met autant d’afro-américains en prison que possible dans sa pseudo-guerre contre la drogue, Attica n’est qu’un mouroir où aucun dirigeant n’est disposé à négocier. C’est ainsi que la police intervient et tue, tire dans la foule, faisant 29 morts parmi les prisonniers et 10 parmi les gardes (des morts initialement attribuées aux prisonniers, avant que les avocats et légistes parviennent à prouver qu’ils ont été assassinés par la police). Le comics pose question évidemment sur le traitement infligé aux détenus, sur la nécessité de leur donner des conditions de détention aussi humaines que possibles pour peu qu’il nous reste un peu d’humanité. Chose que Attica ne faisait pas, pas plus que les prisons d’aujourd’hui où les revendications sur les conditions d’hygiène, de réinsertion et d’accès aux soins restent encore extrêmement peu considérées dans de nombreux pays du monde (à commencer par la France). Mais le comics aborde aussi de manière très intéressante le racisme qui motive la police. Le gouverneur n’a pas eu grand chose à faire pour motiver ses troupes à tirer dans le tas et à torturer Big Black. Au contraire, on voit des jeunes hommes blancs « infectés par le racisme » (comme le dit très justement l’un des détenus), qui ne voient dans les détenus que des bêtes sanguinaires qu’il faut abattre. C’est une vengeance uniquement motivée par leur racisme, tandis que le public se masse autour de la prison et réclame lui aussi du sang, bien heureux d’avoir une occasion de réclamer la mise à mort d’afro-américains sans que cela ne choque personne.

Le comics garde néanmoins une certaine pointe d’espoir. Car c’est ce qu’incarnait Big Black, un homme qui n’a cessé de surprendre en ne réclamant jamais vengeance, ne tombant jamais dans la violence. Il a pourtant souffert terriblement avec un épisode de torture consécutif à la mutinerie, provoquant chez lui un stress post-traumatique dont il ne s’est jamais séparé. Mais il incarnait un combat important, pour se redonner à lui, mais aussi aux autres détenus (qui ont péri pendant l’assaut, avant à cause du manque de soins, ou après), une dignité qu’on leur avait retiré. Le comics de Jared Reinmuth est teinté d’une humanité formidable, qui raconte la grandeur d’âme de Big Black, mais aussi l’importance d’un tel combat dans un pays qui n’a jamais cessé de se battre avec cette idée vengeresse selon laquelle les détenus ne méritent aucune forme d’humanité dans le traitement qui leur est infligé. Plus encore dans un pays qui a monnayé ses prisons pour les confier à des organismes privés, avec des juges complices, qui y ont envoyé de nombreuses personnes sans preuves car il faut alimenter ces centres de détention où l’on travail pour des miettes. Et c’est superbement mis en image par Améziane, sur un fond de page jauni comme du papier vieilli, ou une bande dessinée que l’on aurait trouvé dans un journal de l’époque. Cela renforce allègrement le côté documentariste du comics, avec un ton et une ambiance qui nous immergent immédiatement dans cette Amérique de 1971.

C’est un grand bout d’histoire que nous racontent Jared Reinmuth et Améziane avec ce comics. Ils auraient pu se limiter à un récit-documentaire, mais c’est un vrai tour de force artistique avec une narration étoffée, bien menée et racontée, qui passe autant par la précision de dialogues marquants qu’avec une imagerie inspirée par la bande-dessinée des années 1970. C’est fort sur tous les points, et ça rend un bel hommage au combat de Big Black, mais aussi à tous ceux qui n’ont pas eu la chance de pouvoir ressortir d’Attica. Qu’il s’agisse d’une envie de découvrir ce pan de l’histoire américaine ou simplement la volonté de lire un grand comics, toutes les raisons sont bonnes pour se jeter sur Big Black : Stand at Attica.

  • Big Black : Stand at Attica est disponible en librairie aux éditions Panini Comics.
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Cinq ans déjà nous séparent de Spider-Man : Into the Spider-Verse (ou New Generation, le sous-titre français qui lui a été donné à l’époque). Et pourtant, on a l’impression que ça ne date que d’hier. Parce que le film a eu un impact considérable sur le cinéma d’animation, comme aucun autre film adapté de comics auparavant. Tant pour ses techniques d’animation qui permettaient de mettre en lumière un style qui était encore assez peu connu à l’époque, que pour sa manière si maline d’exploiter le Spider-Verse, cet espèce de multivers spécifique à l’univers de Spider-Man, avec des Terres parallèles où évoluent des incarnations radicalement différentes du même personnage. Du haut de son immense succès, il y avait une certaine pression pour sa suite intitulée Spider-Man : Across the Spider-Verse (qui n’a pas été renommé chez nous, cette fois-ci). Une suite chargée de faire aussi bien que son aîné, et plus encore.

La plus belle illustration du Spider-Verse

© 2023 CTMG, Inc. All Rights Reserved.

Miles Morales n’est plus l’enfant que l’on découvrait à l’époque, c’est aujourd’hui un adolescent plus affirmé, qui comprend et maîtrise ses pouvoirs, habitué à une vie de super-héros qu’il parvient à concilier avec son quotidien, dans la limite de ce qui est possible. Mais il est aussi plus solitaire aujourd’hui, alors que Gwen est retournée dans son monde après les évènements du premier film. Jusqu’à ce qu’une nouvelle menace apparaît, et remet les destins de leurs mondes en jeu. De manière plutôt maline, le film dévie son propos de la menace d’un énième super-vilain à, plutôt, les enjeux de la nouvelle vie de Miles. Surtout, la question de dire un jour la vérité à ses parents à propos de ses pouvoirs. Comment leur dire ? Quand ? Et avec quelles conséquences ? Comme si le film tentait d’émuler tous les questionnements qui passent par la tête d’un·e adolescent·e à cet âge-là, avec les mêmes incertitudes face à un monde qui change, des découvertes perpétuelles, et un besoin de trouver une forme de « validation » auprès de celles et ceux qui comptent. C’est peut-être pour ça qu’il en ressort un chaos permanent à l’écran, avec un film qui ne cesse de faire courir ses personnages, jamais à bout de souffle. Et c’est un excellent choix, car cela fait sortir le récit du classique « méchant de la semaine » qui caractérise habituellement les histoires de Spider-Man tout en apportant un rythme endiablé, en emmenant les personnages sur un autre terrain, quitte à ce que le film ne tranche jamais vraiment l’histoire autour de la nouvelle menace. Parce que ça, c’est pas vraiment le sujet.

Cette nouvelle menace n’apparaît en réalité que comme une excuse pour emmener à nouveau les personnages vers une exploration du Spider-Verse, découvrant de nouvelles incarnations du personnage, et des références extrêmement nombreux sur les films, séries animées et comics qui ont fait son histoire. Sans trop en dire, ces références apportent quelque chose de décisif au récit, avec une thématique récurrente (qui ne surprendra aucun·e fan de cet univers) qui symbolise le personnage peu importe son incarnation. Cela permet de souder les différentes versions, peu importe leur univers d’origine, et de s’affranchir des frontières entre les mondes, avec une intelligence qui fait plaisir à voir. La douceur qui se dégage du film est formidable, sa déclaration d’amour à Spider-Man montre l’immensité d’un héros atypique, peu importe son incarnation, qui a incarné des valeurs constantes au fil des décennies. D’ailleurs, c’est ses valeurs, qui sont celles de la bienveillance, du partage, de l’ouverture sur les autres qui donnent à Spider-Man l’occasion de découvrir celles et ceux qui l’accompagnent dans son aventure. Avec, notamment, une véritable connexion qui se créé avec Gwen, plus que dans le premier. Elle finit par être la véritable héroïne du film, en incarnant un des aspects les plus posés, les plus réfléchis du film, en opposition avec Miles qui est au centre d’un chaos permanent, baladé d’un bout à l’autre par des enjeux qui le dépassent.

Une déclaration d’amour

© 2023 CTMG, Inc. All Rights Reserved.

Plus encore que pour son récit, le film brille évidemment pour son style, la beauté de ses scènes, sorte de fantasme d’une animation sans barrière, sans limite, avec une création artistique libre et pourtant terriblement cohérente. Le film multiplie les styles visuels différents selon les univers traversés et l’origine des personnages (entre ceux qui viennent des comics, d’autres de cartoons, d’autres d’anime ou d’un monde de papier…) mais toujours terriblement réussi, avec une constance qui force l’admiration. Un grand plus d’ailleurs pour l’univers de Gwen, toujours aussi génial, avec un sous-texte intéressante sur l’identité du personnage, son univers étant entièrement colorié selon les nuances de couleur du drapeau de la communauté trans. Enfin, c’est sa mise en scène si précise qui permet de donner un sens à tout ça. Le premier film a été une révolution pour l’animation américaine, le deuxième film enfonce le clou et montre que le studio en a encore énormément sous le pied. C’est une prouesse visuelle et technique, associé à une mise en scène intelligente qui est capable de trouver un chaos permanent qui peut, certes, être éprouvant. Mais le film ne se perd jamais, il retombe toujours sur ses pieds, comme Miles Morales qui multiplie les acrobaties à chaque fois qu’il se déplace sans jamais se rater.

Curieusement et malgré un amour infini pour le premier film, je n’en attendais pas de suite. Parce qu’il me semblait déjà parfaitement complet, qu’il allait au bout de ses idées et qu’il aurait été compliqué de faire mieux. Mais cette suite m’a donné tort, montrant qu’il y avait vraiment la possibilité d’aller plus loin, d’être plus fou, plus inventif, d’exploiter le Spider-verse d’une manière encore plus pertinente. C’est une déclaration d’amour à cet univers mais pas seulement, c’est aussi une déclaration d’amour à ses fans, à ses auteurs, ses autrices, ses dessinateurs et dessinatrices qui ont fait vivre ses personnages depuis la première apparition de Spider-Man dans un comics en 1962. Et le film va au-delà de l’hommage, en racontant une histoire poignante, une aventure épique qui certes, ne trouve pas de conclusion en attendant le troisième film, mais qui paradoxalement semble se suffire à lui-même, parce qu’il trouve des réponses aux questions les plus importantes qui animent le personnage depuis toujours. C’est-à-dire l’importance de sa famille, de ses proches, et de celles et ceux qui lui donnent la force de se battre pour des jours meilleurs.

  • Spider-Man : Across the Spider-Verse est sorti en salles le 31 mai 2023 et en vidéo depuis le 4 octobre 2023
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On fait difficilement plus culte que la saga Final Fantasy. Pilier du RPG à la japonaise, la saga accompagne la vie de ses fans depuis la fin des années 1980. Et si ses nombreux épisodes ont connu de nombreuses rééditions et ce de manière régulière, à l’image de la Pixel Remaster, afin de maintenir la présence de la licence dans l’espace médiatique, c’est surtout la sortie d’épisodes inédits qui attire les discussions. Toujours soumises à un débat houleux tant les attentes divergent sur ce que doit être un « bon » Final Fantasy, ces sorties monopolisent l’actualité, et Final Fantasy XVI n’y a pas échappé. Extrêmement attendu parce qu’il est dirigé par Naoki Yoshida, celui à qui est attribué le sauvetage du MMORPG Final Fantasy XIV, ressuscité dans une nouvelle version il y a quelques années après des débuts complètement ratés. Mais alors, que doit-on retenir de ce seizième épisode canonique sorti cet été, sept ans après le précédent ?

Un retour à ses origines

© 2023 SQUARE ENIX CO., LTD. All Rights Reserved.

Dès ses premiers instants, Final Fantasy XVI tranche radicalement avec les titres principaux de la saga sortis depuis plus de vingt ans. Visuellement très sombre, à l’inspiration médiévale et à un certain aspect « réaliste », l’univers de Valisthéa est bien loin de la fantasy un tantinet plus habituelle pour la saga depuis son passage à la 3D avec le septième épisode. Dénué d’espoirs, le monde de ce nouveau titre évoque tout particulièrement ceux des trois premiers épisodes de la saga, avec un ton amer, où la victoire n’en est jamais vraiment une, où le peuple est soumis à d’insupportables conditions de vie par des élites politiques qui ne pensent qu’à leur propre intérêt. S’ajoutent à cela tout un pan de mythologie autour des cristaux, sorte de sources d’énergie du monde, et de primordiaux (des créatures mythologiques comme Ifrit, Shiva, Garuda ou encore Phénix), des éléments hérités des trois premiers Final Fantasy à la fin des années 1980, avant que la saga n’embraye sur d’autres manières, plus modernes, d’évoquer la fantasy (comme les notions écologiques du VII ou les guerres politiques et religieuses du X et du XII). Cette proximité avec les origines de la licence est une très belle surprise, avec même quelques références ici et là, tant le premier contact avec le jeu évoque plutôt une référence moins bien mise en avant. Je pense à Game of Thrones, qui transpire dans chacune des deux ou trois premières heures du jeu, mais qui heureusement s’effrite rapidement tant ces références ne sont liées qu’à des personnages très secondaires qui n’ont qu’une présence très limitée au cours du jeu. Alors c’est la volonté de revenir aux fondamentaux, avec une inspiration plus médiévale, proche de la littérature dramatique anglaise, qui donne à Final Fantasy XVI un ton franchement agréable. Si son récit a des longueurs, il est dans l’ensemble plutôt bien mené, grâce notamment à son héros, Clive Rosfield.

Héritier de la famille dirigeante de l’une des régions de Valisthéa, Clive est raconté à trois époques distinctes de sa vie : à 15 ans, alors qu’il voit sa famille se briser et le pouvoir de son père renversé, puis adulte dans la vingtaine, et ensuite un peu plus âgé, alors que sa maturité lui permet de mieux aborder le monde qui l’entoure. Ce noble tombé en disgrâce se lance dans une quête de vengeance contre les Cristaux-mères, qui confèrent la magie à celles et ceux qui vivent à proximité, responsables selon lui des torts d’un monde qui lui a enlevé sa famille et tout particulièrement son frère Joshua, émissaire de Phénix. Un début de récit plutôt bateau, mais qui s’enlise rapidement dans des guerres de pouvoir, mais aussi un commentaire pas inintéressant sur la rébellion contre le pouvoir, l’esclavagisme (avec les pourvoyeurs, une partie de la population réduite en esclavage) et même l’écologie, alors que les Cristaux-mères, source de pouvoir incommensurable, sont à l’origine de toutes les batailles de Valisthéa. Certes, cela ressemble à une critique pas vraiment subtile des guerres du pétrole, mais le jeu le fait plutôt bien, avec une écriture qui a de vrais bons moments. Plus encore, le jeu interroge ses personnage sur le sens de leurs pouvoirs, et les responsabilités face aux peuples et à leurs proches qui en découlent. Et ce sachant que ses personnages principaux sont des « émissaires », c’est-à-dire des personnes capables de manipuler les pouvoirs des primordiaux, se transformant en créature mythologique quand cela leur est nécessaire. Et c’est aussi un moyen d’offrir quelques bonnes choses sur l’écriture des antagonistes qui sont aussi confronté·es à ces questions, car elles·ils incarnent également ces primordiaux. Cela les pousse à l’occasion à se poser de véritables questions sur leur quête et le bon sens de s’opposer à la vengeance de Clive. Mais difficile de ne pas jeter la pierre à l’équipe de Naoki Yoshida pour son traitement des personnages féminins. Il y a Jill, par exemple, principale alliée de Clive tout au long du jeu, qui n’existe jamais vraiment. Toujours reléguée au second plan, ne parlant jamais d’elle ni de son histoire, elle n’a le droit d’ouvrir la bouche que pour féliciter et motiver Clive. Pire encore, elle incarne pourtant un primordial, lui conférant de fait des pouvoirs extraordinaires, mais le jeu ne lui laisse jamais de place. A l’exception peut-être d’une quêtes secondaire dans le dernier quart du jeu où elle se dévoile un peu plus. Pareil pour d’autres, comme Benedikta, antagoniste qui semble tout droit sorti de Bayonetta, archétype caricatural de la femme fatale, qui ne dépasse jamais cette image. Ou encore Annabella, la mère de Clive, centrale pour l’histoire, mais pourtant complètement reléguée derrière ses fils, même aux moments les plus importants pour son destin. Et c’est d’autant plus dommage que d’autres personnages féminins, plus secondaires (mais très présents dans les quêtes secondaires) bénéficient d’une vraie bonne écriture. Mais dès qu’on retourne à la quête principale, les femmes sont au mieux des faire-valoir pour glorifier les héros, au pire complètement absentes.

L’histoire de Final Fantasy XVI est celle d’un récit aux implications politiques nombreuses, parfois faites d’ellipses, quitte parfois à nous perdre en route. Mais le jeu a eu le bon sens d’intégrer un « wiki » à son aventure, mieux fait qu’un « codex » plus classique pour la saga, où de nombreux articles (d’une vingtaine de lignes tout au plus) permettent de comprendre les enjeux, mais aussi ce qu’il se passe en fond. Car Final Fantasy XVI a l’intelligence pendant une bonne partie de son histoire de ne pas faire de la quête de Clive l’alpha et l’oméga de son monde. Au contraire, la majorité des gens qu’il rencontre n’ont aucune idée de qui il est, car leurs régions et leurs villes sont confrontées à leurs propres problèmes. On découvre des régions qui se font la guerre, des conquêtes qui changent la face de la carte, et des enjeux politiques que le jeu développe assez maladroitement dans ses cinématiques, mais qui prennent sens dès lors que l’on débloque l’historienne. Celle-ci se trouve dans la base de la rébellion qu’a rejoint Clive, et permet de s’informer au fil des heures sur l’évolution des relations entre les différents pays. Entre ça, le « wiki » qui permet d’en apprendre plus et aussi le glossaire qui est accessible sur chaque cinématique, le jeu déploie de grands moyens pour ne pas nous perdre en route. Et si c’est plutôt archaïque, cela servant essentiellement de pansement sur une narration pas toujours maîtrisée côté cinématiques, ça se révèle plutôt efficace car ces éléments sont essentiellement nécessaires pour approfondir l’histoire mais pas indispensables à la compréhension de la quête de Clive. Ce qui est bien mieux, que, par exemple, Final Fantasy XIII dont l’histoire était parfaitement incompréhensible sans jeter un oeil au « codex ».

La rage de vaincre

© 2023 SQUARE ENIX CO., LTD. All Rights Reserved.

Beaucoup de choses ont été dites à propos du système de combat de Final Fantasy XVI. Avant même sa sortie, l’équipe de développement assumait l’envie de bouleverser les codes du genre. Le précédent épisode canonique, Final Fantasy XV, avait déjà fait le choix de l’action, délaissant les quelques restes de tour par tour qui pouvaient subsister timidement dans les épisodes XII et XIII. Mais cette fois-ci, le jeu va un peu plus loin en incorporant tout un système de combos hérité de jeux d’action populaire, mais en leur conférant une certaine simplicité qui permet aussi aux adeptes de la saga de pouvoir s’y retrouver. Les combats sont sûrement plus éprouvants que ceux de ses prédécesseurs, toutefois le titre trouve un bon équilibre entre l’utilisation de l’arme de mêlée, une épée (et rien qu’une épée : pas moyen d’obtenir d’autres types d’armes) et des pouvoirs de notre héros. Car pour l’essentiel du jeu, on ne contrôle que Clive, tous les autres compagnons étant dirigés par le jeu, sans que l’on puisse avoir la moindre influence sur leurs actions. A l’exception du chien, l’adorable Talgor, pour lequel il existe un timide système d’ordres que l’on oublie aussi vite qu’il nous est présenté. Heureusement et pour éviter de tourner en rond trop rapidement, les compétences obtenues régulièrement pour Clive au fil de l’aventure permettent de varier les plaisirs. Car contrairement aux autres émissaires qui doivent se contenter des pouvoirs d’un seul primordial, lui est capable d’absorber les pouvoirs de chacun d’entre eux, jusqu’à ce que l’on finisse par se lancer dans des combos mélangeant les pouvoirs d’Ifrit, de Garuda ou encore de Titan. Ces pouvoirs, déclenchés par une pression sur deux touches simultanément, permettent essentiellement de taper plus fort, mais aussi d’accélérer la chute d’une barre de déstabilisation des ennemis. Quand elle est vide, l’ennemi tombe et devient ainsi plus vulnérable aux attaques, démultipliant les dégâts infligés pendant un court laps de temps.

Malgré toutes ses bonnes intentions, le système de combat ne parvient toutefois pas à maintenir le même intérêt sur toute la durée du jeu. Les pouvoirs à obtenir sont nombreux, mais le titre souffre d’une progression plutôt lente, avec un coût en points de compétence (obtenus en combat ou en terminant des quêtes) bien trop important pour débloquer de nouveaux pouvoirs et les renforcer, chaque pouvoir comptant trois niveaux de puissance. Ainsi, on sort assez peu des deux pouvoirs principaux offerts à chaque déblocage d’un nouveau primordial, se contentant de n’en débloquer qu’une poignée à côté avec les rares points de compétence obtenus. Et ce n’est pas faute d’avoir passé du temps sur le contenu secondaire, qui s’avère être dans la deuxième moitié du jeu le meilleur moyen de progresser, mais qui ne suffit pas à essayer et diversifier les compétences utilisées. Cela n’empêche toutefois pas de passer d’excellents moments sur certains combats, à commencer par les combats de boss qui ont pris une orientation tout à fait surprenante mais terriblement bien senties. En effet, influencés par des œuvres inattendues, ces combats s’avèrent parfois incroyablement impressionnants, avec une action déportée dans des zones gigantesques, dans le ciel, des souterrains, voire même dans l’espace, avec une grande influence de quelques anime type shonen, à la Dragon Ball Z, ou un jeu comme Asura’s Wrath, dont les combats de boss stupidement démesurés est la marque de fabrique. Et curieusement, malgré le ton résolument sérieux de son univers et de son histoire, ces moments où la mise en scène s’emballe pour offrir un surplus de moments héroïques et de gros coups de poings qui envoient l’adversaire détruire un flan de montagne, fonctionnent très bien.

Quant à la construction de son aventure, il ne révolutionne pas la saga. La quête principale est assez dirigiste, le jeu n’offrant aucun occasion de se perdre. Mais il propose tout de même des quêtes secondaires qui se débloquent au fil de l’avancée dans l’histoire principale, où l’on trouve un peu de tout, pour le meilleur et pour le pire. Pendant 10 à 15 heures (sur un jeu terminé en 57 heures), ces quêtes ne présentent pratiquement aucun intérêt narratif, se contentant de transformer notre cher Clive en coursier de luxe. Mais plus tard dans le jeu, ces quêtes secondaires offrent des éléments narratifs importants sur le monde qui compose le jeu, mais aussi sur le passé de personnages clés. On y découvre aussi des personnages secondaires parfois plus intéressants que les principaux, avec leur lot de bonnes histoires à partager. Ces moments présentent une vraie importance pour nourrir le récit, et je pense que les ignorer -même s’il faut subir un paquet de quêtes peu intéressantes au début- peut conduire à rater une dimension sociale déterminante sur le monde de Valisthéa. Car on y découvre le quotidien, la vie de quelques personnes qui tentent d’agir à leur manière pour leurs proches et leurs villes, sans véritable considération pour la quête du héros. Ces personnages évoluant dans leur coin, comme je le disais plus tôt, dans un univers qui existe et qui évolue en dehors de la quête du héros, qui n’est pas le centre du monde contrairement à ce qui peut arriver dans d’autres RPG.

Beautés insidieuses

© 2023 SQUARE ENIX CO., LTD. All Rights Reserved.

Et ces quêtes présentent aussi un intérêt inattendu, celui de pouvoir passer plus de temps à explorer le monde que le jeu nous propose. Même s’il souffre d’un manque de diversité dans sa palette de couleurs, étant souvent gris, avec des terres désolées et un désespoir qui se sent face à chaque arbre mort, le monde de Valisthéa a quand même quelques bons moments avec certaines zones qui peuvent s’avérer plutôt impressionnantes. Notamment les zones désertiques, celles de canyon, où la mise en scène gagne en élégance. Une élégance qui est moins évidente toutefois du côté des scènes de dialogues, avec des personnages trop souvent raides comme des piquets, peu expressifs, avec une direction d’acteur·ices qui en pâtit. Cela n’empêche toutefois pas au jeu de livrer quelques séquences chargées en émotion, mais on aurait aimé un peu plus de conviction dans la manière de jouer et d’incarner les personnages, pour des équipes de doublages qui ne parviennent pas toujours à outrepasser une mise en scène toute plate. Quant à la bande-originale de Masayoshi Soken, elle souffre aussi de cette inégalité. Il y a de vrais bons moments, notamment lors des combats de boss évoqués plus tôt où le musicien amoureux de guitare électrique s’emballe dans des compositions qui semblent certes presque hors de propos dans un monde d’heroic fantasy, néanmoins terriblement addictives. Mais il y a aussi quelques thèmes musicaux moins inspirés, notamment lors des séquences d’exploration, qui tournent en boucle et qui peinent à se renouveler.

Enfin, il y a quelque chose qui me chiffonne dans ce Final Fantasy XVI, et ce n’est pas lié aux qualités de son histoire, de sa narration ou encore de sa direction artistique. Mais c’est un problème important qu’il convient de ne pas ignorer, celui de l’inclusivité. Il y a les personnages féminins donc je parlais plus tôt dans cette chronique, des femmes reléguées à des fonctions secondaires, en soutien des hommes, incarnant des stéréotypes dépassés et mal écrits. Mais aussi un manque criant de diversité parmi les personnages. C’est simple, dans le monde de Valisthéa, tout le monde est blanc. Pourtant si Naoki Yoshida a tenté de s’en défendre en disant qu’il s’inspirait de l’histoire médiévale européenne, ce qui expliquerait une galerie de personnages entièrement blanche (comme s’il n’y avait que des peuples blancs à l’époque, mais c’est encore un autre sujet), la réalité du jeu s’avère bien différente. En effet, le jeu finit par nous emmener dans des zones désertiques, notamment aux côtés d’un peuple vivant dans une petite ville au milieu du désert, à l’architecture et au style vestimentaire très clairement inspirée des peuples arabes du huitième ou neuvième siècle. Des peuples qui, visiblement, dans l’imaginaire de Yoshida, blancs comme Blanche Neige.

On ne peut décemment pas ignorer ces problèmes d’inclusivité, qui sont une véritable ombre au tableau d’un jeu sur lequel je ne peux pas cacher avoir passé un très bon moment. Final Fantasy XVI peut se féliciter d’apporter une certaine modernité, un renouveau qui reste dans la continuité d’une saga qui aime se renouveler à chaque épisode quitte à entraîner des débats importants parmi les fans sur ce qu’est un « vrai » Final Fantasy. Et ce, tout en rendant hommage à quelques éléments narratifs et de construction du monde des trois premiers épisodes canoniques. Alors il est d’autant plus dommage de voir le jeu opérer un tel retour en arrière sur sa vision du monde et sur l’inclusivité, bien qu’il se permette tout de même d’offrir la première romance homosexuelle d’un jeu de la saga. Les critiques sont légitimes et doivent exister, avec l’espoir que le prochain épisode prenne conscience de ces erreurs. En attendant, Final Fantasy XVI n’en reste pas moins pour moi un très bon cru à l’échelle d’une saga qui ne cesse de diviser ses fans à chaque épisode, chacun·e venant y chercher des choses différentes, avec sa propre conception de ce que doit être un bon « FF ». Parce que le jeu tente des thématiques intéressantes, évoque les conséquences d’une quête de vengeance sur un monde déjà meurtri, montrant souvent son héros sous une facette moins enviable, l’interrogeant sur les dégâts qu’il provoque pour assouvir son besoin de liberté. Des idées nouvelles qui remettent en cause certains codes des J-RPG, parfois timidement ou maladroitement, mais toujours avec beaucoup de cœur.

  • Final Fantasy XVI est disponible sur PlayStation 5 depuis le 22 juin 2023. 
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En janvier 2023 sortait un titre qui a pris tout le monde de surprise. Sorti immédiatement après son annonce lors d’un Developer_Direct de Xbox et Bethesda, le jeu Hi-Fi Rush a évidemment joué sur l’effet de surprise pour attirer l’attention. Pour la première fois, le studio Tango Gameworks s’aventurait sur un terrain différent, pourtant habitué aux jeux d’horreur, mais force est de constater que cela ne les a pas empêchés de produire quelque chose de grande qualité. Le titre a pu en outre profiter d’une sortie sur le Xbox Game Pass sur Xbox Series X|S et PC, permettant aux abonné·es de l’essayer dès sa mise en linge.

Le rythme dans la peau

© 2023 Bethesda Softworks LLC, a ZeniMax Media company. Tous droits réservés.

Le premier contact avec Hi-Fi Rush est désarçonnant. Son univers ultra-coloré et ses animations d’une qualité assez folle donnent d’abord l’impression d’être face à un anime bénéficiant d’une grande qualité de production. Puis rapidement, le jeu nous donne la main, et l’effet est immédiat. Aussi beau que ses cinématiques, le jeu pose immédiatement les bases de ce qui va nous accompagner jusqu’au bout de l’aventure : des animations calquées sur un rythme représenté par des objets qui bougent dans le décor, ainsi qu’un métronome (activable, au choix) pour nous aider, une direction visuelle en cel-shading pour accentuer le côté dessin animé de l’aventure, et un héros nommé Chai qui étonne par sa bonne humeur et son optimisme. Il se retrouve pourtant vite en mauvaise posture, tentant d’intégrer une grande société qui lui promet un nouveau bras cybernétique afin de palier à son handicap, avant de vite se rendre compte que les choses sont bien plus compliquées. A tel point qu’il se retrouve pourchassé par ladite société, une corporation qui cache évidemment de terribles secrets, tandis qu’il rêve de devenir une rockstar. Passionné par la musique, il se met soudainement à bouger en rythme, après s’être vu… greffer un lecteur de musique dans son torse. Oui, c’est loufoque, mais cela fonctionne étonnamment bien. Parce que c’est le bon esprit qui se dégage de l’aventure qui nous donne envie de nous laisser entraîner par la musique, très tendance rock des années 1990, entre Nine Inch Nails et The Prodigy. Avec son aspect cartoon et la super interprétation des voix japonaises, Hi-Fi Rush ressemble à un grand délire dans lequel les développeur·euses nous embarquent avec la volonté de passer un bon moment, sans conséquences, juste un plaisir autour d’un jeu de rythme atypique.

Hi-Fi Rush n’a évidemment rien inventé, des jeux qui jouent sur le rythme de la musique pour attaquer des ennemis, on en a vu pléthore ces dernières années. Il y a eu par exemple Crypt of the NecroDancer, mais là où le jeu de Tango Gameworks se distingue, c’est qu’il va au-delà du gimmick. Car le titre propose une histoire pleine d’humour, avec des personnages attachants et un certain recul sur l’improbable de certaines situations. Son humour se renouvelle sans cesse et apporte une certaine légèreté au monde qu’il dépeint, pourtant sacrément pourri par une corporation capitaliste qui ressemble à toutes celles qui nous exploitent dans le monde entier avec l’assentiment des gouvernements. Hi-Fi Rush ressemble un peu à ce que l’on aimerait faire parfois au boulot : tout envoyer bouler et s’éclater sur le chemin de la maison avec un casque sur les oreilles nous sortant de la bonne musique. Un esprit de rébellion rendu possible par une narration qui n’a que faire des considérations habituelles autour d’une quelconque nuance : ici les méchants sont très méchants, et on prend un plaisir non négligeable à leur mettre des grosses tartes dans la face avec une vieille guitare. Il faut dire que l’on est bien incité·es à le faire par Peppermint, un petit chat robotique qui nous file un coup de main pour foutre le zbeul dans une entreprise que tout le monde déteste.

Le rythme, ça s’apprend

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Le gameplay basé sur le rythme peut effrayer au départ. Parce que tout le monde n’est pas doué d’un rythme parfait, et parce qu’être capable de sortir ses meilleures notes au piano ou des riffs d’anthologie à la guitare n’est pas la même chose que de tapoter les touches d’une manette en rythme. Alors très intelligemment et selon le mode de difficulté choisi, le jeu offre plus ou moins de tolérance dans la rythmique pour sortir les différents combos. Cela permet de s’amuser sans se prendre la tête à cause d’un coup sorti sur le mauvais rythme, mais aussi d’apprendre doucement, peu à peu, la rythmique du jeu pour aller un peu plus loin dans le scoring (du moins, pour celles et ceux que cela intéresse). J’ai surtout beaucoup apprécié la volonté du jeu de débloquer les différents combos au compte goutte, laissant le temps de se familiariser avec chacun d’entre eux et de pouvoir expérimenter. Chaque nouveau combo s’accompagnant souvent de nouveaux ennemis à comprendre et à maîtriser, puisqu’ils ont tous des patterns différents qui obligent à diversifier les approches. Même à plus de la moitié du jeu, on continue de découvrir de nouvelles mécaniques et de nouveaux ennemis, preuve en est que Hi-Fi Rush a beaucoup de choses à offrir et qu’il ne cesse de se renouveler.

Cela se ressent d’autant plus dans les combats de boss qui n’ont de cesse de proposer de nouvelles idées, obligeant à utiliser à chaque fois les dernières mécaniques apprises, mais qui introduisent aussi de nouveaux éléments qui permettent souvent de sortir du simple combat en rythme. Ces combats sont en effet l’occasion d’ajouter quelques séquences de QTE, ces séquences où il faut appuyer sur les bonnes touches au bon moment, mais toujours avec beaucoup d’inventivité, sans tomber dans l’écueil de la facilité d’une mécanique souvent boudée. Mais tout n’est pas rose sur l’aventure de Hi-Fi Rush, qui souffre notamment de séquences de plateformes assez ratées, rallongeant certains niveaux qui auraient gagnés à être plus concis.

A la hauteur de l’évènement

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Le jeu parvient toutefois à faire passer ces séquences moins réussies grâce à une direction artistique toujours succulente. Avec un style visuel super accrocheur, entre sa 3D en cel-shading du plus bel effet, mais aussi et surtout ses scènes cinématiques type anime qui fonctionne formidablement bien, et les transitions entre cinématique et gameplay qui se font avec une fluidité sans pareil. Quasiment sans interruption ni chargement, avec une 2D qui se mue en 3D l’air de rien, c’est toujours des moments impressionnants et la preuve que les artistes 2D ont pu travailler main dans la main avec les concepteur·ices 3D du jeu pour offrir une grande fresque d’une grande beauté. Quant à la bande originale, élément fondamental du jeu, elle mélange des titres connus à des compositions originales, ces dernières parvenant parfaitement à s’intégrer dans la playlist de chansons connues pour constamment offrir un rythme dantesque au jeu. Et ce sans tomber dans la facilité ni dans la répétition, la bande originale étant capable de se renouveler à chaque niveau afin de ne jamais lasser (ce qui est quand même indispensable pour un jeu où la musique ne s’arrête pratiquement jamais).

Enfin, c’est une vraie question que pose Hi-Fi Rush à l’industrie du jeu vidéo actuelle. On le voit mois après mois, année après année, que les joueurs et les joueuses n’ont de cesse d’être abreuvé·es de bande annonces en tout genre, de promesses diverses et variées, dans l’unique but de créer de la sensation, ou la « hype » autour des jeux à venir. Mais le jeu de Tango Gameworks a réussi son coup en prenant cette industrie à contrepied : mis à part un leak malvenu la veille de l’annonce du jeu, son existence était inconnue de tous·tes jusqu’à l’annonce officielle, et sa sortie immédiate dans les minutes qui ont suivies. Cela a évidemment provoqué l’intérêt et poussé bon nombre de personnes à se lancer, d’autant plus que le jeu sortait immédiatement sur le Game Pass et pouvait être joué sans débourser un centime de plus pour les personnes déjà abonnées. C’est probablement là la raison d’être d’un tel service (ou tous ceux assimilés) : cela permet à des titres, peut-être moins chers à développer que des AAA, de se trouver un public qui n’aurait peut-être pas déboursé trente, quarante, cinquante euros pour le jeu, mais qui se permettent de l’essayer grâce à la possibilité d’y accéder avec leur abonnement et qui finissent parfois par tomber amoureux·euse. Je dois l’avouer, je suis moi-même dans ce cas. N’étant pas un fan des jeux du studio, je n’y aurais certainement pas joué sans mon abonnement au Game Pass.

Hi-Fi Rush est la preuve que, en 2023 encore, le jeu vidéo a encore beaucoup de choses à raconter. Ce n’est pas une surprise pour les personnes habituées aux jeux indépendants qui ne cessent de trouver de nouveaux concepts pour conquérir le public, mais c’est une vraie surprise de voir un tel jeu chez un éditeur comme Bethesda. Et pourtant, bien que le jeu soit imparfait à cause de ses phases de plateformes malvenues, Hi-Fi Rush est l’une des très belles surprises de l’année, capable de surprendre à chaque instant et de proposer une mise en scène enthousiasmante, avec un système de jeu parfaitement huilé. Avec son ton décalé, frais et bienveillant, c’est un jeu qui m’a fait beaucoup de bien à sa sortie, et quelques mois après, je continue de vous le conseiller et vous inciter à sauter le pas, avec ou sans le sens du rythme.

  • Hi-Fi Rush est disponible sur Xbox Series X|S et PC depuis le 25 janvier 2023. Il est également disponible sur le catalogue Game Pass.
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Depuis plus de dix ans, les super-héros et héroïnes signifient cinéma et grand écran pour une large partie du public. Ce qui était autrefois un univers cantonné aux comics est aujourd’hui devenu un produit de consommation au succès considérable. Mais si l’on peut se réjouir de voir ces œuvres à l’imaginaire si varié séduire un public conséquent aujourd’hui, il y a eu des perdants dans l’affaire : les auteur·ices qui ont créé les personnages et les histoires qui ont inspiré les films. Ces auteur·ices et dessinateur·ices au mieux mal payé·es, mais le plus souvent ignoré·es par Hollywood, ne pèsent malheureusement pas lourd face à des majors (qui a dit Disney ?) et ne sont que rarement en position de négocier quoique ce soit. Un scandale que tente de raconter Chip Zdarsky dans Public Domain, un comics acide comme il en a l’habitude, d’une pertinence terrible à l’heure où le genre du film super-héroïque est devenu tout-puissant à Hollywood.

Un cri du cœur

The Domain est un comics à succès : pastiche de l’univers Marvel de notre réalité, The Domain est devenue une licence très juteuse de laquelle s’est arrogée les droits une corporation dénommée Singular. Loin d’être bercée d’amour pour l’œuvre originelle, la corporation y voit plutôt la poule aux oeufs d’or, transformant The Domain en licence à produits dérivés, à commencer par… des adaptations cinématographiques. Et c’est là que le bât blesse pour son dessinateur originel, Syd Dallas, qui se déplace un soir un peu désabusé à la première du dernier film en date d’un univers cinématographique qui n’a plus grand-chose à voir avec ce qu’il a imaginé trente ans plus tôt. Et c’est ce qui pousse ses enfants, Miles et David, à le pousser à s’interroger sur ce qu’il veut vraiment : n’être que l’ombre de The Domain, dans le rôle d’un dessinateur que tout le monde a oublié, ou va-t-il décider de se battre pour faire reconnaître à tous et à toutes, et à commencer par Singular, que sans lui ce succès ne serait jamais arrivé ? Public Domain aborde une question qui a souvent été balayée d’un revers de la main dans la presse ces dernières années, toute acquise à la cause de super-productions qui dictent les histoires à publier. Cette question, c’est celle de la reconnaissance, pas seulement symbolique, mais surtout financière des hommes et des femmes sans qui les héros et héroïnes qui monopolisent les grands écrans du monde entier depuis plus d’une décennie.

Une question qui a souvent mis mal à l’aise un certain Marvel Studios, qui, il faut dire se contente de refiler des miettes aux créateur·ices, c’est-à-dire un montant forfaitaire de 5000 dollars, pour des productions qui se chiffrent en centaines de millions de dollars de recettes. Alors il y a quelque chose d’extrêmement savoureux à voir Chip Zdarsky aborder le sujet aussi frontalement, en racontant une corporation qui est prête à tout pour ne pas rétribuer honnêtement un vieux dessinateur sans qui les personnages qui leur rapportent aujourd’hui des millions n’auraient pas vu le jour. La critique est facile, mais elle semble cathartique pour un homme qui a dû, lui-même, voir ses histoires et celles de ses potes être adaptées, ou servir d’inspiration, à des films et des séries qui se sont ensuite défendues de toute inspiration pour ne pas avoir à les rétribuer correctement. Public Domain sonne comme un grand cri de colère, que l’auteur canadien case derrière une histoire familiale où l’un des fils ne comprend pas son père, apathique et finalement plutôt content de sa situation, le poussant à se rebeller contre une entreprise qui se moque de lui depuis toujours. On n’a aucun mal à voir là-dedans un Chip Zdarsky qui hurle à tous ses proches, et à lui-même peut-être aussi, ce qu’il aurait dû dire il y a plus de dix ans au moment où les droits se négociaient. À un moment où les vainqueurs et les perdants étaient décidés dans des bureaux luxueux d’Hollywood, où l’amour des comics et de leurs auteur·ices ne pesait pas bien lourd face aux retombées financières espérées.

Une œuvre confisquée

Mais évidemment l’auteur canadien le plus piquant de sa génération ne pouvait pas se contenter de cela. Public Domain c’est aussi l’occasion pour lui de mettre un tacle gentillet, néanmoins pertinent, à une industrie qui a transformée les super-héros et héroïnes en figures proto-fascistes, où des surhommes en collants n’ont que leurs poings à répondre à la misère des petits délinquants. Une industrie qui a dénaturé certains personnages, les poussant vers toujours plus de violence pour satisfaire un nouveau public, oubliant que les comics de super-héros peuvent être funs, aussi. C’est d’ailleurs un point de bascule pour le dessinateur, qui ne reconnaît plus son personnage dans un comics qui en fait une brute épaisse dans un récit sombre et violent. Difficile de ne pas avoir de tendresse pour ce cri du cœur de Chip Zdarsky, qu’il exécute très bien, avec en plus une patte visuelle assez sympathique qui rappelle ce qu’il faisait sur Sex Criminals.

Public Domain pourrait être l’œuvre d’un boomer pour qui c’était mieux avant. Mais l’auteur arrive à éviter tous les écueils, pour plutôt rappeler que les comics auraient pu prendre un autre chemin. Pamphlet contre la marchandisation de licences où l’amour des personnages a laissé place à l’amour de l’argent généré par les produits dérivés, Public Domain est plus que jamais d’actualité grâce à sa critique acide contre Hollywood, à une heure où la rémunération des artistes doit devenir une question centrale face au chiffre d’affaire monstre de Disney-Marvel. En plus d’être pertinent, c’est un excellent comics qui pourrait prendre une tournure différente, plus réjouissante encore dans sa suite, à en juger par les dernières pages de cet excellent premier tome.

  • Le premier tome de Public Domain est disponible en librairie depuis le 7 avril 2023 aux éditions Urban Comics.
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Du haut de sa cinquantaine d’années, la licence Kamen Rider est, avec Ultraman, l’un des représentants du tokusatsu le plus populaire au Japon. Pourtant, le genre a connu ses heures de gloire, entre la mythologie autour de Godzilla ou celle des henshin hero, séries de super héros comme Bioman et compagnie. Mais Kamen Rider a de son côté jamais eu sa chance, sauf aux yeux de quelques irréductibles qui ont su vouer une véritable fascination pour ce monde-là. L’arrivée de Kamen Rider Black Sun sur Prime Video en fin d’année 2022 n’était pourtant pas une grande surprise, car la plateforme américaine avait déjà diffusé quelques séries de cet univers ces dernières années. Néanmoins, cela est arrivé avec un point atypique : il y a eu un peu de promotion faite autour de l’oeuvre sur les réseaux sociaux, ce qui a permis d’attirer l’oeil de quelques néophytes, moi le premier, et je n’ai pas été déçu du voyage.

L’envie de dépasser son modèle

© ISHIMORI PRODUCTION INC. and TOEI COMPANY, LTD. All Rights Reserved. © KAMEN RIDER BLACK SUN PROJECT

Quand la production Toei va chercher Kazuya Shiraishi pour réaliser sa nouvelle série Kamen Rider, elle fait un choix radical : celui de donner les clés de la licence à une personne qui a certes démontrée d’immenses qualités de cinéaste, mais c’était dans un genre qui n’a pas grand chose à voir avec le tokusatsu. Le réalisateur de The Blood of Wolves, fable sociale sur la criminalité japonaise des années 1980 sur fond de corruption policière, n’est pas tout à fait le profil habituellement recherché pour ce type de production. Mais ce choix est fait sciemment, à un moment où la Toei tente de renouveler ses licences en les mettant dans les mains de quelques personnes capables de dépasser les codes sans pour autant les briser, comme Hideaki Anno (oui, le créateur de Neon Genesis Evangelion) sur Shin Godzilla, et plus récemment encore sur Shin Kamen Rider (que je suis impatient de pouvoir regarder). Des profils plus matures peut-être, mais aussi plus faciles à vendre à l’occident, et ce n’est pas un hasard si Kamen Rider Black Sun prend une tournure complètement inattendue.

Son histoire tourne autour de Kotaro et Nobuhiko, deux « kaijins », c’est-à-dire des humains génétiquement modifiés, capables de se transformer en sortes de monstres. L’un incarné par Hidetoshi Nishijima (qui a convaincu bon nombre de personnes en festival avec Drive My Car), l’autre par Tomoya Nakamura (qui jouait dans The Blood of Wolves). Les deux forment un duo que tout oppose, dans un monde où leurs semblables sont discriminés par une population qui rejette ce qu’elle refuse de comprendre. Cela n’échappera pas à certain·es d’ailleurs que « kaijin » ressemble terriblement à « gaijin », soit le terme désignant les étrangers en japonais. Ces « monstres », créatures à l’apparence souvent proche des insectes, ne sont que vaguement tolérés par le pouvoir politique qui doit concilier une forme de cohabitation entre les peuples, et la xénophobie ambiante qui règne dans un Japon déchiré par des manifestations de groupements politiques qui verraient d’un bon oeil que l’on extermine ces personnes mi-humaines mi-animales. Et au milieu de tout cela, Aoi (jouée par Kokoro Hirasawa) une jeune femme qui se fait connaître pour son militantisme en faveur des kaijins, et qui se retrouve vite la cible de forces diverses, entre un gouvernement qui semble avoir des trucs à cacher et une espèce de secte qui voue son adoration au Creation King. Cette créature est capable de donner naissance à d’autres kaijins, ce qui pousse les factions les plus radicalisées à s’en rapprocher pour s’armer dans un conflit inévitable face à une humanité qui rejette de plus en plus celles et ceux qui ont eu le malheur d’être des kaijins.

Pour donner vie à sa série en dix épisodes, Kazuya Shiraishi s’appuie sur une mise en scène soignée dans un style qu’il connaît sur le bout des doigts, mais auquel il incorpore des codes propres au genre. C’est ainsi qu’on découvre des scènes d’action, des manifestations violentes entre manifestants et policiers qui aurait sans aucun mal leur place dans l’un de ses films de gangsters. Mais à cela il ajoute le propre du tokusatsu : les costumes des personnages, avec des effets spéciaux en dur délaissant au maximum le numérique, avec des plans qui tentent de mettre en valeur le travail effectué sur les costumes, et des combats conformes à ce que l’on attend dans ce genre d’univers. Ainsi, les scènes en CGI sont rares et les maquettes nombreuses, quitte parfois à dénoter avec ses intentions en matière de maturité sur la mise en scène et le récit. Et c’est là qu’il y a parfois quelques errements car si le costume du Kamen Rider est une réussite, il rend plutôt mal pendant les chorégraphies un peu lentes et peu inspirées. Pire encore, c’est les costumes des personnages secondaires qui frisent parfois le risible. Et si cela fonctionne parfaitement dans un tokusatsu plus classique, l’ensemble s’incorpore assez mal dans le ton plus mature et politique que tente de donner Shiraishi à son oeuvre.

Kamen Rider, la voix du peuple

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Nonobstant sa volonté de rendre hommage au genre, Shiraishi assume pleinement son univers et donne à Kamen Rider Black Sun le petit plus qui rend la série aussi unique et passionnante à suivre malgré ses quelques errements stylistiques ou sa narration parfois un peu confuse. Il décide, de manière assez osée, d’ancrer cet univers fantastique dans le réel en faisant directement référence à de nombreux évènements mondiaux ou parfois spécifiques au Japon. C’est le cas avec un gros pan de l’histoire, celle de la modification génétique de quelques êtres humains conduisant à l’apparition cinquante ans plus tôt des premiers kaijins. Au moyen de flashbacks sous la forme d’images d’archives vieillies, le cinéaste s’inspire pleinement et de manière assez peu subtile de l’un des plus grands tabous de l’histoire impériale japonaise, celle de l’Unité 731, qui a existé entre les années 1930 et la fin de la 2nde guerre mondiale. Une unité militaire de recherche bactériologique qui expérimentait sur des personnes humaines, souvent vivantes, recherchant les limites de la manipulation des corps et de la génétique, dans un but de créer des armes bactériologiques. Une page noire de l’histoire japonaise que le gouvernement local n’a reconnu que du bout des lèvres en 2002 seulement. Sujet encore tabou dans la société et dans le récit historique que tente d’imposer le Japon (notamment dans ses relations avec les autres pays asiatiques dont les peuples ont été victimes de ces expérimentations), il est extrêmement osé, mais aussi malin, de faire référence à cette histoire. Les kaijin ne sont ainsi plus seulement le fruit de quelques savants fous complètement déshumanisés, ce qui aurait été la voie facile pour raconter une telle histoire, mais le résultat de recherches gouvernementales mettant directement en cause une société complètement aveuglée par sa haine. C’est audacieux, d’autant plus que la série n’hésite pas non plus à reprendre quelques idées des banderoles et des slogans de mouvements anti-étrangers qui existent aujourd’hui au Japon pour illustrer les manifestations anti-kaijin. Ou encore une scène particulièrement violente où des policiers étouffent un kaijin avec un genou sur la nuque pendant une « arrestation », un moment où il tente de dire qu’il ne peut pas respirer, rappelant les nombreuses vidéos de violences policières et les victimes assassinées par la police ces dernières années.

Ce mélange des tons donne à Kamen Rider Black Sun quelque chose d’assez unique, entre la promesse d’un tokusatsu capable de ravir les fans du genre en leur offrant quelques scènes mémorables grâce aux personnages costumés, et l’envie d’utiliser la licence comme un pamphlet foncièrement humain, anti-corruption et dénonciateur des violences policières, avec en plus un fort accent mis sur l’acceptation des autres, dans un récit qui emprunte énormément aux discours anti-racistes des dix dernières années. Il faut parfois passer outre une narration qui provoque quelques confusions à cause de flashbacks pas toujours distribués de manière opportune, et des costumes qui marchent certes super bien pour les personnages principaux mais qui souffrent d’un manque de soin pour les autres. C’est dans l’ensemble un projet malin, avec une vraie volonté de raconter quelque chose de fort à son audience, sans pour autant renier le côté très fantaisiste du tokusatsu. C’est un pari réussi pour Kazuya Shiraishi qui a su amener son style du côté de Kamen Rider, tout en s’imprégnant de ce qui a fait la popularité de cet univers.

  • Kamen Rider Black Sun est disponible intégralement sur Prime Video.
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Ce fut un été agité, mais pluvieux. Je n’avais de toute façon pas besoin de prétexte pour aller voir quelques films ayant défrayé la chronique, ou d’autres plus intimistes qui me faisaient de l’œil depuis quelques temps. Pour célébrer la rentrée, revenons donc sur quelques films sortis durant les mois de juillet et août 2023.

Oppenheimer (C. Nolan, 19/07)

Oppenheimer n’aura pas eu l’effet d’un pétard mouillé. © Oppenheimer, 2023

C’est bien connu, Oppenheimer fait partie des plus grands succès de l’été, voire de l’année. Le dernier film de Christopher Nolan met en scène Cillian Murphy, dans le rôle du scientifique ayant inventé la bombe atomique, dans les années 40. Si on a beaucoup entendu parler d’une scène imitant la fameuse explosion nucléaire ; Oppenheimer n’a rien d’un film d’action. Il s’agit d’un biopic plutôt classique, qui flirte avec les codes du documentaire tant il est froid, verbeux et – justement – documenté ! Il faut donc bien s’accrocher durant ces trois heures de dialogues imprégnées d’une ambiance de thriller psychologique. Si je ne tiendrai pas forcément à le revoir, il est indéniable qu’Oppenheimer est un long-métrage aussi intéressant que maîtrisé. D’ailleurs, certaines idées de narration et de mise en scène sont si délicieuses et marquantes, qu’elles perdurent dans l’esprit. A mon sens, l’utilisation du noir et blanc durant les scènes dites plus objectives, n’était pas nécessaire, tant les scènes les plus subjectives sont parlantes. Le malaise d’Oppenheimer est alors extrêmement palpable, même si le long-métrage ne cherche heureusement pas à en faire un martyre. Outre C. Murphy, Oppenheimer dispose d’un casting composé de visages connus comme Emily Blunt, Matt Damon, Kenneth Branagh, Gary Oldman et encore beaucoup d’autres, ne se contentant parfois que de simples apparitions. On ne s’en plaindra pas, tant cela permet de mieux mémoriser les figures d’une flopée de personnages historiques. J’accorderais toutefois une mention spéciale à Robert Downey Jr, qui incarne fort bien les sales types. Comme je le disais plus tôt, Oppenheimer n’est pas un film que je reverrais, spontanément ; mais il n’a pas dérobé son succès.

Barbie (G. Gerwing, 19/07)

« I’m a barbie girl, in a barbie world ! » En vrai, Barbie m’a un peu barbée. © Barbie, 2023

Barbie est sorti le même jour qu’Oppenheimer, ce qui a incité les réseaux sociaux à fantasmer un duel étonnant entre les deux longs-métrages. Il est inutile de présenter ce célèbre jouet, paru en 1959. Je ne l’aurais jamais deviné, mais Barbie est une figure féministe, car elle est la première poupée à représenter une femme, et non un bébé ; signe que les petites filles ne devaient pas forcément aspirer à devenir des mères. C’est sur ce postulat que naît le film de Greta Gerwing, dans lequel Barbie et Ken vivent une existence de rêve, à Barbieland. Les deux poupées, respectivement incarnées par Margot Robbie et Ryan Gosling vont toutefois connaître une crise existentielle, qui va les expulser dans le vrai monde. Bien. Je vais maintenant essayer de trouver des qualités à Barbie. Le casting fait le café, certaines séquences musicales restent en tête et les décors comme la photographie sont particulièrement soignés. Barbie est assurément doté d’un joli esthétisme. En dehors de cela, j’avoue être restée plutôt imperméable au scénario ou à l’humour. Barbie a beau être un film sans prise de tête, il est parvenu à ébranler ma suspension consentie de l’incrédulité. Ce n’est pas parce qu’il y a des éléments dits merveilleux que les règles internes au monde doivent être illogiques. Barbieland possède plusieurs Barbie et Ken différents, correspondant aux multiples itérations de jouets sorties au cours des années. Soit. Mais la Barbie classique, incarnée par Margot Robbie, ne possède qu’une seule propriétaire dans le monde réel. Vraiment ? Alors qu’il s’agit certainement de la version la plus vendue ? Et puis, pourquoi personne ne s’étonne de rien, quand elle débarque dans la réalité ? Comment fonctionne le portail dimensionnel, au juste ? Bref, arrêtons-nous de réfléchir. Même ainsi, je n’ai trouvé le film ni particulièrement drôle, ni particulièrement satirique ou subversif. Si le message féministe est palpable et bienvenu, il ne fait – à mon sens – qu’enfoncer des portes ouvertes. A vrai dire, beaucoup de plaisanteries ou de discours semblent ni plus ni moins extraits de tout ce qu’on lit sur Twitter (ou devrais-je dire X ?) depuis quelques années. Will Ferrell lui-même n’est pas si corrosif. Si je n’ai personnellement pas adhéré à Barbie et que, selon moi, Oppenheimer remporte de loin le duel fantasmé ; cela ne vous empêche bien sûr pas de vous forger votre propre avis.

Strange way of life & La voix humaine (P. Almodóvar, 16/08)

Quand Joël décide de vivre comme Bill, de The Last of Us © Strange way of life, 2023

Dans le cadre de « L’expérience Almodóvar », deux moyens-métrages (durant 30 min chacun) sont sortis au cinéma, au mois d’août. Le premier film projeté, Strange way of life, met en scène Pedro Pascal et Ethan Hawke, deux cowboys qui se retrouvent vingt-cinq ans après une histoire d’amour ayant duré deux mois. Cela n’empêchera pas les deux hommes de régler des comptes. Le réalisateur espagnol s’est lancé dans ce projet, motivé par l’idée que très peu de westerns comportent une relation homosexuelle ; Le secret de Brokeback Mountain mettant après tout en scène des bergers. C’est donc avec un plaisir non dissimulé que l’on regarde Pedrol Pascal et Ethan Hawke vivre une relation ambiguë. Strange way of life est un moyen-métrage efficace, dont je regrette toutefois la fin abrupte. J’aurais malgré tout tendance à le conseiller.

La voix humaine est le deuxième moyen-métrage projeté dans le cadre de « L’expérience Almodóvar ». Il s’agit d’une adaptation libre de la pièce de théâtre éponyme, écrite par Jean Cocteau. On retrouve donc Tilda Swinton dans la peau d’une femme venant de vivre une rupture amoureuse. Elle attend, désespérément, dans son appartement, que son ex vienne chercher ses affaires. Or, elle devra se contenter d’un appel téléphonique. Non seulement La voix humaine est un huis-clos, mais c’est aussi un monologue. Si cela donne une atmosphère perturbante, force est de constater que le rythme est maîtrisé, grâce aux éléments de mise en scène et à la performance très juste de Tilda Swinton. Cerise sur le gâteau, le moyen-métrage montre si peu de choses qu’il laisse, sur certains points, libre cours à l’interprétation. En effet, même si le costume laissé par l’ex du personnage principal semble masculin, plusieurs indices laissent imaginer qu’il pourrait aussi s’agir d’une femme.

Le dernier voyage du Demeter (A. Øvredal, 23/08)

Bon sang, mon Saigneur est à bord. © Le dernier voyage du Demeter, 2023

Aussi surprenant que cela puisse paraître, ce film d’horreur sans prétention est probablement mon visionnage favori de l’été. Il n’est après tout pas interdit d’éprouver quelque plaisir coupable. Le postulat est assez original dans la mesure où ce film n’adapte qu’une toute petite partie du roman Dracula, de Bram Stoker. Il s’agit de la traversée du Demeter, bateau dans lequel repose un Dracula moribond, entre les Carpates et l’Angleterre. Le patriarche des vampires va toutefois regagner du poil de la bête, en tuant les membres de l’équipage, les uns après les autres. D’entrée de jeu, le destin des personnages est donc scellé. Le dernier voyage du Demeter ne cache pas qu’il s’inspire d’Alien (1979). On retrouve en effet une ambiance de huis-clos, dans lequel des personnages bien identifiables vont être confrontés à une force qui les gouverne de loin. Clemens (C. Hawking) a obtenu son diplôme de médecine, bien que personne ne veuille l’embaucher, en raison de sa couleur de peau. C’est ainsi qu’il se retrouve plongé dans le Demeter, où son esprit cartésien sera mis à rude épreuve. L’équipage trouve rapidement Anna (A. Franciosi), une passagère clandestine tombée évanouie dans la cale. Certains s’indignent car une présence féminine, sur un navire, est supposée porter malheur. Or, pour une fois, on ne peut guère les démentir. On retrouve d’autres personnages plutôt marquants comme Toby (W. Norman), le petit-fils du capitaine. Le capitaine, parlons-en, car c’est un réel plaisir de revoir Liam Cunningham, interprète de Davos dans Game of Thrones. Mais on retrouve peut-être avec plus de plaisir encore Javier Botet, acteur espagnol abonné aux films d’horreur, en raison de sa silhouette si particulière due au syndrome de Marfan. Ajoutez un peu de maquillage et d’éléments de mise en scène, et son Dracula est réellement oppressant. Force est de constater que Le dernier voyage du Demeter dispose d’une ambiance et d’un esthétisme parfois très réussis. On regrettera toutefois un manque de suspense et surtout de scènes vraiment angoissantes ou marquantes. Le dernier voyage du Demeter est une bonne petite surprise, qui manque hélas d’ambition ou de maîtrise pour réellement marquer. Un plaisir coupable, en définitive.

Conclusion 

Tout le monde s’est rué au cinéma pour voir Oppenheimer et Barbie, durant l’été. Pourquoi pas ? Le premier m’a moyennement passionnée et le deuxième ne m’a pas du tout convaincue. Je ne peux toutefois que reconnaître l’ingéniosité de l’un, et l’originalité de l’autre. D’autres films, méconnus, méritent aussi un peu de curiosité, comme les deux moyens-métrages de Pedro Almodóvar, qui avaient après tout été projetés lors du Festival de Cannes. Enfin, Le dernier voyage de Demeter ne propose rien de révolutionnaire, tout en ayant un postulat et une ambiance intéressants. Sans être transcendant, il est injustement boudé. Comme toujours, en dépit des humbles conseils prodigués, n’hésitez pas à vous plonger dans les salles obscures, pour vous forger votre propre avis.

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Les personnes qui lisent Pod’culture régulièrement savent, après de nombreuses chroniques sur des J-RPG de ma part, que c’est un genre de jeu tout à fait à part pour moi. Et pourtant il a été malmené pendant des années, à la fois par une production effrénée et à bas prix par des éditeurs qui n’ont pas beaucoup d’intérêt pour la qualité, mais aussi à cause d’une difficulté des développeurs japonais à passer à la HD à l’époque de la génération PS360. Heureusement, ces dernières années, même si l’on n’évite pas la pléthore de jeux moyens, des studios historiques ont repris du poil de la bête. Un plaisir pour les amateur·ices du genre, dont je fais partie, et un bonheur infini quand un titre attendu tient enfin ses promesses. Et c’est le cas de la licence phare de Bandai Namco qui, après des hauts et des bas, a pointé le bout de son nez en septembre 2021 dans un nouvel épisode intitulé Tales of Arise. Un épisode plein de bonne volonté, de renouveau et surtout, une preuve que l’on peut encore faire de grands J-RPG à notre époque.

L’éternelle oppression

Tales of Arise™ & ©BANDAI NAMCO Entertainment Inc.

Au fil des années, les Tales of ont abordé nombreux sujets dans des histoires plus ou moins creusées, plus ou moins inspirées par le monde réel ou par des œuvres de fiction. Tales of Arise fait le choix de raconter son monde sous un angle vieux comme l’humanité, celui de l’oppression. Son monde est séparé en deux planètes, Rana et Dahna. La seconde est asservie par la première, avec un peuple réduit à l’esclavage depuis des siècles, avec pour seul motif d’être le peuple « faible », les dhanien·nes étant incapables de maîtriser les Artes (la magie de ce monde) tandis que les rénien·nes, détenteurs des Artes, affirment que cela est signe de noblesse. On est face à un régime totalitaire assez classique, avec un culte de la force incarnée par la maîtrise de la magie, de la même manière que le fascisme voue un culte à la force physique. Et cela a un impact direct sur un monde qui ressemble à tous ceux qui ont subi le fascisme, avec des personnes opprimées pour le simple fait de leur ethnie, tandis que d’autres collaborent avec l’oppresseur en espérant que cela leur offre des privilèges. L’histoire du jeu explore toutes les subtilités du conflit, notamment au travers du voyage du groupe de héros et héroïnes dans ce monde-là, qui explorent des villes et régions différentes. On y voit des régions où l’oppression des peuples est devenu normal pour ses habitants, une ville où la cohabitation pacifique a été rendue possible grâce à un pouvoir politique local qui s’est affranchi de l’idéologie dominante, tandis qu’une autre région montre au contraire une haine sans limite vouée par les dhanien·nes, qui ont acquis leur liberté, à l’encontre des rénien·nes. Tales of Arise parle ainsi autant de la violence du pouvoir central que celle exercée au quotidien par des personnes qui ont pleinement intégré ce racisme ambiant, n’ayant jamais rien connu d’autre.

Pour explorer ce monde, on incarne Alphen, un dhanien rendu esclave depuis bien longtemps. Amnésique (oui, oui, ce fameux cliché des J-RPG est de retour), il ne se souvient de rien d’autre que sa condition d’esclave. Comme il le dit justement à un moment, il est impossible de se rebeller quand on ne sait pas qu’une autre vie est possible. Pourtant c’est le choix qu’il parvient à faire suite à un évènement que je vais éviter de raconter, pour garder la surprise aux personnes qui voudraient y jouer, et la rencontre de Shionne, une rénienne qui se retrouve par la force des choses à l’aider à s’émanciper sans que l’on ne sache trop pourquoi. Plus tard, ce duo trouve d’autres personnes qui vont les suivre dans leur aventure, leur quête pour défaire le pouvoir des seigneurs réniens qui ont la main sur Dhana, afin de libérer le peuple et de s’offrir un avenir plus radieux. Dans l’ensemble, le jeu parvient à offrir un groupe de personnages fort, dans l’ensemble bien écrits, même pour le héros principal qui part pourtant du cliché de l’amnésique. On trouve des personnages complexes, à l’évolution constante, avec un développement par étape, chaque fois que le petit groupe est exposé aux réalités d’un monde qu’ils et elles connaissent finalement assez peu. Entre horreur face à la réalité, rage pour certaine·es et quête de rédemption pour d’autres qui se sentent responsables, c’est un groupe qui s’émancipe des codes de l’héroïsme. Atypiques, ces personnages n’ont rien de héros ou d’héroïnes, c’est des personnes qui arrivent avec leurs tares, leurs erreurs, et qui tentent malgré tout de trouver une forme d’équilibre pour pouvoir avancer et remettre la main sur une vie qui leur échappe.


Tales of Arise™ & ©BANDAI NAMCO Entertainment Inc.

Alors cela met un peu de temps à se matérialiser car de nouveaux personnages rejoignent le groupe assez tard dans le jeu et que leurs caractères se dévoilent essentiellement dans des séquences de « tranche de vie » ici et là, mais on finit par être terriblement attaché·e à toutes ces personnes qui combattent pour des raisons différentes, avec pour seul point commun de voir le pouvoir rénien comme responsable à leurs maux. Le groupe devient fort, ensemble, et cela donne de vrais moments d’émotion, dont un en particulier qui est très fort et marquant. Mais s’il y a un personnage à retenir c’est évidemment Shionne. L’héroïne, au contraire du héros amnésique, n’a pas grand chose d’un cliché. Si elle a dans les premiers instants l’image d’une noble, d’une sorte de princesse de l’empire rénien, il n’en est rien. Rejetée par ses pairs à cause d’une sorte de malédiction qui empêche quiconque de s’approcher trop près d’elle, Shionne a un fort caractère. Déterminée, leader dans l’âme, elle affirme ses ambitions et n’accepte à aucun moment d’être reléguée au second plan. A certains égards, elle évoque Lightning de Final Fantasy XIII, partageant avec elle une certaine froideur, fixée sur son objectif, qui n’a initialement que peu de considération pour des partenaires qui ne sont pour elle que des outils pour atteindre son but. Au-delà de ça, le personnage se développe, apprend à se connaître et à apprécier ce qui l’entoure, et devient de plus en plus passionnant au fil des heures. Une évolution captivante à suivre, et bourrée d’une émotion qui m’a fait tomber une petite larme à la fin du jeu.

L’action au cœur de la narration

Tales of Arise™ & ©BANDAI NAMCO Entertainment Inc.

Depuis toujours orientée vers l’action, la série des Tales of n’a cependant jamais proposé des combats aussi dynamiques que ceux de ce nouvel épisode, décidément bien décidé à faire entrer la saga dans une nouvelle ère. Bien qu’ils sont limités par des points d’action (qui se rechargent quand même très vite), les coups pleuvent et les combos sont gérés à notre guise, en assignant les quatre coups (puis quatre autre supplémentaire plus tard dans l’aventure) parmi les dizaines appris au cours de l’aventure à différentes touches de la manette. L’objectif, trouver le bon équilibre pour des combos à la fois fluides et dévastateurs, mais aussi pour parer à toute éventualité. Affronter un ennemi aérien nécessite souvent d’avoir de quoi frapper dans les airs, tandis que certains ennemis requièrent des coups plus lourds afin de briser leur armure, ou enfin plus souvent il est de bon ton d’avoir des coups rapide pour faire face à des monstres plus agiles qui se déplacent sans arrêt. La vivacité des combats vient aussi de la facilité avec laquelle on active les coups spéciaux de nos compagnons, gérés par le jeu (on n’en contrôle en effet qu’un parmi les quatre personnages engagés à chaque combat), mais dont les coups les plus dévastateurs sont activés à notre guise. Pour ce faire, la croix directionnelle est mise à contribution, sachant que l’on peut également activer les coups spéciaux des personnages laissés en dehors du combat quand ils sont chargés. Plus encore c’est les effets visuels et la rapidité d’exécution des personnages qui virevoltent et se déplacent à toute vitesse sur l’aire de combat, qui donnent au jeu un rythme assez effréné. D’autant plus que les personnages contrôlés par le jeu ne perdent aucunement en efficacité, enchaînant des combos bien sentis et en sachant esquiver les coups les plus violents des monstres que l’on croise. Car l’esquive est au centre de l’action, à la fois pour éviter les coups (la vie diminuant assez vite), mais aussi en cas d’esquive parfaite de bénéficier de quelques bonus bienvenus, comme des points d’action plus rapidement rechargés ou une contre-attaque plus puissante, selon les compétences passives débloquées sur le personnage joué. Mais cette action survitaminée souffre d’un contre-coup que l’on voit venir assez vite : il y a un véritable problème de lisibilité. Si cela n’entrave pas vraiment la progression dans le mode de jeu « très facile » qui a été ajouté via une mise à jour après la sortie du jeu pour pallier sa difficulté assez relevée, les choses sont tout autre en mode normal ou dans les difficultés plus relevées. Cette lisibilité est rendue compliquée par les nombreux effets visuels qui sont là pour dynamiser le rythme des combats, ainsi que par une caméra un peu trop proche du personnage que l’on contrôle et qui a toutes les peines du monde à suivre l’action.

Si Tales of Arise excelle pour son système de combat (malgré la lisibilité), c’est la progression qui m’a un peu plus chagriné. Traditionnellement, le gain de niveau et de compétences que l’on débloque avec les points glanés en combat servent à améliorer la puissance des personnages. Une puissance normalement ressentie, mais qui a bien du mal ici à montrer le bout de son nez. Si le jeu propose bien un système de niveaux de personnage tout ce qu’il y a de plus classique et un arbre de compétences à débloquer, tout cela montre assez peu d’intérêt sur le long terme. D’abord, les compétences servent essentiellement à débloquer de nouveaux combos plutôt qu’à renforcer la puissance des personnages, si cela est appréciable car l’on continue de découvrir de nouveaux coups même en toute fin de jeu, il y a un vrai problème de montée en puissance. Car à côté, les niveaux n’ont que peu d’incidence en combat : on n’a jamais le sentiment de gagner en puissance, car le jeu le refuse purement et simplement. La faute à une structure de jeu qui fait que chaque nouvelle zone explorée, chaque nouveau boss ou monstre croisé en cours de route a constamment trois, quatre, cinq niveaux d’avance que nos personnages. Dans un jeu linéaire comme Tales of Arise où l’histoire nous emmène dans une véritable fuite en avant, il est très rare que l’on revienne sur nos pas pour constater que nos niveaux durement acquis nous permettent de marcher sur les ennemis qui nous mettaient des grosses baffes quelques heures plus tôt. On pourrait, certes, mais le jeu ne nous incite pas, surtout pas avec ses quêtes secondaires sans grand intérêt qui semblent tout droit sortis d’un MMORPG où des villageois nous disent d’aller récupérer des objets et tuer des groupes de monstres.

Tales of Arise™ & ©BANDAI NAMCO Entertainment Inc.

Plus encore et peut-être pour s’émanciper des codes et clichés des J-RPG, le jeu empêche de rester dans la même zone et tuer des ennemis en boucle pour se faire un petit lot d’expérience et gagner quelques niveaux d’avance dans une même zone. Pour ce faire, dès que l’on atteint le même niveau qu’un ennemi, celui-ci ne donne pratiquement plus aucune expérience, le seul moyen d’en gagner est d’avancer et… trouver à nouveau des ennemis bien plus forts que notre groupe. Peut-être est-ce là un moyen de mettre en valeur le système de combat, dynamique, et son système d’esquive qui permet virtuellement de pouvoir éviter n’importe quelle attaque de n’importe quelle puissance (et potentiellement affronter des ennemis bien plus forts). Mais ce choix est à double tranchant, car si on comprend l’envie du jeu de nous pousser vers l’avant face à l’urgence de la situation que nous raconte l’aventure, il y a parfois un sentiment de ne jamais être « récompensé » par nos performances en combat ou par les points durement acquis que l’on dépense en compétences diverses et variées. Jusqu’à ce que cela finisse par devenir frustrant, notamment dans les tous derniers donjons où les ennemis surpuissants s’enchaînent sans que nos personnages ne donnent l’impression de taper plus fort que trente heures plus tôt dans l’aventure.

Terre brûlée, mais sublime

Tales of Arise™ & ©BANDAI NAMCO Entertainment Inc.

Là où Tales of Arise fait sa révolution, au-delà de son système de combat plus dynamique que jamais, c’est sur ses graphismes et sa direction artistique. Les Tales of ont souvent eu un petit quelque chose, un charme certain, comme en atteste la direction artistique d’un Tales of Vesperia par exemple. Mais Arise a quelque chose de plus. Sans renier les traditions de la série en reprenant le style du cel-shading qui a fait son succès, avec une vraie proximité avec les anime japonais (la saga ayant toujours eu vocation à être adaptée soit en anime, soit en manga), le jeu va un peu plus loin avec un moteur graphique qui pousse ce style là dans quelque chose de plus moderne. Les animations sont plus fouillées, les visages plus expressifs, les traits plus fins, les décors sont bourrés de détails et les effets visuels sont d’une beauté inattendue. Et c’est d’autant plus surprenant que les Tales of n’ont jamais été des cadors techniques, se contentant le plus souvent de soigner leur direction visuelle tout en s’appuyant sur des technologies déjà éprouvées et maîtrisées depuis l’époque de la PS2-PS3. Je suis parfois resté subjugué par la beauté des différentes zones, le jeu étant une vraie invitation au voyage qui fleure bon la nostalgie de quelques grands J-RPG du passé. Les zones sont diversifiées, pleines de détails à explorer, quand bien même leur linéarité fait que l’on n’y passe pas un temps fou. Et ces qualités visuelles s’appliquent aussi au groupe de héros et d’héroïnes, chaque personnage ayant un style bien à lui, mais tout s’accorde assez bien dans un ensemble cohérent, qui montre les différences et subtilités de la planète Dhana avec des peuples aux souffrances et aux histoires différentes d’une région à l’autre. Seul point noir de la direction artistique à mon sens, le bestiaire, qui manque d’idées avec beaucoup de monstres que l’on retrouve plusieurs fois sous différentes couleurs, et des boss assez peu mémorables. Heureusement le travail de Motoi Sakuraba sur la musique est l’une de ses plus grosses réussites sur la licence. Lui qui l’accompagne à la composition depuis toujours offre quelques grands moments d’épique, mais aussi d’autres plus intimes, avec quelques compositions touchantes qui donnent du sens et des émotions à des séquences marquantes.

C’est assez rare qu’un J-RPG m’emballe à ce point, car les jeux cultes sont nombreux, et qu’il est toujours difficile de s’y faire une place. Mais Tales of Arise a tout d’un grand. Peut-être imparfait sur certains points, à commencer par son système de progression qui peut s’avérer frustrant, ou un ultime donjon à rallonge qui aurait pu se conclure un peu plus vite. Mais il y a de tels moments de grâce, un groupe de personnages si fort, et une écriture si touchante du destin de ces quelques héros et héroïnes brisées que le jeu devient l’un des plus beaux J-RPG que j’ai pu parcourir. Une véritable réussite qui doit son salut à la qualité de sa narration et à sa direction artistique, le tout mélangé à une qualité technique qui fait enfin entrer la licence dans une nouvelle ère, après avoir trop longtemps végété sur une formule éprouvée et sans risque.

  • Tales of Arise est disponible sur PC, PlayStation 4, PlayStation 5, Xbox One et Xbox Series X|S depuis le 10 septembre 2021.
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Avec le film Blue Beetle à l’affiche au cinéma ce mois-ci, il était attendu que Urban Comics en profite pour caler un comics éponyme qui avait eu droit à une sortie en VO plus tôt dans l’année. Véritable curiosité du mois, celui-ci s’accompagne des débuts de la série Poison Ivy Infinite, ainsi que la suite et fin de l’évènement Planète Lazarus. Un mois intéressant, notamment parce qu’il permet d’aborder des personnages habituellement moins en vue, qui sortent un peu du carcan habituel de Batman et Superman.

Cette chronique a été écrite suite à l’envoi d’exemplaires par l’éditeur.

Blue Beetle Infinite, comme une crise d’adolescence

© 2023 DC Comics / Urban Comics

Tandis que le film Blue Beetle est projeté au cinéma et fait un four que tout le monde a vu venir sauf la Warner, Urban Comics en profite pour introduire dans sa collection Infinite la mini-série Blue Beetle: Graduation Day sortie cette année. Sous le titre de Blue Beetle Infinite et en attendant la publication future éventuelle de la nouvelle série de comics (qui commence le 5 septembre aux États-Unis), on y découvre donc les débuts depuis la reprise du personnage par le duo composé de Josh Trujillo et Adrián GutiérrezBlue Beetle y est incarné par Jaime Reyes. Un jeune latino, troisième personne à porter le costume dans l’histoire du personnage, qui tire ses pouvoirs d’une sorte de scarabée alien nommé Khaji Da : le comics l’explique dans ses premières pages alors que Jaime se présente dans le fameux mode narratif du “vous vous demandez sûrement comment j’ai fini ici”, très à la mode dans les récits qui visent les ados. L’action débute lors de la remise des diplômes à la fin du lycée, où l’on découvre donc un personnage encore jeune, à peine adulte, qui est en conflit avec ses parents car il ne sait pas encore tout à fait ce qu’il veut faire de sa vie. Un jeune homme coincé entre les attentes de sa famille, et son besoin de trouver sa propre voie, tandis que ses pouvoirs le poussent à jouer un rôle de super-héros qui lui convient finalement assez peu. C’est du young adult pur jus, avec son lot de questionnements sur l’identité, mais aussi avec une forte consonance latino tant le personnage est attaché à sa communauté et à sa famille qui prennent dès le début une place importante.

Néanmoins il reçoit en ce jour important une visite inattendue, celle de l’homme le plus fort de la planète : Superman. Figure quasi-mystique, qui lui annonce que la race alien à laquelle appartient le scarabée qui lui donne ses pouvoirs est prête à revenir et à envahir la Terre. Une terrible nouvelle qui pousse le personnage à faire le point sur sa propre vie, sur ses pouvoirs et à mieux les contrôler, sachant que Superman et Batman veulent plutôt qu’il se cache et ne les utilise pas, puisque c’est ses pouvoirs qui attirent les aliens. Le combat qui s’engage dans ce comics est une métaphore pour Jaime, partagé entre sa vie de super-héros et les attentes de ses parents : il ne sait plus qui il est et ce qu’il veut faire tandis qu’eux poussent pour qu’il aille à l’université maintenant qu’il a fini le lycée. Cette hésitation se trouve aussi dans son combat contre une invasion future puisque, il ressent une responsabilité à utiliser ses pouvoirs pour faire le bien, mais leur utilisation pourrait provoquer une catastrophe. Dans l’ensemble Josh Trujillo brille à l’écriture de ce récit, qui malgré son ton très jeune et enjoué offre quelque chose qui dit des choses franchement intéressantes. Notamment sur la manière dont un jeune en sortie de lycée doit encore se forger sa propre identité, loin d’avoir encore compris le monde qui l’entoure, les attentes placées en lui et ses propres capacités à affronter les obstacles qui se dressent sur son chemin. Et avec un style visuel très cartoon, ultra coloré, qui évoque même parfois le genre du sentai japonais avec ses différents « beetle » aux couleurs différentes, cela correspond bien au ton du récit qui veut s’adresser à tout le monde, et surtout aux jeunes. Mais les couleurs, exclusivement numériques, manquent de nuance et d’imperfection sur les personnages, leur peau notamment. C’est très lisse, trop lisse, cela manque de corps et de personnalité, ce qui est vraiment dommageable alors que l’intention est franchement bonne.

Poison Ivy Infinite T.1, l’homme est un virus

© 2023 DC Comics / Urban Comics

Suite aux évènements de Batman Infinite, dans l’arc de l’état de terreur, Poison Ivy trouve sa liberté. En colère après avoir été privée d’une grande partie de ses pouvoirs, elle tente de se venger. Son amour pour Harley Quinn, qui a participé à la priver de ses pouvoirs, est intouchable, néanmoins sa haine pour l’espèce humaine n’a fait qu’empirer. Ce nouveau récit écrit par G. Willow Wilson, à la plume toujours aussi efficace, profite de la nature même du personnage pour parler d’écologie. L’influence humaine sur la destruction du monde, des plantes, de l’écosystème, une destruction à laquelle Ivy refuse de prendre part. À tel point qu’elle se met à utiliser le « ophiocordyceps lamia », un parasite qui tue presque instantanément les humain·e·s, et qui la tue elle aussi à petit feu. Ce parasite, qui nous rappelle instantanément celui qui inspire le cordyceps de The Last of Us, déchaîne des spores qui transforment les humain·e·s en espèce de champignons horrifiques avant de les tuer. Sans pour autant finir comme des clickers, le récit suggère que les personnes infectées pourraient se réveiller plus tard de leur mort et attaquer les gens qui les entourent sous cette apparence horrifique, même si ce premier tome ne le montre pas encore pleinement. Entre horreur et désir de vengeance, ce premier tome de Poison Ivy Infinite a quelque chose de terriblement accrocheur, tant on se laisse prendre d’empathie pour celle qui incarne une très fine frontière entre le bien et le mal. Personnage ambigu, Poison Ivy l’est encore ici, montrant derrière un déchaînement de violence une certaine douceur et empathie pour quelques personnages dont elle fait la rencontre. Des personnes quelconques, sans influence sur le monde qui les entoure, mais qui prouvent par des petits gestes être foncièrement de bonnes personnes. Des gens qui ne se laissent pas corrompre par un monde sans foi ni loi, et qui incarnent une certaine humanité qu’elle pensait disparue.

Le mode narratif est aussi plutôt intéressant, ce premier tome étant raconté comme une lettre laissée par Poison Ivy à Harley Quinn, une dernière lettre où elle raconte une sorte de baroud d’honneur, une dernière tentative de sauver la Terre. Quitte à devoir éliminer l’humanité. Un récit où l’héroïne commente elle-même son aventure, avec ce que cela implique de biais sur la réalité des faits, mais offre aussi une véritable introspection sur le sens de sa vie et de ses actes. C’est là qu’on y comprend ses motivations, l’amour qu’elle porte à Harley Quinn, sa propre vision de ses pouvoirs et son désir d’un monde nouveau. C’est un excellent nouveau comics, en espérant que la suite soit à la hauteur, sachant que G. Willow Wilson y dévoile déjà les qualités qu’on lui connaissait. C’est-à-dire un récit avec un ton personnel, intime, où ses personnages s’expriment avec leur coeur et leurs propres rêves. Les dessins de Marcio Takara offrent une vraie bonne ambiance à l’ensemble aussi, notamment dans quelques moments de « trips hallucinogènes » où la toxine prend le pas sur l’esprit de Ivy, avec des couleurs éclatantes et des déformations visuelles. Quant à la propagation du parasite, celui-ci évoque beaucoup visuellement The Last of Us comme je le disais plus tôt, mais ce n’est pas un défaut. Au contraire, il est plutôt intéressant de voir réutilisé ce parasite, qui existe sous une forme plus ou moins similaire dans notre monde, avec les spécificités d’un univers tel que celui de DC.

Planète Lazarus T.2, plongé dans le chaos

© 2023 DC Comics / Urban Comics

Dans un premier temps, ce deuxième et dernier tome de l’évènement Planète Lazarus raconte les retombées de l’éruption volcanique de l’île de Lazare qui a provoqué une pluie verte de la fameuse eau capable de faire revivre les morts. Suite directe du premier tome, on y découvre les impacts sur le quotidien de quelques personnes, au travers de héros et héroïnes de second plan qui voient leur entourage et la population changer de comportement face à cette catastrophe. Des gens se découvrent des pouvoirs, d’autres les perdent, et de manière générale, c’est toute une vie qui est remise en cause. Ces quelques chapitres fonctionnent plutôt bien et offrent une bouffée d’air frais entre deux chapitres d’action, où le combat contre le démon fils de Nezha continue, après la « mort » de son père dans le premier tome. Un combat qui n’est pas toujours passionnant, mais qui souffre surtout comme dans le premier, d’un énième rebondissement qui tente de maintenir un suspense artificiel. La surenchère d’entités démoniaques et de changements de paradigme (comme avec un passage où les super voient leurs pouvoirs échangés entre elles et eux) frôle parfois avec le ridicule, peinant à trouver le bon équilibre. C’est un récit inégal, dont l’intérêt réside essentiellement dans la qualité du travail des artistes à l’oeuvre, avec quelques chapitres franchement très beaux, notamment ceux de Mahmud Asrar.

En conclusion de l’event, l’action se déporte vers l’île de Themyscira, où vivent les Amazones. L’île de Wonder Woman subit le contrecoup de la pluie de lazare qui a bouleversé le monde (jusqu’à une résolution que je me garde de vous divulgâcher), avec des Dieux et Déesses qui se rebellent autour de Héra, avec la firme ambition de faire payer à l’humanité ses propres torts. L’île perd alors son invisibilité, désormais visible par tout le monde, tandis que les Amazones tentent tant bien que mal de résister aux assauts des Dieux et Déesses qu’elles vénéraient autrefois. Ces quelques chapitres, tirés d’épisodes de Planète Lazarus en VO consacrés à Wonder Woman et de la série principale, sont le vrai point fort de cet évènement. Il y a plein de bonnes choses dans ces chapitres écrits par G. Willow Wilson et Becky Cloonan, notamment sur la réflexion portant sur la responsabilité humaine, mais aussi l’éternel dilemme auquel Wonder Woman est confrontée de par sa nature de demi-déesse. Elle est tiraillée entre sa volonté de sauver l’humanité et sa proximité avec des figures divines, alors que se présente à ses côtés Mary, la grande soeur de Billy Batson, autrement connu sous le nom Shazam, qui semble avoir beaucoup de choses à dire. Une association surprenante mais efficace, qui offre une belle conclusion à un évènement qui n’a pas toujours été à la hauteur des espoirs.

  • Blue Beetle Infinite, Poison Ivy Infinite T.1 et Planète Lazarus T.2 sont disponibles en librairie aux éditions Urban Comics.
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Parfois le cinéma lâche des pépites sans crier gare. Des moments suspendus où l’on se laisse porter par un film qui offre tout ce dont on a besoin à cet instant. C’est la beauté du cinéma, mais c’est une chose qui est pourtant assez rare. Parce que la production cinématographique a parfois d’autres priorités, ou simplement parce que les émotions ne se contrôlent pas. Quand j’ai été voir Misanthrope de Damián Szifrón, je ne savais pas dans quoi je me lançais, mais une chose est sûre, c’est qu’à la fin de la séance, j’ai réalisé que ce serait difficile d’oublier une telle expérience.

Une soirée sans fin

© METROPOLITAN FILMEXPORT, FILMNATION et RAINMAKER FILMS

Un soir de Nouvel an à Baltimore aux Etats-Unis, la panique surgit. Profitant du bruit des feux d’artifice pour couvrir ses tirs de sniper, un tueur fait une trentaine de victimes. Des personnes qui faisaient la fête chez elles, sur leurs balcons, dans leur appartement. Des personnes qui se pensaient en sécurité, mais qui disparaissent sous le coup d’une balle venue de nulle part. Planqué dans un immeuble, le tireur s’en va rapidement et fait exploser l’appartement duquel il a tiré, empêchant dès lors la police de pouvoir récupérer la moindre preuve, la moindre trace sur les lieux. Mais cela est sans compter sur la persévérance de Eleanor, interprétée par Shailene Woodley, une flic qui patrouille une nuit comme une autre, alertée par un message radio qui demande à tous les flics aux alentours de se réunir sur les lieux du crime. Elle y fait la rencontre de Lammark, joué par Ben Mendelsohn, agent du FBI un peu désabusé par son commandement qui réalise vite que Eleanor est capable d’apporter le coup de fouet dont l’enquête a besoin. Car il décèle en elle une vraie capacité d’analyse qui en ferait une enquêtrice précieuse, alors qu’elle est convaincue de son côté que le tireur va recommencer très rapidement à un autre endroit.

Damián Szifrón imagine un film pesant, qui s’inscrit entièrement dans la mythologie d’un thriller noir où le crime prend le pas sur le quotidien. Un genre qui se fait plutôt rare ces temps-ci au cinéma à ce niveau de qualité, et que le cinéaste argentin maîtrise parfaitement. On ressent vite qu’il n’existe aucun échappatoire, qu’il n’y aura pas de fin heureuse, parce que le monde qu’il raconte n’est fait que de personnes brisées. Le personnage de Ben Mendelsohn est en conflit permanent avec une hiérarchie qui est plus intéressée par la politique et la presse que par le fait de mener l’enquête à bien, en l’incitant à vite trouver un « coupable idéal » quitte à ce que cela ne corresponde pas à la réalité. Cela provoquant évidemment l’ire d’un agent qui tente de bien faire, tandis que le personnage de Shailene Woodley est celui d’une femme brisée, qui ne rejoint la police que par dépit, après une vie faite de violence et d’une difficulté à vivre avec son passé. L’actrice livre d’ailleurs une prestation formidable : je n’ai jamais été un grand fan de celle-ci, la faute peut-être à une filmographie assez peu captivante. Mais elle fait corps avec son personnage, l’emmène là où on ne l’attend pas, et s’offre probablement l’un des meilleurs rôles de sa carrière. L’actrice américaine prouve son talent et confirme les bonnes choses qu’elle montrait dans l’excellent The Mauritanian il y a deux ans.

La maîtrise d’un genre éprouvé

© METROPOLITAN FILMEXPORT, FILMNATION et RAINMAKER FILMS

La mise en scène de Damián Szifrón impressionne, le réalisateur argentin maîtrise son sujet sur le bout des doigts avec un film où la tension ne redescend jamais, fort d’une maîtrise de l’ambiance à chaque instant. Qu’il s’agisse de la nuit d’horreur initiale, l’enquête de plein jour ou la traque qui va inévitablement s’ensuivre, le cinéaste parvient à maintenir l’urgence d’une situation qui devient vite impossible. Car sans véritablement parler de contre la montre, le réalisateur le suggère quand ses personnages sont convaincus que le meurtrier va recommencer, un meurtrier sur lequel on ne sait rien pendant les deux tiers du film mais qui inspire une peur redoutable. Car il apparaît si méthodique, si intouchable, qu’il ressemble plus à un monstre ou un à un fantôme qu’à un humain. A tel point que le film prend parfois des airs de film d’horreur, où la mort peut surgir à chaque instant et où l’on semble traquer un démon qui n’existe pas. Et cela est aussi suggéré par la photographie de Javier Juliá, transformant Baltimore et ses alentours en scène de crime permanente, insistant sur la froideur d’une ville qui ne semble exister que par la violence et le crime, sans limite dans l’horreur.

Il est un peu tôt pour désigner les films de l’année, mais Misanthrope sera sans aucun doute l’un de mes meilleurs souvenirs de l’année. Grand film noir, il est parvenu à capter mon attention sans jamais la relâcher. Fort de son ambiance et de l’intelligence de son écriture, le film nous emmène dans une enquête où le dénouement ne peut être qu’aussi sombre que le crime originel. Mais ce qui donne autant de corps au long métrage, c’est aussi et surtout le destin de son héroïne sur le modèle classique de « l’antihéros ». Un personnage brisé, mais fondamental à la compréhension des motivations d’un meurtrier qui ne semble rien avoir d’humain.

  • Misanthrope est sorti en salles en France le 26 avril 2023.
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