Tales of Arise | Un retour en beauté

par Anthony F.

Les personnes qui lisent Pod’culture régulièrement savent, après de nombreuses chroniques sur des J-RPG de ma part, que c’est un genre de jeu tout à fait à part pour moi. Et pourtant il a été malmené pendant des années, à la fois par une production effrénée et à bas prix par des éditeurs qui n’ont pas beaucoup d’intérêt pour la qualité, mais aussi à cause d’une difficulté des développeurs japonais à passer à la HD à l’époque de la génération PS360. Heureusement, ces dernières années, même si l’on n’évite pas la pléthore de jeux moyens, des studios historiques ont repris du poil de la bête. Un plaisir pour les amateur·ices du genre, dont je fais partie, et un bonheur infini quand un titre attendu tient enfin ses promesses. Et c’est le cas de la licence phare de Bandai Namco qui, après des hauts et des bas, a pointé le bout de son nez en septembre 2021 dans un nouvel épisode intitulé Tales of Arise. Un épisode plein de bonne volonté, de renouveau et surtout, une preuve que l’on peut encore faire de grands J-RPG à notre époque.

L’éternelle oppression

Tales of Arise™ & ©BANDAI NAMCO Entertainment Inc.

Au fil des années, les Tales of ont abordé nombreux sujets dans des histoires plus ou moins creusées, plus ou moins inspirées par le monde réel ou par des œuvres de fiction. Tales of Arise fait le choix de raconter son monde sous un angle vieux comme l’humanité, celui de l’oppression. Son monde est séparé en deux planètes, Rana et Dahna. La seconde est asservie par la première, avec un peuple réduit à l’esclavage depuis des siècles, avec pour seul motif d’être le peuple « faible », les dhanien·nes étant incapables de maîtriser les Artes (la magie de ce monde) tandis que les rénien·nes, détenteurs des Artes, affirment que cela est signe de noblesse. On est face à un régime totalitaire assez classique, avec un culte de la force incarnée par la maîtrise de la magie, de la même manière que le fascisme voue un culte à la force physique. Et cela a un impact direct sur un monde qui ressemble à tous ceux qui ont subi le fascisme, avec des personnes opprimées pour le simple fait de leur ethnie, tandis que d’autres collaborent avec l’oppresseur en espérant que cela leur offre des privilèges. L’histoire du jeu explore toutes les subtilités du conflit, notamment au travers du voyage du groupe de héros et héroïnes dans ce monde-là, qui explorent des villes et régions différentes. On y voit des régions où l’oppression des peuples est devenu normal pour ses habitants, une ville où la cohabitation pacifique a été rendue possible grâce à un pouvoir politique local qui s’est affranchi de l’idéologie dominante, tandis qu’une autre région montre au contraire une haine sans limite vouée par les dhanien·nes, qui ont acquis leur liberté, à l’encontre des rénien·nes. Tales of Arise parle ainsi autant de la violence du pouvoir central que celle exercée au quotidien par des personnes qui ont pleinement intégré ce racisme ambiant, n’ayant jamais rien connu d’autre.

Pour explorer ce monde, on incarne Alphen, un dhanien rendu esclave depuis bien longtemps. Amnésique (oui, oui, ce fameux cliché des J-RPG est de retour), il ne se souvient de rien d’autre que sa condition d’esclave. Comme il le dit justement à un moment, il est impossible de se rebeller quand on ne sait pas qu’une autre vie est possible. Pourtant c’est le choix qu’il parvient à faire suite à un évènement que je vais éviter de raconter, pour garder la surprise aux personnes qui voudraient y jouer, et la rencontre de Shionne, une rénienne qui se retrouve par la force des choses à l’aider à s’émanciper sans que l’on ne sache trop pourquoi. Plus tard, ce duo trouve d’autres personnes qui vont les suivre dans leur aventure, leur quête pour défaire le pouvoir des seigneurs réniens qui ont la main sur Dhana, afin de libérer le peuple et de s’offrir un avenir plus radieux. Dans l’ensemble, le jeu parvient à offrir un groupe de personnages fort, dans l’ensemble bien écrits, même pour le héros principal qui part pourtant du cliché de l’amnésique. On trouve des personnages complexes, à l’évolution constante, avec un développement par étape, chaque fois que le petit groupe est exposé aux réalités d’un monde qu’ils et elles connaissent finalement assez peu. Entre horreur face à la réalité, rage pour certaine·es et quête de rédemption pour d’autres qui se sentent responsables, c’est un groupe qui s’émancipe des codes de l’héroïsme. Atypiques, ces personnages n’ont rien de héros ou d’héroïnes, c’est des personnes qui arrivent avec leurs tares, leurs erreurs, et qui tentent malgré tout de trouver une forme d’équilibre pour pouvoir avancer et remettre la main sur une vie qui leur échappe.


Tales of Arise™ & ©BANDAI NAMCO Entertainment Inc.

Alors cela met un peu de temps à se matérialiser car de nouveaux personnages rejoignent le groupe assez tard dans le jeu et que leurs caractères se dévoilent essentiellement dans des séquences de « tranche de vie » ici et là, mais on finit par être terriblement attaché·e à toutes ces personnes qui combattent pour des raisons différentes, avec pour seul point commun de voir le pouvoir rénien comme responsable à leurs maux. Le groupe devient fort, ensemble, et cela donne de vrais moments d’émotion, dont un en particulier qui est très fort et marquant. Mais s’il y a un personnage à retenir c’est évidemment Shionne. L’héroïne, au contraire du héros amnésique, n’a pas grand chose d’un cliché. Si elle a dans les premiers instants l’image d’une noble, d’une sorte de princesse de l’empire rénien, il n’en est rien. Rejetée par ses pairs à cause d’une sorte de malédiction qui empêche quiconque de s’approcher trop près d’elle, Shionne a un fort caractère. Déterminée, leader dans l’âme, elle affirme ses ambitions et n’accepte à aucun moment d’être reléguée au second plan. A certains égards, elle évoque Lightning de Final Fantasy XIII, partageant avec elle une certaine froideur, fixée sur son objectif, qui n’a initialement que peu de considération pour des partenaires qui ne sont pour elle que des outils pour atteindre son but. Au-delà de ça, le personnage se développe, apprend à se connaître et à apprécier ce qui l’entoure, et devient de plus en plus passionnant au fil des heures. Une évolution captivante à suivre, et bourrée d’une émotion qui m’a fait tomber une petite larme à la fin du jeu.

L’action au cœur de la narration

Tales of Arise™ & ©BANDAI NAMCO Entertainment Inc.

Depuis toujours orientée vers l’action, la série des Tales of n’a cependant jamais proposé des combats aussi dynamiques que ceux de ce nouvel épisode, décidément bien décidé à faire entrer la saga dans une nouvelle ère. Bien qu’ils sont limités par des points d’action (qui se rechargent quand même très vite), les coups pleuvent et les combos sont gérés à notre guise, en assignant les quatre coups (puis quatre autre supplémentaire plus tard dans l’aventure) parmi les dizaines appris au cours de l’aventure à différentes touches de la manette. L’objectif, trouver le bon équilibre pour des combos à la fois fluides et dévastateurs, mais aussi pour parer à toute éventualité. Affronter un ennemi aérien nécessite souvent d’avoir de quoi frapper dans les airs, tandis que certains ennemis requièrent des coups plus lourds afin de briser leur armure, ou enfin plus souvent il est de bon ton d’avoir des coups rapide pour faire face à des monstres plus agiles qui se déplacent sans arrêt. La vivacité des combats vient aussi de la facilité avec laquelle on active les coups spéciaux de nos compagnons, gérés par le jeu (on n’en contrôle en effet qu’un parmi les quatre personnages engagés à chaque combat), mais dont les coups les plus dévastateurs sont activés à notre guise. Pour ce faire, la croix directionnelle est mise à contribution, sachant que l’on peut également activer les coups spéciaux des personnages laissés en dehors du combat quand ils sont chargés. Plus encore c’est les effets visuels et la rapidité d’exécution des personnages qui virevoltent et se déplacent à toute vitesse sur l’aire de combat, qui donnent au jeu un rythme assez effréné. D’autant plus que les personnages contrôlés par le jeu ne perdent aucunement en efficacité, enchaînant des combos bien sentis et en sachant esquiver les coups les plus violents des monstres que l’on croise. Car l’esquive est au centre de l’action, à la fois pour éviter les coups (la vie diminuant assez vite), mais aussi en cas d’esquive parfaite de bénéficier de quelques bonus bienvenus, comme des points d’action plus rapidement rechargés ou une contre-attaque plus puissante, selon les compétences passives débloquées sur le personnage joué. Mais cette action survitaminée souffre d’un contre-coup que l’on voit venir assez vite : il y a un véritable problème de lisibilité. Si cela n’entrave pas vraiment la progression dans le mode de jeu « très facile » qui a été ajouté via une mise à jour après la sortie du jeu pour pallier sa difficulté assez relevée, les choses sont tout autre en mode normal ou dans les difficultés plus relevées. Cette lisibilité est rendue compliquée par les nombreux effets visuels qui sont là pour dynamiser le rythme des combats, ainsi que par une caméra un peu trop proche du personnage que l’on contrôle et qui a toutes les peines du monde à suivre l’action.

Si Tales of Arise excelle pour son système de combat (malgré la lisibilité), c’est la progression qui m’a un peu plus chagriné. Traditionnellement, le gain de niveau et de compétences que l’on débloque avec les points glanés en combat servent à améliorer la puissance des personnages. Une puissance normalement ressentie, mais qui a bien du mal ici à montrer le bout de son nez. Si le jeu propose bien un système de niveaux de personnage tout ce qu’il y a de plus classique et un arbre de compétences à débloquer, tout cela montre assez peu d’intérêt sur le long terme. D’abord, les compétences servent essentiellement à débloquer de nouveaux combos plutôt qu’à renforcer la puissance des personnages, si cela est appréciable car l’on continue de découvrir de nouveaux coups même en toute fin de jeu, il y a un vrai problème de montée en puissance. Car à côté, les niveaux n’ont que peu d’incidence en combat : on n’a jamais le sentiment de gagner en puissance, car le jeu le refuse purement et simplement. La faute à une structure de jeu qui fait que chaque nouvelle zone explorée, chaque nouveau boss ou monstre croisé en cours de route a constamment trois, quatre, cinq niveaux d’avance que nos personnages. Dans un jeu linéaire comme Tales of Arise où l’histoire nous emmène dans une véritable fuite en avant, il est très rare que l’on revienne sur nos pas pour constater que nos niveaux durement acquis nous permettent de marcher sur les ennemis qui nous mettaient des grosses baffes quelques heures plus tôt. On pourrait, certes, mais le jeu ne nous incite pas, surtout pas avec ses quêtes secondaires sans grand intérêt qui semblent tout droit sortis d’un MMORPG où des villageois nous disent d’aller récupérer des objets et tuer des groupes de monstres.

Tales of Arise™ & ©BANDAI NAMCO Entertainment Inc.

Plus encore et peut-être pour s’émanciper des codes et clichés des J-RPG, le jeu empêche de rester dans la même zone et tuer des ennemis en boucle pour se faire un petit lot d’expérience et gagner quelques niveaux d’avance dans une même zone. Pour ce faire, dès que l’on atteint le même niveau qu’un ennemi, celui-ci ne donne pratiquement plus aucune expérience, le seul moyen d’en gagner est d’avancer et… trouver à nouveau des ennemis bien plus forts que notre groupe. Peut-être est-ce là un moyen de mettre en valeur le système de combat, dynamique, et son système d’esquive qui permet virtuellement de pouvoir éviter n’importe quelle attaque de n’importe quelle puissance (et potentiellement affronter des ennemis bien plus forts). Mais ce choix est à double tranchant, car si on comprend l’envie du jeu de nous pousser vers l’avant face à l’urgence de la situation que nous raconte l’aventure, il y a parfois un sentiment de ne jamais être « récompensé » par nos performances en combat ou par les points durement acquis que l’on dépense en compétences diverses et variées. Jusqu’à ce que cela finisse par devenir frustrant, notamment dans les tous derniers donjons où les ennemis surpuissants s’enchaînent sans que nos personnages ne donnent l’impression de taper plus fort que trente heures plus tôt dans l’aventure.

Terre brûlée, mais sublime

Tales of Arise™ & ©BANDAI NAMCO Entertainment Inc.

Là où Tales of Arise fait sa révolution, au-delà de son système de combat plus dynamique que jamais, c’est sur ses graphismes et sa direction artistique. Les Tales of ont souvent eu un petit quelque chose, un charme certain, comme en atteste la direction artistique d’un Tales of Vesperia par exemple. Mais Arise a quelque chose de plus. Sans renier les traditions de la série en reprenant le style du cel-shading qui a fait son succès, avec une vraie proximité avec les anime japonais (la saga ayant toujours eu vocation à être adaptée soit en anime, soit en manga), le jeu va un peu plus loin avec un moteur graphique qui pousse ce style là dans quelque chose de plus moderne. Les animations sont plus fouillées, les visages plus expressifs, les traits plus fins, les décors sont bourrés de détails et les effets visuels sont d’une beauté inattendue. Et c’est d’autant plus surprenant que les Tales of n’ont jamais été des cadors techniques, se contentant le plus souvent de soigner leur direction visuelle tout en s’appuyant sur des technologies déjà éprouvées et maîtrisées depuis l’époque de la PS2-PS3. Je suis parfois resté subjugué par la beauté des différentes zones, le jeu étant une vraie invitation au voyage qui fleure bon la nostalgie de quelques grands J-RPG du passé. Les zones sont diversifiées, pleines de détails à explorer, quand bien même leur linéarité fait que l’on n’y passe pas un temps fou. Et ces qualités visuelles s’appliquent aussi au groupe de héros et d’héroïnes, chaque personnage ayant un style bien à lui, mais tout s’accorde assez bien dans un ensemble cohérent, qui montre les différences et subtilités de la planète Dhana avec des peuples aux souffrances et aux histoires différentes d’une région à l’autre. Seul point noir de la direction artistique à mon sens, le bestiaire, qui manque d’idées avec beaucoup de monstres que l’on retrouve plusieurs fois sous différentes couleurs, et des boss assez peu mémorables. Heureusement le travail de Motoi Sakuraba sur la musique est l’une de ses plus grosses réussites sur la licence. Lui qui l’accompagne à la composition depuis toujours offre quelques grands moments d’épique, mais aussi d’autres plus intimes, avec quelques compositions touchantes qui donnent du sens et des émotions à des séquences marquantes.

C’est assez rare qu’un J-RPG m’emballe à ce point, car les jeux cultes sont nombreux, et qu’il est toujours difficile de s’y faire une place. Mais Tales of Arise a tout d’un grand. Peut-être imparfait sur certains points, à commencer par son système de progression qui peut s’avérer frustrant, ou un ultime donjon à rallonge qui aurait pu se conclure un peu plus vite. Mais il y a de tels moments de grâce, un groupe de personnages si fort, et une écriture si touchante du destin de ces quelques héros et héroïnes brisées que le jeu devient l’un des plus beaux J-RPG que j’ai pu parcourir. Une véritable réussite qui doit son salut à la qualité de sa narration et à sa direction artistique, le tout mélangé à une qualité technique qui fait enfin entrer la licence dans une nouvelle ère, après avoir trop longtemps végété sur une formule éprouvée et sans risque.

  • Tales of Arise est disponible sur PC, PlayStation 4, PlayStation 5, Xbox One et Xbox Series X|S depuis le 10 septembre 2021.

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