Le Château des Animaux | L’incitation à la rébellion pacifiste

par Hauntya

S’adressant autant aux grands adolescents qu’aux adultes, Le Château des Animaux est une bande dessinée dont deux tomes sur quatre sont actuellement parus. Au fil d’une histoire animalière attachante, Félix Delep et Xavier Dorison ré-imaginent une suite à un grand classique dystopique d’Orwell en lui offrant une rébellion dont les héros, cette fois, sortiraient vainqueurs.

Un hommage à La Ferme des Animaux de George Orwell

© Casterman, Le Château des Animaux, Delep et Dorison, 2019

Dans sa préface, Xavier Morison parle tout de suite de La Ferme des Animaux d’Orwell, citant cette fable animalière comme un livre majeur du XXe siècle. Dans ce roman publié en 1945, les animaux d’une ferme chassent les humains et instaurent une société animale, où chacun contribue au bon fonctionnement de la ferme par un dur labeur et une récompense équitable. Malheureusement, il arrive bien vite un moment où certains animaux, les cochons, prennent peu à peu le pouvoir, « certains animaux devenant plus égaux que d’autres », jusqu’à redevenir similaires aux humains oppresseurs d’autrefois. La fable animalière n’avait d’autre but que de représenter et dénoncer le régime autoritaire de Staline, mais aussi toutes les autres dictatures de l’époque.

Dans la série scénarisée par Xavier Morison et illustrée par Félix Delep, « la Ferme » est ici un château. On apprend au cours du tome 2 que les cochons auraient été expulsés par un taureau gigantesque, Silvio. Mais les conditions de vie n’en sont pas meilleures pour autant. Les animaux les plus faibles – moutons, chats, lapins, poules, etc – sont mis au travail par Silvio et sa milice armée de chiens, avec une autorité oppressante, punissant le moindre écart de conduite par la mort sous morsures canines. C’est encore une fois les plus faibles et pauvres qui pâtissent de cette société soi-disant égalitaire, et dont les fruits de labeur reviennent aux plus puissants prétendant les protéger des loups et du monde extérieur.

L’histoire se présente comme une fable ou un conte, avec une introduction évoquant un temps bien lointain : une manière de rendre son propos universel. Il ne faut que quelques pages pour mettre en place tout un univers, avec la mise à mort injuste d’une poule pour avoir gardé son œuf : un spectacle auquel les animaux assistent tête baissée pour la plupart, exceptée une oie, Marguerite, par qui soufflera le premier vent de rébellion. A ses côtés, on suit alors le point de vue d’une femelle chat, Miss Bengalore, seule pour élever ses deux chatons et pour travailler au chantier depuis la mort de son mari. C’est par la vision de ce personnage, d’abord soumis et naïf, qu’on verra peu à peu la révolution se faire et les mentalités changer.

Le courage d’une révolution non-violente

© Casterman, Le Château des Animaux, Delep et Dorison, 2019

Car là où le roman de George Orwell se terminait sur une note pessimiste, Le Château des Animaux choisit un tout autre chemin. Quand César, le lapin gigolo voisin de Miss Bengalore, l’emmène au spectacle clandestin d’un rat de passage, tout change. Car ce que le rat Azélar met en scène, c’est la vision d’un peuple tout aussi opprimé, mais pour qui une figure salutaire parvient à s’opposer à un empereur tyrannique, par la parole et la vérité plutôt que les armes. Si l’on reconnaît en tant que lecteur la figure de Ghandi, pour les animaux du Château, la critique envers le Président Silvio est évidente.

C’est à partir de cet événement que Miss Bengalore, inspirée par le rat de théâtre, parvient à convaincre César de commencer une révolution. Tout au long de l’album, on voit la progression de cette héroïne timide, son caractère se faisant plus déterminé et idéaliste, passant des croyances naïves de soumission au souhait d’un monde meilleur. Pas à pas, par l’humour, par des manifestations pacifistes mais répétées, puis par la désobéissance au travail et à des sittings non-violents, Miss Bengalore fédère avec elle les autres animaux, les incitant à se rebeller. D’abord faire rire pour ne plus subir, trouver une solidarité, rendre ridicule la milice canine… Un chemin long, pavé de larmes et de sang, où elle refuse de tuer qui que ce soit pour changer le Château, mais est prête à mourir pour donner l’espoir d’un changement.

Un tel message de non-violence, de changement pacifiste, est d’autant plus bienvenu dans une société où on a tendance à répondre œil pour œil, dent pour dent, face à ceux qui nous heurtent et qui nous blessent au quotidien. Bien sûr, le Château des Animaux a une lecture universelle et engagée, celle de la lutte contre tout régime autoritaire et dystopique. Il incite à la révolution mais sans une violence qui conduirait les faibles à devenir aussi pires que les oppresseurs qu’ils combattent. Mais en transposant les messages du Château des Animaux au quotidien, on pense aussi à toutes ces situations où on a tendance à répondre par l’énervement, l’agressivité, le rejet ou le refus d’empathie de l’autre – autant d’émotions qui empêchent toute construction de soi, qui empêchent d’avancer positivement et de créer de nouvelles choses.

Un univers sombre aux dessins plein d’émotions

© Casterman, Le Château des Animaux, Delep et Dorison, 2020

Pour toute bande dessinée, il serait impensable de ne pas évoquer la forme. Ce n’est pas pas parce que les héros du Château des Animaux sont justement… des animaux que les messages et l’histoire véhiculés par la bande dessinée ne sont pas noirs, voire violents. Quelques planches témoignent du côté sanglant de la dictature, tandis que les expressions de certains animaux, si elles sont souvent empreintes d’émotion, peuvent vite virer à la haine, l’autosuffisance, l’injustice et la cruauté gratuite chez les oppresseurs. Cependant, il n’y a pas pour autant de manichéisme, puisque nous aurons aussi droit à voir les coulisses et manipulations de la dictature, ou le revers d’un peuple qui pourrait enfin se venger. Les couleurs du premier tome sont généralement sombres et grises, parsemées d’un peu de lumière et d’humour par les personnages de Miss Bengalore ou de César. Le tome 2, avec son atmosphère hivernale, offre un vrai contraste de couleurs.

Ces touches plus optimistes font du bien dans un univers qui n’hésite pas à démontrer la violence avec une mise en scène marquante. Le soin apporté aux animaux les rend aussi souvent très touchants et attachants, un aspect nécessaire pour s’immerger dans l’histoire et espérer la victoire des animaux de la basse-cour. Xavier Delep fait un formidable travail de dessin pour retranscrire les émotions des personnages de façon aussi vivante, en une posture, un silence, un regard ou une parole, sans jamais exagérer ou sombrer dans le cartoonesque.

Une bande dessinée à découvrir, qu’on connaisse ou non le roman dont elle s’inspire, pour montrer que le meilleur – et le plus difficile – chemin pour sortir d’une dictature passe par la non-violence, si l’on veut espérer une société meilleure. Et qui fait aussi réfléchir à comment son message pacifiste peut s’appliquer dans notre quotidien.

  • Les tomes 1 et 2 du Château des Animaux sont disponibles aux éditions Casterman, en librairie.

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