Squid Game | Le coup de théâtre de Hwang Dong-hyuk

par F-de-Lo

A moins que vous ayez vous-mêmes sacrifié votre liberté pour participer à des jeux illicites, il ne vous aura pas échappé que Squid Game est sortie sur Netflix, le 17 septembre dernier. La série créée par le réalisateur coréen Hwang Dong-hyuk a rencontré un succès aussi soudain que retentissant sur la plateforme de streaming. En approximativement un mois, Squid Game aurait été visionnée 111 millions de fois. La série met en scène des gens endettés risquant leur vie dans un jeu de survie, de type Battle Royale, afin de remporter la modique somme de 45,6 milliards de wons. (Ce qui correspond à plus de 32 millions d’euros).

Un projet personnel

Gi-Hun © Netflix, 2021

Prétendre que l’écriture de Squid Game a pris treize ans est un raccourci tentant mais aisé. Bien que le projet d’un film ait germé dans l’esprit de Hwang Dong-hyuk en 2008, il a essuyé le refus de plusieurs producteurs, jugeant le long-métrage à la fois trop violent et improbable. Hwang Dong-hyuk se consacra à la réalisation de trois films avant que Squid Game ne se concrétise, sur Netflix. Mais de nombreux ajustements restaient à faire, comme la nécessité de transformer le projet en série.

Cette œuvre n’en demeure pas moins profondément personnelle. Hwang Dong-hyuk y propose une satire de la Corée, tout en y insufflant de nombreux éléments autobiographiques. A l’image de Gi-Hun, (le protagoniste), Hwang Dong-hyuk a grandi dans la pauvreté et dans un logement insalubre, auprès de sa mère veuve. Il a étudié à l’université de Séoul (la même que Sang-Woo), ce qui ne l’a pas empêché de rencontrer des problèmes financiers. Certains personnages, comme Ali, seraient inspirés de véritables rencontres du réalisateur coréen. Et ne parlons pas des épreuves de Squid Game, elles-mêmes inspirées des jeux auxquels participait Hwang Dong-hyuk lorsqu’il était enfant.

Une petite Battle Royale ?

© Netflix, 2021

Le genre de la Battle Royale est populaire aujourd’hui, notamment dans le domaine du jeu vidéo. Il est surtout impossible de ne pas avoir une pensée pour le roman éponyme de Kōshun Takami, paru en 1999. Il est à l’origine du manga et du film Battle Royale. Dans ce long-métrage, un pays oriental organise des jeux mortels auxquels des collégiens sont forcés de participer. Il s’agit d’une réponse à la prétendue montée de violence et de rébellion chez les jeunes. L’intrigue de Squid Game semble – à première vue – similaire. Les jeux ne sont pas légaux mais l’on peut supposer qu’ils sont également destinés à rayer de la carte une partie dite dérangeante de la population. Motivés par l’appât du gain, les participants ne sont cette fois-ci pas contraints de jouer. Il ne leur est pas non plus directement demandé de s’entre-tuer. Tous doivent participer à des jeux pour enfants, et c’est précisément ce qui rend le tournoi plus malsain. Ces jeux a priori inoffensifs sont non seulement joués par des adultes, mais mortels. Ce décalage est dérangeant, c’est pourquoi il est fréquemment employé dans le genre de l’horreur. La première manche consiste par exemple à participer à un « 1, 2, 3 soleil » dévastateur. (Ce jeu avait déjà été détourné de manière quelque peu traumatisante dans le film espagnol L’Orphelinat). Squid Game n’a rien d’angoissant, à proprement parler. Au reste, cette rupture entre l’enfance colorée et la cupidité mortelle constitue l’ADN principal d’une série qui se révèle effectivement violente et improbable.

Des personnages archétypaux

Ali, Sang-Woo, Gi-Hun et Sae-Byeok © Netflix, 2021

La force de la série réside aussi en la présence de personnages archétypaux mais néanmoins attachants. Gi-Hun, n°456, (Jung-jae Lee), est un anti-héros par excellence. Ni particulièrement malin, ni débrouillard, Gi-Hun vit dans des conditions insalubres qui l’ont rendu obsédé par l’argent. Accro aux paris et coutumier des galères, Gi-Hun néglige non seulement sa vieille mère mais aussi sa fille, qui ne vit plus avec lui. Il semble compliqué de s’attacher à Gi-Hun qui finit malgré tout par entreprendre une évolution prodigieuse. Si l’on ne peut pas lui retirer une chose, c’est qu’il a du cœur. Une qualité faisant hélas défaut à de nombreux participants du Squid Game. Sang-Woo, n° 218, (Park Hae-Soo) est l’antithèse de Gi-Hun. Propre sur lui et armé d’une intelligence redoutable, il est prêt à tout, ou presque, pour parvenir à ses fins. Pourtant, tous deux sont des amis d’enfance, issus du même quartier. Cette relation en fait des reflets négatifs dont la rivalité s’annonce prometteuse. Je pourrais mentionner Sae-Byeok, n° 067, (Jung Ho-Yeon), une réfugiée nord-coréenne ; Ali Abdul, n°199, (Anupam Tripathi), un travailleur migrant pakistanais ; Deok-Soo, n°101, (Heo Sung-Tae), un gangster peu friand des règlements, ou encore Jun-Ho (Wi Ha-Joon), un policier en quête de réponses, mais l’énumération des personnages serait fastidieuse et ne rendrait pas honneur à l’intérêt que l’on peut porter à chacune de leur histoire. Il m’est toutefois impossible de ne pas m’attarder sur Il-Nam, n°001, (Oh Young-Soo), le doyen des joueurs. Atteint d’une tumeur au cerveau, le vieil homme est si vulnérable et innocent qu’il semble incarner une anomalie dans le jeu. Et pourtant, tous ces participants ont une chose en commun : ils n’ont plus rien à perdre.

Un microcosme dystopique

© Netflix, 2021

Battle Royale, drame humain,… Squid Game ne semble pas se consacrer à un genre en particulier. On peut néanmoins s’accorder à dire qu’il s’agit d’une satire de la société coréenne, ou plus généralement du capitalisme. On pourrait même parler de dystopie, dans la mesure où la série dépeint une société virant au cauchemar. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’un des épisodes les plus durs ne se déroule pas au cours des jeux. Il s’agit du deuxième épisode, sobrement intitulé « Enfer ». Après avoir participé à la première épreuve, les joueurs ne sont pas contraints de poursuivre l’aventure et retrouvent leur vie respective. Or, le monde extérieur parait si impitoyable et leur situation personnelle si désespérée qu’ils préfèrent retourner dans le jeu. Les participants décident délibérément d’honorer un contrat qui les soumet à l’autorité violente du Squid Game. Ce sont des prisonniers volontaires.

Il est difficile de deviner qui sont les organisateurs du tournoi. Les matons portent des combinaisons rouges ainsi que des masques arborant les symboles rond, carré et triangle. Ils semblent répondre aux ordres de Front Man, un homme dont l’identité est dissimulée par un masque entièrement noir. Le diable étant un grand séducteur, Front Man promet, avec ses jeux, un microcosme plus juste, où chacun part avec des chances égales et où la plus miséreuse des personnes peut ressortir riche et puissante. Naturellement, l’envers du décor est tout autre. Les jeux nécessitant de créer des alliances sont particulièrement révélateurs d’inégalités persistantes. S’il était traumatisant d’être le dernier enfant choisi lorsque nous constituions des équipes, à l’école ; il s’agit d’une question de vie ou de mort dans le Squid Game. Or, la plupart des participants ne souhaitent pas s’encombrer des joueurs vieillissants, des infirmes ni des femmes.

Un seul joueur se liguera contre ces injustices et c’est évidemment Gi-Hun. N°456 a beau sembler lâche et maladroit, il est aussi doté d’une force morale proche de l’idéalisme. Sa relation avec les autres en devient touchante, en particulier celle qu’il entretient avec le vieux Il-Nam, pareil à un père de substitution. Au final, Gi-Hun sera l’un des seuls joueurs à oser remettre le jeu en question. Squid Game devient le terrain intemporel de l’élévation d’un homme contre la lutte des classes.

« Un roi sans divertissement est un homme plein de misères. »

Front Man © Netflix, 2021

Mais ce qui me séduit le plus dans Squid Game est probablement sa théâtralité, presque antique. Que voulez-vous ? J’ai toujours eu un faible pour les histoires pourvues de rebondissements grandiloquents, de reflets inversés et de personnages symboliques. En ce sens, Squid Game n’est pas dénué de points communs avec une autre série phare de Netflix : La Casa de Papel. Et je ne parle pas des combinaisons rouges. Des personnages n’ayant plus rien à perdre se retrouvent piégés dans un huis clos qui sera le terrain de nombreux rebondissements. Par-dessus tout, certains d’entre eux portent un masque qui deviendra rapidement un symbole pour les spectateurs et spectatrices. Il n’y a définitivement rien de plus universel que les symboles simples. Chacun peut se les approprier. Au-delà des ronds, carrés et autres triangles, Squid Game met en scène un antagoniste masqué tout aussi mystérieux, qui semble représenter une institution dont il est lui-même le prisonnier.

[La fin de cet article comporte des spoilers.]

Par-delà les prétendus principes véhiculés par le jeu, Squid Game est ni plus ni moins un spectacle sordide réservé aux riches occidentaux dénués de scrupule. Tout aussi dépersonnalisés que les prisonniers, les VIP arborent des masques d’animaux probablement révélateurs de leur vraie nature. Ils s’amusent des jeux et livrent des paris sur les participants comme s’il s’agissait de gladiateurs ou même de canassons.

Mais ce n’est pas tout. Le dernier épisode nous apprend qu’Il-Nam n’était pas un simple participant. Il s’agit en vérité du maître du jeu, lequel a décidé de participer afin de s’amuser une dernière fois, avant de mourir. D’ailleurs, plusieurs indices allaient dans ce sens. Lors de la première épreuve, n°001, (qui porte bien son chiffre), n’était pas scanné par la poupée chantant « 1, 2, 3 soleil ». Peut-être est-ce la raison pour laquelle il s’amusait comme un petit fou. Lorsqu’une émeute nocturne éclate, Il-Nam supplie les organisateurs d’y mettre fin et ceux-ci obéissent, comme s’ils avaient un élan soudain de compassion pour le vieillard. Au cours du jeu de billes, n°001 prétend que le décor représente son ancien village. Alors qu’on pourrait le croire atteint de démence, tout laisse croire qu’il dit la vérité. Et bien sûr, il n’est pas vraiment assassiné. Il a même abusé de la confiance de Gi-Hun. Si cette trahison est dure à encaisser, l’ennui qui caractérise Il-Nam est autrement plus glaçant. Cet homme, certes mourant, est prêt à plonger dans le chaos simplement pour se divertir une dernière fois. Comme le disait Giono, « un roi sans divertissement est un homme plein de misères. » Misérable ou riche, l’être humain semble condamné à la vacuité de l’existence. Profondément traumatisé par les jeux, Gi-Hun lui-même décide de ne pas toucher à l’argent, ni de profiter de sa nouvelle existence. Il est davantage prompt à renverser le système du Squid Game.

Au final, quel message livré par la série est le plus glaçant ? Est-ce cette leçon de morale sur la vanité de la cupidité, ou est-ce encore autre chose ? Les spectateurs et spectatrices normalement constitués seront indignés, sans exception, par la curiosité morbide des VIP qui assistent aux jeux, en se demandant qui va emporter la victoire. Mais, finalement, la série ne nous place-t-elle pas à leur exacte position, en nous rendant nous-mêmes amateurs d’un tel spectacle ?

  • Squid Game est une série disponible sur Netflix depuis le 17 septembre 2021. 

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