L’univers des jeux Lego a toujours été un petit plaisir coupable pour ma part. Bien que n’ayant joué qu’à quelques opus de la licence, j’ai toujours apprécié ces jeux, avec un univers coloré, bourré d’humour et représentant à merveille aussi bien les Lego que la licence dont ils tirent leur inspiration. Forcément, lorsque j’ai vu, à mon plus grand étonnement, que l’univers du jeu Horizon allait être adapté à la sauce Lego, ma curiosité et mon intérêt n’ont fait qu’un tour. Mais est-il vraiment utile d’adapter toutes ces licences, et qui plus est, des licences déjà vidéoludiques ?

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire par l’éditeur.

Poser sa brique à l’édifice

©2024 Sony Interactive Entertainment Europe. Horizon Adventures is a trademark of Sony Interactive Entertainment LLC. LEGO, the LEGO logo and the Minifigure are trademarks and/or copyrights of the LEGO Group. ©2024 The LEGO Group. Published by PlayStation Publishing LLC.

La licence Horizon, déjà connue de nombreux joueurs, a rencontré un certain succès et fait aujourd’hui partie du roster principal de Sony. Avec plus de dix jeux à leur actif, l’équipe de Guerrilla Games a su nous montrer tout le potentiel dont elle peut faire preuve. Et c’est en 2022 qu’ils décident, en collaboration avec le fabricant de briques, de sortir le Lego Tallneck (Grand-Cou), qui, je dois l’avouer, m’a bien fait baver à sa sortie. Imaginez un instant : construire vous-même l’une des créatures les plus mythiques de l’univers Horizon, mais à la sauce Lego. Le tout pour pas moins de 1200 pièces. Autant vous le dire, le fun est déjà assuré, et cela propose ainsi une belle pièce de collection, aussi bien pour les fans de briques que pour les joueurs. C’est après cette collaboration que Guerrilla Games et le studio Gobo proposent au fabricant danois l’idée d’adapter leur licence phare dans un jeu d’action-aventure à la sauce Lego.

Il est intéressant de voir les efforts qui ont été faits quant à la conception d’un tel jeu. Car oui, il ne faut pas oublier que la licence Horizon est assez complexe dans son ensemble. Entre tout le lore qui a mis deux jeux à être vraiment bien établi, des personnages complexes et un immense univers, autant vous le dire tout de suite, vous ne retrouverez pas toute la grandeur du jeu original dans cette aventure Lego. Mais je viens à penser que le jeu a été avant tout pensé pour les plus jeunes, là où les anciens opus s’amusaient aussi bien avec les petits qu’avec les grands. C’est, je pense, le défaut principal de ce Lego Horizon Adventures : tout est trop simplifié à l’extrême. Que ce soit l’histoire, qui, comme on peut s’en douter dans un jeu Lego, est très basique et surtout bourrée d’humour et de second degré, ou encore les phases de gameplay, qui sont loin d’être insurmontables. Celles-ci utilisent même une fonctionnalité de gameplay du jeu original, avec la perception des points faibles des ennemis, rendant l’ensemble assez facile, car en enchaînant les attaques, les monstres tombent vite.

Il y a quelques autres points qui m’ont chagriné lors de mon aventure, notamment deux en particulier : l’absence de monde « ouvert » (à la sauce Lego, évidemment) et le manque cruel de construction. Dans un premier temps, cette absence de monde ouvert a poussé à la création d’un hub principal, à partir duquel nous choisissons les niveaux dans lesquels nous souhaitons aller. Chaque niveau comporte entre 3 et 5 sous-niveaux à explorer, avec des balades dans les terres sauvages, les creusets et la course au Grand-Cou. La fidélité au jeu de base est bien présente et, évidemment, on y retrouve tous les gimmicks principaux d’Horizon. Mais sans monde ouvert et surtout, avec une répétition du game design qui devient lassante à la longue. Mais le pire, selon moi, étant que nous sommes face à un jeu Lego où la construction n’est pas une fonctionnalité principale du gameplay. Pire encore, elle est reléguée au second plan, avec un simple système de construction d’édifices qui ne fait que nous rapporter de la monnaie du jeu. Autrement dit, quelque chose dont on peut largement se passer. C’est vraiment dommage de ne pas avoir poussé ce système de jeu plus loin, surtout qu’il y aurait eu largement de quoi faire avec une telle licence, en construisant nous-même des robots par exemple.

De la brique réaliste

©2024 Sony Interactive Entertainment Europe. Horizon Adventures is a trademark of Sony Interactive Entertainment LLC. LEGO, the LEGO logo and the Minifigure are trademarks and/or copyrights of the LEGO Group. ©2024 The LEGO Group. Published by PlayStation Publishing LLC.

Malgré les quelques points négatifs mentionnés plus haut, il y en a un point positif en particulier qui mérite d’être souligné : la beauté du jeu. Tout est conçu pour pousser le réalisme des briques à son paroxysme. On ne se sent plus simplement dans un jeu reprenant l’esprit Lego, mais dans un véritable univers de briques où tout semble palpable. Cette attention aux détails offre une immersion remarquable au cœur des célèbres briques danoises, atteignant un niveau d’excellence qui rivalise avec les meilleurs films d’animation Lego. Cela est particulièrement frappant lors des cinématiques. Chaque élément est travaillé pour paraître réaliste, à tel point que, par moments, j’ai eu la sensation d’être devant un jeu en stop-motion. Les briques, les décors, les personnages, et même les ennemis semblent incroyablement tangibles. C’est, sans conteste, le point fort du jeu : une réalisation visuelle d’une grande beauté, qui impressionne à chaque instant.

Une brique après l’autre

Bien que le jeu finisse par susciter un peu de lassitude après un certain temps, heureusement, il ne demande qu’une dizaine d’heures pour en voir le bout. Retrouver l’univers d’Horizon était agréable dans l’ensemble, même si je pense que ce jeu s’adresse principalement aux plus jeunes. Les joueurs plus âgés pourraient peut-être ressentir un peu d’ennui au fil du temps. Cela dit, le mode multijoueur proposé par le jeu pourrait être un excellent moyen de partager l’aventure avec une personne plus jeune et de lui faire découvrir cet univers tout en s’amusant ensemble. N’ayant joué qu’en solo, je ne peux pas vraiment m’avancer sur cette option.

Lego Horizon Adventures reste avant tout une belle escapade dans l’univers fascinant d’Horizon, avec une aventure simple et sans grands défis, mais qui est un véritable plaisir à explorer grâce à sa beauté.

  • Lego Horizon Adventures est disponible depuis le 14 novembre 2024 sur PS5, Nintendo Switch et PC.
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La fin de l’année approche et après quelques mois d’été plus légers, la collection DC Infinite repart de plus belle avec quatre comics sortis ce mois de novembre. On y compte la fin de la série Dawn of Superman, et les suites des excellents Dawn of Green Lantern, Le Pingouin et Wonder Woman : Hors-la-loi qui avaient fait forte impression avec leurs premiers volumes. L’ensemble de ces comics sont sortis au cours du mois de novembre 2024.

Cette chronique a été écrite suite à l’envoi d’exemplaires par l’éditeur.

Dawn of Green Lantern – Tome 2, qu’est-ce que c’est, être un héros ?

© 2024 DC Comics / Urban Comics

On commence à bien connaître le concept des séries « Dawn of » chez DC sorties tout au long de l’année. C’est-à-dire un univers, plusieurs histoires qui s’y rattachent, et souvent un fil rouge commun. Pour le grand retour des Green Lanterns, on découvrait dans le premier tome une histoire de Jeremy Adams et dessinée par Xermánico mettant en scène Hal Jordan, l’un des Green Lantern les plus populaires, qui avait plus ou moins décidé de rester sur Terre, dans sa caravane au milieu de nulle part, cherchant une vie un peu plus paisible que ses multiples missions dans le cosmos. Mais les choses le rattrapèrent vite à cause de l’éternel Sinestro. Dans ce deuxième tome, il est toujours sur Terre, mais cette fois-ci physiquement bloqué par les Planètes unies (sorte de gouvernement cosmique qui remplace les anciens Gardiens bien connus de cet univers-là) qui ont décidé de placer la planète en quarantaine, pour une raison qui est encore obscure à Hal Jordan. Évidemment, cela cache une menace cosmique de premier ordre, et c’est une bonne excuse pour Jeremy Adams qui nous emmène dans un court arc très orienté blockbuster, avec son lot de batailles bien garnies sur fond de conspirations diverses et variées. Pas inintéressant, néanmoins assez inconséquent, le récit ressemble plutôt à un amuse-bouche avant de laisser place au second récit qui compose ce tome. Ce qui est plutôt étonnant sachant qu’il s’agit de la série principale outre Atlantique. 

Car l’essentiel est à chercher en réalité du côté de la deuxième histoire, titrée Green Lantern: War Journal, scénarisée par Phillip Kennedy Johnson et dessinée par Montos. Un récit dont on avait eu un très léger avant-goût dans le premier tome. On y rejoint John Stewart, autre Green Lantern de la planète Terres qui a lui aussi mis un terme à ses aventures héroïques. Pas seulement par lassitude, mais surtout parce qu’il souhaite prendre soin de sa mère gravement malade et en fin de vie. Autrefois une figure importante de la lutte pour les droits civiques aux États-Unis, la vie de sa mère pousse John à se questionner sur le sens de l’héroïsme, et le sens de cette désignation de « héros » pour un gars comme lui qui a eu la chance d’obtenir des pouvoirs surnaturels, tandis que d’autres personnes comme sa mère ont lutté avec leurs armes, c’est-à-dire aucune. Une jolie histoire, très intime, qui n’échappe évidemment pas à une grande bataille face à une menace planétaire incarnée par la « reine des morts », néanmoins celle-ci n’est qu’un écho aux questionnements du héros, et on assiste à quelques jolies scènes entre le héros et sa mère qui permettent de recentrer l’action sur leur relation. Je m’interroge toutefois sur les ambitions et enjeux de Dawn of Green Lantern, qui semble vouloir s’éloigner des classiques aventures des Lanterns dans l’espace, mais qui ne peut entièrement couper ses personnages des univers lointains qui ont fait l’essentiel des enjeux de ces personnages depuis toujours. On se retrouve avec des récits un peu branlants, avec des intentions intéressantes, mais qui semblent manquer de certitudes sur leurs envies. Ce n’est clairement pas le meilleur de ce que Jeremy Adams et Phillip Kennedy Johnson ont pu écrire.

Dawn of Superman – Tome 3, dans l’esprit de Brainiac

© 2024 DC Comics / Urban Comics

Dernier tome de la série, on retrouve comme sur les précédents une série Superman de Joshua Williamson, et les Action Comics de Jason Aaron. Mais cette fois-ci, les deux récits ne visent qu’à orienter le comics vers un évènement intitulé House of Brainiac, un court crossover chapeauté par Williamson. Ainsi, dans la première histoire de ce tome, l’auteur renforce tout l’arc autour de la rédemption de Lex Luthor initiée maintenant il y a un bout de temps dans l’univers DC Infinite, l’éternel némésis de Superman ayant soudainement décidé de faire le bien autour de lui. Si les doutes sont toujours permis sur la sincérité de son action, l’auteur assure un peu plus de l’honnêteté de l’ancien grand méchant avec une histoire un peu gentillette autour d’un escadron venu tuer Lex, qui en profite pour prouver sa bonne foi. Pour le deuxième récit, c’est cette fois-ci un peu plus ambitieux, avec un Jason Aaron qui imagine une Metropolis contaminée par Bizarro, le fameux clone raté de Superman qui fait tout l’inverse de lui. Soudainement, la population se transforme en simili-bizarro, et tout le monde fait ce qu’ils et elles n’auraient jamais imaginé faire autrement : les pompiers mettent le feu, les flics libèrent les prisonniers, les journalistes brûlent des livres et les gens se haïssent plutôt que d’aimer leurs proches. Plutôt fun, ce récit joue sur la corde sensible de Superman et de son envie de voir l’humanité briller par ses sentiments.

Enfin, on en arrive à l’ultime récit, le fameux arc House of Brainiac que les deux premières histoires suggèrent ici et là avec quelques clins d’oeil au vilain Brainiac qui revient régulièrement dans les histoires liées à Superman. Superbement mise en dessin par Rafa Sandoval, cette histoire menée par Joshua Williamson s’amuse à ramener une invasion de soldats de Brainiac, allié aux Czarniens survivants, cette drôle d’espèce dont est originaire le « mec plus ultra » Lobo, drôle d’anti-héros de DC à mi-chemin entre un biker de l’espace et un fan de metal. Un peu fou, cet arc multiplie les clins d’oeil à l’univers de l’Homme d’Acier en allant chercher dans quelques uns des vilains qu’on n’avait pas vu depuis un bout de temps, et l’alliance de circonstance entre Superman et Lobo est plutôt drôle. Ça marche bien, c’est plutôt fun à lire, même si la narration manque beaucoup de subtilité et échoue à interroger les concepts propres à Superman, comme la solidarité ou l’entraide qu’il promeut habituellement au sein de sa ville. Au contraire, le récit est en un sens très individualiste, focalisant l’attention des lecteur·ices sur la relation de Superman à Lex Luthor.

Le Pingouin – Tome 2, oiseau pathétique

© 2024 DC Comics / Urban Comics

Dans le dernier tome de cette série en deux volumes, Tom King s’attarde plus longuement sur les origines du Pingouin et sur les évènements décisifs de sa vie semée d’embûches. De son enfance faite de violence que Cobblepot suggère dans quelques dialogues, à sa relation fracturée avec le monde du crime où il n’a longtemps été qu’un larbin pour Falcone, plus grand gangster de Gotham, en passant par son ascension fulgurante au sein du club La Banquise qui deviendra vite son terreau, il n’a jamais été un « vilain » comme les autres. Âme torturée, victime ou génie du crime, il est difficile de qualifier le Pingouin tel que l’imagine Tom King. Ce qui donne d’autant plus de force qu’on lui découvre une relation ambiguë à Batman, qui apparaît là comme un simple personnage secondaire, mais qui occupe une place prépondérante dans l’ascension du Pingouin sur l’échelle du crime à Gotham en le protégeant à mesure que celui-ci lui livre des informations sur les criminels à arrêter. Ce n’est évidemment pas innocent puisque King en a fait sa marque de fabrique de l’analyse des personnages emblématiques de DC par cette dualité entre le bien et le mal, et le sens de l’héroïsme qu’ils incarnent habituellement. Il y a d’abord un Pingouin qui n’entre pas dans toutes les cases du méchant tel qu’on l’imagine, tandis que Batman apparaît sous un jour très pragmatique, capable de collaborer avec un criminel en devenir pour faciliter sa tâche dans son combat contre les autres.  

Visuellement somptueux grâce aux dessins de Rafael de Latorre, Le Pingouin est un véritable récit de gangsters, au sens de ce que l’on voyait à l’époque de Un long Halloween. Le genre qui remet au centre des débats la pègre de Gotham, plus effrayante que n’importe quel sur-humain qui attaque régulièrement la ville. Et sous la plume de King, l’oiseau fascine par une vie incarnée par le drame, personnage pathétique qui inspire autant le rire que la crainte. C’est exactement ce que l’on attend d’un comics qui s’attarde sur un tel personnage, qui ne se contente pas de nous raconter une histoire de « méchant de la semaine » et qui va, au contraire, s’intéresser au sens des choses, ce qui le pousse à agir de la sorte, sans l’exonérer des crimes qu’il commet de sang-froid tout au long de l’action. La narration est maîtrisée, sans temps mort, et montre que Tom King est plus que jamais l’un des meilleurs auteurs de comics de sa génération.

Wonder Woman : Hors-la-loi – Tome 2, justice désavouée

© 2024 DC Comics / Urban Comics

Le tome précédent avait été une excellente surprise. Toujours écrit par Tom King, décidément toujours aussi prolifique, Wonder Woman : Hors-la-loi s’imposait dès son premier tome comme l’une des meilleures histoires écrites sur Wonder Woman ces dernières années. En s’appropriant le mythe de l’Amazone, et en la confrontant aux maux de notre époque avec un regain de puissance du patriarcat au niveau institutionnel et le phénomène masculiniste, l’auteur mettait Wonder Woman dans la peau d’une résistante. Pourchassée par le Souverain, un homme qui manipule la politique américaine dans l’ombre, et qui a réussi à lui imputer la responsabilité d’un meurtre sauvage qui aurait été motivé par une « haine » des hommes. Le premier tome terminait sur la capture de Wonder Woman par le Souverain, emprisonnée et attachée par les liens d’un lasso semblable au sien. On la retrouve dans ce début de second tome captive, avec un Souverain qui tente d’aliéner son esprit en lui répétant des textes religieux censés prouver la supériorité masculine sur les femmes. La mise en scène de Daniel Sampere tire pleinement partie de l’écriture ciselée de King, on y voit une Wonder Woman désemparée, qui va vite tenter de reprendre l’ascendant à la fois physique et moral sur son ennemi, en combattant à la fois l’homme et ses idées.

Le sujet est délicat, plus encore traité par un homme qui regarde ces questions de loin, néanmoins on y trouve une vraie sensibilité dans sa manière de l’aborder. Il le fait dans l’esprit de Wonder Woman, captive, qui parvient à résister aux humiliations et aux sévices du Souverain en se réfugiant dans une sorte de temple mental, où elle interroge sa détermination, sa quête et sa relation à son amour de toujours, Steve Trevor -par extension aux hommes. Au lieu de tomber dans le cliché, Tom King se sert des thèmes du sexisme et du patriarcat pour faire briller Wonder Woman, icône d’une lutte intemporelle, incarnant plus que jamais la justice et les valeurs morales qui lui vont si bien. Un récit dans l’ère du temps qui rend honneur à une longue tradition politique côté comics, où Wonder Woman a toujours incarné la défense des droits des femmes, des valeurs de liberté et de progressisme qui ne cèdent jamais face à des idées rétrogrades. 

  • Les comics de la collection DC Infinite sont disponibles en librairie aux éditions Urban Comics.
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Cinquième opus de la franchise des SaGa, Romancing SaGa 2 était en 1993 un vrai bon succès, meilleure vente des trois Romancing SaGa au Japon, mais il n’a jamais à l’époque profité d’une sortie en occident. Il a fallu attendre vingt quatre ans plus tard et une timide sortie sur les stores des différentes consoles de la génération dernière pour voir débarquer un portage. Plutôt aride et austère, le jeu accusait le poids des années, et c’est dans ces conditions que Square Enix revient avec, cette fois, non pas un simple portage, mais un remake du jeu sous le titre Romancing SaGa 2: Revenge of the Seven, sorti fin octobre 2024 sur PC, PS4, PS5 et Switch.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un code du jeu par l’éditeur.

Succession et népotisme

© SQUARE ENIX

Le monde de Romancing SaGa 2 est au bord du précipice. Vénérant autrefois des guerriers appelés les Sept Héros, le peuple voit ses légendes se retourner contre l’Humanité à leur réapparition. Conformément à la légende, les sept ont fait leur retour, mais on découvre que le mythe ne disait pas tout : en réalité, iels avaient été banni·es dans une autre dimension à une époque où l’on craignait leur toute puissance. Désormais corrompu·es par l’exil, leur vengeance sera terrible, et c’est là qu’entre en scène l’empereur d’Avalon. La bourgade du nord profite de la bienveillance de son empereur, déterminé à repousser les monstres envoyés par les héros, et ça tourne vite au vinaigre : l’empereur est tué, place au suivant. C’est les prémices d’un jeu qui nous fait rapidement comprendre qu’il ne faudra pas trop s’attacher à l’empereur, c’est-à-dire le personnage principal, puisque celui-ci peut mourir définitivement et sera remplacé régulièrement. Soit par des ellipses dans l’histoire, soit par une mort dans un malencontreux combat. Au rythme des successions impériales et du renouveau apporté par les nouveaux empereurs au fil des années, on explore une histoire non-linéaire dont l’avancée dépend essentiellement des quêtes accomplies et des choix qui sont faits au cours de celles-ci. Par exemple faire le choix d’aider ou non une ville, un peuple, réussir une quête à une époque précise, ou au contraire l’ignorer. Ces choix, conscients ou non, ouvrent de nouvelles zones de jeu sur la carte du monde et permettent d’avancer plus ou moins rapidement dans une histoire qui repose sur un fil rouge assez simple, celui de vaincre les Sept Héros. Mais l’ordre dans lequel on les affronte est très variable selon nos choix, tandis que leur puissance peut grandement varier selon l’état d’avancée de la partie.

C’est pour cette raison que le jeu offre une structure assez libre, permettant de traverser les ères et développer le royaume d’Avalon en dépensant des crédits difficilement acquis pour construire  et améliorer certains bâtiments. De quoi pouvoir forger des armes plus puissantes, découvrir des sorts, de nouvelles classes et autres joyeusetés qui permettent de se faciliter (ou non) l’expérience. La succession entre deux empereurs est assez limpide : l’empereur décédé, ou qui a abdiqué (un choix que l’on peut faire à tout instant), transmet l’ensemble de ses compétences et de son expérience au suivant. Cela permet évidemment de ne pas recommencer à zéro à chaque fois, mais surtout d’inciter les joueurs et les joueuses à expérimenter et à parfois abdiquer, ou laisser mourir son empereur, pour progresser. Car le ou la successeur·e pourra, en plus de détenir l’ensemble des compétences, en apprendre de nouvelles et augmenter considérablement sa puissance. Si le système d’héritage fait illusion dans les premières heures, avec une ville qui se développe à vue d’oeil et des empereurs qui gagnent considérablement en puissance, on s’aperçoit vite que les changements d’ère (une centaine d’années à chaque fois) relèvent vite du gimmick ; il ne faut pas s’attendre à des révolutions visuelles sur l’architecture, les moyens de combat et la technologie à disposition puisque l’on reste dans le médiéval-fantastique jusqu’au bout. Une chose est sûre, le peuple est docile, et le pouvoir de l’empereur n’est jamais remis en cause, pas même une dizaine de générations plus tard et une incapacité à se défaire des monstres qui pullulent encore.

© SQUARE ENIX

Malheureusement, il s’agit de l’un des éléments qui empêchent le jeu de tenir la distance, puisqu’avec une histoire très classique et une mise en scène peu engageante, des protagonistes aux caractères peu affirmés car leur rôle n’est que fonctionnel et sont tous et toutes destinées à mourir rapidement, et un monde très statique, il y a quelque chose de très limité dans un jeu que le remake ne parvient pas à améliorer. Pourtant pas si long pour le genre (une trentaine d’heures environ), le titre tourne vite en rond à cause d’un système qui n’est pas à la hauteur de ses promesses. L’idée d’un « scénario libre » et d’un monde qui évolue au gré des intronisations est terriblement séduisante, d’autant plus que cette promesse est tenue avec une histoire qui évolue réellement à notre rythme. Néanmoins, il y a la désagréable sensation de voir évoluer devant nous une coquille vide, quelque chose d’assez peu consistant malgré les folles promesses. On sent vite que le titre a été imaginé au début des années 1990, à une époque où cette histoire non-linéaire était certainement impressionnante, mais le remake oublie que le jeu vidéo a connu beaucoup de choses depuis. Aujourd’hui, le titre a assez mal vieilli, manquant d’une écriture plus travaillée, de surprises plus nombreuses, et surtout d’un renouvellement de la boucle de gameplay qui montre bien trop vite ses limites.

Remake sans réinvention

© SQUARE ENIX

Reposant essentiellement sur l’exploration rapide de petites bourgades et de donjons très linéaires, le système offre des combats au tour par tour qui sent bon les J-RPG old school. Et ce n’est pas une critique, puisqu’il est toujours bon de retrouver ce type de système à notre époque qui a largement laissé la place aux systèmes plus orientés vers l’action. Le tour par tour de Romancing SaGa 2 a toutefois un petit twist. Au-delà de la chronologie affichée en haut de l’écran qui permet de savoir exactement le timing d’attaque de chaque personnage et d’ennemi, les combats reposent sur un système de « formations » qu’il convient d’apprendre à maîtriser pour s’en sortir. Ces formations, qui permettent de déterminer la place de chaque personnage sur la grille qui sert d’aire de combat, jouent un rôle passif dans la résistance et le comportement des personnages. Par exemple, un héros en première ligne va attirer l’essentiel des coups des ennemis, il est donc préférable d’y mettre une classe de personnage plutôt orientée « tank » qui encaisse les coups. Inversement, un personnage en fond de ligne est rarement visé, et les archers y gagnent un bonus d’attaque à distance. Enfin, les personnages au milieu d’une formation peuvent bénéficier d’un bonus de résistance aux attaques. Ces différents éléments s’associent à une trentaine de classes de personnages à débloquer, soit via des quêtes optionnelles soit avec la progression de l’histoire principale. Manque de bol, certaines classes sont cachées derrière des quêtes qui peuvent être manquées (une notamment, aux conditions un peu particulières), obligeant pour les complétionnistes à recommencer le jeu afin de tout débloquer. C’est un moyen, pour le studio, de dire qu’une seule partie ne suffit pas : le jeu offre suffisamment d’embranchements pour justifier une deuxième partie. Dans les faits, le système de combat est assez facile à prendre en main, on reste sur du tour par tour classique, mais qui en plus du système de formations, repose sur une progression atypique. Un peu à la manière d’un Final Fantasy 2 ou d’un Secret of Mana, le gain d’expérience des personnages dépend de l’utilisation qu’on en fait. Par exemple, attaquer avec un arc permet de gagner de l’expérience dans la maîtrise de ce type d’arme, de la même manière, un mage qui utilise une boule de feu va gagner de l’expérience dans les sorts de feu. 

© SQUARE ENIX

Ainsi, les personnages et les classes qui leur sont rattachées sont façonnés par la manière dont on les utilise. De la même manière, les nouvelles compétences sont apprises grâce à un système de « lueur d’inspiration » (les « Glimmers ») qui se déclenchent de manière aléatoire après une attaque, un moment où le personnage apprend soudainement une nouvelle compétence. Celles-ci apparaissent selon le niveau du personnage et la liste des compétences qu’il reste à apprendre sur sa classe. Si les personnages n’ont pas vraiment de personnalité, s’agissant d’héritiers et de descendants qui récupèrent les statistiques et la progression de leurs ancêtres, chacun est lié à une classe qu’il convient de faire progresser si on veut avoir une équipe à disposition suffisamment adaptée aux situations qui se présentent à nous. Tous et toutes peuvent mourir définitivement, une fois leurs « PC » tombés à zéro (une dizaine de points qui symbolise le nombre de fois où les personnages tombent au combat). Mais c’est assez anecdotique, car on peut rapidement récupérer leurs descendants. Et comme on va rencontrer rapidement des boss et mini-boss assez ardus qui présentent des résistances spécifiques à la magie, aux armes à distance, ou même aux épées, il ne faut pas hésiter à expérimenter quitte à se mettre en danger, pour pouvoir avoir un éventail suffisamment large de classes à utiliser pour changer et adapter son équipe à tout moment. Quant à la difficulté elle-même, elle peut être choisie selon trois modes, de facile à difficile, ce dernier étant celle du jeu original. Il faut toutefois veiller à un autre élément, assez mal expliqué en jeu, mais dont on finit par s’apercevoir : faire tous les combats contre les monstres de bas niveau est la pire des idées. Il y a en effet un compteur de rencontres avec les monstres, chaque combat déclenché (qu’il soit gagné, perdu ou qu’on ai choisi la fuite) augmente ce compteur et… augmente la résistance des ennemis. Plus on passe de temps en combat, plus les ennemis seront puissants à l’avenir. Il est indispensable de trouver un bon équilibre entre améliorer le niveau des personnages et leurs affinités à certains sorts et armes, et limiter le nombre d’oppositions. Petite astuce : éviter tous les combats en contournant les ennemis sauf quand ceux-ci sont absolument nécessaires (monstre qui protège un coffre ou une porte, par exemple). 

Peut-être que je n’étais pas la bonne cible pour Romancing SaGa 2, un jeu qui a indubitablement son public au regard des fans qui l’ont célébré et qui le célèbrent encore aujourd’hui, mais qui à mon sens peine beaucoup à affirmer ses qualités à notre époque. S’il y a de jolies choses visuellement dans un remake entièrement en 3D très colorée, et une bande-originale réorchestrée qui a ses bons moments, son système de progression atypique et ses « successions » m’ont parue assez proches du simple gimmick. C’est ce qui lui permet de se différencier des nombreux J-RPG du début des années 1990, mais cela n’apporte finalement que peu de choses à un jeu à qui il manque ce petit truc en plus qui donnerait envie d’aller jusqu’au bout de l’aventure. L’écriture manque d’entrain, la faute à des personnages sans caractère, et les combats semblent vite répétitifs avec un système qui ne présente véritablement toute son étendue que lors des combats contre les boss principaux, c’est-à-dire les Sept Héros. Pour le reste, on navigue dans des donjons peu inspirés afin d’accomplir des quêtes à la narration limitée, en espérant que cela permettra de déclencher tôt ou tard l’apparition prochaine de l’un des antagonistes. Dans une année très concurrentielle sur le secteur des J-RPG, celui-ci sonne un peu creux.

  • Romancing SaGa 2: Revenge of the Seven est sorti le 24 octobre 2024 sur PC, PlayStation 4, PlayStation 5 et Nintendo Switch.
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Life is Strange n’est plus une série de jeu à présenter. Avec ses cinq jeux au compteur lorsque j’écris ces lignes, la série continue à trouver son publique depuis bientôt 10 ans. Cependant, les fans de la première heure ont une attache toute particulière envers deux personnages, à savoir Maxine Caulfield et Chloé Price, les héroïnes du premier jeu. En se replongeant rapidement dans le lore de cette saga, elle met en avant des personnages ayant des dons, des capacités spéciales qui leurs permettent de s’aider soi même, et surtout, d’aider autrui à échapper à un destin, souvent, funeste. Par exemple, Maxine peut voyager dans le temps, afin d’éviter aux problèmes d’arriver.

Ayant ce postulat en tête, Life is Strange Double Exposure (que je vais renommer LiS DE tout le long de cette chronique, pour des raisons évidentes) se déroule dix ans après les évènements du premier LiS. Nous retrouvons Max, devenu professeure de photographie, dans une université américaine, après avoir bourlinguée pendant plusieurs années. Elle pensait que son passé était derrière elle, se permettant ainsi de s’attacher de nouveau, cependant, Safi son amie et professeure dans la même université qu’elle, est retrouvée sans vie. Suite à cet évènement tragique, les pouvoirs de Max reviennent, mais pas exactement comme nous les avions dans le premier opus. Cette fois, il n’est plus question de revenir dans le temps, mais bel et bien de passer d’un monde parallèle à un autre. Par ailleurs c’est en se retrouvant dans cet autre monde, qu’elle se rend compte que son amie n’est pas décédée.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire par l’éditeur.

Une double dose

Life is Strange: Double Exposure © 2024 Square Enix Ltd. Developed by Deck Nine Games. All Rights Reserved.

Life is Strange est connu pour son côté « film interactif », bien que je déteste ce terme pour ce genre de jeu, force est de constater que le gameplay n’est clairement pas la priorité. Mais c’est bel est bien l’histoire qui est mis en avant dans cette saga de jeu, proposant ainsi des récits plus touchants les uns que les autres. Avec des thèmes abordés qui ont souvent un lien avec le monde réel actuel. Mettant ainsi en lumière, et trop peu représenté dans le monde vidéoludique, plusieurs communautés différentes. Mais à une différence près, la façon de faire de la saga LiS, est ultra respectueuse, plus encore, cela sert le récit et mieux, tout est fait pour que ce soit naturel. De fait, est ayant un tel postulat de départ, Life is Strange est vraiment le genre de jeu qui est plaisant à parcourir, tant que les histoires qui nous sont contées, sont originales et n’ayant pas une sensation de « déjà-vu ».

C’est ici que ça commence à coincer avec ce LiS DE. Car le choix qui avait été fait de continuer à sortir des jeux sous la même licence, mais en mettant en avant d’autres personnages principaux, et donc d’autres histoires, d’autres problématiques et d’autres traumas à régler, Double Exposure prend le choix de remettre en avant un personnage très apprécié des joueurs·euses, à savoir Max Caulfield. Seulement son histoire était réglé à la fin du premier opus. Certes il était possible de créer de nouvelles histoires pour ce personnage, mais le choix narratif qui a été fait pour LiS DE est assez discutable. Remettant en avant les mêmes choix moraux et les mêmes problématiques que pour le premier jeu. Cependant force est de constater que Deck Nine a été suffisamment intelligent dans son écriture, pour montrer que son personnage principal à évolué, changé et surtout apprit de ses erreurs. Mais je ne peux me contenter de ça…

Malheureusement, j’ai eu un sentiment de réchauffé une bonne partie de l’aventure. Fort heureusement cela change dans le dernier quart du jeu, proposant ainsi une nouvelle vision des choses, qui n’avait pas été abordé dans le premier opus. Mais force est de constater que je n’ai pas été autant touché qu’à l’époque. Les choix, que la saga de jeu nous a habitué à avoir, et étant la pierre angulaire du gameplay, agissant ainsi sur notre récit, semble être moins importants et impactant pour le récit en lui-même. Ce qui est assez dommageable lorsque l’on sait, ce que ce genre de jeu peut apporter scénaristiquement parlant. Je pense que cela est surtout dût à un manque de thème « fort ». Le genre de thème que l’on prend plaisir à se prendre en pleine face, car cela réveille quelque chose en nous, nous parle, nous touche. Peut-être suis-je simplement passé à côté, ou le fait d’avoir vieilli et connu d’autres choses, d’autres difficultés dans la vie, ont fait que ce Life is Strange Double Exposure me parle moins.

Quand la musique est bonne

Life is Strange: Double Exposure © 2024 Square Enix Ltd. Developed by Deck Nine Games. All Rights Reserved.

C’est très habituel pour cet saga de jeu, et ce dernier opus ne fait pas exception à la règle, la bande originale est absolument incroyable et choisi avec goût. Alors certes c’est un point de vue très subjectif, mais c’est le genre de chanson qui passe tellement bien dans cet esprit chill que procure le jeu. Toutes les chansons ont été choisi avec soin et évidemment collant parfaitement à l’ambiance des scènes. Parfois même, les paroles en disent beaucoup aussi sur les pensées et choix moraux des personnages. Je suis d’ailleurs entrain de l’écouter en écrivant ces quelques lignes et l’ambiance dans laquelle je suis, me replonge irrémédiablement dans les scènes du jeu. Mais si je devais en retenir qu’une, c’est étonnement celle qui a été choisi pour ouvrir le jeu, et est présente également dans le menu, à savoir Someone was listening de Dodie. Je ne saurais vraiment pas dire pourquoi mais cette musique me transporte. Entre sa basse en continue, le chant claire, la belle envolée à la fin du morceau… Bref, j’ai été particulièrement sensible aux choix des morceaux, et je pense que cet bande originale sera amenée à être écouté régulièrement.

Qu’attendre de Life is Strange maintenant ?

Comme vous l’avez sans doute senti au cours de votre lecture, Life is Strange Double Exposure a été pour moi une expérience en demi-teinte. Nous retrouvons en soit toute l’essence du premier LiS, avec ces choix importants à faire, une enquête qui découlera plus sur une découverte de soit et de ce que l’on a à apprendre de la vie. Une bande originale à tomber, un style esthétique très doux collant parfaitement à cette ambiance chill de la série. Mais il manque un je ne sais quoi supplémentaire pour réellement me toucher. Peut-être que le goût du déjà-vu à perturber mon appréciation globale, ou alors je suis passé à côté par un manque d’enjeu suffisamment personnel pour être touché ?

Toujours est-il que ce nouvel arc qui s’ouvre avec Double Exposure, car oui, spoiler qui n’a rien de très étonnant, il y aura une suite avec Max, peut avoir du potentiel en fonction de ce qu’ils en font. Pourquoi pas un éventuel retour à Arcadia Bay ? Et tout un tas d’autres théorie qu’il serait possible d’établir au vu maintenant des pouvoirs existants dans le lore de Life is Strange, je prendrais d’ailleurs un certain plaisir d’en parler avec vous, alors n’hésitez pas à m’en parler ! En bref, même si je ressors de ma nouvelle aventure avec Max, un peu déçu de ne pas avoir ressenti ce petit truc en plus, cela m’a fait tout de même plaisir de poursuivre ses aventures, et voir ce personnage que j’ai tant apprécié plus jeune, grandir avec son public.

  • Life is Strange Double Exposure est disponible depuis le 29 octobre 2024 sur PS5, Nintendo Switch, Xbox Series et PC.
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En 2018, le premier jeu vidéo indépendant d’un petit studio espagnol marquait les esprits : Gris, de Nomada Studio. Fondé par deux développeurs de jeux vidéo – Roger Mendoza et Adrian Cuevas – et un artiste visuel – Conrad Roset, le studio se démarquait avec un jeu particulièrement beau, avec une direction artistique de toute beauté à l’aquarelle et son intrigue autour de la résilience d’une jeune femme. Six ans plus tard, le deuxième jeu du studio se dévoile : Neva.

Le titre est attendu avec autant d’impatience que d’appréhension : est-ce possible de recréer le miracle artistique de Gris ? Si ce dernier a particulièrement brillé sur la scène indépendante, c’est parce qu’il propose un univers unique, témoignant du côté artistique des jeux vidéo. Il offre des couleurs et des tonalités à l’aquarelle, des formes géométriques aussi harmonieuses qu’oniriques. Mais aussi parce qu’il ose présenter au joueur et à la joueuse une histoire abstraite, sans dialogue, laissée libre cours à l’interprétation, suivant la narration des niveaux, l’évolution du personnage, des couleurs et de la musique. C’est ce qui a permis à Gris, outre sa patte graphique unique, d’être une telle expérience vidéoludique, y compris pour des non-joueurs et non-joueuses. L’atmosphère est sereine et non punitive, avec l’absence de mort potentielle de l’héroïne. Autant dire que Neva est donc attendu avec impatience en tant qu’œuvre, mais qu’il est également difficile de passer après Gris.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’une clé numérique par l’éditeur, jouée sur Xbox Series S.

Princesse des louves

La jeune femme Alba étreint Neva, encore louveteau, sous un saule pleureur.

© Neva, Nomada Studio, 2024

Neva s’ouvre sur une scène paisible en été. Une jeune femme aux cheveux blancs, Alba, est avec une grande louve blanche et son petit, dans une nature idyllique. Le ciel d’aube est d’un rose doux, se détachant au-dessus de lointaines montagnes. Les arbres sont florissants, les champs verts et emplis de diverses fleurs en pleine éclosion. L’endroit a des petites allures de paradis dont Alba – dont le prénom signifie « blanc » comme celui de la neige – et ses louves seraient les gardiennes.

Mais bientôt, l’euphorie du moment s’assombrit. Des oiseaux commencent à tomber du ciel, noircissant durant leur chute et se révélant ensuite parasités par une végétation noire. Et brutalement, d’autres ombres apparaissent, des sortes de créatures aux minuscules bras, mouvant, flottant, s’enroulant autour des trois personnages. Alba est très vite éjectée de la bataille, inconsciente. Quand elle se réveille, c’est toute la végétation qui est corrompue par la noirceur, et surtout, la grande louve aux bois de cerf gît, inerte. Il ne reste plus que son louveteau, Neva (« Neige ») qui se blottit avec peur dans les bras d’Alba. Qui se cache contre elle, sa nouvelle mère, partageant sa tristesse d’avoir perdu un être cher.

Une quête va alors commencer pour les deux protagonistes : Alba et Neva vont apprendre à se connaître, Neva grandissant peu à peu, et surtout parcourir la nature qui les entoure pour venir à bout du mal qui s’en est emparé, entre énigmes, exploration et combats. La jeune femme dispose en effet d’une épée pour se défendre face aux créatures d’ombre et d’autres boss. Et si, au début, elle doit apprendre à Neva comment explorer, bondir, l’encourager, ce sera bientôt la petite louve qui la secondera dans les batailles à venir.

Une architecture naturelle des niveaux

Neva et Alba parcourent la forêt, rencontrant des cigognes japonaises.

© Neva, Nomada Studio, 2024

Il est difficile de commencer le jeu sans être sensible à ses graphismes en 2D. La patte de Conrad Roset est immédiatement perceptible . On reconnaît son pinceau, son type d’aquarelle, la même fluidité de couleurs que dans Gris, la même capacité à créer toute une atmosphère par des nuances de teintes, tout en restant léger, presque vaporeux. Et pourtant, ce n’est pas un succédané du premier jeu du studio. L’univers de Neva est bien différent, se caractérisant davantage par l’absence de lignes clairement marquées dans les décors, délaissant le côté onirique pour mieux exprimer l’harmonie avec la nature et créer un monde vivant, palpable, presque organique. On y ressent un petit côté impressionniste, surtout dans l’esquisse des fleurs et des feuilles, détaillés comme des petits coups de pinceaux précis. L’artiste cite ainsi notamment le peintre français Monet pour son influence du jeu, mais également Princesse Mononoké de Hayao Miyazaki.

L’héritage du film de Ghibli sur Neva est en effet évident. On pouvait déjà retrouver dans Gris des petits esprits sylvains faisant penser aux kodomas du film. Dans ce second jeu, le design des ennemis fait surtout penser à la créature Sans-Visage du Voyage de Chihiro (une sorte de grande ombre sur petites pattes, vêtue d’un masque blanc inexpressif). Cela évoque tout autant la pourriture qui corrompt et possède les animaux de la forêt dans Princesse Mononoké, suite à l’industrialisation et la pollution des hommes. Évidemment, il y a aussi le personnage de la louve qui rappelle les loups géants du film, ceux-ci étant les gardiens de la forêt, doués de parole et étant capables de repousser la corruption parsemant la forêt. Il s’agit néanmoins d’une affiliation directement nommée et reconnue par Nomada Studio.

Gris est une œuvre qu’on sent imprégnée peut-être plus par l’art que par le gameplay. Dans Neva, c’est chose réparée. On trouve non seulement des énigmes, mais aussi de nombreux combats que le joueur peut choisir d’affronter, ou bien d’atténuer au maximum, grâce à un mode histoire qui rend Alba invincible et aide lors des phases délicates de plateforme. Esquive, saut, coup d’épée, aide de Neva à partir d’un certain moment : si les capacités d’Alba sont sommaires, elles sont néanmoins finement exécutées et apportent un vent de fraîcheur tout au long du jeu. Ce dernier ne cesse en effet de se renouveler : Alba en elle-même n’évolue guère en termes de gameplay, mais ce sont les niveaux qui vont proposer de nouvelles idées pour ne pas lasser la joueuse et le joueur. Les plateformes, loin d’exiger seulement des sauts, vont se complexifier. Un niveau où il faut sauter et combattre en prenant en compte son reflet, ce dernier faisant apparaître des choses invisibles dans la réalité ; utiliser un ennemi comme ressort vers d’autres plateformes ; utiliser des mécanismes parfois minutés pour changer les architectures de niveaux et atteindre des endroits inaccessibles…

Le gameplay du jeu se renouvelle suffisamment et propose de nouvelles choses, sans lasser durant les 4-5h qu’il vous faut pour conclure l’aventure. Même les combats évoluent peu à peu, les ennemis pouvant parfois utiliser des blocs de pierre, être sur plusieurs fronts, ou Alba peut aussi se servir d’éléments particuliers du décor pour mener un duel à bien. Cela nécessite toutefois de la précision et de savoir agir au bon moment, sans paniquer ni se précipiter, au risque de détruire les trois fleurs d’Alba, qui sont ses barres de vie. Un art du détail qui montre aussi bien la maîtrise du jeu que l’expérience acquise par le studio, afin de proposer un gameplay plus abouti et plus réfléchi encore que dans leur premier jeu.

La transmission et l’attachement dans un monde en conflit

Le monde d’Alba est en proie à une noirceur qui menace de tout détruire, allant jusqu’à posséder et tuer les autres animaux que nous croisons : sangliers, oiseaux, cerfs… Cela va jusqu’à annihiler les gardiens de la nature que sont les loups du jeu, dont les cornes rappellent ceux des wendigos. Ceux-ci sont certes des créatures horrifiques, mais ils sont aussi parfois considérés comme protecteurs de la forêt. Qu’est exactement cette noirceur ? Qui sont ces étranges êtres d’encre noire, aussi onduleux dans leur mouvement que voraces dans leur appétit ? On ne peut que faire des suppositions ; à l’instar de Gris, Nomada Studio nous laisse totalement interpréter les choses, même si les créateurs ont bien eu l’idée d’axes directeurs dans leur jeu :

« Neva is a love song dedicated to our children, our parents, and our planet. It tells the moving tale of a young woman and her lifelong bond with a magnificent wolf as they embark on a thrilling adventure through a rapidly dying world.

After finishing our previous game, Gris, we enjoyed a long period of tranquility and reflection. Our creative director, Conrad Roset, had just welcomed his son into the world and dedicated all of his time to raising him.

During this time, we began to really digest what was happening in the world around us. Climate change, social unrest, and most recently, the COVID-19 pandemic. All of this created an idea for the setting of Neva. We decided to focus our efforts on creating a game about the relationship we have with our children, and how we emotionally relate to them in often complicated contexts. » (Introduction issue du PDF fourni avec le code du jeu)

 

« Neva est un chant d’amour dédié à nos enfants, nos parents et notre planète. Il relate l’histoire émouvante d’une jeune femme, de son lien de longue date avec un magnifique loup, alors qu’ils embarquent dans une aventure risquée dans un monde en train de mourir.

Après avoir fini Gris, notre précédent jeu, nous avons profité d’une longue période de tranquillité et de réflexion. Notre directeur artistique, Conrad Roset, a eu son premier enfant, et a profité de ce moment pour l’élever.

Durant cette période, nous avons commencé à réellement digérer ce qui arrivait autour de nous dans le monde. Le changement climatique, l’intranquillité sociale, et plus récemment, la pandémie Covid-19. Tout cela a donné les fondations de Neva. Nous avons décidé de concentrer nos efforts sur la création d’un jeu qui parlerait des relations que nous avons avec nos enfants, et de comment nous nous connectons à eux dans ces temps complexes. »

Bien que l’histoire de Neva soit entièrement fictionnelle et même empreinte de fantasy, elle est donc une métaphore d’un état d’esprit de Nomada Studio, mais aussi du monde actuel. Il n’est alors pas impossible de voir la pourriture qui envahit le jeu comme une image de la pollution du monde (ce qui serait aussi une référence à Princesse Mononoké), comme une maladie revenant par cycles, ou encore comme un symbole de l’avidité humaine. Ne voit-on pas les étranges créatures noires tout dévorer sans distinction ? Ou pourtant, parfois, être immobilisées dans des attitudes de prière et d’imploration, soumises elles aussi à une force plus puissante ? A chacun.e de comprendre cela comme iel le souhaite.

Un paysage rouge et cauchemardesque où les monstres du jeu sont représentées par de longues mains.

© Neva, Nomada Studio, 2024

Si Neva est aussi un jeu extrêmement touchant, c’est par ce lien particulier de parentalité qui a nourri sa genèse. Alba s’occupe de Neva alors qu’elle n’est encore qu’un louveteau. Dans les premiers niveaux du jeu (la partie Été), Alba peut ainsi la cajoler, la rassurer, mais l’encourage aussi à avancer, à sauter, la défend contre les ennemis. Quand elle la perd de vue, elle peut l’appeler (ce sera le seul dialogue du jeu) d’un ton qui devient inquiet ou pressant, avant de s’apaiser quand elle la retrouve. Ces différentes intonations – peur, affection, amusement – transmettent toute la tendresse de la relation qui les unit. Puis Neva grandit peu à peu, devenant plus indépendante, plus rapide, s’affirmant et défendant sa mère adoptive. On y perçoit clairement le lien qui se tisse quand on s’occupe de quelqu’un, de l’aider à grandir, à s’affirmer, à s’adapter, que cela soit un enfant ou un animal de compagnie. Une parentalité qui, ensuite, nous revient quand Neva vient défendre Alba ; une parentalité qui doit aussi accepter de la laisser vivre sa vie et prendre ses propres décisions. Ce n’est pas un hasard si le jeu est divisé en chapitres illustrant chaque saison, permettant de voir l’évolution de Neva et son apprentissage du monde. Il illustre aussi le cycle des saisons et de la vie.

Un jeu de toute beauté

Neva est-il aussi touchant que Gris ? Son message est différent. Il touche peut-être moins intimement que Gris, qui évoquait le deuil, la dépression, la résilience. Mais pour toute personne ayant un enfant ou ayant un animal, il émeut avec une certaine puissance. On retrouve dans le jeu, à travers le lien unissant Alba et Neva, une sincérité, une innocence, une affection qui font que le coeur se serre. On y retrouve cette responsabilité qu’on peut avoir envers un autre, ainsi que la douceur qu’on a à lui apprendre à grandir et à le protéger.

Avoir donné à ce jeu une intention aussi différente du premier, tout en gardant ce côté artistique très prononcé, ces couleurs lumineuses et douces qui créent tout un monde, qui donnent toute une atmosphère aussi bien poétique que cauchemardesque selon les environnements… C’est ce qui le rend aussi unique. Il se démarque de Gris, bien qu’on en ressente l’héritage et le style, tant en direction artistique qu’en gameplay. En permettant davantage de combats, en jouant sur la perception des décors, en ayant deux personnages au lieu d’un, Nomada Studio réussit le défi de créer un nouveau jeu magnifique, émouvant, sans pour autant donner d’imitation – ce qu’on aurait pu redouter plus que tout. Même la musique, à nouveau produite par le groupe Berlinist, trouve des tons différents, plus apaisés, avec des sons ponctuels qui semblent résonner comme un bruissement de la forêt. Certaines musiques évoquent davantage un chœur sans paroles, comme si la nature prenait vie et s’exprimait à travers la mélodie. Neva est de toute beauté, d’une délicatesse rare : un baume pour le coeur.

  • Neva est disponible sur Playstation 4 et 5, Xbox Series, Nintendo Switch et Steamdeck depuis le 15 octobre 2024.
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Nom désormais connu des amateur·ices de la fantasy moderne, la jeune autrice sino-américaine Rebecca F. Kuang a rapidement trouvé un certain succès avec ses premiers romans publiés aux États-Unis, notamment la trilogie initiée avec La guerre du pavot (disponible aux éditions Actes Sud). Mais curieusement, c’est dans un autre genre qu’elle trouve son plus grand succès, en 2023, quand elle publie Yellowface (en VF aux éditions Ellipsis). Un thriller satirique sur le milieu de l’édition, où la place des auteur·ices issus des minorités interroge toujours. Bien loin de la fantasy à laquelle elle a donc habitué son lectorat, néanmoins, on découvre un roman bien rythmé, malin, et une critique acerbe de son propre milieu.

Appropriation littéraire

June Hayward est une autrice en mal de succès. Passionnée par la littérature, elle y a voué sa toute jeune vie et ne peut pas imaginer un avenir dans lequel elle devrait se cantonner à un travail de bureau, comme en rêvent pour elle ses proches. Mais toute la bonne volonté du monde ne suffit pas à trouver un succès qui lui échappe sans cesse, peinant à séduire le lectorat, et souffrant de quelques critiques plutôt négatives dans la très rare presse qui s’empare de ses bouquins. Loin d’auteur·ices qui aiment se réunir entre elleux pour s’auto-congratuler sur leurs propres succès, elle n’en reste pas moins une amie de la formidable Athena Liu, autrice sino-américaine. Anciennes camarades de classe, elles se voient de temps en temps et échangent sur leurs derniers accomplissements, provoquant secrètement l’ire de June car Athena est tout ce qu’elle rêve d’être : elle a le succès critique, le succès commercial, elle est riche, elle est belle et l’objet de tous les débats. La mort accidentelle d’Athena en début de livre, dont est témoin June, est alors l’occasion rêvée pour voler l’un de ses manuscrits encore secrets, le réécrire à sa sauce et le publier sous son propre nom. Et c’est comme ça que June trouve enfin le succès. Les prémices de Yellowface ne ressemblent ainsi qu’à une énième histoire de jalousie, qui anime indubitablement une jeune autrice qui n’arrive pas à comprendre pourquoi ses qualités littéraires ne suffisent pas à trouver la reconnaissance qu’elle espère. Mais le bouquin de R.F. Kuang est un peu plus que ça, car June ne vole pas n’importe quel manuscrit, elle vole une histoire qui revêt un caractère très personnel pour son « amie » décédée. Le manuscrit, c’est un roman qui retrace une partie de l’histoire des ouvriers chinois lors de la Première guerre mondiale, des hommes, principalement, recrutés par les gouvernements britanniques et français au début du siècle dernier pour intégrer le « Corps de travailleurs chinois » et participer à l’effort de guerre. Un bout d’histoire peu raconté, souvent présenté comme des hommes qui s’engageaient volontairement moyennant un bon salaire (pour l’époque), mais qui cache en réalité de nombreux sévices, racisme, et l’exploitation d’une main d’œuvre servile et pas bien chère. Ce qui, pour la véritable du manuscrit, autrice d’origine chinoise, ressemble à un hommage à ses racines, devient pour June la découverte d’une histoire qu’elle ne connaît pas vraiment, sur laquelle elle va se renseigner sur le tas, afin de se l’approprier et la faire passer pour le fruit de son esprit. 

Et c’est là que commencent à apparaître dans le livre des sujets variés autour du racisme, de la « tokenisation » de certaines personnes au sein de l’industrie, de l’appropriation culturelle et de la place d’une autrice blanche dans un récit fortement ancré dans l’histoire chinoise, qui interrogent, et qui poussent à questionner le caractère de June, jusqu’à probablement remettre en cause sa place « d’héroïne » au sein d’un roman aux forts accents satiriques. Cette satire se traduit d’abord par une approche du monde de l’édition qui ne lui voue aucune admiration ; pire, on sent dans les mots de R.F. Kuang un certain ressentiment sur la manière dont l’édition américaine se sert de certains récits pour adoucir sa propre conscience. On sent bien que Athena Liu, derrière son immense succès, plaisait bien à sa maison d’édition parce qu’elle pouvait ainsi mettre en avant une autrice venant d’une minorité ethnique tout en profitant de récits hautement consensuels, faisant d’elle un « token » selon l’expression américaine consacrée. C’est-à-dire une sorte d’alibi venant d’une minorité pour la bonne conscience médiatique d’un éditeur. C’est aussi, pour R.F. Kuang, l’occasion de régler ses comptes avec Twitter. Du haut de ses 28 ans, l’autrice a vu sa carrière naître à l’heure des réseaux sociaux, en a largement profité pour faire connaître ses premières œuvres, elle en maîtrise la communication et elle doit probablement sa carrière en bonne partie aux réseaux sociaux plus qu’à l’édition classique, comme beaucoup de personnes dans le monde littéraire ces dernières années. Mais elle en a également été une victime, entre les critiques sur sa vie privée (chose que l’on retrouve beaucoup dans la Athena Liu qu’elle raconte, qui ressemble à un personnage autobiographique) et les réactions hostiles à certaines de ses positions. 

June, l’esprit du mal

Dans Yellowface, Twitter ou encore Goodreads sont des plateformes capables de faire et défaire des carrières, où June, l’autrice-impostrice se plaît à lire les critiques dithyrambiques, jusqu’à devenir obsédée par la moindre critique de travers, la moindre notation en dessous de 5 étoiles, la moindre remarque sur son style littéraire. Mais on pourrait reprocher à l’autrice d’avoir une vision assez parcellaire du monde de l’édition. Dans le livre, son éditeur est vu comme une machine marketing qui n’a pratiquement aucun intérêt pour la qualité du livre : l’éditrice, notamment, que June rencontre, présentée comme une star de son industrie, n’a d’intérêt que pour les thématiques abordées dans le livre sans considération pour l’élégance ou la singularité du style. Elle ne pense que sujets à aborder dans la campagne publicitaire, création d’un narratif pour vendre le livre, et ne pense qu’aux chiffres à venir. À tel point que June, dans le livre, finit par admettre qu’un livre ne peut avoir du succès que si cela est décidé par un éditeur puissant, en dépit des qualités intrinsèques du livre. Si l’on n’a aucun doute sur le fait que ces sujets sont pris très au sérieux par les maisons d’édition, notamment les plus grosses, en 2024, il est quand même assez trompeur de penser qu’une carrière n’existe qu’à la bonne volonté desdits éditeurs : ils ne sont pas rares, les livres qui se plantent, quand bien même il y aurait un matraquage publicitaire, tandis qu’on vit à une époque où bon nombre d’auteur·ices parviennent à trouver leur public en auto-édition. Et c’est une position assez cocasse pour R.F. Kuang qui a trouvé le succès en partie grâce à des campagnes publicitaires bien ciblées sur les réseaux sociaux, puis avec la publication de Yellowface par l’énorme maison d’édition HarperCollins en 2023. Fait-elle son auto-critique ? 

Difficile de voir où s’arrête la satire et où commence la dénonciation, l’autrice brouille les pistes et ne cesse ainsi d’interroger sur son propre milieu, souvent de manière assez maladroite, mais le livre ressemble à un tel cri du coeur qu’il en devient un objet extrêmement captivant. Surtout que son écriture a quelque chose de prenant. Je ne pourrais me prononcer sur la qualité de la traduction française, l’ayant lu en anglais, mais force est de constater que R.F. Kuang a pris en compte les critiques sur ses précédents romans, lui reprochant un style un peu trop pompeux (c’est une universitaire, après tout) pour en arriver à quelque chose de plus terre à terre, plus naturel, et de fait plus impactant. La réalité et la fiction se mêlent dans un livre qui raconte la rapide descente aux enfers de son héroïne. Initialement juste une autrice en mal de succès, elle s’approprie peu à peu le travail d’Athena, l’autrice décédée, jusqu’à se convaincre elle-même d’être la véritable autrice du manuscrit. Arrivant rapidement à un point de non-retour, elle incarne la position d’une autrice blanche qui s’approprie la culture chinoise (le manuscrit est plein de petites phrases en cantonais, sans traduction), elle va même publier le livre sous un nom d’emprunt aux sonorités chinoises pour semer le doute sur ses origines ethniques et finir par admettre qu’au fond, on lui en veut parce qu’elle est blanche. June incarne cette frange critique d’un certain lectorat qui voit les auteurs et autrices venant de minorités ethniques comme des personnes à qui l’on facilite la vie, tandis que les blancs et les blanches auraient plus de difficulté à notre époque pour se faire entendre. Un débat sur lequel R.F. Kuang pose un regard plutôt intéressant au travers de son personnage. Elle ne nie pas la possibilité pour une personne de raconter une histoire sur une autre culture, pour peu qu’elle le fait de manière intéressante, avec des recherches approfondies, et avec respect, mais elle confronte aussi son héroïne à ses propres limites. Elle montre June comme une personne au racisme refoulé, une personne qui intellectualise son propre racisme en s’en servant comme moteur au manuscrit qu’elle réécrit, inconsciemment, sans apprendre à le remettre en cause et en se braquant lorsqu’il lui est reproché.

Yellowface est l’incarnation même de ce que l’on observe assez fréquemment sur ces différents sujets lorsqu’ils sont abordés dans la presse et sur les réseaux sociaux. Le récit vire dans son dernier tiers à un chaos absolu où la réalité et l’imagination de June s’entremêlent pour justifier ses pensées les plus viles. À l’image d’une presse qui ne saisit pas bien les implications de sujets tels que l’appropriation culturelle dans un milieu qui a encore besoin d’apprendre et d’évoluer ; R.F. Kuang raconte plutôt intelligemment la fine ligne entre racisme et figure littéraire, les limites entre un récit noble et un récit abjecte. Elle pointe du doigt, plutôt à raison, le manque littératie médiatique dont souffrent certaines critiques (professionnelles ou non) qui ne saisissent pas ce qui appartient au récit, ce qui revêt les pensées de l’auteur·ice, et le fait que l’on puisse raconter un personnage extrêmement problématique sans l’être soi-même. June est un personnage antipathique, qu’il est impossible d’apprécier au terme de la lecture, mais dont l’existence en tant qu’héroïne permet de traiter avec une pointe de malice les différentes thématiques pour leur donner plus d’impact au terme du récit. Évidemment, l’autrice aurait pu raconter la même histoire dans la peau d’un personnage bien sous tous rapports et qui dénonce la manœuvre à chaque page, mais cela n’aurait servi qu’à se conforter dans ses propres certitudes. Au lieu de ça, R.F. Kuang interroge, challenge, critique et dénonce, jusqu’à faire retomber le récit sur ses pieds et révéler ses véritables intentions. Malgré ses faiblesses, sa vision un peu simpliste de l’édition avec laquelle elle avait vraisemblablement des comptes à régler, elle propose avec Yellowface un excellent roman satirique, où le manuscrit volé devient la malédiction d’une vie. 

  • Yellowface est disponible en traduction française aux éditions Ellipsis depuis le 2 mai 2024. 
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Symbole d’un rythme survolté, la série des Ys développée par Nihon Falcom jouit d’une réputation qui n’est plus à faire dans le petit monde des J-RPG. Ses combats en temps réel au rythme intense, ses compositions musicales pleines de guitare électrique et son sens de l’aventure en font une saga à part. Longtemps chasse gardée du Japon, les Ys ont toutefois fini par se faire une place en occident autour des années 2000-2010, sans battre la popularité des ténors du genre, mais en amenant une certaine fraicheur qui lui a permis de trouver un public. Ce mois-ci, c’est le dixième épisode, intitulé Ys X: Nordics qui pointe le bout de son nez et qui nous emmène à l’abordage d’une région fortement inspirée de la mythologie viking. Drôle de mélange mais qui fonctionne sacrément bien.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire PS5 par l’éditeur. Le jeu a été terminé en environ 90 heures (histoire + la quasi intégralité du contenu secondaire).

Soif d’aventures

© Nihon Falcom Corporation. All Rights Reserved.

Adol Christin, héros aux cheveux rouges de tous les Ys, dont le navire est abordé par des Normans et s’échoue sur Carnac, une des nombreuses îles d’un drôle d’archipel. Les choses tournent au vinaigre, évidemment, et le héros se trouve pris au milieu d’une attaque de Griegers, sortes de monstres locaux, qui enlèvent la quasi-intégralité des habitant·es de l’île. Déterminé à les retrouver et les sauver, il s’allie avec Karja, dont il vient de faire la rencontre. Cette jeune guerrière vient donc de la tribu des Normans, un peuple à la forte inspiration viking, et les deux découvrent qu’iels sont lié·es par le destin. Les prémices sont classiques, comme toujours dans les aventures de Adol, il débarque quelque part et ça tourne mal, néanmoins Ys X prend vite le parti de recentrer sa narration sur l’aventure elle-même. Essentiellement défini par sa soif de découvrir le monde, Adol prend le commandement d’un nouveau navire aux côtés de Karja afin d’aller explorer les nombreuses îles de l’archipel, afin de retrouver les habitant·es enlevé·es et déterminer l’origine de ces curieux monstres qui commencent à s’en prendre aux humain·es. Et il y a un twist : Adol et Karja sont soudainement lié·es par le mana, avec une sorte de force physique émanant de cette concentration magique et qui les relie, concrètement, par une chaîne attachée à leurs poignets. Ainsi, le jeu a trouvé la meilleure excuse pour empêcher ses deux personnages de s’éloigner l’un de l’autre, avec un gameplay qui s’en inspire très largement comme on le verra un peu plus bas dans cet article. 

Pas toujours brillant pour l’écriture de son héros, qui reste assez inconséquent dans sa position de coquille vide à laquelle on greffe un peu ce que l’on veut, Ys X:  Nordics étonne néanmoins sur celle de Karja. L’héroïne aux faux airs de guerrière viking incarne toute la nuance d’un jeu qui sait manipuler sa narration pour étonner à plusieurs reprises. Au départ simple archétype de la forte tête, Karja devient peu à peu un personnage plus subtile, presque tortueux, interrogeant sur son passé et ses actions, sur son objectif et sa place dans un monde essentiellement régit par la loi du plus fort. Autour d’elle et d’Adol, de nombreux personnages aux intentions variées, mais toujours aptes à donner un coup de main pour faire grossir l’équipage du navire, véritable hub de l’aventure. C’est à son bord que l’on fabrique des remèdes, améliore des armes, tout en partant explorer les îles et en se lançant dans quelques batailles navales occasionnelles. C’est ce qui symbolise le mieux ce titre, qui met plus que jamais l’accent sur une certaine vision de la liberté, même si l’aventure reste assez linéaire. Mais on se plaît à prendre le navire et à se balader, à trouver quelques secrets, et à tester les nouvelles armes installées pour couler plus vite celles et ceux qui nous embrouillent. Quant à l’histoire, elle est assez attendue, mais elle trouve quelques moments à l’intensité dramatique qui peut être surprenante, avec des moments émouvants et des thématiques très dures qui suggèrent les difficultés auxquelles ont été confrontées les différents personnages. La plupart des gens qui rejoignent l’équipage sont passés par le traumatisme de l’enlèvement par les Griegers, mais aussi par d’autres évènements pas beaucoup plus heureux.

Solides fondations pour un jeu en quête de modernité

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S’il y a une chose qui définit plutôt bien la saga des Ys, c’est leur rythme soutenu. Vitesse de déplacement des personnages, intensité des combats et rapidité d’exécution des coups spéciaux, tout est fait pour que les choses éclatent de partout. Comme à leur habitude, et malgré le monde « ouvert » induit par l’exploration avec le navire, les îles à explorer sont assez petites, les donjons également, les personnages courent vite, les déplacements sont fluides grâce à une sorte de « surf » magique et un grappin pour l’exploration verticale. Le rythme endiablé est d’autant plus marqué que la bande originale nous donne envie de nous dépêcher de taper tout ce qui bouge grâce au génial groupe interne de Falcom nommé jdk BAND. Ce groupe de compositeur·ices est comme à l’accoutumée à l’origine des excellentes musiques qui nous accompagnent. Et dans la plus pure tradition des Ys, on nous envoie des riffs de guitare absolument géniaux qui tranchent avec les compositions orchestrales habituelles des J-RPG. Pas de doute, Ys X est bien dans la droite lignée de ses prédécesseurs et le fait très bien, tout étant fait pour que l’on s’y éclate entre deux séquences narratives. C’est d’autant plus appréciable que la qualité des compositions ne redescend jamais, avec une bande originale dense qui sait accompagner les meilleurs moments du jeu. Véritablement centrale à l’expérience, c’est elle qui donne le ton et qui rend l’exploration aussi agréable. Parce qu’on ne se lasse pas d’écouter les compositions, et qu’elles motivent à toujours aller un peu plus loin, malgré l’apparente répétition de certains combats avec un bestiaire qui ne se renouvelle qu’assez peu. Heureusement, les boss sont variés, et offrent de vrais bonnes oppositions.

Côté gameplay, on retrouve aussi ce qui fait le fort de la licence avec des combats rapides, en temps réel, reposant sur des combos à effectuer entre différents types de coups : faible, fort, et compétences à utiliser via un raccourci simple (R1 + croix, carré, triangle ou rond sur PS5). Mais Ys X: Nordics arrive avec une nouveauté, celle des combats en duo. En contrôlant uniquement Adol et Karja tout au long du jeu, le titre tente d’éviter l’overdose en proposant une variété supplémentaire de combos puisqu’en appuyant sur la gâchette droite de la manette, les deux personnages se mettent à frapper ensemble et peuvent déclencher des coups spéciaux à deux. Les points de dégâts infligés aux adversaires sont ainsi décuplés, néanmoins, le « coût » de cette manoeuvre est que chaque coup pris par l’un des deux personnages est valable pour les deux. Il faut donc bien faire attention à ne pas les contrôler en duo lors d’une attaque ennemie qui ne peut pas être contrée. Un certain nombre coups spéciaux ennemis, symbolisés par une aura rouge en amont de l’attaque, peuvent eux être contrés à deux. Ainsi le système de combat malgré son apparente facilité oblige à toujours faire attention à ce qu’il se passe à l’écran, en gardant en tête que les combats peuvent vite tourner au vinaigre avec des ennemis, quand ils sont plusieurs, qui n’hésitent jamais à balancer leurs pires attaques au même moment. L’autre pan du jeu, c’est les batailles navales, qui sont assez faciles à aborder néanmoins agréables et qui gagnent en intensité à mesure que l’on améliore la puissance du navire et débloque de nouvelles attaques grâce à des plans et de l’artisanat au moyen de ressources récupérées au fil de l’exploration. Plutôt basiques, ces batailles obligent toutefois à toujours rester en mouvement et bien exploiter les différents types de boulets de canon, entre ceux qui permettent de percer les défenses, de provoquer des dégâts, ou de ralentir la progression des navires avec des boulets glaçants. 

Des faux airs de renouveau

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Si les Ys ont toujours voulu célébrer l’aventure, d’abord du héros Adol dont l’existence même tourne autour d’un besoin de partir à l’aventure, ce dixième épisode l’incarne entièrement en laissant l’exploration plus ou moins libre via le navire. Initialement plutôt pénible avec un navire qui traîne la patte, elle prend plus d’envergure dans la deuxième moitié du jeu après avoir suffisamment amélioré le navire pour avancer plus vite, et multiplier les zones où l’on peut découvrir quelques secrets. La carte du monde est toutefois compartimentée et s’ouvre à mesure que l’on avance dans l’histoire principale, donc le jeu reste assez linéaire dans son approche, mais il y a un nombre important d’ilots à explorer où il est possible de trouver des plans de construction pour le navire, des « sphères » uniques à utiliser dans l’arbre d’amélioration de chacun des deux personnages pour augmenter leur puissance, ou encore des quêtes secondaires aux intérêts variés. Pour l’essentiel, les quêtes secondaires reposent sur une structure simpliste, mais quelques unes offrent une vision vraiment intéressante sur les évènements qui touchent le monde dans lequel le jeu évolue. Néanmoins cette exploration peut être parfois entachée par un style visuel en retard. Les Ys n’ont jamais été des foudres de guerre en matière graphique, et on sent que malgré ses qualités artistiques, le jeu a quelques générations de retard. Mais avec des personnages mieux définis, des attaques aux nombreux effets visuels très réussis, et plus généralement une direction artistique qui digère bien les limitations techniques, on obtient un tout avec certes peu de diversité de tons, mais qui ne lasse jamais et qui offre quelques jolies choses. 

Fidèle aux principes de la saga, Ys X: Nordics amène toutefois les petits plus que l’on attendait pour l’emmener un peu plus loin. Qu’il s’agisse du vent de liberté qui souffle dans un jeu à la structure pourtant linéaire, des combats qui bénéficient grandement du système d’attaques synchronisées entre Adol et Karja, ou de l’écriture qui sait surprendre aux moments clés avec des changements de tonalité qui compensent son apparente légèreté. Très fort dans ses meilleurs moments, ce dixième épisode canonique emmène la formule encore un peu plus haut et sait multiplier les arguments pour séduire un public qui pourrait se laisser bercer par l’envie irrésistible de partir à l’aventure dans les étendues marines d’un archipel en proie à une guerre de civilisations, sur fond d’une bande-originale dans la plus pure tradition de la saga. 

  • Ys X: Nordics est disponible depuis le 25 octobre 2024 sur PC, PlayStation 4, PlayStation 5 et Nintendo Switch.
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Après une pause en septembre, la rentrée d’octobre est assez tranquille pour la collection DC Infinite chez Urban Comics avec un seul et unique comics. Alors que Halloween approche à grands pas, pas d’horreur, mais une crainte fait son apparition : et si le plus grand héros de DC, Chevalier Noir de son état, défenseur de la veuve et de l’orphelin, pilier de Gotham, était trop vieux pour ces conneries ? Une drôle de question que se pose Chip Zdarsky dans le cinquième tome de Batman Dark City, série de la continuité principale Batman.

Cette chronique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire par l’éditeur.

Batman Dark City – Tome 5, le vivant et la machine

La question de l’âge dans les comics de super héros est un éternel tabou. Si les super font des enfants et les voient grandir, les têtes d’affiches de DC ne prennent guère d’âge, en dehors de quelques histoires occasionnelles en one-shot. Souvent restés entre 30 et 50 ans, ces personnages ne voient jamais arriver l’impact de l’âge : le corps qui perd de sa force, les problèmes de santé, mais aussi la difficulté à suivre et digérer les nouvelles tendances et technologies. Alors ce n’est pas étonnant que Chip Zdarsky, petit malin s’il en est, mette les pieds dans le plat en abordant frontalement dans le cinquième tome de son Batman Dark City avec un Bruce Wayne vieillissant, dépassé par ses propres créations, par ce qu’il a engendré, et qui n’a semble-t-il plus la force de combattre. Toujours empêtré dans les conséquences de ses actions passées, à commencer par la création de sa personnalité alternative Zur-en-Arrh, sorte de « surmoi » désinhibé, sans les limites d’un Bruce Wayne à la morale infaillible, et celle de Failsafe, un androïde imbattable censé s’activer le jour où Batman commettrait un impair. Les choses ont mal tourné depuis longtemps maintenant et notre très cher justicier masqué n’en peut plus de voir Failsafe détruire tout ce qu’il a construit, mais il est empêché dans ses mouvements par un corps qui commence à lui désobéir, qui n’a plus la force d’autrefois, et qui ne peut plus encaisser les coups.

© 2024 DC Comics / Urban Comics

Zdarsky s’en sert pour poser une question simple : et si Batman était trop vieux ? Voir un héros disparaître par choix, parce qu’il a été tué, ou parce qu’il s’est exilé quelques temps, c’est monnaie courante (jusque’à la prochaine réapparition). Mais un héros qui admet qu’il est juste trop vieux, trop cassé, cela arrive beaucoup moins. On sent que l’auteur prend un malin plaisir à imaginer cette possibilité, et le dessinateur Jorge Jimenez rend honneur à son excellent manuscrit avec de très jolis dessins. Aborder la vieillesse de Batman est aussi l’occasion d’une introspection, inévitable pour enfin trouver une solution à la terreur imposée par Failsafe, lui qui a résisté à toutes les attaques de Batman car il le connaît parfaitement ; il est une émanation de sa pensée. C’est une approche finalement assez maline, avec un sous-texte vite évident, entre l’homme imparfait, faillible, qui perd peu à peu la force de sa jeunesse, face à une machine jugée parfaite, inévitable, intouchable. Un idéal s’oppose à un programme qui ne fait guère de sentiment, et dont le manque d’humanité sera inexorablement la chute. 

Est-ce que le récit est à l’épreuve des critiques ? Peut-être pas, sa résolution est sûrement moins mémorable qu’espérée, et ses intentions assez vaines car série régulière Batman oblige, notre cher héros va vite retrouver la force de sa jeunesse pour passer au prochain arc narratif. Néanmoins, ce cinquième tome conclut plutôt bien l’histoire autour de Failsafe et s’offre quelques très jolis moments, comme la complicité rarement vue entre Bruce et son fils adoptif Jason Todd, ou un intérêt retrouvé à une « Bat-family » qui s’était un peu dispersée avec le temps. Et puis, rien que pour les dessins de Jorge Jimenez, chaque planche est un plaisir, illustrant avec talent sa propre complicité avec l’auteur dont il semble saisir toutes les intentions. 

  • Le tome 5 de Batman Dark City est disponible en librairie depuis le 25 octobre 2024.
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Broken Lens est un jeu d’observation sorti le 22 juillet 2024. Il est produit par l’équipe française de la Team Run, composée notamment du développeur Hephep. Et si vous excelliez, enfant, au jeu des sept différences, alors Broken Lens est pour vous ! A moins que vous ne soyez juste en quête d’un jeu chill à faire sur plusieurs soirées…

Cette critique a été réalisée suite à l’envoi d’une clé par l’éditeur.

L’histoire d’un petit robot

La cinématique d’introduction de Broken Lens nous place dans un monde étrange, peuplé de petits robots parfois fracassés, de créatures qui ne sont pas rappeler celles des animes japonais ou de Miyazaki, entre végétation, terre… et mécanique aussi. La foudre s’abat sur un pilier où notre petit robot s’abritait. Voilà que la lentille d’un de ses yeux est cassée : désormais, sa vue est troublée et occasionne le jeu des sept différences. Le joueur ou la joueuse est ainsi invité(e) à voir à travers son regard et à chercher ces détails différents d’un œil à l’autre, pour retrouver la réalité. Un clic sur la différence repérée, et hop ! La voilà disparue. Au cours de cette petite quête, on en découvrira alors plus sur le monde étrange de ce petit robot…

© Broken Lens, Team Run, 2024

Le postulat de Broken Lens est ainsi très simple. Dans une interview de Actugaming, on découvre qu’il est né de l’envie du directeur artistique, Encre Mécanique (par ailleurs également tatoueur), de créer un jeu qui ne serait ni trop simple ni trop complexe à partager avec son neveu, facile à prendre en main et également intéressant. On replonge donc dans les souvenirs d’enfance en reprenant le jeu des 7 différences, mais dans un jeu vidéo, à plus grande échelle… Car ce sont pas moins de 6 biomes (écosystèmes) avec 10 images chacun, que nous explorerons, soit une soixantaine de niveaux !

Le but du jeu est également d’encourager le partage, l’expérience à plusieurs. Avec un principe aussi simple, tout le monde peut participer, d’autant que c’est bien connu : on passe une heure à chercher quelque chose et c’est une autre personne, avec un regard plus neuf, qui va trouver ladite chose en trente secondes, à notre grande frustration. Broken Lens se veut donc un jeu de partage, et y encourage d’ailleurs ses joueurs et ses joueuses avec l’existence d’une intégration Twitch spécialement pensée pour sa communauté. Cette revisite du jeu des sept erreurs a été notamment influencée par d’autres jeux qu’on qualifie de « cherche et trouve », comme Hidden Folks 1 et 2.

Un monde empli de détails et de décors variés

Ce qui fascine immédiatement avec Broken Lens, c’est sa direction artistique. Chaque biome visité a son univers, ses couleurs, ses personnages. Un soin du détail qu’on ressent pleinement, d’autant que tout a été dessiné à la main par Encre Mécanique : c’est ce qui rend chaque univers si vivant, alors que ce qu’on voit demeure une image figée, avec quelques différences. Petites créatures noires et rondes, robots à deux yeux comme notre petit héros ou drones-hélicoptères, petites plantes aux yeux et expressions bien humains, oiseaux, maisons organiques ou de pierre… Les paysages parcourus sont très variés, donnant une impression d’un monde complexe où chaque écosystème a son propre style de vie, avec des protagonistes récurrents.

© Broken Lens, Team Run, 2024

Comment trouver les différences ? Les premiers niveaux sont très faciles avec une prise en main expliquée par un schéma dans le journal du petit robot. Il notera plusieurs informations au cours de l’aventure, et y recopiera des morceaux de parchemins traînant ici et là dans les tableaux. Mais si au début, trouver les différences semble facile, le jeu devient rapidement plus corsé. On s’habitue à rechercher à certains endroits : les expressions d’un personnage, une inversion de sens d’un symbole, des formes plus ou moins grandes, des créatures apparaissant en plus… Mais ce n’est pas si simple, loin de là, et certains tableaux vous donneront du fil à retordre, tant il s’agit d’un simple détail. Le jeu utilise aussi avec brio les parallaxes : quand on bouge notre regard (notre curseur), on observe avec quelques millimètres de décalage l’arrière-plan, qui peut alors dévoiler une autre différence.

Heureusement, le jeu vous accorde la possibilité de zoomer sur l’image pour observer de plus près les détails. Et si besoin, une petite aide (un symbole vert en bas au centre de l’écran) est disponible, se remplissant progressivement une fois que vous l’avez utilisé. Le jeu vous encerclera alors la zone où chercher la prochaine différence. Toutefois, si jamais vous vous aventurez à cliquer un peu partout au hasard (et qui ne l’a pas fait, en s’agaçant sur un détail à trouver?), de la boue se mettra sur les lentilles du robot et vous devrez les nettoyer avant de continuer. Alors, prenez votre temps, reposez vos yeux quelques minutes, et revenez ensuite.

Une difficulté accessible, mais pas simpliste

© Broken Lens, Team Run, 2024

Car c’est aussi cela que le jeu incite à faire : prendre le temps. La musique de Broken Lens (composée par Yomoeh) est en effet très relaxante et douce, nous invitant à ralentir, à chercher soigneusement, à profiter des détails des tableaux. A essayer d’imaginer leur histoire, leur connexion. Car petit à petit, un fil se tisse entre toutes ces images et ces mondes, avec des personnages récurrents… jusqu’au dernier biome qui vous fera davantage comprendre l’histoire du jeu, et la raison d’être de l’univers du petit robot. Le monde autour de lui paraît de prime abord très fantaisiste, mais il y a bien une logique autour de tout cela. Et c’est d’ailleurs un véritable plaisir de découvrir la suite de chaque tableau, de s’émerveiller devant chaque recoin de l’image qu’on contemple. Le soin apporté aux dessins et aux couleurs donne l’impression de vraiment voyager, d’arriver dans un monde inconnu avec ses propres règles. Et pourtant, on ne peut s’empêcher de trouver adorables ces robots, plantes, créatures, qu’on sent à la fois innocentes et joyeuses.

Et si vous aimez les énigmes, alors vous pourrez essayer de décoder le journal du robot et trouver cinq secrets éparpillés dans les biomes : alors vous pourrez comprendre toute l’histoire de ce monde si étrange, entre nature et mécanique. On peut peut-être regretter toutefois la difficulté pour y arriver, car on peut aussi choisir de ne trouver qu’une majorité d’erreurs dans les tableaux et passer ainsi d’un biome à l’autre, manquant le fil total de l’intrigue. Mais si vous êtes collectionneur de succès, nul doute que vous mettrez tout en œuvre pour avoir la satisfaction de trouver toutes les différences de Broken Lens.

Conclusion

Broken Lens est un petit jeu indépendant de réflexion et d’observation, où votre regard et votre perception sont mis à rude épreuve. Loin d’être sommaire en dépit de son concept tout simple, il propose aussi un univers bien à lui, avec ses créatures, ses décors, ses couleurs, qui ne sont pas sans rappeler des dessins animés ou des jeux d’enfance. Il est aussi idéal pour qui veut un jeu cosy, sans peur de mourir, sans contraintes de temps, d’efficacité ou de rapidité. Broken Lens fait tout pour nous faire passer un bon moment. Et si parfois, on s’use les yeux pour chercher la dernière différence qui nous manque, son univers unique est vraiment superbe à regarder. Quant à l’histoire derrière, je vous laisse la découvrir, mais elle est loin d’être aussi légère qu’on pourrait le croire : elle est même assez émouvante quand on arrive à la fin. Pour compléter le jeu à fond, avec toutes les erreurs et les secrets, vous y passerez certainement une dizaine d’heures, mais il peut se terminer plus rapidement en se contentant du minimum de différences pour avancer.

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Découvrir l’Islande à travers un manga ? Voilà qui n’est pas habituel, puisqu’on s’attendrait davantage à ouvrir un pan de culture japonaise. Dans le sens du vent, écrit et dessiné par Aki Irie, est une exception à la règle. Possédant actuellement six tomes et toujours en cours de publication, cette série nous entraîne dans les pas de Kei, jeune Japonais immigré en Islande. Et si je vous en parle, pour moi qui n’ai pas tant que cela l’habitude des mangas, c’est bien parce que c’est un petit coup de cœur.

La beauté de l’Islande

Aki Irie s’est rendue en Islande. Elle a été totalement subjuguée par la beauté de ses paysages désertiques, par cette nature à la fois sauvage et immense, où les humains, comme la végétation et les animaux, doivent s’adapter pour vivre. L’Islande n’est en effet que landes emplies de bruyères et terres volcaniques, si bien qu’il est encore difficile d’y cultiver quoique ce soit, avec des températures toujours très froides et un vent incessant. Dans le sens du vent a ainsi été inspiré par sa fascination pour ce pays, extrêmement différent de son Japon natal. Il s’agit ici de son quatrième manga, après notamment Le monde de Ran.

Dans le sens du vent – © Soleil 2020

Dans le sens du vent, c’est l’histoire de Kei, un adolescent de 17 ans qui a choisi d’émigrer en Islande. Il vit désormais avec avec son grand-père français Jacques. Ses parents sont en effet décédés. Il laisse derrière lui un petit frère, Michitaka, vivant au Japon chez un oncle et une tante. Kei n’est pas n’importe quel adolescent, comme on le découvre dans les premières pages. Il possède le pouvoir de communiquer avec les objets (psychométrie). Il gagne sa vie en résolvant des petites enquêtes (cas d’infidélité, retrouver des personnes disparues, etc.) puisqu’il peut lire le passé de n’importe quelle machine : voiture, téléphone, pc portable, etc. C’est le deal qu’il a conclu avec son grand-père afin de continuer à vivre chez lui. D’ailleurs, Jacques a lui aussi un pouvoir surnaturel – plus poétique et davantage relié au monde animal ! Mais le quotidien bascule quand Kei apprend que son frère est recherché, pour le potentiel assassinat de son oncle et de sa tante. Le détective amateur va alors mener l’enquête, tout en partant à la recherche de Michitaka…

Kei ne vivant pas depuis si longtemps en Islande, le manga est aussi l’occasion de la confrontation des cultures japonaises et islandaises. Un de ses amis d’enfance vient ainsi lui rendre visite pour la première fois. C’est l’occasion de découvrir des paysages d’Islande, des coutumes et des magasins locaux, la gastronomie du pays… Mais le manga aborde aussi la différence de traitement de certaines thématiques entre les deux contrées, comme l’homosexualité par exemple. Le modèle de société japonaise, basé sur la réussite sociale et professionnelle, s’oppose ainsi ainsi au mode de vie islandais, où la vie est toute aussi chère, où la nature fait partie intégrante de la vie. Tous les habitants ont ainsi un pack de secours dans leur voiture (vivres, sac de couchage, chargeur…) au cas où ils tomberaient en panne lors d’un trajet. Lors de la visite de certaines régions désertiques, on attend toujours un second véhicule pour nous accompagner, juste par mesure de précaution.

C’est une infinité de détails que l’on découvre ainsi, toujours soulignés par le soin apporté au dessin par Aki Irie : les vêtements chauds des Islandais, les lignes courbes et immenses, évasés, des paysages naturels… On ressent un véritable dépaysement par le côté tranche de vie du manga, et par la beauté de ce pays inhabituel. On se sent petit, perdu, vivant dans l’immensité, là où le Japon se caractérise surtout par le bruit incessant de la capitale et de son animation moderne.

Une intrigue mêlant le surnaturel, l’enquête et la tranche de vie

Le côté seinen du manga se ressent par la caractérisation des personnages de Dans le sens du vent. Les personnages sont finement caractérisés, jamais unilatéraux. Kei apparaît d’abord comme un adolescent solitaire, un peu brut de décoffrage et impétueux. Il est néanmoins épris d’une certaine justice, il est aussi un ami fidèle. Il n’est pas toujours prompt à rendre service aux autres, parfois bougon, mais il le fait. Sa passion pour la viande, dont il pourrait avaler des kilos, prête toujours à sourire. Bien que taciturne et mystérieux, le personnage séduit par son style à la fois beau et négligé. Son caractère est aussi déterminé que surprenant. Jacques pourrait passer comme un coureur de jupons, mais renferme aussi un cœur d’or et une tendresse profondes. D’ailleurs, il fait souvent preuve d’une sagacité qui tempère l’impulsivité de son petit-fils.

Dans le sens du vent – © Soleil 2020

L’autrice n’est pas en reste quand il s’agit de caractériser d’autres personnages. Michitaka, dont le design est celui d’un enfant blond aux traits angéliques, se révèle vraiment trouble et ambivalent. On ne sait guère si on doit lui faire confiance, entre sa difficulté d’empathie et ses caprices enfantins.

Impossible de ne pas mentionner aussi Lilja, une Islandaise très attachée à la nature de son pays et musicienne.  Son sale caractère fera des étincelles avec celui de Kei. Leur relation part en effet sur des malentendus, et ne cessera de passer entre chamailleries, disputes, sales tours et moments plus harmonieux. On sent que la relation entre eux pourrait être amoureuse, les contraires s’attirant – ce qui donne par ailleurs droit à quelques images sensuelles mettant Lilja en valeur. Enfin, une fois que les deux protagonistes auront vraiment appris à s’apprivoiser !

Un manga chill et énigmatique à la fois

Actuellement composée de 6 tomes (le tome 7 est sorti en février 2024 au Japon), Dans le sens du vent est une série assez atypique, surtout pour son cadre d’histoire. Il est vraiment fascinant de découvrir l’Islande à travers un regard japonais, les paysages de ce pays devenant un personnage à part entière. L’Islande devient un moyen de révéler les héros et héroïnes du manga, les mettant face à la solitude, à des contrées sauvages, à des situations inhabituelles et quotidiennes. Sur cette toile de fond de confrontation des cultures et du récit tranche de vie, l’intrigue demeure imprégnée de mystères, chaque détail s’assemblant petit à petit comme les pièces d’un puzzle. Michitaka est-il coupable ou innocent ? Que cache Lilja derrière sa froideur et son sale caractère ? Les enquêtes de Kei en mènent aussi à en savoir plus sur son personnage, à le découvrir au-delà de sa facette taciturne, tout en évoquant avec finesse ses relations avec ses amis et sa famille.

Vous l’aurez compris, je ne peux que recommander Dans le sens du vent. Par son originalité, par son intriguant mêlant surnaturel et moments du quotidien, la série m’a complètement séduite. Elle permet de découvrir un pays dont on ne sait généralement pas grand-chose et ses rebondissements, petites intrigues, sont suffisamment variés et drôles pour qu’on garde un véritable intérêt pour le récit.

De plus, la manière d’écrire et de dessiner les différents personnages les rend vraiment attachants, tout en laissant planer un certain suspense et une belle ambigüité sur certains. Et malgré certains moments durs – violence, assassinats – le manga a également un côté assez chill par son ambiance tranche de vie, par la poésie de ses paysages sauvages et par sa musique. Une superbe découverte, dont j’attendrai les prochains tomes avec impatience.

  • Le manga Dans le sens du vent est disponible aux éditions Soleil Manga  depuis 2020. La série comporte actuellement 6 tomes et est toujours en cours de publication.
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