J’ai une profonde affection pour le cinéma de Thomas Vinterberg, un réalisateur danois qui, à travers ses œuvres, parvient à capter ce qu’il y a de plus sombre ou de plus lumineux dans l’âme humaine, sans jamais la juger. C’est le cas dans son second film : Festen, aujourd’hui un classique de la scène danoise, mais aussi des métrages plus connus comme La Chasse ou Drunk, (lequel fut ni plus ni moins un coup de cœur.) C’est donc avec une curiosité certaine que je me suis orientée vers sa première série, disponible sur Canal +, en France : Families Like Ours.

« Il y a quelque chose de pourri au royaume de Danemark »

Laura essaie de se frayer un chemin à travers une manifestation. © Families Like Ours, 2024

S’il est étonnant de voir Thomas Vinterberg se diriger vers le petit écran, il l’est également de le voir écrire et réaliser une série dystopique. Le réalisateur, qui excelle dans les drames sociaux d’une réalité brute, nous propulse cette fois-ci dans un futur proche. Le gouvernement du Danemark décide de faire évacuer le pays, progressivement, avant qu’il ne disparaisse à jamais sous les eaux. Malgré ce scénario a priori catastrophe, ne vous attendez pas à une série qui s’appuie sur le sensationnel, l’action ni des effets spéciaux à foison. Bien au contraire, Families Like Ours aborde le sujet de manière très intimiste, presque terre-à-terre, en se focalisant sur une famille en particulier. L’intrigue est ainsi resserrée autour de quelques personnages, plutôt que de nous exposer les scènes de violence habituellement propres à ce type de récits. S’il fallait désigner un personnage principal, on pourrait mentionner Laura (Amaryllis August), une lycéenne dont les parents sont séparés. Cela va poser un dilemme profond à Laura, car son père et sa mère n’iront pas se réfugier dans le même état. Les danois les moins fortunés ne peuvent pas choisir leur pays de destination, ce qui amène la mère de Laura à devoir se rendre en Pologne. Or, les réfugiés ne savent pas au bout de combien de temps ils pourront de nouveau voyager. D’un autre côté, le père de Laura a refait sa vie. Il a une femme, un fils et le projet de se rendre à Paris. S’il peut être amusant, pour certain(e)s, de regarder des foules entières se faire engloutir par des vagues géantes ; je préfère de loin le parti pris de Families Like Ours, qui situe son action avant la catastrophe, afin de se concentrer sur d’autres problématiques, nettement plus humaines. Si vous deviez quitter votre maison et votre travail du jour au lendemain, que feriez-vous ? Si les personnes que vous aimiez le plus venaient à partir dans des pays différents, qui suivriez-vous ? Ce dilemme moral amènera quelquefois Laura à prendre des décisions peu raisonnables, pour ne pas dire stupides. Mais après tout, qui sommes-nous pour juger, nous qui avons fait du papier WC une denrée rare, durant le confinement ?

« It’s easier than just waitin’ around to die »

Henrik et Nikolaj imaginent un futur ensemble. © Families Like Ours, 2024

Bien que Families Like Ours se concentre sur une famille, il y a suffisamment de personnages pour explorer plusieurs types de réactions, face à la catastrophe. On peut mentionner les quelques apparitions d’Holger, le vieil oncle de Laura, incarné par Thomas Bo Larsen (un acteur fétiche de Vinterberg). Celui-ci, certes dépassé par les événements, choisit de s’insurger face à certaines décisions du gouvernement, jugées exagérées voire malhonnêtes. Si Holger décidera de rester dans son pays natal, malgré les dangers annoncés ; beaucoup d’autres préféreront fuir, là où ils n’ont pas le droit d’aller. Il est difficile d’en dire plus, sans spoiler, mais je pense au petit-ami de Laura, Elias, joué par Albert Rudbeck Lindhardt. Le jeune homme sera, par la force des choses, contraint de voyager seul, à pieds. Or, c’est prendre le risque de traverser des frontières, clandestinement, et d’être traité en conséquence. Families Like Ours donne une leçon aux occidentaux qui peinent souvent à se mettre à la place de celles et ceux n’ayant d’autre choix que de fuir leur propre pays, dans l’urgence. De la même manière que Road 96, un jeu vidéo dont j’ai parlé dernièrement ; Families Like Ours nous fait épouser le point de vue de personnes prêtes à tout pour fuir leur pays, car elles ont déjà tout perdu. Au-delà de ces angles émotif et politique, la série comporte aussi quelques thématiques sociales. J’ai particulièrement apprécié Henrik (incarné par Magnus Millang, un autre familier de Vinterberg) et son mari Nikolaj (joué par Esben Smed). Dans la mesure où Nikolaj travaille au gouvernement, les deux hommes font partie des premières personnes au courant, ce qui leur permet d’anticiper le chaos dans lequel le pays va plonger. Nikolaj et Henrik apprennent à se défendre, par la force si nécessaire, et à ne plus se laisser marcher sur les pieds ; notamment par le frère homophobe d’Henrik. Dans ce cas de figure, la catastrophe sert de prétexte pour sortir de vieux cadavres du placard et enfin crever quelques abcès. Je voudrais en dire plus, car bien d’autres personnages ou thématiques méritent d’être abordés. On peut notamment se demander s’il n’y a pas une infime part de surnaturel, dans la série. Mais cela reviendrait à vous divulgâcher une saison, constituée d’à peine sept épisodes, qui vaut la peine d’être visionnée.

Le jour d’après

Les danois sont contraints de quitter leur pays. © Families Like Ours, 2024

J’ai été séduite par le concept de la série, et surtout par la manière originale dont il a été traité. Il l’est sous un angle beaucoup plus modeste mais vraisemblable que d’autres productions du genre. Peut-être y a-t-il eu un avant et un après-COVID, dans l’écriture des récits dystopiques. L’atmosphère de Families Like Ours a beau nous être étrangement familière ; la série aurait pourtant été écrite avant la pandémie. Thomas Vinterberg aurait même modifié quelques éléments du script pour que l’intrigue ne rappelle pas trop ce qui nous est arrivé. Je suis toujours fascinée par la tendance prophétique de certains récits d’anticipation. J’ai aussi été charmée par le côté profondément humain et intimiste de Families Like Ours, qui réduit la catastrophe à l’échelle d’une famille. Or, cela n’amoindrit pas le drame, mais l’amplifie. « J’étais moins intéressé par la politique. Je n’étais pas intéressé à faire une sorte de série d’avertissement climatique. On va l’appeler ainsi à certains endroits, j’en suis sûr, mais j’espère que ce n’est pas trop souvent, parce qu’il s’agit davantage de la résilience humaine, de la façon dont les humains peuvent créer des stratégies d’adaptation lorsqu’il y a une crise et lorsqu’ils sont séparés de ce qu’ils aiment, » confie Vinterberg, lors d’une interview. Une fois n’est pas coutume, le réalisateur ne cherche ni à prévenir, ni à faire la morale. Il se contente d’étudier les comportements humains, dans une situation donnée ; ce qui fait de la série une tranche de vie captivante. Les amateurs et amatrices du cinéma de Vinterberg retrouveront, non sans plaisir, plusieurs visages connus, mais aussi une mise en scène reconnaissable. Je pense aux écrans affichant des textos, en émettant un son familier ; ou encore à un choix soigneux de la bande originale, comme en témoigne la chanson Day is Done, de Nick Drake. Tout ce que je peux reprocher à Families Like Ours, c’est de nous laisser sur notre faim ; surtout concernant le destin de certains personnages. Mais, à dire vrai, même si la mini-série se suffit elle-même, je n’aurais rien contre la production d’une saison 2.

Conclusion

Families Like Ours est une série que je conseille vivement, ne serait-ce que pour se familiariser avec les œuvres danoises, possédant une atmosphère qui leur est propre. Le récit catastrophe semble bien plus vraisemblable et proche de nous, que ce à quoi nous sommes habitué(e)s. Ainsi, même s’il y a très peu de plans sur la montée des eaux, la série a plus d’impact que n’importe quel film à gros budget. Thomas Vinterberg met l’accent sur une famille et sur les rapports sociaux. C’est ce qu’il connaît le mieux et il le fait bien. Families Like Ours est, de ce fait, particulièrement intéressante. J’en suis venue à me demander ce que donnerait une version française de Families Like Ours. Le gouvernement brandirait-il un 49.3 pour empêcher les eaux de monter ? Parviendrait-il seulement à prendre la moindre décision, dans les temps, avant que tous les français ne soient noyés ? Réflexion faite, mieux vaut rester concentré(e)s sur le Danemark…

  • Families Like Ours est une série disponible sur Canal +, depuis l’hiver 2024.
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Visiblement, il n’était pas attendu que le roman colombien Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez fasse son chemin jusqu’à l’écran. Tout d’abord parce que ce roman de plus de 400 pages était réputé inadaptable, relatant une histoire s’écoulant sur plusieurs générations avec allers et retours dans le temps. Ensuite parce que l’auteur lui-même s’opposait à une quelconque adaptation, redoutant que la durée temporelle d’un film ne ternisse son récit, insuffisant à raconter une telle histoire. Il aura donc fallu attendre quelques années après le décès de Garcia Marquez pour que le projet voie le jour et débute sa production en 2019. Et c’est en décembre 2024 que Cent ans de solitude arrive ainsi sur Netflix.

Une fresque familiale et historique

« Bien des années plus tard, face au peloton d’exécution, le colonel Aureliano Buendía devait se rappeler ce lointain après-midi au cours duquel son père l’emmena faire connaissance avec la glace. »

© Cent ans de solitude, Netflix, 2024

Cet incipit, directement tiré du roman, est un des plus célèbres en littérature et ouvre également la série télévisée créée par Laura Mora et Alex Garcia Lopez. Il nous permet, après quelques images annonciatrices de certains événements et surtout la vision d’Aureliano Buendia sur le point d’être fusillé, de revenir en arrière dans le temps, au tout début de l’histoire de Cent ans de solitude. José Arcadia Buendia et Ursula Iguaran, cousins, se marient, quelque part en Colombie. Ils outrepassent les avertissements de leur famille et la crainte d’une malédiction (leurs enfants naîtraient avec une queue de cochon à cause de la consanguinité), pour fonder leur propre famille. Aventureux, ils décident de rejoindre la mer avec plusieurs personnes de leur village pour construire un nouveau foyer. Après des mois de périple, ils finissent par fonder Macondo près d’un marécage, une ville où chacun est libre d’avoir sa propre liberté d’esprit et d’opinion.

Cent ans de solitude se déroule sur des décennies, mettant en avant les différentes générations de la famille Buendia vers le milieu du 19e siècle. José Arcadio et Ursula sont un couple aventureux et déterminé, prêts à tout pour vivre leur amour et leur rêve d’une ville idéale. José Arcadio paraît comme une figure forte et immuable, également passionné par les mystères de la philosophie, de l’alchimie et de la science : il accueille la venue des forains dans leur village avec bénédiction. Ursula n’est pas moins douée de volonté, bien que plus terre-à-terre et évidemment attachée à ses enfants.

Le couple originel donne ensuite naissance à trois enfants : José Arcadio, l’aîné ; puis Aureliano, doué d’un don pour les prémonitions ; leur fille, Amaranta, qui grandit également en compagnie de Rebeca, une fille adoptive, orpheline suite à une peste. La série suit ces deux générations (et les suivantes) tout au long de leur vie, de l’enfance à l’âge mûr, le temps passant. Ce n’est pas que l’évolution de la famille Buendia dont la série capte l’essence. C’est également le passage des décennies, la construction du village en une petite ville plus moderne, le changement des régimes politiques, l’arrivée de la religion, les naissances et les décès. Du petit village rudimentaire, Macondo passe à une ville florissante, empreinte de végétation, d’arbres et de fleurs, accueillant progressivement les nouveautés du monde : l’alchimie, un piano-orgue de Barbarie, l’école publique…

Un paradis, pour une lignée de solitude

© Cent ans de solitude, Netflix, 2024

Macondo pourrait être un lieu idyllique. Cachée et isolée du reste du monde, la ville grandit en toute indépendance, loin de la guerre, de la politique et de la religion, du moins jusqu’à un certain point de son histoire. Alors les tragédies commencent, entre l’armée révolutionnaire libérale et celle du parti conservateur, entre ces conflits moraux et politiques qui vont secouer les personnages, les opposer, et déchirer ce qui faisait leur famille et leur unité. Ce destin n’épargnera pas les habitants de Macondo, dont une certaine Pilar, tenancière de maison close, qui observe tout à distance.

La famille Buendia porte en elle tant le paradis que le chaos. Ce sont leur tempérament, aussi passionné et déterminé, qui les mènent vers leur perte, à travers les aléas de l’existence. La rigidité timorée d’Aureliano le mène à devenir un militaire implacable ; la passion amoureuse d’Amaranta se fait poison jaloux et mortel ; l’indépendance de José Arcadio fils le fait fuir la demeure familiale… Aucun personnage de la famille Buendia n’est entièrement bon, ni entièrement mauvais. Ils sont écrits avec une finesse et une ambivalence qui font plaisir à voir. L’écriture et l’interprétation des acteurices les rendent profondément humains, capables du meilleur comme du pire, s’entraînant eux-mêmes dans une solitude tragique, comme si le déterminisme pesant sur la famille n’avait pas d’échappatoire. Ainsi, même si certaines de leurs actions sont détestables, on ne peut s’empêcher de comprendre leur point de vue.

Une atmosphère irréelle et onirique

En parlant de destin, il n’est d’ailleurs pas anodin que l’intrigue possède quelques échos bibliques. Des pestes mystérieuses se déclenchent, comme une punition divine. Macondo a tout d’une terre promise, d’une Babylone qui va finir par causer sa propre perte à force d’indépendance et de liberté. La fierté de la famille n’est pas étrangère à cette décadence, entre les passions interdites, l’inceste et l’ambition dévorante.

Cent ans de solitude peut même prétendre emprunter à la mythologie et aux légendes, puisqu’il met en scène un réalisme magique, par des événements fantastiques sans explication réelle, accueillis par les protagonistes avec le plus grand des calmes. Ces incidents surnaturels se font tantôt écho des tourments d’un personnage, tantôt annonciateurs d’événements à venir. Un filet de sang relie deux membres de la famille malgré leurs disputes. Une jeune femme mange de la terre, comme pour atténuer un isolement dévorant. Des prophéties et des fantômes planent autour des vivants, les hantant plus que de raison.

Toute une atmosphère un peu onirique, irréelle et détachée du temps – rendant le récit de Macondo encore plus universel – semble flotter au cours des huit épisodes de la première partie. La caméra ne nous épargne pas les visions oniriques, nous balade d’un recoin à l’autre de la demeure Buendia dans des plans séquences qui montrent l’écoulement du temps, le changement d’architecture, les évolutions des protagonistes. Ces mouvements de caméras sont à l’image de la série : circulaires, allant et venant au gré des années écoulées et des cheveux blanchis, lents et contemplatifs. Ils permettent d’apprécier la beauté de la nature, la tranquillité de Macondo, de relier entre eux les différents membres des Buendia.

Cent ans de solitude ne se montre jamais expéditive, n’usant jamais d’éclats inutiles, prenant un rythme à contre-courant des productions actuelles. Et pourtant son histoire, les vies de ses personnages, demeurent fascinants et passionnants, nous entraînant dans les dilemmes et batailles d’une Histoire vécue par la lignée d’une famille maudite. Une série surprenante, assez unique, qui vaut largement le détour, et qui est visiblement fidèle au chef d’œuvre original. Au point de donner envie de découvrir le roman, et de franchir le pas de s’attaquer à un classique de la littérature hispanique.

  • Cent ans de solitude est disponible sur Netflix depuis le 11 décembre 2024. La première partie se compose de huit épisodes et la seconde partie est pressentie pour fin 2025.
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Dans un voyage, ce n’est pas tant la destination qui compte, mais la manière dont se déroule le périple. Un road trip, tout particulièrement, est la promesse de rencontres mémorables voire de péripéties. C’est dans cette optique qu’ont été imaginés deux jeux indés, sortis en 2021. Lake a été développé par le studio néerlandais Gamious, tandis que Road 96 a été conçu par nos compatriotes français, de chez DigixArt. Ces deux aventures sont très différentes, à bien des égards. Pourtant, elles ont pour vocation commune de nous dépayser, non seulement grâce à un endroit fictif, mais aussi à une époque empreinte de nostalgie. Si les jeux se distinguent par leurs mécaniques de gameplay, ils constituent une ode aux rencontres, et peut-être même à la liberté. Je vous invite à prendre place à mes côtés et à attacher votre ceinture. Je vais vous conduire aux frontières de Lake et de Road 96. Qui sait ? Vous aurez peut-être envie de poursuivre la route, par vous-mêmes.

Il y a bien longtemps, dans un endroit lointain, très lointain….

Ce bateau me dit quelque chose. J’espère qu’il n’y a pas de requin… © Lake, 2021

1986. Meredith Weiss n’est pas rentrée dans sa ville natale depuis longtemps. Or, son père Thomas, le facteur de Providence Oaks, part en vacances. Il lui propose de le remplacer, pour assurer la livraison du courrier et des colis de la ville. Cela permettrait à Meredith de faire un break dans sa propre vie, qu’elle a littéralement consacrée au travail, dans le domaine informatique. Meredith renoue avec ses racines en devenant factrice, deux semaines, dans l’Oregon. L’intrigue de Road 96 se déroule en… 1996. (Comment vous avez deviné ?) Le contexte en est bien plus vaste. Vous n’incarnez pas un seul personnage, mais six successivement ; et l’histoire progresse à travers le pays. De nombreux adolescents tentent d’échapper à leur nation, à cause de la dictature du Président Tirak. Les deux jeux se déroulent dans des endroits fictifs. Je suis la première à la regretter, mais nous n’aurons ainsi jamais l’occasion de faire réellement le tour du lac de Providence Oaks. La nation de Road 96, baptisée Petria, a elle aussi été inventée pour les besoins du jeu. Ces destinations imaginaires rendent les aventures plus dépaysantes, d’autant qu’elles nous replongent, avec nostalgie, dans les années 80 et 90. Lake et Road 96 ont une durée de vie d’approximativement 8h, mais la chronologie des événements y a une importance. Meredith ne reste que deux semaines à Providence Oaks et son calendrier nous rappelle infailliblement le temps qui passe. Les six parties de Road 96 ne sont nullement répétitives, car les adolescent(e)s essaient de traverser la frontière, les uns après les autres, au cours de l’été. Les joueurs et joueuses sont donc témoins de l’envenimement politique du pays.

Carnets de voyage : itinéraires et mécaniques de gameplay

Un Président de droite dont le nom commence par T ? Mais qu’est-ce que ça veut dire ? © Road 96, 2021

Les amateurs et amatrices de sensations fortes ne se sentiront pas à leur aise, à Providence Oaks. Effectivement, dans Lake, vous incarnez une factrice. Vous passez le plus clair de votre temps à faire le tour de la ville, à pieds, et plus régulièrement en fourgonnette, afin de distribuer le courrier ainsi que différents colis. Si j’étais médisante, je dirais que le jeu plagie Death Stranding, en retirant les échoués et Mads Mikkelsen… Blague à part, le métier de Meredith n’est qu’un prétexte pour se promener dans Providence Oaks et faire de belles rencontres. Le cœur du jeu réside définitivement dans les rencontres que l’on fait. Lake est un jeu narratif dans lequel les options de dialogue peuvent influencer vos relations avec les personnages non joueurs, mais aussi le dénouement. Ne craignez aucune mauvaise décision, puisque le danger ou le game over n’existent pas. L’auteur du jeu, Jos Bouman, l’a lui-même qualifié « d’anti-GTA ». Il s’agit d’un « jeu sur rien », à percevoir comme une simple tranche de vie. On pourrait lui reprocher son manque d’enjeux, mais force est de constater que c’est terriblement relaxant. Le gameplay de Road 96 et bien plus original. J’ai rapidement été happée par le premier run, où je me retrouvais dans la peau d’un(e) adolescent(e) dont je ne savais rien, d’autant que la caméra est à la première personne. On découvre une scénette où l’on peut interagir avec l’environnement mais aussi avec les personnages. Le premier chapitre du jeu nous fait comprendre qu’il faudra gérer la barre d’énergie de notre personnage, en le faisant boire, manger ou dormir. Or, nous débutons avec très peu d’argent. Pour en gagner, il existe notamment des mini-jeux, diversifiant le gameplay. Les options de dialogues ont elles aussi leur importance : elles influencent le destin des PNJs, mais aussi l’opinion politique du pays. À la fin de la scénette, il nous faut décider de reprendre la route à pieds ou en auto-stop. Il est aussi plausible de prendre le bus, le taxi voire de voler une voiture. C’est en découvrant le scénette suivante que l’on réalise combien le jeu est ingénieux. Le décor et les personnages croisés permutent en fonction de nos choix, alors que l’intrigue principale et la chronologie continuent à évoluer. Road 96 est un jeu doté d’une génération procédurale. Il s’agit de « l’application d’un « aléatoire contrôlé » régie par des règles définies dans le but de générer quelque chose d’unique mais en conservant une cohérence. L’objectif étant de pouvoir créer une très grande quantité de contenu tout en assurant une cohérence de l’environnement, en lui donnant un aspect unique. » Après moult péripéties, mon premier personnage a atteint la frontière, et je n’avais qu’une hâte : lancer le deuxième épisode. La génération procédurale de Road 96 rend le jeu assez addictif. Ne l’ayant terminé qu’une fois, je le soupçonne d’être doté d’une très belle rejouabilité.

La vie rêvée de nombreux personnages

Retour vers le passé… © Lake, 2021

Comme je le disais plus tôt, prendre la route est un prétexte pour faire de belles rencontres. Les PNJs de Lake ou de Road 96 incarnent le cœur de ces jeux. Les auteurs de Lake ont confié s’être inspirés de sitcoms, d’actrices et d’acteurs américains pour donner vie à Providence Oaks. Meredith aura ainsi l’occasion de renouer avec son amie d’enfance, Kay ; de faire connaissance avec Lori, la fille du mécanicien ; ou encore de bâtir une relation amoureuse avec Robert, le bûcheron ; ou Angie, une cinéphile gérant le magasin de location de VHS. Cela soit dit en passant, c’est un endroit fantastique, décoré par des affiches de films des années 80, délicieusement parodiques. On ne s’attache pas seulement à Providence Oaks pour ses décors esthétiques et sereins, mais aussi et surtout parce que ses habitants sont attachants. On en vient à se demander si l’on souhaite vraiment quitter la bourgade. Le choix se présentera à Meredith, mais finalement, pas à nous ; à moins que l’on se décide à relancer une partie… Si les habitants de Providence Oaks sont attachants, ce n’est pourtant rien face aux âmes truculentes que l’on peut croiser sur la route 96. Je ne vais pas toutes les présenter, pour vous laisser la joie de les découvrir, mais je peux mentionner Fanny, la policière déchirée entre son devoir envers Petria, et son humanité. Je pense à Jean, l’un des membres les plus importants des Brigades Noires, des résistants considérés comme des terroristes. Sonya, elle, est une journaliste assurant la propagande du Président Tirak, avec une voix doucereuse. Quand vous la rencontrerez, vous verrez que la vérité est ailleurs. Enfin, j’ai adoré Jarod, le chauffeur de taxi, tout en ayant paradoxalement peu envie de le rencontrer. Le type est si instable qu’une barre de colère s’affiche à l’écran, lors de certaines scénettes. Et croyez-moi, vous n’aurez pas envie de la remplir. Cela soit dit en passant, la bande originale du jeu est excellente (et je ne dis pas cela parce qu’elle reprend plusieurs fois « Bella Ciao »). De nombreux personnages possèdent leur thème musical et cela contribue à les rendre marquants. Rencontres après rencontres, j’avais terriblement envie d’en apprendre plus sur eux ; d’autant que leur passé respectif ou leurs relations mutuelles promettent de belles surprises.

Lost in Dénonciation

Steuplé, laisse-moi tranquille Jarod… © Road 96, 2021

Il est difficile d’en dire davantage sur Lake, qui reste un jeu sans prétention. On peut considérer que Meredith gère la crise de la quarantaine, à sa manière ; ou que le titre prône le retour à une vie plus sereine et humaine. L’histoire se situerait dans les années 80 afin que les personnages ne possèdent ni téléphone portable, ni internet. C’est pour cela que Providence Oaks semble coupée du monde, et que les habitants ont le temps de faire connaissance ou de se retrouver autour d’une table, au restaurant local. Road 96 a, pour sa part, un alignement politique nullement dissimulé. Même si Petria est une nation fictive, elle rappelle, à bien des égards, les États-Unis. Les personnages sont des archétypes américains, a priori inspirés du cinéma de Tarantino ou des frères Coen. Je me suis aussi demandé si le personnage de Jarod n’était pas un hommage à Taxi Driver. Les paysages évoquent, eux aussi, les États-Unis. Nous longeons des routes interminables, cernées de plaines désertiques. Le titre même du jeu fait sans doute référence à la Route 66. Enfin, l’iconographie autour des deux adversaires politiques, le président Tirak et la candidate Florres, reflète l’opposition entre un parti extrêmement conservateur et l’autre démocrate. Le jeu est une véritable satire de ce qui pourrait se passer aux États-Unis, ou même dans le reste du monde. À peine quatre ans après sa sortie, la dystopie semble encore plus crédible.

Le Terminal

On ne va pas se mentir. J’ai parfois été frustrée par Lake, qui manque un peu d’audace ou tout simplement de moyens. Les bugs et les temps de chargement présents sur PlayStation 5 rompent quelque peu l’immersion, même si le jeu réussit le défi qu’il s’est lancé en proposant une expérience délicieusement relaxante. J’ai – en revanche – eu un véritable coup de cœur pour Road 96, dont les personnages mais aussi les mécaniques de gameplay, le rendent addictif. Il n’est pas exclu que je relance une partie, à l’avenir, car je ne suis pas tout à fait satisfaite de ma fin. Quoiqu’il en soit, je vous conseille ces deux voyages, lesquels proposent des sensations différentes. Si vous les avez déjà faits, et que vous souhaitez aller plus loin, ils possèdent tous deux une extension. Le DLC de Lake, « Season’s Greetings », est un préquel permettant d’incarner Thomas, le père de Meredith. A priori, l’expérience est similaire au jeu initial, si ce n’est qu’elle se passe durant les fêtes de fin d’année et que, forcément, le paysage en est modifié. Road 96 possède également un préquel, intitulé Mile 0. Il narre l’histoire de Zoé, une adolescente rebelle ayant son importance dans le jeu original, avant qu’elle ne décide de prendre la route. Vous n’avez donc plus d’excuses pour ne pas partir en road trip.

  • Lake et Road 96, sortis en 2021, sont disponibles sur PC et consoles.
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Urban Comics donne le coup d’envoi d’une nouvelle année pour la collection DC Infinite et pas n’importe comment, puisque l’on débute 2025 avec le très attendu évènement Absolute Power. Un nouveau point d’étape important dans la construction de l’univers DC qui réunit l’ensemble de ses héros et héroïnes, mais qui n’empêche toutefois pas d’autres comics de nous séduire ce mois-ci, entre un très bon cinquième tome pour Batman / Superman World’s Finest, ou de pas moins bonnes conclusions d’arcs pour Poison Ivy Infinite et Dawn of Green Arrow & Black Canary. L’année démarre très bien.

Cette chronique a été écrite suite à l’envoi d’exemplaires par l’éditeur.

Batman / Superman World’s Finest – Tome 5, comme au bon vieux temps

© 2025 DC Comics / Urban Comics

Alternant le très bon et le moins passionnant depuis les débuts de la série, Mark Waid et Dan Mora continuent leur association sur Batman / Superman World’s Finest avec un cinquième tome qui repart sur les premières promesses de la série : ramener les deux justiciers les plus populaires de DC à leurs premières heures. Dans une histoire qui fleure bon le kitsch, on retrouve le duo désemparé face à une réapparition malheureuse de Monsieur Mxyzptlk, le lutin immortel au nom imprononçable mais néanmoins doté d’un pouvoir immense qui, venu de la 5è dimension, alerte nos bons gaillards sur une menace à venir. Lui et Bat-mite, autre lutin magique qui voue un culte à Batman, viennent chercher de l’aide auprès des super-héros alors qu’ils ont du fuir leur monde à cause d’une vieille légende, un magicien qui serait capable de tout détruire. Une entité qui s’amuse à défaire les mondes et à y rechercher la personne la plus puissante après de sinistres affrontements pour pouvoir s’y opposer. Pas vraiment sérieuse mais néanmoins pleine de bons moments, cette aventure qui convoque la magie, une des hantises de Batman et une faiblesse pour Superman, nous ramène directement à une époque un peu moins sérieuse de l’âge d’or des comics où les récits pouvaient être un peu plus légers, avec beaucoup d’humour et de folie, loin de ce à quoi on a depuis été habitué·es. Et c’était la promesse initiale de la série en renvoyant ces deux super-héros à leurs origines, chose qui avait pu parfois se perdre en route, avec un ou deux tomes un peu moins réussis qui perdaient de vue cette promesse.

Alors quel plaisir d’y revenir en fanfare avec la bande de lutins magiques qui viennent mettre le bazar dans le quotidien d’un Batman abasourdi, et un Superman qui peine à garder son sérieux. La personnalité du Bat-mite, le lutin adorateur de l’homme chauve-souris est toujours aussi drôle, s’offrant même un petit moment d’émotion en fin de tome, qui permet de conclure le récit d’une jolie manière. Du côté de la menace du jour, elle est oubliable, mais l’intérêt n’est pas là. Au contraire, cet ennemi au pouvoir improbable ne sert en réalité à Dan Mora qu’à proposer des dessins hauts en couleur, très vifs, avec une action omniprésente, servant l’absurdité des objectifs du grand méchant. C’est un excellent tome pour cette série, qui montre que Mark Waid a encore plein de choses à raconter avec ces personnages sur une tonalité plus kitsch qui leur va bien.

Poison Ivy Infinite – Tome 4, fin d’une révolution

© 2025 DC Comics / Urban Comics

On avait laissé Poison Ivy il y a quelques mois au fond d’un marais en compagnie de Grundy et Killer Croc, où elle avait trouvé un coup de main pour affronter le Dr Jason Woodrue, devenu une sorte d’entité végétale que l’on connaît habituellement dans l’univers DC sous le nom de Floronic Man. Sa quête de révolution écologique avait connu un sérieux coup d’arrêt, la faute à des toxines semées ici et là, censés refleurir le monde, mais qui se sont avérées hors de contrôle, transformant les humains en sortes de zombies. Sur le point de mourir dans un affrontement final qui est bien mal embarquée, elle se remémore soudain de ses premiers pas et de sa rencontre avec Woodrue alors qu’elle n’était qu’étudiante, et lui un scientifique qui prétendait pouvoir changer le monde. L’admiration et la fascination s’est vite transformée en emprise et en violence, alors que les rêves de Woodrue devenaient de plus en plus radicaux, tandis qu’il parvenait enfin à faire un pont entre humanité et plantes, découvrant qu’il y avait peut-être une forme de vie supérieure capable d’unir les deux. Ce long flashback donne beaucoup de coeur à un récit qui a largement maltraité son héroïne, mais qui l’a aussi aidée à s’affirmer et trouver un nouveau rôle, profitant de l’agréable écriture de G. Willow Wilson qui ne manque jamais de rythme, d’une pointe d’humour ici et là, mais surtout de beaucoup d’émotions. 

Le grand combat final vient enfin conclure ce quatrième tome, marquant la fin d’un arc et propulsant Ivy vers quelque chose de différent. C’est une belle fin, mais aussi une transition, puisqu’il y aura un cinquième tome. On savoure également les dessins de Marcio Takara, toujours impeccables, mêlant l’humanité de Ivy (ou ce qu’il en reste) à la nature dont elle s’imprègne. Les couleurs sont belles, le trait est fin, et il est même à la hauteur pour donner beaucoup de mouvement au grand affrontement qui conclut cet arc. Reste maintenant à voir ce qui nous attend pour l’avenir, si l’écriture suggère un retour à quelque chose d’un peu plus conventionnel pour Poison Ivy, le comics ne devrait pas oublier l’évolution de l’héroïne au cours de cet arc. Entre les vérités auxquelles elle a fait face sur sa propre quête, et sa relation avec Harley Quinn qui est évidemment de la partie sur cette conclusion.

Dawn of Green Arrow & Black Canary – Tome 2, le pouvoir de l’amitié

© 2025 DC Comics / Urban Comics

Deuxième et dernier tome, ce Dawn of Green Arrow & Black Canary marque d’abord la fin d’un premier arc des Birds of Prey de Kelly Thompson, avec les épisodes 7 à 12 où Barbara Gordon, toujours poursuivie par une personne d’une autre dimension qui en veut à sa vie, se trouve projetée dans un portail dimensionnel. Disparue, la bande des Birds of Prey s’y jette à son tour et passe d’une dimension à l’autre dans l’espoir de la retrouver et mettre fin à la menace. Si cela ne marque pas la fin du run de Kelly Thompson qui a continué depuis en VO et qui sera, on l’espère, poursuivi en VF dans les prochains mois, c’est tout de même une conclusion pour l’arc raconté dans ce recueil qui reprenait cette série ainsi que le Green Arrow de Joshua Williamson, dont je parlerai juste en-dessous. Comme pour le premier tome qui avait été une bonne surprise, on trouve là encore quelque chose de très solide pour les Birds avec une écriture toujours très intelligente, qui allie l’humour caractéristique de la dynamique entre les différentes héroïnes (Black Canary, Barda, Batgirl version Cassandra…) à l’urgence d’une situation visiblement désespérée dans des dimensions où tout échappe à leur contrôle. Javier Pina peut se faire plaisir au dessin, en variant les styles tout en conservant une tonalité plutôt rétro grâce aux choix faits sur la colorisation. C’est solide, et on espère voir la suite.

Quant au Green Arrow de Joshua Williamson, là aussi, ce n’est pas tout à fait la fin du run de l’auteur sur le fameux archer, mais la fin d’un arc scénaristique. Le découpage est d’ailleurs un peu moins surprenant puisque les numéros suivants de Green Arrow sont centrés sur l’évènement Absolute Power et apparaitront donc dans les comics concernés. Mais avant d’en arriver là, on termine l’arc de ce brave Oliver Queen qui redécouvrait son monde après avoir longtemps disparu dans un univers alternatif. On le voit là apprendre que la Ligue de Justice n’existe plus et qu’elle est remplacée par les Titans, que Superman est désormais associé à Lex/Supercorp, et que… Roy, aussi nommé Arsenal, son coéquipier de toujours, a lui aussi disparu. On s’embarque alors vite dans une histoire de complot autour de Amanda Waller, prémices des évènements de Absolute Power, où elle arrive à convaincre Green Arrow de lui filer un coup de main en échange d’informations sur Roy. Son objectif : récupérer les dossiers du Sanctuaire, lieu de thérapie monté par la Ligue de Justice il y a longtemps pour aider les super-héros et super-héroïnes à prendre soin de leur santé mentale. Évidemment, Amanda Waller, émissaire du gouvernement américain mais farouchement opposée aux justicier·ères, cherche surtout à trouver des dossiers compromettants pour les mettre au pas. Le récit est plutôt sympathique, bien mené et très rythmé, s’offrant même un renouveau dans la quête du Green Arrow qui retrouve un sens à ce qu’il fait. 

Absolute Power – Tome 1, la mise au pas

© 2025 DC Comics / Urban Comics

Le voilà, le grand évènement du début d’année qui avait été largement teasé par Urban Comics. Publié l’année dernière du côté des États-Unis, Absolute Power est un nouveau crossover qui bouleverse les séries principales de la plupart des personnages, en les propulsant dans un monde où la terrible Amanda Waller arrive enfin à ses fins : mettre les super-héros et super-héroïnes derrière les barreaux. L’agente du gouvernement américain s’est historiquement opposé aux justicier·ères en collants, elle qui pense que ces gens amènent plus de danger qu’autre chose à la Terre, et était habituellement cantonnée à diriger la Suicide Squad, où elle exploitait quelques vilain·es pour accomplir ses objectifs. Mais au bout d’un long complot qui lui a permis de gagner en influence, et c’est la suite directe des évènements de Green Arrow dont je parlais juste au-dessus, elle arrive enfin à mettre au pas tout ce beau monde. Mené par Mark Waid à l’écriture et Dan Mora au dessin, tous deux bien aidés par l’ensemble des auteur·ices et artistes des différentes séries concernées, cet évènement s’inspire évidemment de notre monde en allant chercher du côté des fake news et de leur création, alors que Waller profite d’images créées par IA (et difficile de ne pas y voir une critique politique, mais aussi une critique sur la condition de travail des artistes) qui mettent en scène Superman, Wonder Woman et compagnie en train de s’attaquer à des civils. Il n’en faut pas plus pour convaincre une population malléable et abreuvée à l’information en continu, que ce soit à la télé ou sur les réseaux sociaux, et c’est le point de départ d’un nouveau monde.

Un monde où Amanda Waller a les mains libres pour arrêter les personnes dotées de pouvoir au titre de la sécurité nationale, les enfermer sans jugement et leur piquer leurs pouvoirs grâce à des androïdes Amazo, capables de voler les pouvoirs et les utiliser. Très intense mais aussi plutôt sombre, très ancré dans l’ambiance actuelle d’une politique américaine, voire occidentale, qui tombe dans un autoritarisme qui rappelle ce que l’humanité a fait de pire, Absolute Power est très engagé. D’un point de vue narratif, c’est aussi un premier tome très efficace, qui prend le temps de poser son contexte et qui montre immédiatement les effets d’une politique fasciste, rappelant à certains égards ce qui avait été fait dans les comics Injustice. On sent que Mark Waid et ses compères ont un paquet d’idées et en livrent déjà de nombreux éléments, comme la trahison de Green Arrow au tout début du comics qui interroge sur ses véritables intentions, la capacité des justicier·ères à se battre sans aucun pouvoir, ou encore l’impact des discours propagandistes sur une population inerte, capable d’avaler tout ce qu’on lui raconte. Vivement la suite, pour un évènement qui devrait être publié en trois tomes.

  • Les comics DC Infinite sont disponibles en librairie aux éditions Urban Comics.
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Tout le monde connaît le monument cinématographique qu’est la saga Star Wars. On connaît probablement aussi des anecdotes de tournage… mais en sait-on pour autant beaucoup sur la genèse du premier film ? La bande dessinée Les Guerres de Lucas, scénarisée par Laurent Hopman et dessinée par Renaud Roche, propose une approche documentaire et réaliste de la production de La Guerre des Étoiles, à travers les yeux de George Lucas. Une superbe BD biopic, qui permet de dévoiler les coulisses d’un travail de longue haleine pour arriver au film final – dans la lignée de l’excellente série The Offer, qui relatait la genèse du Parrain de Coppola.

Il était une fois George Lucas

© Les Guerres de Lucas, Editions Deman, 2023

Que sait-on du créateur de Star Wars ? Personnellement, bien que je sois fan de la saga, je ne savais pas forcément grand-chose sur l’homme derrière l’œuvre. Les Guerres de Lucas dessine alors le portrait d’un enfant réservé, rêveur, et en même temps rebelle. George Lucas est loin d’être un bon élève, il est têtu, borné, n’écoute pas grand-monde. Dans sa jeunesse, il échappe à un traumatique accident de voiture – dans une course de bolides urbains à laquelle il participait – qui lui refait considérer sa vie. Il décide alors de s’adonner à son rêve et de devenir cinéaste. Ses études le font créer des court-métrages très bien reçus, dont THX 138 qu’il transformera en long-métrage par la suite, avec l’aide de Francis Ford Coppola. Sorti des études, l’excellent film American Graffiti lui donne une petite renommée et le sauve surtout de la précarité où il vit avec sa femme, Marcia, monteuse cinéma talentueuse et au fort caractère.

C’est là qu’il en profite pour mettre sur pied un rêve de gamin : un film qui se déroulerait dans l’espace, avec des chevaliers. Ce n’est que l’esquisse de ce qui devient Star Wars ! Il veut quelque chose qui fasse rêver, qui emporte les pré-adolescents dans un univers passionnant, comme lui l’a été en regardant des films de pirates ou de western au même âge. George Lucas passe alors des mois et des mois à réécrire le scénario, peu doué pour les dialogues. Il est soutenu par Coppola, mais surtout sa femme, qui n’hésite pas à lui dire frontalement ce qui cloche ou ce qui doit être amélioré. Le parcours du combattant pour la Guerre des Étoiles commence.

Une genèse laborieuse

© Les Guerres de Lucas, Editions Deman, 2023

Outre l’intrigue qui est réécrite à plusieurs reprises, le projet Star Wars a bien du mal à trouver preneur. La bande dessinée relate très bien la période à laquelle se trouve George Lucas, entre deux périodes charnières, deux décennies où des films classiques et/ou ambitieux ont fait leur preuve (comme 2001, l’Odyssée de l’espace) et s’imposent comme des monuments du cinéma, alors que la Nouvelle vague arrive et donne naissance à des films plus audacieux, hors des canevas traditionnels, avec un style et des effets spéciaux différents. Cependant, les studios sont frileux et ne croient pas au projet de jeune cinéaste de 32 ans.

On entre alors au cœur des Guerres de Lucas. Durant ses deux cents pages, la BD raconte, de façon non exhaustive – au regret de ses auteurs, mais cela aurait fait alors mille pages – beaucoup de la production, tant côté technique que côté financier. Les déboires pour trouver les bons acteurs, certes, mais aussi pour créer les effets spéciaux en partant de zéro, aucun équivalent n’existant à l’époque pour fabriquer les plans de caméras et effets post-production, tels que George Lucas le voulait. Alan Ladd est le seul producteur au sein de la 20th Century Fox à croire au projet, se battant et utilisant coups de bluff pour faire perdurer le projet face aux autres producteurs. Le contrat de Star Wars met des années à être signé !

Ce sont aussi diverses personnalités du cinéma qui gravitent dans ce récit, autour de George Lucas. Alec Guinness qui demande un pourcentage pour son salaire, chose unique à l’époque ; Steven Spielberg et Francis Ford Coppola, amis de Lucas, ce dernier extraverti bien à l’opposé d’un Lucas réservé, introverti et peu à l’aise pour parler à son équipe. Laurent Hopman et Renaud Roche racontent les déboires techniques pour créer les C3-PO et R2-D2 (sans étouffer les acteurs à l’intérieur), à trouver des figurants ; les démêlés avec la police tunisienne lors du tournage ; l’incroyable création de la musique culte de John Williams ; un amour de tournage entre Harrison Ford et Carrie Fisher ; ou encore le nombre ridicules de salles de cinéma ayant accueilli le film à sa sortie, preuve du manque de foi de la 20th Century Fox dans le projet.

Autant d’anecdotes, aussi humaines que propres à un milieu de cinéma dans toute une production et ses différents aspects. Tout cela est vu à travers le regard de George Lucas, même si on suit aussi les avancées de certains acteurs ou producteurs. Un regard qui balance entre optimisme (faire avec ce qu’il a, dans les délais impartis, en y mettant de sa poche et avec un peu de bluff) et sentiment de désespoir face au studio peu enthousiaste, au retard pris, à la peur que le film ne ressemble en rien à son rêve. C’est un regard très humain, souligné par le dessin Renaud Roche, très proche de concepts de story-boards. Toutes les personnes du projet sont aisément reconnaissables dans son style, captant l’expressivité et les émotions de chacun.e, allant même jusqu’à faire percevoir leur caractère.

Une œuvre sur Star Wars, mais aussi sur le cinéma

Vous l’aurez compris, la bande dessinée rend hommage à la genèse du premier Star Wars, en passant par l’aventure humaine vécue par George Lucas, sur un projet qui le rendra célèbre, mais qui l’aura aussi tant fait rêver que souffrir, au point de lui occasionner des problèmes de santé. Extrêmement documentée, elle permet de (re)découvrir nombre d’anecdotes sur le tournage et la production, de connaître tous les déboires rencontrés par Lucas, et de remettre en avant Alan Ladd, le producteur croyant en lui, ainsi que Marcia Lucas, qui a beaucoup aidé son mari sur le projet, montant même le film. C’est le reflet d’une époque entre deux périodes de cinéma, avant que Star Wars ne devienne un immense blockbuster et change alors certaines règles du milieu, comme le fait de payer désormais un ticket par séance, et non à la journée dans les cinémas.

Le style très expressif attendrit, fait qu’on s’attache à toutes les personnes de cette histoire, et les deux cents pages défilent très vite. Et quel plaisir de voir toutes ces personnes de ce milieu, parfois au début de leur carrière ! Un jeune James Cameron qui décide de se lancer dans le cinéma après avoir vu Star Wars, un Harrison Ford vivotant de travaux de menuiserie sur les plateaux avant d’être choisi pour être Han Solo, les membres d’un public-test pour une première projection sans musique ni effets spéciaux de Star Wars… Il permet d’en découvrir aussi beaucoup sur l’homme derrière l’œuvre, sur une personnalité réservée et pas toujours à l’aise au milieu des autres artistes, un rêveur qui a eu la chance de voir son rêve sur grand écran réalisé. Les Guerres de Lucas passionne autant parce qu’il s’agit d’une très belle manière de redécouvrir la genèse d’un monument, mais aussi ce milieu du cinéma et de la production qui demeure encore très méconnu, hors tournage des acteurs. A découvrir absolument pour les fans de cinéma et de Star Wars !

  • Les Guerres de Lucas est disponible depuis le 4 octobre 2023 aux éditions Deman et a reçu plusieurs prix. Un deuxième tome est prévu pour la rentrée 2025, concernant la production de l’Empire Contre-Attaque et Indiana Jones : Les aventuriers de l’arche perdue.
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Autrice turque engagée, militante pour la cause féministe, des droits humains et des minorités, Elif Shafak est l’une des figures emblématiques de la littérature orientale de ces vingt dernières années. Écrivant aussi bien en turc qu’en anglais, celle qui a fini par fuir sa Turquie face à l’ire du pouvoir en place, en conséquence de sa liberté de ton, a notamment écrit Soufi, mon amour (ou The Forty Rules of Love en VO), un roman qui s’illustre pour son élégance, son intelligence et sa capacité à mélanger le mystique au réel.

L’amour comme seul guide 

Au gré de ses recherches, mais aussi de son éducation au sein d’une famille de philosophes et diplomates, Elif Shafak a fait la rencontre du Soufisme, qu’elle utilise comme fondement d’un roman parlant d’amour et de liberté comme aucun autre. Soufi, mon amour, c’est la rencontre de Ella, une mère de famille américaine d’une quarantaine d’années, et de Aziz, l’auteur d’un roman qui va bouleverser le cours leur vie. Ella découvre le roman d’Aziz en tant que lecture, embauchée par un agent littéraire qui lui envoie un manuscrit et lui demande d’en préparer une note en vue d’une éventuelle publication. Ce roman, intitulé « Doux blasphème » retrace la rencontre entre le poète Rûmi et Shams de Tabriz. Rûmi est l’un des poètes et théologiens les plus importants de l’Orient, qui a profondément influencé l’islam et en particulier le courant du Soufisme. Quant à Shams de Tabriz, il s’agissait d’un derviche, c’est-à-dire une personne qui s’abandonne entièrement à la recherche spirituelle, errant ici et là dans une pauvreté extrême, mendiant, entouré de mysticisme et d’ésotérisme. Les deux ont vécu au XIIIe siècle, à l’époque que raconte le roman d’Aziz, où la promesse d’une rencontre entre ces deux grandes figures de l’histoire musulmane est aussi une excuse pour écrire les étapes d’une grande aventure. Une quête faite d’amour alors que Shams de Tabriz est convaincu, en tant que Soufi, que l’amour de Dieu, du monde, de ses semblables, ou encore de la nature sont au fondement de ce que doit être la vie d’un homme de foi. Ce courant religieux représente en effet les pratiques mystiques de l’islam, recherchant une certaine purification de l’âme, éloignée de tout conflit et de toute jalousie, limitée au cœur et à l’amour qui s’en dégage quitte à s’affranchir des règles établies, en contradiction avec d’autres courants qui souhaitent appliquer les textes de manière plus littérale.  

C’est en liant ces concepts religieux, sur lesquels Elif Shafak écrit infiniment mieux que ma pénible tentative d’explication (vous me pardonnerez si vous n’y comprenez rien), à une quête d’amour que l’autrice réalise un roman assez exceptionnel. On y découvre en compagnie d’Ella les écrits d’Aziz de manière intradiégétique, tandis qu’entre deux chapitres lus par Ella les deux inconnus s’échangent des e-mails où ils·elles apprennent à se connaître sans jamais avoir pu se rencontrer. Ella est vite fascinée par Aziz, dont les similarités avec Shams de Tabriz (dont elle découvre tout en lisant le roman) lui sautent aux yeux, alors qu’elle s’interroge sur le sens de leurs échanges au moment où son couple bat de l’aile. Sa vie de famille bien rangée lui semble soudainement sans intérêt, elle qui avait oublié comment aimer, elle découvre une nouvelle façon d’aimer, où l’amour et le désir refont surface par la pensée et l’intellect plutôt que par l’attirance physique. Cela permet aussi à Elif Shafak de raconter son histoire en partie dans la plus pure tradition du roman épistolaire, ajoutant une pointe de péripéties, tant dans les aventures de Shams et de Rûmi que les personnes qui gravitent autour d’eux. On y fait la rencontre d’autres derviches, de prostituées, de mendiants, de piliers de comptoir à la taverne du coin ou de religieux qui s’opposent au Soufisme, qui racontent tous et toutes leur propre vision de l’histoire, de leur rencontre avec Shams, cette personnalité qui ne laisse personne indifférent. Qui énerve, qui fascine, qui suscite l’admiration ou la haine, un personnage qui incarne une liberté religieuse, une liberté de vivre, de penser ou d’agir dont beaucoup rêvent sans savoir comment l’atteindre. Un homme qui a décidé de vivre selon ses « quarante règles de la religion de l’amour », quarante règles selon lesquelles la compassion et la compréhension des autres est nécessaire pour atteindre une sorte d’exaltation, de proximité avec le divin. Quarante règles qu’il affine à mesure de son aventure qui nous emmène en Perse, à Bagdad, et puis à Konya où il rencontre Rûmi. L’autrice joue d’ailleurs sur cette proximité avec le divin, grâce à phénomènes surnaturels suggérés et inexpliqués, suscitant sans cesse l’interrogation sur la vraie nature de Shams (est-il un être mystique, doué de sortes de pouvoirs ?)

Une rare vision du monde

Ce qui me plaît par dessus tout dans Soufi, mon amour, c’est la manière qu’a Elif Shafak de mélanger une réalité proche de la nôtre, celle de la correspondance écrite entre Ella et Aziz, à celle d’un monde vieux de plusieurs siècles où la coutume et la pensée étaient bien différentes. Il y a un parallèle qui se crée rapidement entre ces deux êtres et ceux que raconte Aziz dans son roman, sans que Soufi, mon amour ne s’enferme complètement dans un récit religieux. Au contraire, son influence musulmane n’est là que pour parler d’amour, et pour offrir une vision des régions du Levant au XIIIe siècle, dénuées de tout orientalisme. L’autrice en parle avec douceur, avec une élégance qui rend honneur à une région du monde qui, à cette époque, était une terre fertile pour la culture. Si les poèmes de Rûmi sont évidemment au centre des esprits en lisant le roman, elle y aborde aussi l’architecture, la musique, ou encore la danse des derviches tourneurs tels qu’ils existent encore aujourd’hui en Turquie ou encore au Maroc. 

Avant de lire ce livre, je ne connaissais Elif Shafak que de réputation, mais il ne m’a donné qu’une envie : lire le reste de son œuvre. Au-delà des thématiques abordées, de sa manière de parler d’amour avec une intelligence épatante ou des merveilleuses images qui nous viennent en tête à chaque description d’un lieu d’exception entre Bagdad, Konya et Damas, Soufi, mon amour est une œuvre universelle, qui veut parler des minorités qui n’ont habituellement pas de voix. Ce n’est en effet pas un hasard si sa galerie de personnages est essentiellement composée de personnes vivant en marge de la société. C’est aussi une œuvre capable de dépasser les clivages religieux pour se concentrer sur des pratiques dont l’essence même ne connaît aucune barrière, entre la chasse aux égos et la recherche de l’amour désintéressé. Et c’est, enfin, une très belle histoire d’amour entre deux âmes que rien n’aurait dû rapprocher, celles d’Ella et d’Aziz, en miroir de la rencontre de Rûmi et Shams quelques siècles plus tôt.

  • Soufi, mon amour est disponible en librairie aux éditions poche.
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C’était peut-être une évidence. Plusieurs fois adapté en jeux vidéo, sortis sur des consoles portables et sur mobile depuis une quinzaine d’années, le manga et anime Fairy Tail a une filiation qui saute aux yeux avec les jeux vidéo : ses histoires de guildes et de mages qui prennent des quêtes aux quatre coins de leur univers ressemblent à bon nombre d’aventures vidéoludiques. Il manquait toutefois au catalogue des adaptations un véritable jeu de rôle, chose corrigée en 2020 avec la sortie d’un J-RPG sobrement intitulé Fairy Tail, développé par Gust (à qui l’on doit la série des Atelier) et édité par Koei Tecmo. Pas très bien reçu par la critique à l’époque, la faute à un titre qui n’adaptait qu’une partie de l’histoire, il a toutefois réussi à convaincre une partie des fans, qui attendaient de pied ferme le second épisode censé raconter le reste de l’aventure, jusqu’à la conclusion du manga. Ce deuxième épisode, Fairy Tail 2, toujours développé par Gust, est sorti le 13 décembre 2024.

Cette chronique a été écrite suite à l’envoi d’un code PlayStation 5 par l’éditeur.

Des airs de fin du monde

© 2024 KOEI TECMO GAMES CO., LTD.

Adapter un manga aussi long n’est pas chose aisé. Avec sa dose de chapitres ou épisodes qui allongent l’histoire plus que de raison et sa profusion de personnages, Fairy Tail est une licence qui présente un sacré défi à l’heure d’en résumer l’histoire en deux jeux. Pourtant Gust y arrive assez bien, avec une narration condensée et un casting resserré qui va à l’essentiel, quitte à titiller un peu des fans qui pourraient regretter que certains évènements ne soient pas abordés. Néanmoins, cela permet de rythmer l’aventure et offre à ce deuxième épisode un vrai sentiment de course contre la montre pour mettre fin à la menace de Zeref, les 12 de Spriggan et le dragon Acnologia. En effet, ce deuxième jeu raconte l’arc Arbaless, celui qui a conclu le manga, où le terrible Zeref lance une ultime guerre contre nos héros et héroïnes en vue de s’arroger les pouvoirs dans un monde nouveau. Si les enjeux peuvent être intimidants quand on n’a plus les évènements de l’œuvre originale ou du premier jeu en tête, Fairy Tail 2 a la bonne idée de surligner dans ses dialogues les noms, lieux et évènements importants pour lesquels on peut obtenir une description immédiate en appuyant sur la flèche du bas. Similaire à ce que faisait un Final Fantasy XVI par exemple, cela permet de ne pas perdre le fil, surtout dans un titre qui donne un sacré coup d’accélérateur aux évènements et qui va à l’essentiel. Ainsi, les scènes se succèdent à une vitesse parfois très intense, avec des cinématiques qui passent du coq à l’âne, parfois sans trop de liant.

La faute à une mise en scène minimaliste, laissant beaucoup de choses se dérouler en arrière-plan sans les montrer. On ne compte plus les transitions à l’image sur fond noir avec de simples textes qui racontent que tel ou tel évènement décisif s’est déroulé hors caméra. Un moyen d’économiser et de limiter le nombre de cinématiques, mais de toute manière, même les évènements montrés à l’écran restent très avares de mise en scène. Les cinématiques font le strict minimum avec uniquement des dialogues avec des personnages statiques, et contre les boss, des images de transition toutes blanches qui apparaissent à l’écran quand les personnages sont censés bouger et réaliser une attaque afin de compenser le fait que l’action ne soit pas rendue à l’image. Quitte à limiter au maximum les cinématiques pré-rendues, ça aurait été intéressant de les remplacer par des images de l’anime, mais il semble que cela n’ait pas non plus été possible pour le studio. Alors malgré toute sa bonne volonté et sa fidélité aux évènements de la série, Fairy Tail 2 ressemble un peu à la pire manière de suivre l’histoire de l’œuvre originale. Ne profitant ni des codes du jeu vidéo, puisque toute la narration se fait via des cinématiques fauchées, le récit n’exploitant pas le monde dans lequel on évolue ; ni de l’anime, en n’en reprenant aucune image. 

© 2024 KOEI TECMO GAMES CO., LTD.

On finit ainsi avec un jeu assez pauvre dans la forme, qui pourtant fait preuve de bonne volonté avec sa progression par quête, similaire à bon nombre de J-RPG, qui remanie le groupe à chaque scène afin de coller aux évènements du manga et de pousser à utiliser tous les personnages. Obligeant de fait à se familiariser avec tout le monde afin de mieux aborder les combats, et offrant également suffisamment de place aux différentes personnalités pour apporter leur petit plus à la narration. Si l’essentiel des scènes nous mettent malgré tout dans la peau de Natsu, le héros de Fairy Tail, il y a de nombreux moments où celui-ci est absent et où d’autres personnages prennent le relais. Un choix payant puisque cela permet d’éviter la routine et la lassitude dans un jeu pourtant assez répétitif, avec une structure de quête qui évolue peu et des zones à explorer qui se ressemblent toutes. L’ambition d’adapter une œuvre aussi longue s’est probablement heurtée à des considérations budgétaires qui ont poussé le studio à réutiliser beaucoup d’éléments, comme un bestiaire peu fourni et une poignée de boss qu’on affronte en boucle.

Dynamique mais rébarbatif

© 2024 KOEI TECMO GAMES CO., LTD.

C’est évidemment lié au manga, néanmoins les multiples combats contre les 12 de Spriggan font qu’on se lasse assez vite des combats. Les affrontements contre les ennemis classiques présentent assez peu d’intérêt et servent essentiellement à monter de niveau entre deux boss, néanmoins ils permettent aussi d’affiner les tactiques qui seront mises en place lors des combats plus difficiles. Car le jeu repose sur un système qui mélange le tour par tour à une jauge d’action, avec des faux airs de Final Fantasy XIII, où il faut apprendre à réaliser des combos selon un nombre de points d’action chargés avec des coups classiques, afin de libérer des coups spéciaux et insister sur les faiblesses des ennemis. Le but, c’est mettre l’adversaire dans une position de « stagger », c’est-à-dire défaire sa jauge d’armure pour le faire tomber et réaliser un coup ultime (nommé Unison Raid) où le personnage que l’on contrôle s’associe à un autre pour réaliser une attaque. Lors de ces phases, la barre de vie des boss fond comme neige au soleil et permet de les attaquer sans craindre de représailles immédiats. Plutôt efficace et dynamique, ce système se heurte néanmoins à la répétitivité d’un jeu qui ne renouvelle pratiquement pas ses affrontements. Chaque confrontation contre un boss donne lieu à trois combats successifs, avec des patterns tous identiques, et certains boss reviennent deux ou trois fois au cours de l’aventure. Pire, tous s’affrontent de la même manière, avec pour seule différence les éléments auxquels ils sont vulnérables, poussant à faire tourner les membres de l’équipe en combat (jusqu’à trois personnages attaquent en même temps) pour affaiblir le boss le plus vite possible. 

Et ce n’est pas le système de progression des personnages qui amène un peu de complexité dans un jeu qui en manque tristement. L’arbre de compétence propre à chaque personnage est en effet assez limité et ne laisse pas beaucoup de place aux choix, l’évolution est donc ultra linéaire et à peu près toutes les parties devraient se ressembler. On débloque assez peu de compétences au fil des heures, mis à part des versions plus puissantes de compétences acquises en début de partie, et peu de surprises s’offrent à nous à mesure que l’on avance. Les personnages les plus puissants le restent jusqu’au bout, on utilise les mêmes coups jusqu’à un ultime combat caché derrière des quêtes post-crédits. Rares sont les surprises dans un jeu sur rails, sans grande folie, et c’est peut-être là son plus grand défaut.

Fairy Tail incarne pourtant cette liberté, cette grandiloquence d’une œuvre un peu farfelue qui se joue des codes et qui ne se pose aucune barrière. Mais son adaptation vidéoludique, et plus encore cette conclusion dans Fairy Tail 2, ne relâche jamais le frein à main. Tantôt à cause de contraintes techniques et budgétaires qui limitent ses ambitions et livrent une réalisation fauchée, tantôt à cause d’un système dont on fait le tour dans les premières heures. Rarement emballante, son aventure manque le coche de l’épique et ce n’est pas ses dialogues, souvent vains avec des interactions très artificielles entre les personnages, qui relèvent l’intérêt du jeu. On lui reconnaît tout de même une certaine capacité à bien résumer l’histoire originale sans pour autant compromettre la fidélité à l’œuvre, de quoi garder l’intérêt des fans. D’autant plus que le jeu finit par les récompenser avec sa dose de fanservice et d’héroïnes en maillot de bain, d’un goût toujours douteux, dans la pure tradition de la licence.

  • Fairy Tail 2 est sorti le 13 décembre 2024 sur PlayStation 4, PlayStation 5, Switch et PC.
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Incarner un lapin en jeu vidéo ? On pense sans doute aux célèbres lapins crétins ou au plus confidentiel jeu indépendant My Brother Rabbit. Ces animaux sont moins populaires que les chats et les chiens, et pourtant, à leur petite échelle, il leur arrive d’être présent dans des œuvres artistiques. Au cinéma, on peut évoquer pêle-mêle Panpan dans Bambi, Roger Rabbit dans le film éponyme. En littérature, on trouve le Lapin Blanc d’Alice au pays des merveilles vient en tête, ainsi que le petit groupe de lapins de garenne cherchant un nouveau lieu de vie dans Watership Down de Richard Adams.

Il est probable que vous n’ayez jamais entendu parler du jeu Lapin, réalisé par le studio coréen Doodal, basé à Séoul… à part si vous êtes fan de ces petits lagomorphes comme moi, pour en avoir (eu) en animal de compagnie, et que vous cherchiez des jeux vidéo avec des lapins ! Sorti en novembre 2022 sur Xbox Series et en août 2023 sur Steam, Lapin est un jeu de plate-formes en 2D qui met en scène une petite troupe de lagomorphes obligés de quitter leur terrier.

Un plateformer aussi chill qu’exigeant

Un peu comme dans le roman Watership Down, Lapin met en scène cinq petits lapins qui doivent partir pour établir un nouveau terrier, leur parc actuel allant accueillir la construction d’un musée d’histoire naturelle. Dans le petit groupe, il y a Liebe, notre héroïne, encore toute jeune ; José, un lapin artiste et rêveur ; Bianca, une lapine curieuse et qui adore les légendes liées à la mythologie des lapins ; Montblanc, plutôt renfrogné de prime abord, bricoleur et mécanicien expert ; et enfin Capitaine, le chef de la bande et du terrier. Ensemble, ils vont quitter leur maison, nommée Alfa, pour trouver le “paradis des lapins”. Il s’agit d’une contrée signalée sur une carte dessinée par une précédente expédition, menée par George l’Explorateur.

Liebe, l'héroïne du jeu, se tient face à des pièges de ronces dans un décor de forêt plongée dans un bleu nuit. Elle est toute petite dans ce décor immense.

© Lapin, Studio Doodal, 2023

Évidemment, l’aventure extérieure ne sera pas facile pour les petits lagomorphes. Au cours de six chapitres, Liebe et ses ami(e)s vont traverser plusieurs décors, de la forêt des Vents à un ancien terrier lapin, en passant par les alentours de la ville ou des jardins. Au fur et à mesure des lieux, Liebe a la possibilité de parler plusieurs fois à ses compagnons, afin de renforcer ses liens d’amitié et d’en savoir davantage sur eux, débloquant des souvenirs communs ou des éléments de leur passé. Elle peut aussi faire la chasse aux collectibles en récupérant des graines de fleurs dans des zones plus difficiles d’accès, ou récupérer des objets-clés permettant de légères variations dans l’histoire. Ainsi, on peut choisir de donner une pièce trouvée soit à Pia, un oiseau rencontré, ou de l’utiliser dans un distributeur de friandises et boissons. Récupérer une boîte rouge permet de renforcer l’amitié avec Montblanc et découvrir une part de son passé.

Ces dialogues sont assez réguliers, pas assez pour devenir ennuyeux ou trop ralentir l’aventure. Ils fournissent des éléments sur la vie quotidienne des lapins – ce qu’ils aiment manger, par exemple – mais aussi sur les obstacles à venir. En effet, les décors de plateformes traversés sont simples au début, puis deviennent de plus en plus complexes. Des fleurs permettent de rebondir, des éclats de verre entraînent la mort, des blocs mécaniques font se projeter plus loin, des morceaux de pierre s’effondrent sous nos pas… Lapin, derrière son apparence toute mignonne et ses personnages adorables, dissimule un platformer 2D assez exigeant, même s’il n’est pas aussi difficile que Céleste dont j’avais testé quelques niveaux et qui est encore plus ardu. D’ailleurs, un mode facile est accessible si l’aventure normale vient à bout de votre patience, ou si vous avez simplement envie de profiter de l’aventure sans mourir et recommencer des dizaines de fois.

Liebe n’a en effet qu’une seule capacité : bondir. Certes, elle peut s’accrocher à des parois, sauter dans tous les sens, mais vaincre les différents niveaux demande surtout de la précision, de l’agilité et du timing, ainsi que de bons réflexes. Même lors des scènes de course-poursuite – les “boss” étant des belettes chassant les lapins, ou l’ennemi  final que je garde secret – elle ne peut que trouver son chemin pour fuir ou déclencher des mécanismes salvateurs. Néanmoins, après chaque mort – qui nous fait simplement revenir au début du tableau en cours – on a toujours envie de recommencer jusqu’à y arriver, par challenge et beauté du défi.

Une histoire toute en douceur et sensibilité

Liebe parle avec ses compagnons de route, aussi des lapins, explorant la prochaine route à prendre.

© Lapin, Studio Doodal, 2023

Si la musique n’est pas forcément le point fort du jeu – la plupart des pistes sont tranquilles et douces, plus rythmées lors de duels ou de courses-poursuites – Lapin a d’autres atouts qui peuvent charmer. Tout d’abord, sa direction artistique attire forcément l’œil, avec ce côté 2D aussi doux que poétique, mêlant dessin à la main, lumières autorisant la profondeur de champ, les petites animations rendant la forêt ou même les galeries vivantes. Bruissement du vent et des feuilles, vol de papillons, ondulations de l’eau, lumières dorées ou nocturnes… La direction artistique de Lapin est indéniablement séduisante, mêlant la nature à l’urbanisme avec des vieux parcs et attractions abandonnés par l’homme. On prend un immense plaisir à parcourir les tableaux et à observer leurs nouveautés, à interagir avec des éléments du décor, écouter les réflexions de Liebe, avec toutes ces couleurs pastel douces et chaleureuses à la fois.

Les personnages sont évidemment une autre qualité du jeu. Il est difficile de ne pas fondre et de ne pas apprécier ces petits lapins qu’on apprend à connaître ! Liebe est d’une innocence et d’une gentillesse touchantes, n’hésitant pas à se battre pour ses ami(e)s malgré son jeune âge. Montblanc est aussi marquant pour son caractère renfrogné qui cache des blessures profondes. Il y a toujours un aspect des personnages qui les rend attachants, que ce soit leur gourmandise, leur capacité à faire des bêtises, leurs blagues sur les lapins (comment appelle-t-on un lapin qui dévore tout un champ ? un cereal-killer), leur débrouillardise ou la profonde amitié qu’ils se portent tous. Chacun des personnages a sa personnalité, sa façon de voir la mythologie des lapins, de percevoir les humains… Et puis, quand on connaît les comportements des vrais lagomorphes, on a plaisir à revoir leurs gestes et attitudes durant le jeu, comme lorsque Liebe s’endort sur le ventre, ou redresse ses oreilles sous le coup de la surprise.

Un paysage en haut d'une montagne, au-dessus d'un téléphérique. Liebe observe le paysage nimbé d'une lumière de soleil couchant.

© Lapin, Studio Doodal, 2023

C’est ce qui ressort tout au long de l’aventure : leur amitié, leur capacité à s’entraider et à s’accepter les uns les autres. Le scénario est simple et efficace, juste ce qu’il faut sans pour autant entrer dans de grandes profondeurs, mais cela suffit amplement pour cette histoire d’amitié et d’exploration. Il réussit tout de même à faire passer quelques thèmes : l’importance de l’amitié et du temps accordé à celleux qu’on aime, le deuil, en parlant du soutien entre tous ces personnages et d’avoir dû laisser derrière soi d’autres lapins, en avoir vu mourir d’autres… Mais il y a aussi la menace représentée par l’homme quand ce dernier détruit des habitats naturels, ou néglige et abandonne ses animaux de compagnie. Les Deux-Pattes sont un sujet récurrent des conversations, entre nostalgie et tristesse, puisqu’on parle soit d’abandon de leur part, soit de comment leurs constructions détruisent des terriers. Cependant, l’histoire se tourne toujours vers un sentiment positif et de bienveillance.

Que conclure de Lapin ? Je suis loin d’être familière des jeux de plateformes de ce style, à la Celeste. J’ai été agréablement surprise par le challenge proposé, aussi addictif que défiant mes réflexes et ma précision. C’est un très joli jeu, paradoxalement chill, avec des graphismes et des personnages aussi adorables les uns que les autres. Le titre propose une aventure toute en couleurs et en poésie, mêlant plateformes, souvenirs amusants et petites critiques sur les relations entre humains et animaux. Lapin parvient, en une dizaine d’heures, à établir son petit univers et à se faire très attendrissant. Aussi pourra-t-il plaire tant aux fans du genre qu’à des joueurs et joueuses cherchant une aventure cosy et colorée, parfaite pour les journées d’hiver. Et si vous êtes team Lapin plutôt que chat ou chien (ou peu importe : on noue toujours un lien important à son animal de compagnie), impossible de ne pas craquer !

  • Lapin est actuellement disponible sur Xbox Series et Steam, depuis novembre 2023.
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Cette fin d’année est riche en jeux vidéo, difficile donc de se faire une place, plus encore quand on n’a pas les moyens des ténors de l’industrie. Néanmoins, le studio français Savage Level ne manque pas d’ambitions et s’invite sur nos consoles et PC avec Flint : Treasure of Oblivion, un tactical-RPG dans l’univers de la piraterie, avec un fort accent mis sur une narration empruntée à la BD. Une aventure sympathique qui n’est pas sans défaut, mais qui mérite tout de même que l’on s’y attarde tant elle est pleine de bonne volonté. 

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un code PlayStation 5 par l’éditeur. 

Drôle de chasse au trésor

@ 2024 Developed by Savage Level. Published by Microids SA. All rights reserved

Inspiration très libre de l’univers de L’île au trésor de Robert Louis Stevenson, Flint nous met dans la peau du capitaine du même nom, bien aidé par son compère Billy Bones. Ils se sont déjà fait une sacré réputation, et sont rattrapés dès le premier chapitre par les forces navales qui les jettent dans un cachot dans la forteresse de Saint-Malo. Rapidement évadés, ils sont vite en quête d’une place sur un navire partant loin de là. Pour ce faire, l’une des principales quêtes du jeu consiste à trouver des allié·es plus ou moins discrètement avant d’aller embarquer sur le Marquis, le navire d’un homme rencontré dans une auberge et partir à l’aventure. En effet, le Capitaine Flint est convaincu de pouvoir trouver un trésor inestimable selon une carte dont il a eu vent quelques temps auparavant. Une expédition de grande ampleur se prépare donc, et le jeu va nous faire passer par toutes les étapes d’une telle histoire : de la constitution de l’équipe à une mutinerie permettant au Capitaine Flint de devenir le chef, en passant par la découverte d’une île quasi-mystique aux affrontements contre des soldats à la solde d’un affreux gouverneur, Flint : Treasure of Oblivion ne manque pas d’ambition narrative. Très linéaire, le jeu est entièrement au service de sa narration et les combats, pourtant assez nombreux, semblent assez secondaires comme on le verra un peu plus tard dans ce test. L’action est en effet essentiellement centrée sur les phases narratives qui se débloquent à mesure que les combats sont réussis, ne laissant ni choix ni réelle exploration, l’histoire étant sur des rails dont on ne dévie jamais. Plutôt bien racontée, l’histoire du jeu s’offre quelques très bons moments, un peu d’émotion, mais surtout un vrai sentiment de vivre une histoire de piraterie qui évoque quelques souvenirs aux amateur·ices de L’île au trésor. Toujours charmante, empreinte de mystères et de bons mots de ses protagonistes, la narration manque toutefois peut-être de personnages secondaires plus présents. Hormis Flint et Billy Bones, les autres sont plus discrets, moins de dialogues, moins d’influence, servant essentiellement d’outils pour faire progresser l’histoire.

@ 2024 Developed by Savage Level. Published by Microids SA. All rights reserved

Avec une vue du dessus, façon isométrique, le jeu s’inscrit dans une certaine tradition. Ce qui ne l’empêche pas toutefois de se créer sa propre identité avec une direction artistique charmante qui s’accommode des limites techniques du jeu (qui reste une production AA), associée à de jolis effets de lumière qui apportent une certaine profondeur à l’image. C’est d’autant plus visible dans les scènes de nuit, où les torches illuminent les chemins et les couleurs s’imbriquent joliment. Pourtant, on voit bien les limites du côté des animations, qui sont assez austères et qui rappellent que l’on est face à un jeu à petit budget. Cela n’empêche toutefois pas le studio de faire preuve d’ambition dans sa narration, en proposant une mise en scène via des cases de BD joliment dessinées par Fabrice Druet, à qui l’on doit les BD L’art du crime ou encore Methraton, ainsi que le coloriste Bruno Tatti, qui a travaillé sur des tomes de Blake et Mortimer, ainsi que XIII. Un duo qui fonctionne bien et qui offre quelque chose d’agréable à l’oeil, avec des dessins en mouvement qui s’intègrent bien entre les scènes en 3D en se superposant à l’image. Cela est d’autant plus malin qu’en allant du côté de la BD, Flint en appelle aux origines littéraires de son histoire. Cela permet, d’autant plus, de passer outre les animations limitées des séquences en 3D pour s’offrir une narration convaincante, même si l’histoire déroule très vite et passe parfois du coq à l’âne. C’est peut-être à cause de l’envie de beaucoup en montrer : chasse aux trésors, conflit contre la marine, libération d’esclaves sur un navire, rencontre d’un peuple indigène ou abordage de navires hostiles, le titre multiplie les directions et tente beaucoup de choses sur un temps voutant plutôt resserré, sachant que l’histoire se termine en dix à quinze heures tout au plus.

Un système hésitant, des combats secondaires

@ 2024 Developed by Savage Level. Published by Microids SA. All rights reserved

Partie intégrante de sa narration, les combats de Flint sont curieusement peu nombreux. On aurait pu penser en avoir beaucoup plus, mais il s’avère en réalité qu’ils ne sont que des moteurs narratifs, quitte à en limiter la portée. En effet, face aux impératifs du récit, le jeu force un peu les combats en imposant des règles de défaite qui peuvent être frustrantes, comme l’impossibilité de laisser tomber au combat certains personnages (leur mort provoquant le game over et l’obligation de le recommencer), quitte parfois à ce que cela concerne 3 ou 4 personnages sur les 5 ou 6 que l’on contrôle au même moment. Ce système est contrebalancé par un système de vie permettant aux personnages de tomber plusieurs fois au combat avant une véritable mort (en limitant à chaque fois leurs statistiques d’attaque et de défense), mais il trouve vite ses limites face à des ressources trop peu nombreuses pour soigner les personnages entre deux affrontements et donc faire remonter le nombre de « morts » autorisées. Pourtant les combats tactiques ont quelques bons moments, avec une IA pas bête du tout et un level design qui permet de prendre à revers les adversaires (ou de l’être soi-même), et qui joue sur la verticalité pour prendre l’ascendant. On a toutefois trop souvent l’impression d’être sur des rails.
En effet, en limitant au maximum les combats à ceux liés à l’avancée de l’histoire, c’est-à-dire deux ou trois par chapitre tout au plus, le jeu n’offre pas de possibilité de les enchaîner pour gagner de l’expérience et se faciliter la vie par la suite, une expérience qui consiste à gagner de l’argent et l’investir dans sa trentaine de combattant·es. En réalité, il faut donc pleinement intégrer les règles de jeu à base de lancer de dé. Malheureusement, ces règles sont assez mal expliquées, faute de véritable tutoriel. Il faut se contenter d’une page de règles succincte qui est accessible à tout instant en appuyant sur une touche (triangle sur PS5). La difficulté est heureusement assez bien cadrée, le jeu étant relativement simple (et ce en l’absence de choix de difficulté) et ne pénalise pas les défaites puisque tous les combats peuvent être recommencés autant que nécessaire. 

Son ergonomie lui pose en outre quelques soucis, avec des menus assez obscurs, une navigation en combat sur l’espace tactique assez pénible à la manette, pour un jeu qui semble avoir essentiellement été pensé pour le PC. Mais il y a de si bons moments narratifs et un univers si enchanteur qu’on a parfois tendance à oublier ces errements d’un jeu imparfait et hésitant. Fort de l’écriture de ses deux personnages principaux, de sa mise en scène à la manière d’une BD et de ses inspirations qui font plaisir, Flint : Treasure of Oblivion a tout de la jolie petite surprise. À condition d’accepter ses soucis d’ergonomie et son système de combat peut-être trop dépendant de sa narration. Parce que malgré cela, le titre a tout du charmant petit jeu d’aventure pour accompagner la fin d’année.

  • Flint : Treasure of Oblivion est sorti le 17 décembre 2024 sur PC, PlayStation 5 et Xbox Series X|S
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Roman young adult sorti au début de l’année 2024, Noblesse oblige de Maïwenn Alix propose aux lecteur·ices de s’embarquer dans un récit uchronique où la monarchie française a survécu à la Révolution de 1789. Plus violente et vicieuse que jamais, la noblesse se réjouit de voir le petit peuple s’accrocher au rêve projeté par une émission de télé-réalité où des roturières apprennent à être de bonnes épouses, en vue de mariages arrangés avec des aristocrates en mal d’amour. À mi-chemin entre le roman d’espionnage et le thriller, Noblesse oblige est une belle surprise.

L’aristocratie en quête de popularité

Grinçant, le récit de Maïwenn Alix aborde toute l’ignominie d’une noblesse qui n’a rien perdu de sa violence morale au fil des siècles. Partant du postulat que la Révolution de 1789 a été un échec, l’autrice imagine ce que serait la monarchie à une époque contemporaine. On y apprend que Louis XXI règne désormais sur la France, qu’une purge a été menée pour écarter les opposants, et qu’un petit groupe d’abolitionnistes continue d’agir dans l’ombre en publiant régulièrement des pamphlets appelant à la fin de la monarchie. L’Europe, dans son ensemble, a suivi le même chemin, et il faut aller voir du côté de « l’Union orientale » et précisément en Turquie pour trouver une forme de liberté et de démocratie. Un monde lointain auquel aspire Gabrielle, l’héroïne du roman, ancienne bourgeoise qui a vu son père se faire confisquer son entreprise et sa fortune parce qu’il commençait à prendre trop de pouvoir en opposition à la monarchie. Jetée dans la famille des Kerdoncuff comme servante, la jeune femme a tout perdu et voue une haine pure à l’encontre de la noblesse. Un bon point de départ alors qu’elle observe, dépité, le spectacle d’un pays tenu en haleine devant Noblesse oblige, une émission de télé-réalité où des jeunes femmes soigneusement choisies pour leur « sang pur » sont jetées dans un jeu de séduction pour qu’une bande d’aristocrates puissent trouver leur femme. Évidemment, elle va être choisie pour y participer, et tout commence là.

Amatrice de piano, joueuse hors pair, elle s’illustre dès lors comme une femme extrêmement raffinée, attirant le regard du public et des aristocrates participant au jeu. Une dynamique malsaine s’installe et l’autrice en profite pour critiquer le comportement d’une monarchie qui est inévitablement tombée dans un spectacle navrant qui en appelle plus aux Kardashian qu’à une quelconque retenue. La vie royale est diffusée aux yeux de tous·tes, le palais de Versailles est théâtre des premiers amours et des trahisons, les jeunes femmes sont transformées en objets et les ducs viennent faire leur choix parmi elles pour trouver la bonne poule pondeuse afin d’assurer leur lignée. Absurde et satirique, le roman égratigne ce qu’était déjà une monarchie à l’époque, qui avait besoin du soutien populaire pour espérer survivre à la Révolution (ce qu’elle n’a finalement jamais obtenu), et qui, dans cette uchronie, devient son unique raison d’exister. On y voit un Roi consternant, qui manipule son entourage comme des pions pour s’assurer une bonne place dans les sondages de popularité, un héritier au trône mystérieux dont le rôle est central dans le cirque qu’est devenue l’aristocratie, et des jeunes femmes qui ne sont pas dupes mais qui voient là une chance de s’extirper d’une vie de misère. Le concept même de l’amour paraît bien loin de cette télé-réalité, tandis que Gabrielle, opposante convaincue à la monarchie, profite de son statut de favorite de l’émission pour accomplir ses missions d’espionnage pour le compte d’un réseau abolitionniste, avec un seul rêve : voir les têtes tomber.

Au bon temps des guillotines

L’héroïne, déterminée, combative et absolument captivante, est la meilleur réussite du roman. Elle participe à cette émission dans l’unique but de trouver de quoi faire tomber la monarchie, tentant d’aider un réseau révolutionnaire qui a vu en elle l’occasion de trouver des preuves de la mascarade, et l’autrice en fait un vrai symbole de puissance. Si elle n’est pas intouchable, elle incarne à elle seule la force d’un peuple qui rêve encore d’autre chose, qui n’a pas baissé les bras, et qui est prêt à prendre les armes pour faire tomber ses bourreaux. Son écriture est maline, même si Maïwenn Alix a tendance à se répéter quelque fois (son héroïne « déglutis » souvent), et prend le temps de caractériser quelques personnages attachants, comme le garde suisse Antoine qui protège l’héroïne au sein du palais, ou le duc de Léon qui est la source d’un mystère qui pourrait remettre en cause le pouvoir. C’est là que le roman prend une tournure plus axée sur le thriller, au-delà de l’espionnage, avec quelque chose d’assez sombre, incarnant la violence d’un pouvoir qui n’a rien perdu de sa cruauté derrière les faux-semblants d’un jeu télévisé plein de sourires et de couleurs. On sent rapidement que l’autrice veut nous emmener dans l’arrière-boutique où l’ambiance prend une tournure complètement différente de celle esquissée initialement, profitant de la télé-réalité comme d’une excuse pour gratter peu à peu les différentes couches d’un pouvoir devenu fou. Vices, violences, dynamiques autoritaires et abus, autant de joyeux moments incarnés par des hommes qui profitent allègrement de leur position de pouvoir. 

Et ces réflexions sur les manipulations de la monarchie fonctionnent, l’intrigue est bien structurée, l’aventure vécue par Gabrielle savoure son rythme et ne retombe jamais, mélangeant l’espionnage au thriller avec talent, d’autant que le livre ne dévoile ses véritables intentions que dans sa seconde partie. La fin manque peut-être d’un petit quelque chose, une pensée mieux amenée, ou un épilogue un peu mieux mené pour mettre un point définitif aux idées qui animaient Gabrielle tout au long de l’aventure. Néanmoins, et malgré cette légère critique, je dois bien avouer avoir passé un excellent moment avec Noblesse oblige, une lecture agréable qui même si elle surprend rarement, est capable de manier plusieurs genres avec brio tout en offrant un discours intéressant sur les dérives du pouvoir. On pourrait croire que l’uchronie n’est qu’un gimmick, et il est tout à fait vrai qu’une histoire similaire aurait pu être racontée dans n’importe quel contexte politique, mais Maïwenn Alix établit un lien pertinent entre quête de popularité télévisuelle et royauté, un pouvoir qui ne peut tenir traditionnellement qu’avec l’apathie d’un peuple qui ne se révolte pas. 

  • Noblesse oblige est disponible en librairie depuis le 8 février 2024. 
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