Sur Pod’Culture, nous vous avons déjà emmené(e)s sur les terres horrifiques du mangaka Junji Ito. Révélé par son manga Tomie, où une jeune et belle femme surnaturelle rend fous les hommes autour d’elle, Junji Ito a ensuite creusé son œuvre autour de la peur, des légendes urbaines et du body horror, notamment avec L’amour et de la mort. Les éditions Mangetsu le remettent à l’honneur depuis maintenant quelques années, avec une collection de toutes les œuvres du mangaka. Dans l’ombre est le dernier recueil paru à ce jour dans cette collection, tout à fait à la hauteur des autres œuvres de Junji Ito et permettant de découvrir onze nouvelles écrites entre 1991 et 1993.

Cette critique a été rédigée suite à un envoi d’un exemplaire papier par l’éditeur.

L’horreur dans le quotidien

L’abomination n’est pas toujours totalement surnaturelle chez Junji Ito. Certains de ses récits font part d’une terreur réaliste, à la limite parfois entre l’absurde et le glaçant. Dans l’ombre contient des nouvelles, chacune à chute, un peu comme des épisodes anthologiques de faits divers et surnaturels. L’auteur place ses histoires dans un Japon contemporain, universel, dans lequel l’époque n’est pas clairement définie. Cela rend chaque intrigue d’autant plus proche et actuelle, puisant ses racines dans la vie ordinaire et parfois dans les coutumes les plus traditionnelles du Japon.

Autant dire que les dernières cases font alors toujours l’effet d’une douche froide, d’un frisson glacé. Chaque histoire a une chute comme on les aime, avec une image marquante, grouillante de détails atroces ou d’une poésie morbide, achevant d’imprimer le récit dans la tête du lecteur. Ce petit frisson noir et glacé à chaque « résolution » finale, on prend plaisir à l’éprouver. Car à chaque fois, Junji Ito va encore plus loin dans ses idées, dans sa conception de l’horreur, qui puise autant dans le folklore japonais que dans un body horror assumé, à renfort de transformations charnelles écœurantes et de pourriture décomposée.

Mais pour revenir à cette horreur du quotidien, on la trouve dans deux des récits du recueil. Tout d’abord dans Le Mannequin, où un jeune homme est fasciné par l’image d’une modèle dans un magazine…mais parce qu’elle est à la fois très grande et surtout avec un visage dérangeant, complètement allongé et loin d’être harmonieux. Il en est hanté plusieurs jours, avant de se lancer dans un tournage avec un groupe d’amis…embauchant ce mannequin contre son gré. Bien qu’on soupçonne la modèle de ne pas être humaine, la terreur repose sur ce visage obsédant et inhabituel, qui devient terrifiant et malaisant pour les autres personnages.

Souvenirs disparus met en scène une jeune fille magnifique, qui rêve pourtant d’un visage odieux et monstrueux la nuit. Elle en vient à se demander si un jour elle a ressemblé à ce visage, notamment durant son adolescence dont elle a peu de souvenirs. Là encore, c’est le contraste entre la beauté et la laideur qui imprègne les cases de Junji Ito, mettant en parallèle des jeunes filles sublimes face à d’autres plus grossières et ingrates, mettant quelque part le doigt sur l’obsession de la beauté physique à tout prix. Un thème qu’on pouvait déjà retrouver dans Tomie, avec une sublime héroïne qui cachait un véritable monstre.

Folklore urbain et coutumes funestes

© Dans l’ombre, Junji Ito, Mangetsu, 2025

Une fois n’est pas coutume, comme dans L’amour et de la mort, Junji Ito se plaît aussi à mettre en scène des légendes urbaines japonaises, ou du moins à s’en approcher. Dans L’impasse, qui ouvre le recueil, un jeune homme loue une chambre au sein d’un foyer familial. Il entend des bruits de jeux dans une ruelle fermée, à la nuit tombée. Or, il s’agirait d’enfants fantômes, selon la fille des propriétaires des lieux. S’agit-il d’esprits perturbateurs ou de quelque chose de bien plus sinistre ? Ne comptez pas sur moi pour vous révéler l’excellente chute…

L’auberge fait également appel aux coutumes japonaises traditionnelles pour mieux les détourner. Dans une maison, l’homme de la famille devient fou, obsédé par l’idée de transformer leur demeure en une auberge avec bains thermaux. Il transforme totalement leur maison en un hôtel lugubre, parvenant à creuser la source dont il rêvait tant. Mais celle-ci dégage une odeur sulfureuse et inquiétante… un jeune homme finit par enquêter sur cette mystérieuse auberge, pour comprendre qu’il s’agit d’une sorte d’entrée vers les enfers.

Dans L’assentiment, on observe un jeune homme qui va sans cesse répéter sa demande en mariage au père de son amoureuse. Là où on pourrait dire qu’il s’agit d’un acte traditionnel, celui-ci devient alors absurde et infernal, le père ne cessant d’éconduire la demande tout en profitant des cadeaux du jeune homme. Un manège qui va se répéter des années et des années, virant à l’obsession maladive, à la répétition d’un schéma alors même que l’amour disparaît peu à peu, remplacé par une habitude machinale. Si la dernière demeure poétique, elle est aussi terriblement funeste et triste.

Chairs décomposées

Parfois, l’horreur chez Junji Ito vient également de lieux bien connus du quotidien, qui inspirent d’autant plus l’effroi. L’hôpital où on est censé soigner les maladies ; une fac où les étudiants se retrouvent ; ou sa propre maison, qu’on retrouve après une longue absence. Voisines de chambre confère une vision d’horreur à une jeune femme ayant subi un accident de voiture. Elle est obligée de partager sa chambre avec d’autres patientes, qui semblent rêver des mêmes choses et être dans une étrange symbiose. L’héroïne sera loin de partager cet esprit commun maléfique, finissant par fuir les lieux et ces femmes devenues comme une entité à plusieurs têtes…donnant à voir au lecteur une vision finale glaçante.

Le mal qui hante les pages de Junji Ito n’est pas toujours clairement nommé. La chute nous montre un village frappé d’une étrange malédiction, où les habitants sont emportés dans les airs après des accès de somnambulisme, avant de subir une chute tout à fait mortelle. Sont-ils projetés par un esprit cosmique lovecraftien ? Est-ce une mort suite aux péchés d’une vie ? Le mystère reste entier, mais ces chutes ont de quoi créer un frisson d’angoisse chez les lecteurs et les lectrices.

Les fumeurs est également l’une des nouvelles les plus malaisantes du recueil, mettant en scène un groupe de fumeurs particulièrement pointilleux sur ses nouveaux membres. Les cigarettes qu’ils partagent sont addictives, loin d’être véritablement « surnaturelles » et pourtant… avec un parallèle qui fait immanquablement penser aux camps de déportation et d’extermination de la Seconde Guerre mondiale, ce récit nous met terriblement mal à l’aise, montrant que l’horreur peut venir de n’importe où, transformant n’importe qui en un être qui n’a plus toute sa raison.

Labyrinthes intérieurs

© Dans l’ombre, Junji Ito, Mangetsu, 2025

Parlons enfin des trois nouvelles restantes dans le recueil, et qui font peut-être partie de celles qui m’ont le plus frappée. Elles reflètent en effet à la fois toute la fascination et le morbide que Junji Ito parvient à créer dans ses histoires. Ses personnages sont ordinaires, vite reconnaissables, parfois attachants, toujours très proches de nous. Ni particulièrement beaux, ni particulièrement laids (sauf quand c’est voulu), les héros et héroïnes se retrouvent souvent perdu(e)s au milieu de situations qui les dépassent, basculant brutalement dans l’étrangeté et l’horreur. Parfois ils s’en sortent. Parfois, seule la mort les attendra.

La moisissure voit un homme revenir chez lui après une longue absence. Il a choisi de louer sa maison à une famille vaguement connue, pour alors découvrir que sa demeure a été complètement ruinée et infestée d’une sorte de moisissure. Il essaie de la réhabiliter, pour découvrir que la pourriture qui suinte sur les murs ne fait que s’étendre, s’étendre, atteignant les fondations de la maison et s’infiltrant dans les moindres recoins. Hélas, il choisit d’y rester plutôt que fuir… Il s’agit encore d’une de ces nouvelles particulièrement frappantes. Parce que la pourriture dégoulinante des parois s’infiltre dans notre tête en même temps que dans celle du protagoniste. Parce que les détails sont tellement bien dessinés qu’on a un froncement écoeuré rien qu’en regardant les cases. Junji Ito parvient à transmettre l’horreur par son coup de crayon, par son ambiance, parfois de façon quasi-physique.

C’est quelque chose qu’on retrouve aussi dans La ville sans rues, particulièrement fascinante. Une jeune fille décide de rendre visite à sa tante, mais réalise que la ville où cette dernière vit a été barricadée. En vérité, les rues ont soudainement eu des murs, rendant impossible toute circulation, à part en passant dans les maisons des uns et des autres. Chaque habitant s’est alors mis un masque pour essayer de cacher son identité et le peu de pudeur qu’il leur reste. Et en plus, un tueur rôde… Particulièrement claustrophobe et géniale à la fois, La ville sans rues nous emmène dans un dédale où il n’y a plus d’intimité, où les gens se font voyeurs et incognitos, où chacun et chacune commence un peu à perdre la raison, sans pour autant se résoudre à fuir. La nouvelle révèle le pire et le meilleur en chacun, du voyeurisme à la tuerie, dans une ville où le manque d’intimité et d’ouverture – contradictoires – rend fou.

Enfin, parlons du Marchand de glaces, qui a quelques vibes à la Stephen King. Dans leur nouveau quartier, un père et un fils voient qu’un camion de glaces passe régulièrement pour offrir des crèmes glacées aux gamins. Ces glaces deviennent alors une obsession, jusqu’à ce que le père cède et laisse son fils en prendre. La fin de l’histoire devient un cauchemar pur que je vous laisse découvrir.

Conclusion

Dans l’ombre confirme le talent et le génie de Junji Ito, créateur d’histoires horrifiques aussi fascinantes que glaçantes, maniant l’horreur du quotidien aussi bien que celle menant à la décomposition, la maladie et le mal intérieur en chacun(e) de nous. Il est particulièrement doué pour installer des scènes simples, et pourtant installer dans ses récits des images saisissantes, perturbantes, qu’on n’oublie pas de sitôt. Bien des nouvelles de ce recueil me resteront en mémoire, peut-être davantage encore que avec L’amour et de la mort. S’il s’agit avant tout de récits horrifiques particulièrement bien menés, certains n’oublient pas de se faire critique ou parfois métaphores de certains traits humains ou de la société japonaise, dénonçant les obsessions, le culte de la beauté, la gourmandise extrême ou l’égoïsme inhumain. L’horreur se cache dans aussi bien dans l’ordinaire que le surnaturel, et il n’y a pas toujours besoin de body horror, pour réaliser un récit à vous faire passer une nuit blanche.

  • Les œuvres de Junji Ito sont disponibles en librairie aux éditions Mangetsu.
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Alors que l’on sort à peine de la collection Infinite après trois années intenses, Urban Comics propose la collection DC Absolute. En attendant l’arrivée très prochaine de « Prime » collectionnant la continuité « All-In » qui fait suite à Infinite, cette collection Absolute est le fruit d’une idée pas vraiment atypique mais forcément intrigante du côté de DC, celle de réécrire les mythes de la trinité Wonder WomanBatmanSuperman sous un angle plus noir, plus intense, dans un univers alternatif, un elseworld, où ces trois là ne sont pas celle et ceux qu’on connaît. Les premiers tomes sont déjà sortis et offrent une approche vraiment différente de la continuité, avec une liberté créative plus grande encore pour les auteur·ices. 

Cette chronique a été écrite suite à l’envoi d’exemplaires par l’éditeur.

Absolute Wonder Woman – Tome 1, l’Amazone des enfers

© 2025 DC Comics – Urban Comics

Écrite par Kelly Thompson (qui a écrit Birds of Prey notamment) et dessiné par Hayden Sherman, cette Wonder Woman ne partage que peu de choses avec celle que l’on connaît habituellement. Si elle tente d’incarner, avec difficulté, des valeurs d’amour et de sagesse, et qu’elle a également croisé la route de Steve Trevor, ses origines elles diffèrent complètement et ont un impact direct sur ce qu’elle est. Non pas élevée sur l’île des Amazones, qui ont été bannies par les Dieux, elle a été élevée plutôt par Circé au sein des enfers. Jetée là par les Dieux alors qu’elle était bébé et la dernière Amazone encore en vie, elle a grandi au milieu de l’adversité, repoussant les menaces alors qu’elle ne marchait pas encore, et faisant déjà preuve d’une vraie pureté d’âme. Mais cette vie en enfer l’a aussi poussée à maîtriser la magie du sang, à réaliser un sacrifice qui marquera le reste de sa vie, et à connaître déjà les limites de déités qui agissent aussi parfois par haine. Cette Wonder Woman, plus guerrière que jamais, plus Xena ou Red Sonja que déesse, incarne autant l’espoir que la peur aux habitant·es de Gateway City quand elle débarque pour la première fois au moment où une créature des enfers tente d’y déchaîner sa fureur. Cette incarnation de Wonder Woman, complètement différente de celle à laquelle on est habitué·es, n’en reste pas moins pourtant une personne motivée par l’amour et le besoin de défendre la veuve et l’orphelin, même si ses méthodes ont bien changées. Armée d’une épée gigantesque qui semble avoir été empruntée à Guts de Berserk, avec un lasso qui lacère son ennemi plutôt que pour lui arracher une quelconque vérité, le bras tatoué avec du sang, la guerrière peine à se faire entendre par les autorités qui ne comprennent pas ce qui se passe, mais elle en impose pas moins son aura, incontestable.

Cette réécriture du mythe de Wonder Woman a d’intelligent qu’il s’évade de la vieille iconisation d’une héroïne à l’ancienne parfois un peu dépassée. Si on aime profondément ce qu’elle incarne et son importance dans la représentation féminine chez DC à une époque où les personnages féminins étaient peu nombreux, c’est aussi bon de voir une incarnation différente, plus féroce, prenant l’ascendant sur l’image qu’on lui impose et déchaînant une violence apprise en enfer. Si le récit ne se situe pas sur la continuité de l’excellent Wonder Woman : Hors-la-loi de Tom King, il y a un vrai plaisir à lire ce récit juste après lui, tant les deux comics opèrent deux représentations différentes de la même héroïne mais en appelant à quelques concepts communs avec une exécution différente. Comme le besoin infaillible de Wonder Woman d’aider son prochain, sa compassion et sa détermination à se battre jusqu’à la mort. Je reste néanmoins plus mesuré sur les dessins, le style de Hayden Sherman manquant parfois d’impact. Surtout dans un récit qui emprunte à l’imaginaire kaiju japonais avec l’immense monstre et le combat final dantesque, qui aurait mérité d’un peu plus de rythme et de folie.

Absolute Superman – Tome 1, le baroudeur

© 2025 DC Comics – Urban Comics

S’il y a bien un mythe de DC qui n’a pas beaucoup bougé avec le temps, c’est celui de Superman. Souvent caricaturé en boy scout, le gendre idéal à la vie civile est un super-héros au sens le plus pur quand il est en costume. Incarnant des valeurs familiales, le défenseur de la veuve et de l’orphelin est toujours décrit comme parfait, avec une morale impeccable rarement mise à défaut. Pour ce Absolute Superman censé renverser les codes, Jason Aaron s’empare du personnage et l’éloigne de tout ce qui a toujours permis à Clark Kent, l’alter ego civil de Superman, d’être l’homme « parfait » et sans faille. Pas de famille d’accueil Kent, qui ne semble plus en vie, pas d’histoire d’amour avec Lois Lane, pas d’amitié avec Jimmy Olsen, ce Superman là est un jeune baroudeur qui explore le monde et met ses pouvoirs au service des peuples sans défense, avec férocité et violence contre son ennemi Lazarus Corp, une société capitaliste et paramilitaire qui exploite les pauvres pour ses propres profits. Si Superman reste le même défenseur des plus faibles, ses méthodes diffèrent grandement, et sa personnalité est celle d’un gamin paumé, un jeune dévasté par les horreurs du monde, qui tente tant bien que mal d’aider un peu tout le monde, dans des villes et pays délaissés. 

C’est une réinvention maline de Superman, car elle permet de voir évoluer le personnage dans un contexte radicalement différent. Loin des idéaux d’une Amérique fantasmée, le personnage découvre la misère, l’exploitation des travailleur·euses, et ne peut agir face à la violence capitaliste sans déchaîner lui-même une violence qu’on lui connaît assez peu. Et puis, les superbes dessins de Rafa Sandoval donnent beaucoup de coeur à cette histoire, qui ramène les autres personnages habituels de l’entourage du super-héros dans des rôles complètement différents. Comme pour Absolute Wonder Woman, on voit bien que ce projet « Absolute » veut complètement renverser les codes propres à ces personnages d’anthologie, et ça fonctionne très bien. Il lui manque peut-être de prendre un peu plus le temps en racontant les peuples au sein desquels évolue Superman, qui ne sont malheureusement qu’accessoires à son aventure, alors qu’il aurait pu être intéressant de raconter un peu plus la perception du mythe du héros par des personnes qui n’en ont habituellement aucun.  

Absolute Batman – Tome 1, Batman désarmé

© 2025 DC Comics – Urban Comics

La réinvention de Batman en Absolute était évidente : c’est un Batman sans le sou, ou presque, qui se présente à nous. Son père n’a jamais été le chirurgien renommé de la haute bourgeoisie de Gotham, au lieu de ça c’était un prof inconnu, mort dans une fusillade au Zoo. Alors Bruce a dû se démerder un peu, apprendre à vivre par lui-même, et surtout à se renforcer physiquement en grandissant pour devenir la chauve-souris qu’on connaît. L’idée d’un Batman fauché n’est pas vraiment nouvelle, d’ailleurs il avait perdu sa fortune dans la continuité récente, mais le fait de le faire grandir dans un Gotham populaire, sans objets high tech et hors de prix pour l’aider dans sa quête, le ramène à quelque chose de très animal. Presque vampirique, terrifiant, il revient aux origines d’un héros qui veut faire peur, qui inspire la crainte chez des malfrats confrontés à un gars prêt à tout, à taper fort et peut-être même plus. Représenté avec de gros muscles, quasiment caricatural, féroce, ce Batman de Scott Snyder n’est pas très subtil (mais la subtilité n’existe pas chez Snyder), mais elle est efficace, et s’insère très bien dans ce projet visant à montrer ces icônes de DC sous un angle radicalement différent. On voit Batman évoluer avec ses amis, pour la plupart des personnes qui sont devenues méchantes dans la continuité principale. On le voit haïr la haute bourgeoisie, lui reprocher tous les maux de sa ville, offrant au personnage une dimension plus populaire, plus proche du peuple. C’est presque l’antithèse du héros tel qu’il existe depuis des décennies.

Si on peut lui reprocher la facilité de son approche, consistant essentiellement à inverser la situation habituelle du Chevalier Noir, Scott Snyder n’en reste pas moins un auteur efficace qui propose un récit accrocheur, même s’il ne peut pas s’empêcher de mettre des pics sur le dos de Batman, comme s’il n’avait jamais oublié son Batman Metal (que j’aimerais oublier, pour ma part). Surtout, il profite du travail de Nick Dragotta aux dessins, toujours juste, et qui a l’air de bien s’amuser avec ce Batman massif, un peu underground, libéré du carcan habituel. Ça ne prend pas la route d’un très très grand récit, mais on devrait quand même pas mal s’amuser, et c’est déjà le cas dans ce premier tome. Vivement la suite.

  • Les comics de la collection DC Absolute sont disponibles en librairie aux éditions Urban Comics.
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Bonne surprise de l’année dernière, Duck Detective, sous-titré The Secret Salami, nous mettait dans la peau de Eugene McQuacklin, un canard anthropomorphe détective privé dépressif, récemment divorcé, qui se retrouvait à travailler sur une obscure histoire de vol de salami dans un open space qui a tout du The Office. Son univers coloré avec une dose de cynisme et d’absurde avait de beaux arguments, et offrait une courte enquête extrêmement satisfaisante, bien aidé par un humour acerbe et un voice acting du meilleur effet. Rien qu’une petite année plus tard, quasiment jour pour jour, Happy Broccoli Games propose le 22 mai 2025 sa suite avec Duck Detective: The Ghost of Glamping. Vaguement remis de son divorce, le détective part en vacances en camping, non, pardon, en glamping (le luxe avant tout !) sur les bons conseils de son comparse Freddy le croco. 

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’une clé PlayStation 5 par le développeur.

Fantômes en vacances 

@ 2025 Duck Detective: The Ghost of Glamping, Happy Broccoli Games

Très vite ce second épisode rappelle l’ambiance si accrocheuse de son prédécesseur. Eugene McQuacklin reste ce même détective désabusé, déprimé par sa vie personnelle et qui ne trouve réconfort que dans ses enquêtes. Auteur d’un roman dont son compère Freddy (dont la voix est celle de Brian David Gilbert pour les amateur·ices) ne se sépare jamais, le canard détective préfère passer son temps au boulot que de prendre des vacances pour broyer du noir. Alors quand Freddy lui annonce qu’il leur a réservé quelques jours de repos au camping, c’est le drame. Mais en arrivant sur les lieux du glamping tant vanté par Freddy, le détective retrouve des couleurs en réalisant qu’il y a une enquête à mener. En effet, un fantôme hanterait le camping installé sur le terrain d’un ancien sanatorium. Il n’y croît évidemment pas, et c’est là l’occasion de percer un mystère pas comme les autres. En réinstallant son ambiance mi-absurde, mi-mignonne avec ses personnages anthropomorphes hauts en couleur, Duck Detective: The Ghost of Glamping apporte exactement ce qui faisait les qualités du précédent titre. On se plaît à explorer les quelques zones d’enquête, à parler aux différents protagonistes, à les découvrir et à les confondre dans leurs mensonges pour mieux comprendre ce qu’il se passe. D’une militaire rigide à un influenceur à l’accent français, en passant par une responsable du camping stressée, les personnages ne manquent pas de personnalité et jouent tous et toutes un rôle dans ce whodunnit ou chacun·e est tour à tour suspecté·e d’être à l’origine des choses bizarres qui se passent dans le camping et qui sont attribuées, à tort ou à raison, à du surnaturel. 

Dans la forme, le jeu est identique à son aîné, c’est-à-dire que l’on se déplace librement entre plusieurs petites zones de jeu où l’on peut interagir avec des objets du décor, les personnages et examiner tout le monde à la loupe pour tirer des mots qui permettent ensuite de remplir des textes à trous. Un peu comme The Case of the Golden Idol mais en beaucoup moins complexe, Duck Detective préfère se focaliser sur la narration et la sympathie de son univers plutôt que sur la difficulté de l’enquête. Simple excuse symbolisant les différentes étapes de la réflexion du héros, les phases de “déduction” au moyen des textes à trous se font très simplement, avec la possibilité en plus d’activer une option d’aide affichant le nombre d’erreurs dans les textes que l’on tente de remplir ; il est ainsi fondamentalement possible de “forcer” la résolution des textes à trous en essayant toutes les combinaisons sans avoir à réfléchir. Mais ce serait dommage de procéder ainsi tant le jeu fait tout pour que les déductions paraissent naturelles. Il y a un véritable effort de réflexion pour que les déductions à réaliser fassent pleinement sens avec les informations à disposition suite aux enquêtes. Le premier jeu, l’année dernière, se perdait sur ce point dans son dernier tiers avec quelques révélations qui tombaient comme un cheveu sur la soupe, avec des indices qui manquaient de cohérence avec la déduction à réaliser. Plus maîtrisé sûrement, ce deuxième titre semble être celui de la maturité pour le studio.

Personne n’entend un quack ?

@ 2025 Duck Detective: The Ghost of Glamping, Happy Broccoli Games

Heureusement comme le premier titre, Duck Detective: The Ghost of Glamping préfère la qualité à la quantité en proposant une aventure courte mais intense. Découpé en quelques étapes d’une enquête où l’on découvre peu à peu les secrets des pensionnaires du camping, le jeu se termine en trois à quatre heures tout au plus, une poignée d’heures mises au service d’un casting extrêmement réussi avec une galerie de personnages qui évoque quelques uns des meilleurs whodunnit. Le personnage de la militaire cache une subtilité insoupçonnée, comme l’influenceur français qui ne se contente pas de n’être qu’une caricature. Idem pour son attachée de presse, plutôt intéressante, ou encore la responsable du camping qui lance les hostilités avec un accueil qui n’est pas franchement chaleureux. L’écriture est à saluer, avec beaucoup de petites vannes pince-sans-rire, même si cela nécessite d’avoir un niveau correct en anglais faute de traduction française. Mais si vous comprenez la langue, ce serait dommage de passer à côté tant il y a quelque chose de malin dans cette narration, qui prend les histoires de fantômes à contre-pied, et qui s’amuse des particularités animales de ses personnages pour les tourner en dérision.

Très accessible, la série des Duck Detective mérite le coup d’œil même lorsque l’on n’est pas amateur·ice de jeux d’enquête. Plus encore avec son prix tout mini, vendu à moins de 10 euros. Avec ses enquêtes plutôt simples à réaliser, ce deuxième épisode corrige les défauts du premier en insistant bien sur la cohérence de ses déductions, et apporte en plus une charmante petite histoire de fantômes avec un humour toujours savoureux. Le personnage principal reste un coup de coeur dans ce deuxième titre, tant son cynisme de vieux briscard s’associe bien avec son allure de canard, comme si c’était une évidence d’incarner un canard détective. Absurde mais plein de bon sens, Duck Detective: The Ghost of Glamping est un super jeu et laisse espérer, pourquoi pas, un troisième épisode un de ces jours.

  • Duck Detective: The Ghost of Glamping est disponible depuis le 22 mai 2025 sur PC, Switch, PlayStation 5 et Xbox Series X|S. 
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Nous y voilà. Un peu plus de trois ans après le lancement de l’ère Infinite de DC Comics en VF chez Urban Comics, elle touche à sa fin. Les principaux fils rouges ont été conclus ces derniers mois avec des fins de runs remarquées, et l’arrivée de l’évènement Absolute Power qui prépare la suite. Pour nous diriger vers la fin de la collection (et en attendant le dernier tome de Poison Ivy Infinite qui ne sortira étrangement qu’en juin), Urban Comics propose à cheval sur avril et mai 2025 l’ultime tome de Absolute Power (le 25 avril), qui provoque la transition vers la prochaine ère All-In (qui sortira sous le label « DC Prime » en VF), ainsi que la conclusions du Batman Dark City de Chip Zdarsky (le 2 mai) et le troisième tome de Wonder Woman : Hors-la-loi de Tom King (le 30 mai). En parallèle, fin mai, et cela fera l’objet d’une autre chronique plus tard, sortiront les premières séries d’une collection DC Absolute en attendant le lancement des DC Prime en juin. C’est le foutoir, mais c’est ça qu’on aime dans ces histoires de super-héros et super-héroïnes. 

Cette chronique a été écrite suite à l’envoi d’exemplaires par l’éditeur.

Batman Dark City – Tome 6, les failles de Gotham

© 2025 DC Comics / Urban Comics

Dark City, sous-titre donné aux tomes reprenant le run de Chip Zdarsky sur la série principale Batman, aura été décisive pour la conclusion de l’ère Infinite. C’est là que l’on a vu Batman activer involontairement Failsafe, robot-tueur créé par son subconscient Zur-en-Arrh pour se neutraliser lui-même au cas où il pèterait un boulon, un robot bien utile à Amanda Waller dans sa quête contre les super dans Absolute Power. Mais c’est aussi un comics où l’écriture de Zdarsky révèle tout son potentiel dans sa manière de se détacher de l’héroïsme pour raconter les failles de Batman, son incapacité à mener à bien sa mission, l’inefficacité de son action face à une ville de Gotham toujours plus violente, et l’impact de quelques autres personnes sur le quotidien de cette ville. Comme Jim Gordon, l’ancien commissaire et éternel ami de Batman, qui joue dans cet ultime tome un rôle central. Accusé d’avoir assassiné une figure importante de la ville, il doit tenter de s’innocenter et de comprendre ce qu’il s’est passé, grâce à Batman qui lui-même peine à croire qu’un homme aussi droit que Jim Gordon, qui s’est toujours refusé à la violence et à la corruption de Gotham, puisse commettre un tel acte. Histoire de confiance et d’amitié, ce sixième et ultime tome ramène quelques têtes connues de Gotham, comme Edward Nygma, devenu une sorte de millionnaire philanthrope, et la Cour des Hiboux, société secrète qui alimenté quelques uns des fantasmes les plus fous de Gotham.

Chip Zdarsky soigne donc sa sortie avec un dernier court récit qui se dégage légèrement de la grande chronologie actuelle autour de Absolute Power pour raconter quelque chose de plus centré sur la ville de Gotham, un récit plus intimiste qui recentre l’action là où tout a commencé. La ville la plus pourrie de l’univers DC trouve un second souffle en même temps que Batman qui commence enfin à accepter ses propres limites. De retour dans une position d’enquêteur plutôt que de super-héros qui affronte des menaces venues d’univers alternatifs, ce Batman est celui qui nous a fait rêver dans notre jeunesse. Sorte de détective implacable prêt à tout pour trouver la vérité et apporter un peu d’espoir à une ville qui n’en a plus. On garde des réserves sur la conclusion de l’histoire et son renvoi peu inspiré à l’actualité américaine (même si cela fait sourire), mais dans l’ensemble, on tient un vrai bon comics. 

Wonder Woman : Hors-la-loi – Tome 3, l’icône et son amour

© 2025 DC Comics / Urban Comics

Le Souverain termine son récit, celui qui a mené Wonder Woman à devenir hors-la-loi. L’histoire imaginée par Tom King trouve ici un premier dénouement. Si ce n’est pas la fin de son run sur la série principale Wonder Woman, puisqu’un quatrième tome semble être prévu, l’auteur apporte de premières réponses à un arc scénaristique qu’il maîtrise parfaitement. Depuis le début, on sait que le Souverain, sorte de vieux monarque qui contrôlerait les États-Unis depuis des siècles, dans l’ombre (sorte d’état profond, comme diraient les complotistes), révèle à Trinity, la fille de Wonder Woman, ce qui a bouleversé le destin de sa mère. Disparue, Wonder Woman était devenue une hors-la-loi. En allant chercher son inspiration du côté de l’actualité américaine lui aussi, et surtout sur la place des femmes (et par extension de toutes les minorités) remise en cause par un regain conservateur et masculiniste, le très populaire auteur Tom King livre un récit grisant sur la plus grande héroïne de l’univers DC. Et ce troisième tome, sorte de cerise sur le gâteau, est absolument palpitant avec une mise en scène qui allie plusieurs temporalités, avec un Souverain qui brouille les pistes dans un récit non-linéaire, où la figure iconique de Wonder Woman se heurte à la violence qu’elle a subi.

Difficile d’en dire beaucoup plus sans spoiler l’excellent premier dénouement de cet arc, mais s’il faut en dire quelque chose, c’est que Tom King est au sommet de son art. Aussi malin que grinçant à l’heure d’aborder l’histoire de l’Amérique et ses ramifications dans l’actualité et la manière dont Wonder Woman et les autres Amazones, représentantes des femmes, sont traitées, l’écrivain joue des croyances propres aux États-Unis (grandeur, liberté…) pour mieux en tirer ses incohérences. Poignante, cette histoire sur les traces de ce qui a fait l’importance de l’héroïne sonne très juste, plus encore dans notre monde actuel. Il fait de Wonder Woman un personnage qui s’illustre autant pour sa force et sa détermination que pour l’amour qu’elle donne à ses proches. C’est finement écrit, et c’est aussi très beau grâce aux dessins de Daniel Sampere. Les réponses apportées sur l’objectif de ce récit du Souverain mènent toutefois à de nouvelles questions, et on se demande bien maintenant vers où la suite.

Absolute Power – Tome 3, la fin de DC Infinite ?

© 2025 DC Comics / Urban Comics

Quelques mois après les débuts de l’évènement Absolute Power mené par Mark Waid, on en voit enfin le bout. Sorte de Civil War à la sauce DC, on y découvrait une Amanda Waller enfin en position d’accomplir son rêve de toujours : se débarrasser des super-héros et super-héroïnes. Grâce à la technologie de la Reine Brainiac et de Failsafe, le robot tueur de Batman (voir Batman Dark City), elle avait pu mettre au pas les super en les privant de leurs pouvoirs, et en orchestrant leur mise au ban de la société grâce à une propagande médiatique bien huilée. Pour cet ultime tome, la bataille finale a lieu et les personnages historiques, qui étaient en retrait depuis la fin de la Justice League, c’est-à-dire Batman, Wonder Woman et Superman, reprennent un rôle central pour tenter de se débarrasser de Waller. Mais pas seulement, puisque Robin (Damian Wayne) joue aussi un rôle important, tout comme Green Arrow et quelques personnages plus secondaires qui apportent leur pierre à l’édifice. Mais surtout, c’est un tome qui vient marquer la fin d’une ère et le lancement d’une nouvelle.

L’ère Infinite a été marquée par plusieurs éléments : des récits qui s’écartaient régulièrement de la continuité (avec la promesse que la plupart des histoires sont lisibles sans suivre l’ensemble des séries), des personnages habituellement plus secondaires qui prenaient un rôle principal, comme Nightwing et les Titans qui ont remplacé la Justice League. Ou encore un savant mélange des univers et des personnages qui formaient des duos inattendus, comme Wonder Woman et Damian Wayne dans cet arc du Absolute Power. D’un point de vue éditorial, l’ère Infinite n’est pas encore tout à fait terminée puisque la collection publiée chez Urban Comics verra arriver dans quelques semaines un nouveau tome de Poison Ivy Infinite par exemple. Néanmoins, Infinite va vite laisser sa place à deux nouvelles collections : d’abord les DC Absolute qui vont très vite arriver et qui vont opérer la transition avec la suite, et ensuite les DC Prime, le label qui collectera la nouvelle ère « All-In » de chez DC. Avec la promesse notamment d’un retour de la Justice League, comme en témoignent les dernières pages d’Absolute Power. Ça va être encore un peu plus le bordel, mais on est là pour ça et on va tenter, sur Pod’Culture, d’en parler du mieux possible.

  • Les comics de la collection DC Infinite sont disponibles en librairie aux éditions Urban Comics.
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Il y a presque un an je découvrais la série de comics Locke & Key, écrit et dessiné respectivement par Joe Hill et Gabriel Rodriguez. La résultante de cette découverte, via le premier tome, était une agréable surprise. Le scénario était suffisamment intriguant, pour me donner envie de découvrir les secrets de la maison Keyhouse et surtout de la famille Locke. C’est presque un an plus tard, plus précisément le 5 mars 2025 qu’est sorti le quatrième et dernier tome de cette Master Edition aux éditions HiComics.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire par l’éditeur.

Teenagers, et… Super-héros ? (Tome 2)

© Hi Comics 2024 – © Hill, Rodriguez

S’il y a bien un point qui m’a vraiment surpris lors de la lecture du deuxième tome de Locke & Key, c’est son accessibilité. Autant, dans l’avis que j’ai donné l’année dernière, je trouvais que le premier tome était violent, autant celui-ci est bien plus léger. Les enfants Locke sont prêts à faire face aux différentes attaques de Dodge, ce qui rend les affrontements moins spectaculaires, et donc moins violents. La problématique qui se pose face à ce choix, c’est que cela impacte l’enjeu du récit. Mais les auteurs en ont conscience : pour preuve, les différents problèmes et leurs résolutions ne s’étendent plus que sur une page, afin de laisser respirer le récit. Il en est de même pour les clés : elles, qui étaient si mystérieuses, nécessitant des pages d’explication pour comprendre leur fonctionnement, sont ici résumées en quelques cases, devenues de simples gimmicks de résolution de problèmes.

Il y a de grosses facilités scénaristiques qui rendent l’ensemble trop superficiel, et tout cela est dû au côté « teenagers » de la série. Autant dans le premier tome je n’avais pas ressenti ce problème, autant ici c’est flagrant. Les enfants Locke vivent peu d’embûches. Les pouvoirs qu’ils ont obtenus grâce aux différentes clés les transforment en super-héros. Tout se résout trop rapidement et trop facilement, au point où l’antagoniste principal en devient presque une blague, tant ses attaques et sa pression psychologique ne sont plus aussi impressionnantes. Et je trouve ça vraiment dommage : ce second tome est clairement le ventre mou de la série. L’histoire n’avance que très peu, entrecoupée de scènes d’action très vite résolues, avant d’enchaîner sur un peu d’histoire, pour être de nouveau coupée par une scène d’action… Bref, ça tourne vite en rond, et on reste surtout pour continuer à découvrir les différents pouvoirs des clés, et surtout percer les secrets de la Keyhouse.

Le passé s’invite à la fête (Tome 3 & 4)

© Hi Comics 2024 – © Hill, Rodriguez

Fort heureusement, ce troisième tome est bien plus passionnant que le deuxième, car en plus de marquer la fin de la série, il nous donne également toutes les clés – wink wink – de compréhension de cette histoire. À commencer par les origines des clés : comment et pourquoi elles existent, à quoi elles servent réellement, comment la famille Locke en est devenue la gardienne, et bien évidemment, comment tout a dérapé pour en arriver à l’histoire racontée à travers ces trois tomes. Sans parler, évidemment, du combat final entre les enfants et Dodge… Tout y est vraiment très bien exécuté, et malgré les longs flashbacks – la moitié du tome quand même – le rythme est intense, sans que l’on ait le temps de s’ennuyer. Je trouve tout de même impressionnant d’avoir réussi à clore le récit aussi rapidement, sans avoir oublié de répondre à toutes les questions laissées en suspens. Et malgré un final un peu facile – le pouvoir de l’amour et de l’amitié –, il est appréciable de voir la famille Locke triompher. Les différentes difficultés et problématiques auxquelles ils ont été confrontés font que le lecteur arrive à s’attacher à cette famille, ou en tout cas ce fut mon cas, alors que je conspue l’utilisation du pouvoir de l’amour dans les œuvres de fiction.

Je fais un petit aparté sur le quatrième tome, qui est plus à considérer comme un tome bonus pour les fans. HiComics a rassemblé toutes les histoires annexes, fins alternatives de Locke & Key, et des key arts, afin de les compiler en un seul et même tome, proposant ainsi de continuer notre plongée au cœur de la famille Locke et de la Keyhouse. C’est ultra appréciable d’avoir droit à ce genre de contenus supplémentaires quand on sait qu’habituellement, cela reste cantonné aux États-Unis.

Il y a un an, donc, je concluais sur le fait que je me pencherais peut-être sur l’adaptation de Netflix, si l’histoire au complet me plaisait. Force est de constater que oui, un grand oui ! Locke & Key n’est pas exempt de défauts dans sa narration : il y a tout un tas de petits problèmes qui viennent entacher le récit, notamment à cause du côté teenagers, qui casse tous les enjeux graves et sombres du début de l’histoire. Malgré cela, l’idée autour d’une maison  qui est un personnage à part entière, de clés mystérieuses qui donnent des pouvoirs, le tout avec un côté lovecraftien… je dois bien l’avouer : je suis piqué. Beaucoup de choses pourraient me rebuter, mais non, tout fonctionne étonnamment très bien sur moi, et je ne peux que vous conseiller de vous plonger dans cette histoire. Il se peut que vous soyez mal à l’aise face à certaines scènes très graphiques, ou perturbé par une narration quelque peu étrange par moments, mais laissez-vous guider dans la Keyhouse, et bientôt, vous aussi aurez les clés en main pour apprécier ces comics.

© Hi Comics 2024 – © Hill, Rodriguez

  • La Master Edition de Locke & Key est disponible intégralement en librairies aux éditions Hi Comics.
  • La série Locke & Key est disponible en intégralité sur Netflix.
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Chill Chat, c’est l’émission de Pod’Culture où l’on se pose et on cause avec une personne qui navigue dans les eaux de la Pop Culture ; que cette personne soit un créateur ou une créatrice, artiste, ou encore prescripteur ou prescriptrice.

Pour ce quinzième épisode, j’ai eu le plaisir de discuter avec Phobos, cosplayeuse, photographe, podcasteuse et autrice. Avec elle nous avons abordé le cosplay et la fanfiction, deux domaines de la pop culture qui sont deux façons plus liées qu’elles n’y paraissent de faire vivre nos œuvres préférées, mais aussi de se les réapproprier et, parfois, de nous révéler à nous-mêmes.

 

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Palme d’or à Cannes en 2024 puis Oscar du meilleur film en 2025, avec son lot d’Oscars individuels (meilleur réalisateur, meilleure actrice…), Anora de Sean Baker est la dernière réussite d’un cinéaste qui se plaît à raconter les marginaux, les personnes qui vivent en dehors des carcans imposés par une société qui ne leur ressemble pas. Mais là où le réalisateur gardait un succès d’estime en festival, il trouve cette fois-ci un véritable succès critique symbolisé par cet Oscar. Et c’est peu dire que c’est mérité, tant son film convainc par son authenticité, sa douce folie et la géante prestation de Mikey Madison, qui connaissait là son premier grand rôle.

Folle fuite en avant

© Augusta Quirk – 2024 Anora Productions, LLC

Anora, qui se fait appeler Ani, est une stripteaseuse dont s’entiche Vanya, le fils d’un riche milliardaire russe plus occupé à s’amuser qu’à faire les études que lui paient ses parents. L’environnement idéal pour un gamin qui préfère explorer les plaisirs de la chair offerts par une ville de New York où les clubs de striptease sont légion. C’est là que la rencontre se fait, et que Vanya finit par avoir une sorte de coup de foudre. Ce qui apparaît au départ comme une relation d’affaires entre un client immature et son escort qui découvre la poule aux oeufs d’or tourne vite à la folle fuite en avant d’un couple qui ne se fixe aucune limite, avec en point d’orgue un mariage express à Las Vegas. C’est l’essence même, le point de départ d’une histoire que Sean Baker nous raconte en deux temps : d’abord la paradoxale insouciance d’une relation où personne n’est vraiment innocent, où le film nous raconte un quotidien fait de sexe et d’alcool, où Ani trouve un certain réconfort, une vie qui lui ressemble, une vie frénétique, irrévérencieuse, grande gueule, où les actes ne semblent pas vraiment avoir de conséquences. Et ensuite, la deuxième partie, la réalité, il s’avère que les actes ont eu des conséquences finalement bien réelles, Vanya n’est pas aussi libre qu’il le prétendait, et les règles dont chacun·e pensait s’affranchir reviennent en force. Pour autant, le cinéaste a l’intelligence de ne jamais porter de jugement sur ses personnages.

Plus encore, il leur apporte une certaine tendresse, tant dans leurs erreurs que leurs moments de lucidité, notamment au travers de Ani. Elle est folle d’énergie et d’un charme terrible, elle incarne un laisser-aller, une liberté assumée qui s’affranchit des règles et des limites posées par une société qui ne lui plaît pas. Elle est lucide sur les difficultés qu’elle rencontre, mais tente de les tourner à son avantage avec une légèreté et un sarcasme occasionnel qui tend à faire sourire. Entre le drame et la comédie, le film fait rire autant qu’il émeut. On sourit parce que les situations sont absurdes et que Ani les aborde avec une légèreté déconcertante, même les scènes de sexe font sourire et tournent en dérision un jeune homme, notamment, qui se voit plus important qu’il ne l’est réellement. Mais on éprouve aussi une certaine compassion et une peine pour Ani qui se trouve dans une situation impossible, où elle sera perdante quoiqu’il arrive. Le film joue de son absurde pour emprunter des chemins variés, on passe du thriller à l’humour avec les brutes un peu bêtes qui tentent de l’intimider, de la romance au drame avec une relation impossible.

Une énergie débordante, des règles du jeu remises en cause

© Augusta Quirk – 2024 Anora Productions, LLC

Que ce soit par amour ou par esprit de contradiction, difficile de vraiment savoir ce que pense Ani, elle s’oppose à ses bourreaux dans un ton enlevé, déjanté, avec son culot et son irrespect, mais elle révèle à certains instants une sensibilité qui la rend d’autant plus attachante. Cette complexité est sublimée par son actrice, auquel le cinéaste offre la place nécessaire pour qu’elle se révèle. L’Oscar de la meilleure actrice obtenu par Mikey Madison en mars dernier est difficilement contestable tant elle irradie l’écran par son énergie, son intelligence, sa manière de jouer un rôle certainement épuisant mais auquel on s’attache immédiatement. Forte de ses certitudes et peut-être sûrement aussi d’une fougue inhérente à sa personnalité, elle fait de Ani un personnage tragicomique dont elle s’imprègne entièrement. Mikey Madison étonne et séduit, Sean Baker lui doit énormément. Il se murmure qu’il aurait écrit le personnage pour elle, et il est difficile d’imaginer une autre actrice à sa place. Elle incarne parfaitement la volonté du cinéaste de raconter l’irrationalité des relations humaines, l’amour comme extravagance, la peur comme moteur. 

Aussi énorme qu’aberrante, cette aventure ne perd jamais de vue l’essentiel, son humanité. Anora est l’un de ces films que l’on a du mal à critiquer, parce que tout semble s’emboîter bien comme il faut. Il n’est pas parfait, le film a ses faiblesses, mais il les embrasse pour en faire une force, ne cherchant que l’authenticité dans une histoire pourtant hors du commun, avec une héroïne qui affirme son extravagance, tant pour vivre libre que pour se protéger. Anora est un personnage marquant, c’est une expérience à part entière, c’est une personne que l’on a envie d’aimer, de détester, avec qui on a envie de rigoler et de faire un bout de chemin ensemble. 

  • Anora est sorti en salles le 30 octobre 2024. Le film est désormais disponible en DVD, Blu-ray et en VOD.
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Patrick Rothfuss est un écrivain américain connu pour sa saga de fantasy toujours en cours, celle de la Chronique du tueur de rois, composée de deux pavés tomes : Le nom du vent et La peur du sage. Il a également publié la novella La musique du silence, qui s’attarde sur un des personnages secondaires de l’intrigue. L’étroit chemin entre les souhaits met particulièrement en scène Bast, un Fae – un être non humain et doué de pouvoirs – qui assiste Kvothe, le héros du Nom du vent. Le premier tome de la Chronique du tueur de roi datant de 2009, L’étroit chemin entre les souhaits est donc un rappel de cet univers et une immersion bienvenue, grâce à Bast, le protagoniste de ce récit d’une journée.

Cette critique a été permise suite à l’envoi d’un exemplaire du livre par les éditions Bragelonne.

Be careful what you wish for

Les deux premiers tomes de la Chronique du Tueur de roi © Bragelonne, 2009-2013, Patrick Rothfuss

Et si quelqu’un était capable d’exaucer votre souhait ou un désir passager, en échange d’un prix à payer ? Voilà qui vous rappelle quelques histoires de pactes maudits, des récits faustiens qui mettent en garde contre le fait de vendre son âme pour réaliser un désir impossible, n’est-ce pas ? Eh bien, vous faites fausse route car L’étroit chemin entre les souhaits est loin de ces histoires tragiques. Bast est ici un Fae – pas un humain – un être doué de magie, d’une nature qui reste mystérieuse même encore après la fin de cette novella. S’il travaille dans une auberge de la petite ville de Newarre, l’une de ses autres occupations est aussi de réaliser les souhaits d’enfants plutôt jeunes, en échange de faveurs, au pied d’un arbre jadis frappé par la foudre.

Bast est ambivalent. Bast est un séducteur autant qu’un charmeur. Il est capable de réaliser les vœux de certaines personnes, de lire dans les cœurs et pourtant de se faire parfaitement avoir par la trop grande candeur d’un gamin venu lui rendre visite. Gracieux, éloquent, il n’a pas sa langue dans sa poche tout en maîtrisant la subtilité. C’est un personnage charismatique, presque manipulateur. Et pourtant, il possède en lui une certaine douceur, une empathie, qui font que ses marchés sont loin d’être diaboliques, plutôt bénéfiques.

Rike, Kostrel, Viette…autant d’enfants qui viennent demander des services à Bast au pied de l’Arbre-Éclair, lui qui est réputé pour savoir exaucer les souhait. Pour ce faire, il utilise le charme surnaturel des embrils (des pierres runiques / gravées mystiques) autant qu’un savoir-faire propre issu de sa nature féérique. Comment réussir à convaincre ses parents de garder ce chaton adoré ? Comment se venger d’un autre garçon ? Comment faire disparaître un père trop violent ? Certains désirs sont innocents, d’autres plus tragiques. En échange de nourritures, de secrets, de commérages du village, Bast semble pouvoir réaliser n’importe quoi. Avec autant de grâce que de philosophie.

L’étroit chemin entre les souhaits n’est autre que cette succession ininterrompue d’allers et venues d’enfants désirant quelque chose, des enfants plus futés et plus lucides qu’il n’y paraît au premier abord, dans un univers qui ne fait pas dans la dentelle. Des dialogues subtils avec parfois des allures de discussions philosophiques sur les sentiments humains ; des anecdotes sur la société de Newarre… Des moments qui témoignent autant de la sensualité que de la malice de Bast, quand ce dernier se met en tête de charmer quelques adultes. Une journée qui permet de raconter le quotidien de Bast. Mais elle donne surtout à voir l’ambivalence et le mystère de son personnage, entre bon génie et être pouvant se révéler impressionnant, porteur d’une nature mystérieuse que les enfants ne font qu’apercevoir.

Cosy fantasy, poésie et…jaspage

Pour une novella qui se contente des petits riens d’une journée « ordinaire » de son héros, il fallait bien une édition remarquable. Bragelonne a fait sur cet ouvrage un travail soigné, avec une couverture argentée et bleutée de toute beauté par Micaela Alcaino, rehaussée par les illustrations intérieures de Nate Taylor. On ne peut qu’être fasciné(e) par une couverture aussi élégante et mystérieuse, par le jaspage (l’illustration colorée sur la tranche de tête et la tranche de gouttière du livre) qui retrouve cette couleur bleu profond et des illustrations végétales, en rappel à l’Arbre-Eclair, ou la flûte de Pan dont joue Bast à un moment.

Les illustrations intérieures ne sont pas en reste, permettant de matérialiser les différents protagonistes et leurs expressions, presque à l’image d’un conte illustré. Elles font aussi la part belle aux décors de cet univers, que ce soit Newarre, un aperçu des embrils runiques ou une roue symbolique en début de chaque chapitre. Cet emblème permet de situer le moment de la journée et des objets reliés au récit raconté. Une très belle édition, surtout si vous aimez les objets-livres !

Ce soin apporté à la mise en page fait écho à la poésie douce et à la philosophie légère qu’on retrouve dans le récit. Au-delà de la journée de Bast, ce sont des petits morceaux de sens de la vie, quelques phrases de sagesse, les dilemmes entre les souhaits et la nature de chacun, qu’on trouve dans le récit. Pas de conflits, pas de duels, pas d’assaut épique. L’étroit chemin entre les souhaits appartient presque plus à de la cosy fantasy, une fantasy agréable et réconfortante, portant sur la vie de tous les jours, les relations entre les personnages, loin de batailles sanglantes. Et cela fait parfois du bien de voir des histoires qui restent plaisantes à lire, bien qu’il ne s’y passe, si on regarde de plus près, pas de véritable péripétie.

Conclusion

A-t-on intérêt à lire L’étroit chemin entre les souhaits pour entrer dans l’univers de Patrick Rothfuss ? Non, et lui-même le déconseille dans sa postface. Si vous voulez entrer dans sa saga, mieux vaut donc commencer par le Nom du vent, premier tome sublime d’une fantasy incroyable, un roman d’apprentissage que je ne saurais que trop vous recommander. J’en garde un excellent souvenir, surtout que rares sont les mondes de fantasy qui expliquent à ce point les mécanismes physiques d’une magie qui s’acquiert avec effort, sueur et argent. L’étroit chemin entre les souhaits est cependant une replongée agréable dans cet univers, peut-être certes pas indispensable. Mais elle donne terriblement envie de relire les premiers tomes et même de découvrir La musique du silence.

  • L’étroit chemin entre les souhaits (mars 2025) de Patrick Rothfuss – et ses autres livres – sont disponibles aux éditions Bragelonne.
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On a dit beaucoup de choses sur Max Payne au fil des années. Classique pour certain·es, mauvais souvenir qui a engendré un film avec Mark Wahlberg pour d’autres, sa sortie en 2001 a quoiqu’il en soit laissé une empreinte sur le jeu vidéo (mais pas au cinéma, certes). Pour son gameplay en particulier, avec l’arrivée du bullet-time dans les jeux vidéo alors que Matrix avait marqué toute une génération en salles, mais aussi pour son histoire, celle d’une vendetta qui cherche son inspiration du côté des polars les plus sombres. Un jeu à la mise en scène maline et à l’action trépidante. Mais que reste-t-il du premier grand succès de Remedy Entertainment (Control, Alan Wake) deux décennies plus tard, alors qu’un remake est toujours prévu ?

« 100 ans après » est une chronique rétro qui vous invite à découvrir des jeux vidéo qui ont marqué notre histoire de joueurs et de joueuses, pour le meilleur comme pour le pire, en les parcourant à nouveau à notre époque afin d’y apporter un regard neuf.

Une histoire comme les autres ?

© 2001 Remedy Entertainment

L’aventure commence sur le toit d’un gratte ciel à New York, les sirènes de police retentissent, et quelque chose de grave semble avoir eu lieu. Max Payne est là, seul, et il nous dit qu’il s’agit du point final à une nuit en enfer. Une nuit qui commence en réalité trois ans plus tôt, alors que sa femme et son bébé sont assassinés sauvagement, Max, flic sous bons rapports, décide d’intégrer la DEA, la division de police spécialisée dans la chasse aux trafiquants de drogue, il est placé sous couverture afin d’infiltrer un gang soupçonné d’être à l’origine de tout, et trois ans plus tard, l’aventure débute réellement avec une nuit où il va enfin pouvoir mener sa vendetta contre ceux qu’il tient pour responsable du meurtre de sa famille. Poursuivi par la police pour un crime qu’il n’a pas commis, pris au piège par la pègre, il n’a plus rien à perdre et se lance corps et âme dans la violence, n’hésitant plus à frapper, à tuer, et laisser les balles pleuvoir dans les repères de mafieux sans foi ni loi. Très inspiré par le cinéma, qu’il s’agisse du polar noir ou du cinéma hongkongais, Max Payne apportait en 2001 une vision de l’action qui était finalement assez absente du jeu vidéo. Une action où l’histoire est prépondérante, reprenant les codes narratifs du cinéma, en jouant sur le modèle de l’antihéros qui n’a plus rien à perdre. Autant d’éléments très clichés dans le polar, qui n’étaient pas encore si fréquents côté vidéoludique, et qui a très largement inspiré d’autres studios de jeux vidéo par la suite pour imaginer leurs propres productions. En ce sens, le jeu de Remedy a marqué son époque, devenu source d’inspiration de bon nombre d’autres jeux, et conservant une image à part, celle d’un jeu qui osait et qui parvenait à nous embarquer dans un univers qui a marqué celles et ceux qui ont pu y jouer à l’époque.

Au cours d’une nuit qui semble sans fin (une dizaine d’heures de jeu, cela dit), l’antihéros traverse New York dans ce qu’il y a de plus poisseux, de son métro aux égouts, en passant par un bar et un hôtel miteux, ou un port mal fréquenté. Avec une histoire qui ne perd jamais son fil rouge, toujours alimenté par la soif de vengeance de Max, qui l’emmène tour à tour entre les mains de mafieux, d’une étonnante femme fatale, et de mercenaires. Certes, on pourrait lui reprocher quelques choix narratifs plus malheureux dans son troisième et dernier acte, et peut-être même aussi ses combats de boss (notamment le dernier) qui présentent assez peu d’intérêt. Mais c’est dans l’ensemble un jeu très bien équilibré, qui manipule avec justesse les codes du polar pour les ramener dans un univers vidéoludique qui, à l’époque, était une vraie surprise. Aujourd’hui, le jeu a un peu vieilli, la faute à des modèles 3D moins réussis que dans sa suite sortie deux ans plus tard (même si on ne se lasse jamais de la tête de Sam Lake, créateur du jeu, qui donne son visage à Max). Mais son histoire est intemporelle, et le plaisir de jeu reste intact.

La mise en scène au service de l’action

© 2001 Remedy Entertainment

Quand Remedy Entertainment débarque en 2001 avec Max Payne, c’est la surprise. Encore assez jeune, du haut d’un seul jeu publié sur MS-DOS quelques années plus tôt (Death Rally), le studio ne s’est alors pas encore illustré pour sa capacité à mettre en scène une histoire trépidante et à raconter des choses au travers des images. Mais dès le premier chapitre de Max Payne, le studio pose les bases de ce qui va ensuite accompagner le studio tout au long de son existence, jusqu’à aujourd’hui. Le premier chapitre, en guise d’introduction, parvient à nous emmener immédiatement dans son univers : on nous parle d’abord du Valkyr, la drogue qui commence à s’installer dans les rues de New York, Max est présenté comme un flic modèle qui rêve d’une vie bien rangée avec sa femme et son enfant qui vient à peine de naître, et puis… Tout part en flammes. Dès la première scène de gameplay, on incarne un Max qui revient à la maison à la fin de sa journée de travail, pour trouver une maison bien vide et calme. La narration environnementale devient alors centrale et on découvre peu à peu ce qu’il s’est passé en arpentant les quelques pièces qui nous séparent de l’inévitable : des meubles renversés, un téléphone qui sonne et qui révèle un interlocuteur qui semble vouloir du mal à Max, une maison visiblement braquée, et puis, des cris. Ceux de la femme de Max, les pleurs de son enfant, et enfin des coups de feu. Sa femme et son bébé ont été sauvagement assassinés. En quelques minutes, ce premier chapitre dévoile toute la maîtrise du studio finlandais en racontant une scène très choquante au travers de l’environnement, des sons, et de la découverte de l’horreur dans les yeux d’un héros qui n’y était pas préparé.

Cette introduction tranche avec la suite du jeu, dont la mise en scène épouse pleinement la violence presque caricaturale qui puise son inspiration du côté du cinéma hongkongais, Max nomme d’ailleurs expressément Chow Yun-fat au détour d’un dialogue. Quand je parle d’une violence caricaturale, c’est celle des balles qui virevoltent, des sauts en bullet-time (dont Max Payne est le principal pionnier côté jeux vidéo) pour mieux en apprécier la gymnastique, un saut sur un train en marche ou encore la démesure des armes peu à peu mises à disposition, du simple flingue au lance-grenades pour assassiner des hordes de mafieux et de flics. En jouant sur les deux tableaux, son histoire dramatique et la folie de sa mise en scène, le titre apportait à l’époque un souffle nouveau dans le petit monde des jeux d’action un peu plan-plan qui avaient du mal à se renouveler. C’était une petite révolution, qui prouvait que le jeu de tir pouvait aussi raconter des choses, émouvoir, faire rire parfois (Max se révélant particulièrement sarcastique), en empruntant au cinéma sans manquer d’affirmer les codes du jeu vidéo, avec un titre fondamentalement « fun » à jouer, dont on pourrait parfaitement zapper l’histoire sans perdre de plaisir à dézinguer tout ce qui bouge en balançant nos meilleurs sauts en bullet-time. 

© 2001 Remedy Entertainment

Le jeu n’est en outre pas avare en ambiances marquantes, entre l’hôtel miteux où traînent camés et prostituées, un bar de mafieux appelé « Ragnarock » où drogue et metal se mélangent sur fond de délires satanistes, un niveau de cauchemar dans l’esprit de Max où le malaise règne en maître, comme un ersatz de ce que le studio fera plus tard que Alan Wake et Control. Ou encore un manoir où l’on pourchasse un mafieux, et son final, où il déchaîne tout ce qu’il a, sur le toit d’un gratte-ciel. Malgré l’apparente simplicité de leur histoire ; ce n’est qu’un récit de vendetta ; les créatifs·ves de Remedy se sont offert une aventure jamais lassante, toujours surprenante, comme si aucune limite ne s’imposait au studio. Pourtant, le jeu devait s’accommoder d’une technique à l’époque assez limitée, avec des niveaux toujours très linéaires, des espaces clos (à l’exception d’une poignée de séquences dans la rue) et des arènes très petites. Cela leur joue d’ailleurs des tours, car certains gunfights sont d’autant plus difficiles que la caméra peine à se faire une place dans certains couloirs, avec des ennemis qui en plus n’arrêtent pas de bouger. La difficulté est d’ailleurs assez importante, même dans le niveau de difficulté le plus bas, plus encore aujourd’hui après quinze années de jeux de tir à la troisième personne où l’on s’est habitué·es à se cacher bien au chaud derrière des murets et autres abris en attendant de trouver la bonne ouverture pour tuer nos ennemis. Mais en 2001 les choses étaient différentes. Pas de système de couverture, juste l’obligation de se déplacer constamment pour pratiquement « danser » entre les balles, utiliser le bullet-time pour obtenir l’ascendant, et surtout viser du mieux possible pour vite se défaire des hordes d’ennemis et éviter de se retrouver submergé·es.

L’élégance où l’on ne s’y attend pas

© 2001 Remedy Entertainment

Mais ce serait dommage de vite passer les cutscenes, car la beauté de ces séquences narratives en simili-bande dessinée (en réalité, des photos prises au studio avec des filtres offrant un rendu BD) jouent un rôle prépondérant dans son ambiance si électrisante. Une poignée de cases de BD qui se déroulent sous nos yeux entre chaque chapitre, avec son lot de bulles aux dialogues ciselés, avec une belle galerie de personnages essentiellement centrée autour d’une pègre new-yorkaise dont les chefs sont parfois courageux, mais souvent aussi des lâches, une vue fondamentalement nihiliste sur des rues envahies d’une drogue qui fait perdre la tête à ses addicts. Et si ces séquences sont aussi réussies, c’est aussi parce que la direction d’acteur·ices est exemplaire, avec des voix qui collent parfaitement aux personnages. À commencer par celle de Max, incarné par James McCaffrey, qui nous a malheureusement quittés en 2023, et qui donnait un vrai ton au personnage. De tout ça ressort une élégance étonnante, pas vraiment en adéquation avec la noirceur d’un titre qui ne lésine pas sur l’hémoglobine, mais qui incarne plutôt bien une vendetta décrite comme inévitable dans un monde fondamentalement pourri.

Max Payne est un titre à deux faces. La première, elle est évidente, c’est un ténor de l’action, un jeu dont la violence apparente cache une inventivité formidable pour son époque avec un gameplay qui ne manque pas d’intelligence, où l’utilisation du ralenti (ou bullet-time) permet de naviguer entre les balles qui filent tout autour de notre personnage. Inspiré par le cinéma, le jeu sait aussi l’importance de l’image pour raconter ses idées et son aventure. Et c’est ce qui constitue son autre face, peut-être moins évidente quand on n’a jamais touché au jeu, mais pourtant fondamentale. C’est un côté plus narratif, autant par les cutscenes qui s’inspirent de la BD que par une narration environnementale intelligente, avec un monde qui raconte des choses, des décors que l’on se plait à traverser et qui racontent tous la lente descente aux enfers du personnage, en miroir d’une ville qui s’effondre. C’est pour ces raisons que, plus de vingt ans après, le plaisir est intact au moment de relancer le jeu. Un classique qui a considérablement influencé le jeu de tir à la troisième personnage, et qui posait les bases pour un studio qui a fini par se faire connaître pour ce doux équilibre entre l’action et la narration qui est au centre de chacune de leurs productions. 

  • Max Payne est sorti en 2001 sur PC, PS2 et Xbox. Le jeu est actuellement jouable sur PC via Steam, et un remake est toujours prévu sur la génération PS5 et Xbox Series X. 
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Récemment adaptée au cinéma par Bong Joon-ho avec Mickey17, l’idée née dans l’esprit de l’auteur américain Edward Ashton a d’abord fait son petit bout de chemin avec un roman intitulé Mickey7, sorti en VF à l’été 2022. Son éditeur Bragelonne profite de l’adaptation cinématographique pour remettre un coup de projecteur sur le roman, et c’est l’occasion pour nous également d’aller tenter de voir ce que le cinéaste coréen a bien pu trouver dans cette histoire pour s’en saisir et avoir envie de la mettre en images. Récit de science-fiction teinté de cynisme et d’humour grinçant, Mickey7 a des arguments à faire valoir.

Cette chronique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire par l’éditeur.

Destin à répétitions

« De toutes mes morts, celle-là s’annonce comme la plus stupide. » Avec un tel incipit, Mickey7 pose les bases de son ambiance avec une facilité déconcertante. Entre l’analyse cynique d’un futur où l’humain n’est plus qu’une ressource, et l’ironie qui s’en dégage, le roman de Edward Ashton va d’entrée sur un terrain sarcastique qui accompagne le récit jusqu’à ses derniers mots. Son héros, Mickey Barnes, a tout de l’anti-héros le plus classique possible. Pas vraiment sympathique, empêtré dans une affaire sordide avec des mafieux qui lui promettent l’enfer, il n’a d’autre choix que de signer pour rejoindre un vaisseau qui va tenter d’aller coloniser la planète de Niflheim, un monde de glace en vue d’y installer une humanité qui a déjà quitté la Terre depuis longtemps. Mais comme il n’a pas trop de talents si ce n’est d’être un larbin, il n’a qu’une option, celle de signer pour devenir l’un des consommables du vaisseau. Dans ce monde-là, on maîtrise une technologie capable d’enregistrer les souvenirs et la personnalité d’une personne avant de la transférer dans une enveloppe corporelle identique créée de toute pièce. De quoi se créer une armée de consommables, des gens qui acceptent de réaliser les tâches les plus dangereuses, quitte à mourir dans d’effroyables circonstances, en sachant qu’elles reviendront à la vie. Un poste pas très enviable puisqu’il est souvent synonyme de souffrances physiques et psychologiques terribles, mais qui s’avère être le seul échappatoire pour Mickey. On le retrouve ainsi vite dans sa septième enveloppe, déjà mort six fois, et désormais nommé Mickey7, comme pour lui retirer le bout d’humanité qu’il lui reste. Ce qui pourrait ressembler aux prémices d’un bouquin de science-fiction assez plan-plan trouve vite son twist lorsque, laissé pour mort par son coéquipier au fond d’une crevasse de Niflheim, Mickey7 parvient à s’en sortir tout seul et découvre à son retour à la base qu’il a déjà été remplacé par Mickey8. Copie conforme de lui-même, à l’exception des trois dernières semaines de sa vie puisqu’il n’avait pas pensé à enregistrer ses souvenirs dans ce laps de temps. Trois semaines suffisantes pour que les deux copies révèlent avoir une personnalité sensiblement différente.

Obligés de dissimuler ce double, puisque l’éthique interdit formellement d’avoir un double d’une même personne (pour ce qu’il reste d’éthique dans ce monde-là…), les deux compères doivent alors rivaliser d’astuces pour accomplir leurs tâches sans se faire prendre, trouver de quoi manger alors que les ressources sont ultra-limitées dans une colonie en terrain hostile, et enfin, garder de bonnes relations avec leurs collègues alors qu’il est bien difficile de cacher le moindre secret dans la minuscule base où tout le monde se croise dix fois par jour. Et… C’est tout. Ce qui est raconté dans les deux ou trois premiers chapitres constitue l’essentiel de ce que parvient à offrir Mickey7. Un roman qui ne trouve jamais le bon équilibre entre la tranche-de-vie, qui a ses bons moments, et l’action qui oblige son héros double à tenter de trouver une solution à sa situation, ainsi qu’au destin de la colonie qui se trouve vite face à des espèces de vers des glaces géants. Mais difficile d’en dégager un fil rouge, la faute à une écriture très rébarbative pour un auteur qui passe beaucoup de temps à expliquer, par quatre ou cinq moyens différents (et autant de chapitres), à quel point Mickey n’aime pas sa vie et à quel point le monde est dur avec lui. Antipathique au possible, son héros peine à rendre la pareille à des personnages secondaires un peu plus intéressants, bien que très stéréotypés, et dont le rôle reste essentiellement motivé par ce qu’ils peuvent apporter à la progression du héros. Il en est de même pour un twist qui va alimenter les théories les plus farfelues, sans vraiment retomber sur ses pattes. Peut-être que sa suite Antimatter Blues est plus maîtrisée, mais il manque clairement quelque chose à ce récit pour satisfaire ses ambitions.

Hostilité de circonstances

Le bouquin finit vite par lasser, avec un récit qui a du mal à se renouveler et à faire comprendre où il veut aller. Il y a bien un bout de fil rouge en arrière plan autour des secrets que dissimulent la planète Niflheim, mais ils sont constamment relégués derrière les états d’âme du héros. L’antagoniste principal, le commandant de la colonie, a un impact assez faible sur le récit et il faut attendre les trois ou quatre derniers chapitres pour que l’auteur accélère soudainement la cadence afin de conclure son histoire. C’est un rythme étonnant que nous impose Edward Ashton, jouant constamment sur un ton sarcastique qui a tendance à singer John Scalzi, sans son humour, avec de grosses faiblesses sur la manière de raconter l’action et les interactions entre ses personnages. Le monde lui-même offre assez peu de choses, on n’apprend pas grand chose de Niflheim à part qu’il s’agit d’un monde de glace, qu’elle est peuplée par des gros vers de glaces, et que les gens de la base sont déprimés par le froid. À côté, le style de l’auteur est facile à lire, avec une traduction française qui rend honneur à sa simplicité. On aurait aimé qu’il aille un peu plus loin sur quelques thématiques qu’il esquisse rapidement, comme les problèmes éthiques posés par l’existence d’un humain en guise de consommable, les problèmes psychologiques posés par les nombreuses morts d’une même personne ou encore les traumatismes vécus par ses proches. Mais en dehors d’une longue discussion avec la recruteuse de Mickey Barnes qui ne comprend pas elle-même pourquoi il voudrait s’infliger ça, l’auteur remet ces sujets sous le tapis et se contente d’aller vers la fin du livre en se laissant porter par le moment.

Sacré déception que ce Mickey7. Si on se gardera ici de faire une quelconque comparaison avec le film et ce que Bong Joon-ho a pu ou non lui apporter avec son adaptation dans Mickey17, le bouquin de Edward Ashton a beaucoup de mal à tenir la longueur malgré la bonne idée initiale. Écrire un héros un peu loser et peu charmant requiert certaines qualités d’écriture qui ne sont pas évidentes dans le style d’Ashton, on se retrouve avec un récit parfois un peu irritant, mais surtout le plus souvent inconséquent, avec une tranche-de-vie ni agréable ni désagréable, qui se laisse lire sans qu’on n’en retienne grand chose, et avec un grand final sans aucune attache émotionnelle capable de provoquer quoique ce soit pour le destin de ses personnages. 

  • Mickey7 est disponible en librairie aux éditions Bragelonne.
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