Chill Chat, c’est l’émission de Pod’Culture où l’on se pose et on cause avec une personne qui navigue dans les eaux de la Pop Culture ; que cette personne soit un créateur ou une créatrice, artiste, ou encore prescripteur ou prescriptrice.

Pour ce quinzième épisode, j’ai eu le plaisir de discuter avec Phobos, cosplayeuse, photographe, podcasteuse et autrice. Avec elle nous avons abordé le cosplay et la fanfiction, deux domaines de la pop culture qui sont deux façons plus liées qu’elles n’y paraissent de faire vivre nos œuvres préférées, mais aussi de se les réapproprier et, parfois, de nous révéler à nous-mêmes.

 

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Palme d’or à Cannes en 2024 puis Oscar du meilleur film en 2025, avec son lot d’Oscars individuels (meilleur réalisateur, meilleure actrice…), Anora de Sean Baker est la dernière réussite d’un cinéaste qui se plaît à raconter les marginaux, les personnes qui vivent en dehors des carcans imposés par une société qui ne leur ressemble pas. Mais là où le réalisateur gardait un succès d’estime en festival, il trouve cette fois-ci un véritable succès critique symbolisé par cet Oscar. Et c’est peu dire que c’est mérité, tant son film convainc par son authenticité, sa douce folie et la géante prestation de Mikey Madison, qui connaissait là son premier grand rôle.

Folle fuite en avant

© Augusta Quirk – 2024 Anora Productions, LLC

Anora, qui se fait appeler Ani, est une stripteaseuse dont s’entiche Vanya, le fils d’un riche milliardaire russe plus occupé à s’amuser qu’à faire les études que lui paient ses parents. L’environnement idéal pour un gamin qui préfère explorer les plaisirs de la chair offerts par une ville de New York où les clubs de striptease sont légion. C’est là que la rencontre se fait, et que Vanya finit par avoir une sorte de coup de foudre. Ce qui apparaît au départ comme une relation d’affaires entre un client immature et son escort qui découvre la poule aux oeufs d’or tourne vite à la folle fuite en avant d’un couple qui ne se fixe aucune limite, avec en point d’orgue un mariage express à Las Vegas. C’est l’essence même, le point de départ d’une histoire que Sean Baker nous raconte en deux temps : d’abord la paradoxale insouciance d’une relation où personne n’est vraiment innocent, où le film nous raconte un quotidien fait de sexe et d’alcool, où Ani trouve un certain réconfort, une vie qui lui ressemble, une vie frénétique, irrévérencieuse, grande gueule, où les actes ne semblent pas vraiment avoir de conséquences. Et ensuite, la deuxième partie, la réalité, il s’avère que les actes ont eu des conséquences finalement bien réelles, Vanya n’est pas aussi libre qu’il le prétendait, et les règles dont chacun·e pensait s’affranchir reviennent en force. Pour autant, le cinéaste a l’intelligence de ne jamais porter de jugement sur ses personnages.

Plus encore, il leur apporte une certaine tendresse, tant dans leurs erreurs que leurs moments de lucidité, notamment au travers de Ani. Elle est folle d’énergie et d’un charme terrible, elle incarne un laisser-aller, une liberté assumée qui s’affranchit des règles et des limites posées par une société qui ne lui plaît pas. Elle est lucide sur les difficultés qu’elle rencontre, mais tente de les tourner à son avantage avec une légèreté et un sarcasme occasionnel qui tend à faire sourire. Entre le drame et la comédie, le film fait rire autant qu’il émeut. On sourit parce que les situations sont absurdes et que Ani les aborde avec une légèreté déconcertante, même les scènes de sexe font sourire et tournent en dérision un jeune homme, notamment, qui se voit plus important qu’il ne l’est réellement. Mais on éprouve aussi une certaine compassion et une peine pour Ani qui se trouve dans une situation impossible, où elle sera perdante quoiqu’il arrive. Le film joue de son absurde pour emprunter des chemins variés, on passe du thriller à l’humour avec les brutes un peu bêtes qui tentent de l’intimider, de la romance au drame avec une relation impossible.

Une énergie débordante, des règles du jeu remises en cause

© Augusta Quirk – 2024 Anora Productions, LLC

Que ce soit par amour ou par esprit de contradiction, difficile de vraiment savoir ce que pense Ani, elle s’oppose à ses bourreaux dans un ton enlevé, déjanté, avec son culot et son irrespect, mais elle révèle à certains instants une sensibilité qui la rend d’autant plus attachante. Cette complexité est sublimée par son actrice, auquel le cinéaste offre la place nécessaire pour qu’elle se révèle. L’Oscar de la meilleure actrice obtenu par Mikey Madison en mars dernier est difficilement contestable tant elle irradie l’écran par son énergie, son intelligence, sa manière de jouer un rôle certainement épuisant mais auquel on s’attache immédiatement. Forte de ses certitudes et peut-être sûrement aussi d’une fougue inhérente à sa personnalité, elle fait de Ani un personnage tragicomique dont elle s’imprègne entièrement. Mikey Madison étonne et séduit, Sean Baker lui doit énormément. Il se murmure qu’il aurait écrit le personnage pour elle, et il est difficile d’imaginer une autre actrice à sa place. Elle incarne parfaitement la volonté du cinéaste de raconter l’irrationalité des relations humaines, l’amour comme extravagance, la peur comme moteur. 

Aussi énorme qu’aberrante, cette aventure ne perd jamais de vue l’essentiel, son humanité. Anora est l’un de ces films que l’on a du mal à critiquer, parce que tout semble s’emboîter bien comme il faut. Il n’est pas parfait, le film a ses faiblesses, mais il les embrasse pour en faire une force, ne cherchant que l’authenticité dans une histoire pourtant hors du commun, avec une héroïne qui affirme son extravagance, tant pour vivre libre que pour se protéger. Anora est un personnage marquant, c’est une expérience à part entière, c’est une personne que l’on a envie d’aimer, de détester, avec qui on a envie de rigoler et de faire un bout de chemin ensemble. 

  • Anora est sorti en salles le 30 octobre 2024. Le film est désormais disponible en DVD, Blu-ray et en VOD.
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Patrick Rothfuss est un écrivain américain connu pour sa saga de fantasy toujours en cours, celle de la Chronique du tueur de rois, composée de deux pavés tomes : Le nom du vent et La peur du sage. Il a également publié la novella La musique du silence, qui s’attarde sur un des personnages secondaires de l’intrigue. L’étroit chemin entre les souhaits met particulièrement en scène Bast, un Fae – un être non humain et doué de pouvoirs – qui assiste Kvothe, le héros du Nom du vent. Le premier tome de la Chronique du tueur de roi datant de 2009, L’étroit chemin entre les souhaits est donc un rappel de cet univers et une immersion bienvenue, grâce à Bast, le protagoniste de ce récit d’une journée.

Cette critique a été permise suite à l’envoi d’un exemplaire du livre par les éditions Bragelonne.

Be careful what you wish for

Les deux premiers tomes de la Chronique du Tueur de roi © Bragelonne, 2009-2013, Patrick Rothfuss

Et si quelqu’un était capable d’exaucer votre souhait ou un désir passager, en échange d’un prix à payer ? Voilà qui vous rappelle quelques histoires de pactes maudits, des récits faustiens qui mettent en garde contre le fait de vendre son âme pour réaliser un désir impossible, n’est-ce pas ? Eh bien, vous faites fausse route car L’étroit chemin entre les souhaits est loin de ces histoires tragiques. Bast est ici un Fae – pas un humain – un être doué de magie, d’une nature qui reste mystérieuse même encore après la fin de cette novella. S’il travaille dans une auberge de la petite ville de Newarre, l’une de ses autres occupations est aussi de réaliser les souhaits d’enfants plutôt jeunes, en échange de faveurs, au pied d’un arbre jadis frappé par la foudre.

Bast est ambivalent. Bast est un séducteur autant qu’un charmeur. Il est capable de réaliser les vœux de certaines personnes, de lire dans les cœurs et pourtant de se faire parfaitement avoir par la trop grande candeur d’un gamin venu lui rendre visite. Gracieux, éloquent, il n’a pas sa langue dans sa poche tout en maîtrisant la subtilité. C’est un personnage charismatique, presque manipulateur. Et pourtant, il possède en lui une certaine douceur, une empathie, qui font que ses marchés sont loin d’être diaboliques, plutôt bénéfiques.

Rike, Kostrel, Viette…autant d’enfants qui viennent demander des services à Bast au pied de l’Arbre-Éclair, lui qui est réputé pour savoir exaucer les souhait. Pour ce faire, il utilise le charme surnaturel des embrils (des pierres runiques / gravées mystiques) autant qu’un savoir-faire propre issu de sa nature féérique. Comment réussir à convaincre ses parents de garder ce chaton adoré ? Comment se venger d’un autre garçon ? Comment faire disparaître un père trop violent ? Certains désirs sont innocents, d’autres plus tragiques. En échange de nourritures, de secrets, de commérages du village, Bast semble pouvoir réaliser n’importe quoi. Avec autant de grâce que de philosophie.

L’étroit chemin entre les souhaits n’est autre que cette succession ininterrompue d’allers et venues d’enfants désirant quelque chose, des enfants plus futés et plus lucides qu’il n’y paraît au premier abord, dans un univers qui ne fait pas dans la dentelle. Des dialogues subtils avec parfois des allures de discussions philosophiques sur les sentiments humains ; des anecdotes sur la société de Newarre… Des moments qui témoignent autant de la sensualité que de la malice de Bast, quand ce dernier se met en tête de charmer quelques adultes. Une journée qui permet de raconter le quotidien de Bast. Mais elle donne surtout à voir l’ambivalence et le mystère de son personnage, entre bon génie et être pouvant se révéler impressionnant, porteur d’une nature mystérieuse que les enfants ne font qu’apercevoir.

Cosy fantasy, poésie et…jaspage

Pour une novella qui se contente des petits riens d’une journée « ordinaire » de son héros, il fallait bien une édition remarquable. Bragelonne a fait sur cet ouvrage un travail soigné, avec une couverture argentée et bleutée de toute beauté par Micaela Alcaino, rehaussée par les illustrations intérieures de Nate Taylor. On ne peut qu’être fasciné(e) par une couverture aussi élégante et mystérieuse, par le jaspage (l’illustration colorée sur la tranche de tête et la tranche de gouttière du livre) qui retrouve cette couleur bleu profond et des illustrations végétales, en rappel à l’Arbre-Eclair, ou la flûte de Pan dont joue Bast à un moment.

Les illustrations intérieures ne sont pas en reste, permettant de matérialiser les différents protagonistes et leurs expressions, presque à l’image d’un conte illustré. Elles font aussi la part belle aux décors de cet univers, que ce soit Newarre, un aperçu des embrils runiques ou une roue symbolique en début de chaque chapitre. Cet emblème permet de situer le moment de la journée et des objets reliés au récit raconté. Une très belle édition, surtout si vous aimez les objets-livres !

Ce soin apporté à la mise en page fait écho à la poésie douce et à la philosophie légère qu’on retrouve dans le récit. Au-delà de la journée de Bast, ce sont des petits morceaux de sens de la vie, quelques phrases de sagesse, les dilemmes entre les souhaits et la nature de chacun, qu’on trouve dans le récit. Pas de conflits, pas de duels, pas d’assaut épique. L’étroit chemin entre les souhaits appartient presque plus à de la cosy fantasy, une fantasy agréable et réconfortante, portant sur la vie de tous les jours, les relations entre les personnages, loin de batailles sanglantes. Et cela fait parfois du bien de voir des histoires qui restent plaisantes à lire, bien qu’il ne s’y passe, si on regarde de plus près, pas de véritable péripétie.

Conclusion

A-t-on intérêt à lire L’étroit chemin entre les souhaits pour entrer dans l’univers de Patrick Rothfuss ? Non, et lui-même le déconseille dans sa postface. Si vous voulez entrer dans sa saga, mieux vaut donc commencer par le Nom du vent, premier tome sublime d’une fantasy incroyable, un roman d’apprentissage que je ne saurais que trop vous recommander. J’en garde un excellent souvenir, surtout que rares sont les mondes de fantasy qui expliquent à ce point les mécanismes physiques d’une magie qui s’acquiert avec effort, sueur et argent. L’étroit chemin entre les souhaits est cependant une replongée agréable dans cet univers, peut-être certes pas indispensable. Mais elle donne terriblement envie de relire les premiers tomes et même de découvrir La musique du silence.

  • L’étroit chemin entre les souhaits (mars 2025) de Patrick Rothfuss – et ses autres livres – sont disponibles aux éditions Bragelonne.
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On a dit beaucoup de choses sur Max Payne au fil des années. Classique pour certain·es, mauvais souvenir qui a engendré un film avec Mark Wahlberg pour d’autres, sa sortie en 2001 a quoiqu’il en soit laissé une empreinte sur le jeu vidéo (mais pas au cinéma, certes). Pour son gameplay en particulier, avec l’arrivée du bullet-time dans les jeux vidéo alors que Matrix avait marqué toute une génération en salles, mais aussi pour son histoire, celle d’une vendetta qui cherche son inspiration du côté des polars les plus sombres. Un jeu à la mise en scène maline et à l’action trépidante. Mais que reste-t-il du premier grand succès de Remedy Entertainment (Control, Alan Wake) deux décennies plus tard, alors qu’un remake est toujours prévu ?

« 100 ans après » est une chronique rétro qui vous invite à découvrir des jeux vidéo qui ont marqué notre histoire de joueurs et de joueuses, pour le meilleur comme pour le pire, en les parcourant à nouveau à notre époque afin d’y apporter un regard neuf.

Une histoire comme les autres ?

© 2001 Remedy Entertainment

L’aventure commence sur le toit d’un gratte ciel à New York, les sirènes de police retentissent, et quelque chose de grave semble avoir eu lieu. Max Payne est là, seul, et il nous dit qu’il s’agit du point final à une nuit en enfer. Une nuit qui commence en réalité trois ans plus tôt, alors que sa femme et son bébé sont assassinés sauvagement, Max, flic sous bons rapports, décide d’intégrer la DEA, la division de police spécialisée dans la chasse aux trafiquants de drogue, il est placé sous couverture afin d’infiltrer un gang soupçonné d’être à l’origine de tout, et trois ans plus tard, l’aventure débute réellement avec une nuit où il va enfin pouvoir mener sa vendetta contre ceux qu’il tient pour responsable du meurtre de sa famille. Poursuivi par la police pour un crime qu’il n’a pas commis, pris au piège par la pègre, il n’a plus rien à perdre et se lance corps et âme dans la violence, n’hésitant plus à frapper, à tuer, et laisser les balles pleuvoir dans les repères de mafieux sans foi ni loi. Très inspiré par le cinéma, qu’il s’agisse du polar noir ou du cinéma hongkongais, Max Payne apportait en 2001 une vision de l’action qui était finalement assez absente du jeu vidéo. Une action où l’histoire est prépondérante, reprenant les codes narratifs du cinéma, en jouant sur le modèle de l’antihéros qui n’a plus rien à perdre. Autant d’éléments très clichés dans le polar, qui n’étaient pas encore si fréquents côté vidéoludique, et qui a très largement inspiré d’autres studios de jeux vidéo par la suite pour imaginer leurs propres productions. En ce sens, le jeu de Remedy a marqué son époque, devenu source d’inspiration de bon nombre d’autres jeux, et conservant une image à part, celle d’un jeu qui osait et qui parvenait à nous embarquer dans un univers qui a marqué celles et ceux qui ont pu y jouer à l’époque.

Au cours d’une nuit qui semble sans fin (une dizaine d’heures de jeu, cela dit), l’antihéros traverse New York dans ce qu’il y a de plus poisseux, de son métro aux égouts, en passant par un bar et un hôtel miteux, ou un port mal fréquenté. Avec une histoire qui ne perd jamais son fil rouge, toujours alimenté par la soif de vengeance de Max, qui l’emmène tour à tour entre les mains de mafieux, d’une étonnante femme fatale, et de mercenaires. Certes, on pourrait lui reprocher quelques choix narratifs plus malheureux dans son troisième et dernier acte, et peut-être même aussi ses combats de boss (notamment le dernier) qui présentent assez peu d’intérêt. Mais c’est dans l’ensemble un jeu très bien équilibré, qui manipule avec justesse les codes du polar pour les ramener dans un univers vidéoludique qui, à l’époque, était une vraie surprise. Aujourd’hui, le jeu a un peu vieilli, la faute à des modèles 3D moins réussis que dans sa suite sortie deux ans plus tard (même si on ne se lasse jamais de la tête de Sam Lake, créateur du jeu, qui donne son visage à Max). Mais son histoire est intemporelle, et le plaisir de jeu reste intact.

La mise en scène au service de l’action

© 2001 Remedy Entertainment

Quand Remedy Entertainment débarque en 2001 avec Max Payne, c’est la surprise. Encore assez jeune, du haut d’un seul jeu publié sur MS-DOS quelques années plus tôt (Death Rally), le studio ne s’est alors pas encore illustré pour sa capacité à mettre en scène une histoire trépidante et à raconter des choses au travers des images. Mais dès le premier chapitre de Max Payne, le studio pose les bases de ce qui va ensuite accompagner le studio tout au long de son existence, jusqu’à aujourd’hui. Le premier chapitre, en guise d’introduction, parvient à nous emmener immédiatement dans son univers : on nous parle d’abord du Valkyr, la drogue qui commence à s’installer dans les rues de New York, Max est présenté comme un flic modèle qui rêve d’une vie bien rangée avec sa femme et son enfant qui vient à peine de naître, et puis… Tout part en flammes. Dès la première scène de gameplay, on incarne un Max qui revient à la maison à la fin de sa journée de travail, pour trouver une maison bien vide et calme. La narration environnementale devient alors centrale et on découvre peu à peu ce qu’il s’est passé en arpentant les quelques pièces qui nous séparent de l’inévitable : des meubles renversés, un téléphone qui sonne et qui révèle un interlocuteur qui semble vouloir du mal à Max, une maison visiblement braquée, et puis, des cris. Ceux de la femme de Max, les pleurs de son enfant, et enfin des coups de feu. Sa femme et son bébé ont été sauvagement assassinés. En quelques minutes, ce premier chapitre dévoile toute la maîtrise du studio finlandais en racontant une scène très choquante au travers de l’environnement, des sons, et de la découverte de l’horreur dans les yeux d’un héros qui n’y était pas préparé.

Cette introduction tranche avec la suite du jeu, dont la mise en scène épouse pleinement la violence presque caricaturale qui puise son inspiration du côté du cinéma hongkongais, Max nomme d’ailleurs expressément Chow Yun-fat au détour d’un dialogue. Quand je parle d’une violence caricaturale, c’est celle des balles qui virevoltent, des sauts en bullet-time (dont Max Payne est le principal pionnier côté jeux vidéo) pour mieux en apprécier la gymnastique, un saut sur un train en marche ou encore la démesure des armes peu à peu mises à disposition, du simple flingue au lance-grenades pour assassiner des hordes de mafieux et de flics. En jouant sur les deux tableaux, son histoire dramatique et la folie de sa mise en scène, le titre apportait à l’époque un souffle nouveau dans le petit monde des jeux d’action un peu plan-plan qui avaient du mal à se renouveler. C’était une petite révolution, qui prouvait que le jeu de tir pouvait aussi raconter des choses, émouvoir, faire rire parfois (Max se révélant particulièrement sarcastique), en empruntant au cinéma sans manquer d’affirmer les codes du jeu vidéo, avec un titre fondamentalement « fun » à jouer, dont on pourrait parfaitement zapper l’histoire sans perdre de plaisir à dézinguer tout ce qui bouge en balançant nos meilleurs sauts en bullet-time. 

© 2001 Remedy Entertainment

Le jeu n’est en outre pas avare en ambiances marquantes, entre l’hôtel miteux où traînent camés et prostituées, un bar de mafieux appelé « Ragnarock » où drogue et metal se mélangent sur fond de délires satanistes, un niveau de cauchemar dans l’esprit de Max où le malaise règne en maître, comme un ersatz de ce que le studio fera plus tard que Alan Wake et Control. Ou encore un manoir où l’on pourchasse un mafieux, et son final, où il déchaîne tout ce qu’il a, sur le toit d’un gratte-ciel. Malgré l’apparente simplicité de leur histoire ; ce n’est qu’un récit de vendetta ; les créatifs·ves de Remedy se sont offert une aventure jamais lassante, toujours surprenante, comme si aucune limite ne s’imposait au studio. Pourtant, le jeu devait s’accommoder d’une technique à l’époque assez limitée, avec des niveaux toujours très linéaires, des espaces clos (à l’exception d’une poignée de séquences dans la rue) et des arènes très petites. Cela leur joue d’ailleurs des tours, car certains gunfights sont d’autant plus difficiles que la caméra peine à se faire une place dans certains couloirs, avec des ennemis qui en plus n’arrêtent pas de bouger. La difficulté est d’ailleurs assez importante, même dans le niveau de difficulté le plus bas, plus encore aujourd’hui après quinze années de jeux de tir à la troisième personne où l’on s’est habitué·es à se cacher bien au chaud derrière des murets et autres abris en attendant de trouver la bonne ouverture pour tuer nos ennemis. Mais en 2001 les choses étaient différentes. Pas de système de couverture, juste l’obligation de se déplacer constamment pour pratiquement « danser » entre les balles, utiliser le bullet-time pour obtenir l’ascendant, et surtout viser du mieux possible pour vite se défaire des hordes d’ennemis et éviter de se retrouver submergé·es.

L’élégance où l’on ne s’y attend pas

© 2001 Remedy Entertainment

Mais ce serait dommage de vite passer les cutscenes, car la beauté de ces séquences narratives en simili-bande dessinée (en réalité, des photos prises au studio avec des filtres offrant un rendu BD) jouent un rôle prépondérant dans son ambiance si électrisante. Une poignée de cases de BD qui se déroulent sous nos yeux entre chaque chapitre, avec son lot de bulles aux dialogues ciselés, avec une belle galerie de personnages essentiellement centrée autour d’une pègre new-yorkaise dont les chefs sont parfois courageux, mais souvent aussi des lâches, une vue fondamentalement nihiliste sur des rues envahies d’une drogue qui fait perdre la tête à ses addicts. Et si ces séquences sont aussi réussies, c’est aussi parce que la direction d’acteur·ices est exemplaire, avec des voix qui collent parfaitement aux personnages. À commencer par celle de Max, incarné par James McCaffrey, qui nous a malheureusement quittés en 2023, et qui donnait un vrai ton au personnage. De tout ça ressort une élégance étonnante, pas vraiment en adéquation avec la noirceur d’un titre qui ne lésine pas sur l’hémoglobine, mais qui incarne plutôt bien une vendetta décrite comme inévitable dans un monde fondamentalement pourri.

Max Payne est un titre à deux faces. La première, elle est évidente, c’est un ténor de l’action, un jeu dont la violence apparente cache une inventivité formidable pour son époque avec un gameplay qui ne manque pas d’intelligence, où l’utilisation du ralenti (ou bullet-time) permet de naviguer entre les balles qui filent tout autour de notre personnage. Inspiré par le cinéma, le jeu sait aussi l’importance de l’image pour raconter ses idées et son aventure. Et c’est ce qui constitue son autre face, peut-être moins évidente quand on n’a jamais touché au jeu, mais pourtant fondamentale. C’est un côté plus narratif, autant par les cutscenes qui s’inspirent de la BD que par une narration environnementale intelligente, avec un monde qui raconte des choses, des décors que l’on se plait à traverser et qui racontent tous la lente descente aux enfers du personnage, en miroir d’une ville qui s’effondre. C’est pour ces raisons que, plus de vingt ans après, le plaisir est intact au moment de relancer le jeu. Un classique qui a considérablement influencé le jeu de tir à la troisième personnage, et qui posait les bases pour un studio qui a fini par se faire connaître pour ce doux équilibre entre l’action et la narration qui est au centre de chacune de leurs productions. 

  • Max Payne est sorti en 2001 sur PC, PS2 et Xbox. Le jeu est actuellement jouable sur PC via Steam, et un remake est toujours prévu sur la génération PS5 et Xbox Series X. 
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Récemment adaptée au cinéma par Bong Joon-ho avec Mickey17, l’idée née dans l’esprit de l’auteur américain Edward Ashton a d’abord fait son petit bout de chemin avec un roman intitulé Mickey7, sorti en VF à l’été 2022. Son éditeur Bragelonne profite de l’adaptation cinématographique pour remettre un coup de projecteur sur le roman, et c’est l’occasion pour nous également d’aller tenter de voir ce que le cinéaste coréen a bien pu trouver dans cette histoire pour s’en saisir et avoir envie de la mettre en images. Récit de science-fiction teinté de cynisme et d’humour grinçant, Mickey7 a des arguments à faire valoir.

Cette chronique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire par l’éditeur.

Destin à répétitions

« De toutes mes morts, celle-là s’annonce comme la plus stupide. » Avec un tel incipit, Mickey7 pose les bases de son ambiance avec une facilité déconcertante. Entre l’analyse cynique d’un futur où l’humain n’est plus qu’une ressource, et l’ironie qui s’en dégage, le roman de Edward Ashton va d’entrée sur un terrain sarcastique qui accompagne le récit jusqu’à ses derniers mots. Son héros, Mickey Barnes, a tout de l’anti-héros le plus classique possible. Pas vraiment sympathique, empêtré dans une affaire sordide avec des mafieux qui lui promettent l’enfer, il n’a d’autre choix que de signer pour rejoindre un vaisseau qui va tenter d’aller coloniser la planète de Niflheim, un monde de glace en vue d’y installer une humanité qui a déjà quitté la Terre depuis longtemps. Mais comme il n’a pas trop de talents si ce n’est d’être un larbin, il n’a qu’une option, celle de signer pour devenir l’un des consommables du vaisseau. Dans ce monde-là, on maîtrise une technologie capable d’enregistrer les souvenirs et la personnalité d’une personne avant de la transférer dans une enveloppe corporelle identique créée de toute pièce. De quoi se créer une armée de consommables, des gens qui acceptent de réaliser les tâches les plus dangereuses, quitte à mourir dans d’effroyables circonstances, en sachant qu’elles reviendront à la vie. Un poste pas très enviable puisqu’il est souvent synonyme de souffrances physiques et psychologiques terribles, mais qui s’avère être le seul échappatoire pour Mickey. On le retrouve ainsi vite dans sa septième enveloppe, déjà mort six fois, et désormais nommé Mickey7, comme pour lui retirer le bout d’humanité qu’il lui reste. Ce qui pourrait ressembler aux prémices d’un bouquin de science-fiction assez plan-plan trouve vite son twist lorsque, laissé pour mort par son coéquipier au fond d’une crevasse de Niflheim, Mickey7 parvient à s’en sortir tout seul et découvre à son retour à la base qu’il a déjà été remplacé par Mickey8. Copie conforme de lui-même, à l’exception des trois dernières semaines de sa vie puisqu’il n’avait pas pensé à enregistrer ses souvenirs dans ce laps de temps. Trois semaines suffisantes pour que les deux copies révèlent avoir une personnalité sensiblement différente.

Obligés de dissimuler ce double, puisque l’éthique interdit formellement d’avoir un double d’une même personne (pour ce qu’il reste d’éthique dans ce monde-là…), les deux compères doivent alors rivaliser d’astuces pour accomplir leurs tâches sans se faire prendre, trouver de quoi manger alors que les ressources sont ultra-limitées dans une colonie en terrain hostile, et enfin, garder de bonnes relations avec leurs collègues alors qu’il est bien difficile de cacher le moindre secret dans la minuscule base où tout le monde se croise dix fois par jour. Et… C’est tout. Ce qui est raconté dans les deux ou trois premiers chapitres constitue l’essentiel de ce que parvient à offrir Mickey7. Un roman qui ne trouve jamais le bon équilibre entre la tranche-de-vie, qui a ses bons moments, et l’action qui oblige son héros double à tenter de trouver une solution à sa situation, ainsi qu’au destin de la colonie qui se trouve vite face à des espèces de vers des glaces géants. Mais difficile d’en dégager un fil rouge, la faute à une écriture très rébarbative pour un auteur qui passe beaucoup de temps à expliquer, par quatre ou cinq moyens différents (et autant de chapitres), à quel point Mickey n’aime pas sa vie et à quel point le monde est dur avec lui. Antipathique au possible, son héros peine à rendre la pareille à des personnages secondaires un peu plus intéressants, bien que très stéréotypés, et dont le rôle reste essentiellement motivé par ce qu’ils peuvent apporter à la progression du héros. Il en est de même pour un twist qui va alimenter les théories les plus farfelues, sans vraiment retomber sur ses pattes. Peut-être que sa suite Antimatter Blues est plus maîtrisée, mais il manque clairement quelque chose à ce récit pour satisfaire ses ambitions.

Hostilité de circonstances

Le bouquin finit vite par lasser, avec un récit qui a du mal à se renouveler et à faire comprendre où il veut aller. Il y a bien un bout de fil rouge en arrière plan autour des secrets que dissimulent la planète Niflheim, mais ils sont constamment relégués derrière les états d’âme du héros. L’antagoniste principal, le commandant de la colonie, a un impact assez faible sur le récit et il faut attendre les trois ou quatre derniers chapitres pour que l’auteur accélère soudainement la cadence afin de conclure son histoire. C’est un rythme étonnant que nous impose Edward Ashton, jouant constamment sur un ton sarcastique qui a tendance à singer John Scalzi, sans son humour, avec de grosses faiblesses sur la manière de raconter l’action et les interactions entre ses personnages. Le monde lui-même offre assez peu de choses, on n’apprend pas grand chose de Niflheim à part qu’il s’agit d’un monde de glace, qu’elle est peuplée par des gros vers de glaces, et que les gens de la base sont déprimés par le froid. À côté, le style de l’auteur est facile à lire, avec une traduction française qui rend honneur à sa simplicité. On aurait aimé qu’il aille un peu plus loin sur quelques thématiques qu’il esquisse rapidement, comme les problèmes éthiques posés par l’existence d’un humain en guise de consommable, les problèmes psychologiques posés par les nombreuses morts d’une même personne ou encore les traumatismes vécus par ses proches. Mais en dehors d’une longue discussion avec la recruteuse de Mickey Barnes qui ne comprend pas elle-même pourquoi il voudrait s’infliger ça, l’auteur remet ces sujets sous le tapis et se contente d’aller vers la fin du livre en se laissant porter par le moment.

Sacré déception que ce Mickey7. Si on se gardera ici de faire une quelconque comparaison avec le film et ce que Bong Joon-ho a pu ou non lui apporter avec son adaptation dans Mickey17, le bouquin de Edward Ashton a beaucoup de mal à tenir la longueur malgré la bonne idée initiale. Écrire un héros un peu loser et peu charmant requiert certaines qualités d’écriture qui ne sont pas évidentes dans le style d’Ashton, on se retrouve avec un récit parfois un peu irritant, mais surtout le plus souvent inconséquent, avec une tranche-de-vie ni agréable ni désagréable, qui se laisse lire sans qu’on n’en retienne grand chose, et avec un grand final sans aucune attache émotionnelle capable de provoquer quoique ce soit pour le destin de ses personnages. 

  • Mickey7 est disponible en librairie aux éditions Bragelonne.
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Connaissez-vous Blue Prince, le jeu d’énigmes sorti le 10 avril 2025 ? Développé pendant huit ans par le studio hollywoodien Dogubomb, et produit par Raw Fury, Blue Prince récolte actuellement d’excellentes critiques. Vais-je vous dire le contraire dans cette review ? Non, loin de là. Blue Prince est probablement mon GOTY 2025, et c’est quelqu’un qui d’habitude ne fait jamais ce type de palmarès qui vous dit cela. Vous aimez les puzzles, l’exploration, les vieilles bâtisses pleines de mystères et les directions artistiques originales ? Vous aimez être surpris(e) ? Foncez. Foncez, sans aucune hésitation, et si possible en en sachant le moins possible sur le jeu. Pour cela, je vais tâcher de rester relativement vague sur certains points de cet article, pour vous garder le plaisir de la découverte.

Cette review a été écrite suite à l’envoi d’un code numérique sur Xbox Series S.

Jour 1 – Le labyrinthe

Bienvenue à Mount Holly ! © Blue Prince, Dogubomb, 2025

Le jeune Simon est désigné par son grand-oncle pour être l’héritier d’une imposante demeure : Mont Holly. Cependant, le testament intègre une condition : pour hériter du manoir, Simon doit trouver la 46e pièce…des 45 chambres déjà existantes. Existe-t-il seulement une 46e pièce, ou n’est-ce qu’une folie pour empêcher quiconque de posséder un Mont Holly très mystérieux ?

Simon possède surtout des talents de boy scout. Nous ne savons pas grand-chose sur lui, hormis sa débrouillardise et sa curiosité. Une façon d’en savoir le moins possible, pour se projeter davantage dans l’expérience, en s’identifiant à lui. Trois règles existent pour l’exploration de Mont Holly : interdiction de passer la nuit dans la demeure (Simon dort dans une tente, dans le parc) ; interdiction de ramener des choses dans le manoir, ainsi que d’en emporter à l’extérieur. Car chaque jour, les pièces changent, de manière surréaliste.

En effet, Simon commence son aventure dans un hall d’entrée majestueux, au sol étincelant, accueilli par une lettre de derniers conseils de son grand-oncle, des lustres et bustes grandioses…et trois portes : devant lui, à gauche et à droite. Lorsqu’on tente d’en ouvrir une, on se retrouve avec un choix aléatoire de trois pièces différentes, à devoir choisir quoi créer pour continuer notre route. Veut-on une chambre pour se reposer ? Un couloir pour aller de l’avant ? Une salle à manger avec une autre porte à déverrouiller et une gemme à ramasser ? Un placard cul-de-sac mais comportant des objets intéressants pour la suite ?

Car Mont Holly est composé de quarante-cinq pièces, disposées sur un quadrillage de plan de neuf colonnes et de cinq lignes. 45 carrés. 45 pièces possibles et, tout en haut, une antichambre mystérieuse. Le défi est maintenant de parvenir au nord, à cette antichambre, en composant avec les différentes pièces aléatoires, en évitant les cul-de-sac et en utilisant à bon escient divers objets. Et ce, avec d’autant plus de précaution que chaque pas nous coûte en énergie, dès que nous traversons une porte. Pour arpenter ces 45 pièces, nous n’avons que 50 pas.

Jour 3 – Le terrier du lapin blanc

Blue Prince, Red Prince.. les contes d’enfants et livres plus adultes nous accompagnent durant notre parcours © Blue Prince, Dogubomb, 2025

Bien sûr, Blue Prince paraît simple dit comme ça. Au début, j’ai tâtonné, fait des cartes de route plutôt mauvaises. Et pourtant, au bout de quelques runs, quelques jours, la mécanique devient aussi limpide que grisante. Elle est aussi addictive qu’ingénieuse. Imaginez le nombre de pièces à découvrir. Le nombre d’objets qui nous aident indirectement. Imaginez un chemin chaque jour différent et dont on retire pourtant quelque chose, même quand on croit avoir fait la plus mauvaise carte de notre partie. De l’expérience ; une amélioration permanente ; des indices pour des choses évidentes ou qui ne le seront que beaucoup plus tard.

Blue Prince est un jeu d’énigmes. Il y en a des simples, il y en a des cachées, il y en a dont on note un détail sans savoir qu’il va nous servir ; il y en a d’autres où on a un éclair de génie quand les différents morceaux du puzzle s’emboîtent enfin. Outre cette progression entre stratégie et aléatoire, nous forçant à tirer le meilleur parti de ce qui nous est donné, il possède un côté roguelite qui le rend fascinant. Plus on joue, plus on comprend le jeu, plus on est fasciné. On n’a qu’une envie : relancer une partie pour tester quelque chose d’autre, pour vérifier une théorie, pour enfin tester ce qu’on a failli arriver à faire ou à avoir, faute de nombre de pas suffisants.

Quand je me suis aperçue que les runs de vingt minutes tournaient plus facilement vers quarante minutes, et que ne pas résister à l’envie d’en relancer un, me menaient à deux heures du matin… Oui, j’étais tombée dans un fabuleux terrier de lapin.

Jour 12 – La maison dans laquelle

Un exemple de parcours. J’ai eu beaucoup de Mt. Holly très « jardin » © Blue Prince, Dogubomb, 2025

Mont Holly… Je suis tombée sous le charme. J’ai été fascinée par Blue Prince comme je ne l’ai pas été depuis longtemps par un jeu vidéo. Son gameplay le rend absolument singulier, à la fois atypique par ce qu’il mélange de l’aléatoire, de la planification et du roguelite. Il se renouvelle sans jamais lasser, pas une seule fois, parce qu’il se tient sur la fine ligne d’équilibre entre la difficulté et la satisfaction d’avoir réussi. Parce que chaque run est unique, que tous les joueurs et toutes les joueuses n’auront pas une partie identique selon leurs difficultés, leurs casse-têtes, leurs chemins choisis. Aucune énigme n’est insurmontable ; elle se dévoile peu à peu et ne nous bloque jamais dans la progression, nous empêchant toute frustration trop grande.

C’est aussi la direction artistique qui séduit totalement. De pièce en pièce, Mont Holly se révèle et nous ouvre de nouvelles portes. A la nuit bleu sombre se succède une aube lumineuse et paisible. La musique, presque inexistante (avec un certain regret), nous accompagne doucement, presque moins que le bruit de nos pas dans la demeure. Les pièces sont vides – tout le monde est parti, famille comme domestiques – mais des bribes de vie y traînent. Des journaux, des photos, des mémos, des lettres. Pièce par pièce, Mont Holly nous laisse en savoir un peu plus sur tous les habitant(e)s qui l’ont parcouru, tout en laissant planer une atmosphère mystérieuse, jamais pesante, mais parfois mélancolique. La direction artistique donne l’impression de dessins faits à la main, d’un cel-shading aux traits et aux ombres nuancées, aux couleurs vivantes et chaudes. Si bien qu’on ne se sent jamais claustrophobe dans ce dédale de pièces et de couloirs, mais plutôt chez soi.

Mont Holly est une maison où l’on a vécu, indéniablement. Où des générations se sont succédé, donnant une ambiance particulière à des pièces plus personnelles. Certaines chambres possèdent ce côté violet très chaleureux, entre coussins, lits et fauteuils ; les salles à manger proposent encore des couverts et des verres d’eau. On se sent pris d’une étrange sérénité en traversant les différentes pièces créées. Il y autant de familiarité dans Blue Prince que de projection de soi, à l’instar de What remains of Edith Finch. Qui n’a jamais rêvé d’une maison aux pièces mouvantes et infinies ? Qui n’a jamais souhaité découvrir un passage secret dans sa propre demeure ? Quelque part, on aimerait y vivre, dans ce manoir. Elle est chaleureuse et confiante comme peuvent l’être les souvenirs d’une maison d’enfance, d’une maison aimée. Mont Holly semble comporter des souvenirs heureux malgré la vacuité des 45 pièces. Elle est une source intarissables de découvertes, de renouveau et d’admiration.

Jour 36 – You should have left

J’ai vu se dérouler le générique de fin. Je suis arrivée au bout du jeu, le cerveau retourné, la victoire en tête, heureuse d’avoir trouvé cette 46e pièce après tant de jours écoulés.

Au bout du jeu… ?

Combien d’expériences reste-t-il encore à vivre dans Mont Holly ? Combien de secrets la demeure cache-t-elle encore ? Quels détails ai-je encore manqués ? Quelles énigmes restent encore à résoudre ?

Y a-t-il plus vertigineuse sensation que celle de se dire qu’on n’a fait que gratter la surface d’un immense mystère ?

Jour 53 – Le château de Barbe-Bleue

Certaines pièces mystérieuses sont vraiment rares. © Blue Prince, Dogubomb, 2025

Il reste une infinité de portes à ouvrir. Blue Prince est un des jeux les plus fascinants, les plus passionnants de ces dernières années, que j’ai pu tester. Il n’a l’air de rien comme ça, et pourtant il est une véritable merveille. Une perle d’ingéniosité, de gameplay, de renouveau, tout en narrant une histoire plus profonde qu’il n’en a l’air – si on se donne la peine d’y plonger. Les novices en anglais auront malheureusement du mal : le jeu n’existe pour l’instant que dans la langue de Shakespeare et il faut reconnaître que certains éléments du lore sont assez obscurs, même avec un bon niveau d’anglais. Pas de quoi entraver la progression principale, cependant.

Blue Prince retourne le cerveau par ses énigmes, par ses couches et sous-couches, par sa capacité à nous enthousiasmer sans jamais nous lasser. Par cette envie toujours présente d’y retourner, de refaire un run, juste pour « voir », pour « vérifier quelque chose », pour le plaisir des yeux. Parce qu’il y aura toujours quelque chose. Même le jour le moins réussi peut apporter un impact positif dans la dernière pièce qu’on ouvre. Il ne nous prend pas par la main, mais nous laisse réfléchir par nous-mêmes, et nous rappelle qu’on est suffisamment intelligents pour ne pas avoir besoin de pop-up ou de dialogue explicatif toutes les trente secondes. Il nous immerge dans une atmosphère aussi poétique que raffinée, nous invite à la découverte autant qu’à la réflexion.

Blue Prince m’a passionnée, rendue addict, m’a charmée par son atmosphère et son gameplay. Je songe d’ailleurs à fonder le club des Blue Prince anonymous addicts. C’est un jeu absolument fou, un jeu qui surprend même encore après sa « fin », un de ces titres qui montre à quel point le jeu vidéo peut être encore d’une inventivité incroyable.

Prenez un carnet de notes, vous en aurez besoin. Ce serait peut-être même agréable d’avoir un(e) compagnon ou compagne de route pour réfléchir ensemble aux énigmes. Franchissez les portes de Mount Holly pour explorer ses dédales et ses secrets. Prenez votre temps. Regardez tout. Observez la beauté des lieux, leur architecture, leurs décors, les traces d’une vie passée. Pas après pas, savourez ce gameplay aussi osé que brillant, qui rend chaque tentative unique.

Marchez, errez, jusqu’à ce que ces pièces soient aussi familières que les recoins de votre propre maison. Au point où dans vos rêves, le quadrillage des colonnes et des lignes vous apparaisse, que vous imaginiez dans vos moments de rêverie quotidienne, où aller au prochain run et comment. C’est une expérience que vous ne regretterez pas, je vous le promets.

  • Blue Prince est disponible sur Windows, Playstation 5, Xbox Series X et S depuis le 10 avril 2025.
  • Les titres de l’article sont des clins d’œil à d’autres œuvres dans lesquelles les maisons mystérieuses et insaisissables jouent des rôles importants : Le Labyrinthe, roman de James Dashner, mais aussi le Labyrinthe de Pan de Guillermo del Toro ; le terrier du lapin blanc de Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll ; La maison dans laquelle, roman arménien de l’autrice Maryam Petrosyan ; You should have left, film de David Koepp ; et enfin l’opéra Le Château de Barbe-Bleue de Bela Bartok, basé sur le conte de Charles Perrault.
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La collection DC Infinite continue sa marche et nombreuse sont les séries à se conclure, alors qu’on est à un moment pivot après quelques années de commercialisation et les arcs qui se referment en attendant la suite. Pendant que Absolute Power, l’évènement du moment, nous dévoile son deuxième tome, Dawn of Titans et Batman Nocturne mettent un poil final avec un peu plus de succès pour le second que le premier. 

Cette chronique a été écrite suite à l’envoi d’exemplaires par l’éditeur.

Dawn of Titans – Tome 3, une conclusion petit bras

© 2025 DC Comics / Urban Comics

Comme bon nombre de récits en ce début d’année, le Dawn of Titans de Tom Taylor connaît sa conclusion. La plume de celui qui nous a enchanté le mois dernier avec la fin de son run de Nightwing Infinite connaît cette fois-ci un peu moins de succès. Malgré les belles intentions affichées depuis le début des Dawn of Titans, se payant même le luxe d’offrir quelques grands moments d’émotions autour du Changelin devenu menace pour le monde -malgré lui-, le récit peine à retomber sur ses pattes en s’attaquant cette fois-ci à la menace d’une Raven dont la personnalité a été dédoublée. Envahie par des pensées obscures faisant d’elle la Reine aux Ailes Noires, elle manipule en douce ses ami·es Titans mais la menace est vite évacuée. La faute à l’absence de véritables enjeux, alors que le récit doit laisser de la marge au Absolute Power qui concentre tous les débats (et dont on parlera du deuxième tome ci-dessous). On tombe alors sur une conclusion assez faible, qui n’arrive pas à faire grandir ses enjeux malgré une bataille finale qui a ses bons moments, avant de se résoudre de la manière la plus bateau possible. Je pense que les Titans méritaient un peu mieux sur la fin de cet arc, d’autant plus avec l’importance que le groupe a pris dans les deux précédents tomes. Reste à voir de quoi demain sera fait.

Car les promesses des deux premiers tomes tombent un peu à plat. Faire des Titans le groupe de super le plus important de l’univers DC était une super idée, permettant aux premiers numéros d’offrir une nouvelle envergure à ces personnages, en comparaison d’une Justice League vieillissante. Mais cette nouvelle forme de maturité offerte aux Titans n’a pas été au bout de ses intentions, avec un troisième tome qui manque quand même d’envergure, présentant certes une menace planétaire terrible, mais qui est laissée tombée en deux pages. Il y a même un peu de comique de situation quand Nightwing en appelle à tous·tes les héros et héroïnes de la Terre, un appel resté sans réponse. Les ambitions de Tom Taylor se sont peut-être heurtées à des impératifs narratifs dépendant des autres séries, à commencer par Absolute Power, mais aussi la conclusion de son propre Nightwing Infinite. C’est pas un tome déplaisant, mais pas le final espéré.

Batman Nocturne – Tome 5, pendu haut et court

© 2025 DC Comics / Urban Comics

À la différence de Dawn of Titans, le Batman Nocturne de Ram V a très bien réussi sa sortie. Conclusion de ce premier essai de l’auteur indien sur l’univers de Batman, la série a eu de bons moments, en apportant plus de noirceur et de mystique à Gotham avec l’arrivée d’une famille hostile, les Orgham. Ce qui a été vécu comme une longue descente aux enfers Batman a eu en point d’orgue le quatrième tome où le bien aimé super-héros avait été pendu en place publique par les Orgham, devenus héros de la ville, en faisant passer le justicier pour la source du mal qui a longtemps rongé Gotham. Pas irréprochable pour autant, le récit avait connu quelques faiblesses, mais on sentait l’envie de Ram V de mettre un point final à cet arc en poussant son personnage à se réinventer, passant littéralement par une résurrection et une longue traversée du désert, après sa pendaison. On retrouve un Batman plus viscéral, plus lucide aussi sur ce que la ville de Gotham attend réellement de lui, et cela donne un final explosif où la figure du justicier recouvre la ville peu à peu après avoir été « purgée » par les Orgham.

Plus encore que son récit, ce qui restera dans nos mémoires pour Batman Nocturne c’est l’énorme travail effectué sur son ambiance, que ce soit par l’écriture de Ram V qui y a ajouté tous les éléments de mystique qu’il affectionne tant, que les artistes qui l’ont accompagné aux dessins. Notamment Stefano Raffaele qui offre quelques planches sublimes, à la limite de la toile que l’on accrocherait au mur pour la contempler, sublimant quelques uns des passages clés du final. Très clairement, Batman Nocturne laissera un excellent souvenir, notamment pour cet ultime tome qui apporte un très beau point final. On laisse un Batman songeur, qui a trouvé un nouveau but, une nouvelle compréhension du monde qui l’entoure. Un personnage plus humain, lui qui a lutté avec un démon tout au long de cette aventure.

Absolute Power – Tome 2, des troupes à re-motiver

© 2025 DC Comics / Urban Comics

Absolute Power, le grand évènement du moment mené par Mark Waid et Dan Mora s’offre un deuxième tome (sur trois) dans lequel les super-héros et super-héroïnes tentent de trouver la faille face à une Amanda Waller toute puissante. Pour mémoire, cet évènement qui monopolise l’attention des principales séries DC du moment, raconte comment la cheffe de la Suicide Squad est parvenue à s’arroger tous les pouvoirs aux États-Unis pour mener une épuration des « métahumains », toute personne possédant des pouvoirs surnaturels ou mettant un masque de justicier·ère. Sorte de Civil War à la sauce DC, le comics fonctionne plutôt bien et son premier tome parvenait assez facilement à installer le sentiment d’urgence face à des personnages pourchassés, meurtris, la plupart ayant perdus leurs pouvoirs absorbés par des robots contrôlés par Waller grâce à son alliance avec Failsafe, le fameux robot créé par Batman qui a mal tourné (comme vu dans le Batman Dark City de Chip Zdarsky). Si le postulat semble un peu farfelu, il fait assez vite sens compte tenu de la haine éternelle de Waller envers les masqué·es, et les informations qu’elle a glané après une longue carrière, lui permettant d’exploiter chacune de leurs faiblesses. Côte résistance, ce deuxième tome se focalise sur les personnages qui cherchent à maintenir encore un peu d’espoir de renverser leur ennemie un jour, et les troupes se réunissent ici et là pour lui échapper tout en fomentant une future attaque pour reprendre du terrain.

Si le récit de Mark Waid, dans les épisodes principaux Absolute Power, raconte à peu près la même chose que tous les récits de résistance, la narration trouve ses plus belles couleurs dans les numéros consacrés aux différents personnages, comme celui où l’on découvre une Wonder Woman qui s’allie occasionnellement à Robin (Damian Wayne) pour soutirer des infos à Captain Boomerang, ou encore Flash (Barry Allen) qui se retrouve pourchassé et qui tente tout pour trouver une faille. C’est l’ensemble de ces petits bouts narratifs qui donnent beaucoup de coeur à Absolute Power et offrent du contexte, dans une histoire qui ne réinvente pas la roue, mais qui est plutôt bien menée, en espérant que la conclusion dans le futur tome 3 soit à la hauteur de tout ce qui a été mis en place jusque là.

  • Les comics de la collection DC Infinite sont disponibles en librairie aux éditions Urban Comics.
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Avec un peu de retard, on revient dans cette nouvelle chronique DC Infinite sur les sorties du mois de février 2025. Un mois assez chiche en terme de nouveautés, néanmoins c’est la fin de deux récits : Dawn of JSA, mais surtout, le septième et dernier tome du génial Nightwing Infinite de Tom Taylor et Bruno Redondo. La fin d’un cycle certainement, pour une série qui accompagne la collection Infinite depuis maintenant trois ans et qui constituait l’un de ses meilleurs rendez-vous, voire le meilleur.

Cette chronique a été écrite suite à l’envoi d’exemplaires par l’éditeur.

Dawn of JSA – Tome 3, une fin et après ?

© 2025 DC Comics / Urban Comics

Dernier des trois tomes que devait compter la série Dawn of JSA consacrée à la Société de Justice d’Amérique, celui-ci met un point final au récit principal en douze numéros écrit par Geoff Johns. On y suivait une narration assez confuse, néanmoins pleine de coeur, tentant de concilier l’ancienne génération de héros et d’héroïnes de la Société de Justice tout en y mettant un nouveau souffle au travers de nouveaux personnages qui la rejoignaient. Sur fond d’un récit finalement assez peu intéressant autour d’un nazi qui traverse les époques pour détruire les différentes générations de la JSA, Geoff Johns s’est tout de même offert une dernière balade qui a eu ses bons moments. Les derniers numéros, conclus avec Justice Society of America #12 dans ce troisième tome, manquent toutefois d’un peu de liant pour conforter leur impact émotionnel. Sommaire et confuse, la fin n’est pas à la hauteur des précédents numéros, ni du talent de son auteur. Il faut plutôt aller chercher du côté des deux séries suivantes, qui racontent les origines mais aussi le futur de quelques personnages importants, pour trouver le véritable intérêt du comics.

Car ce troisième tome nous propose aussi les six numéros de Alan Scott: The Green Lantern, et les six de Wesley Dodds: The Sandman. Le récit consacré à Alan Scott, écrit par Tim Sheridan et joliment dessiné par Cian Tormey va chercher du côté des débuts du tout premier Lantern humain, membre éminent de la JSA, mais surtout raconté ici au prisme de son homosexualité, qui lui a valu d’abord une vie cachée au sein de l’armée américaine, puis d’être l’objet d’un chantage par J. Edgar Hoover, le célèbre chef du FBI que l’auteur intègre à son récit pour raconter l’horreur des années 1930 pour celles et ceux qui ne se conformaient pas aux moeurs en vigueur. Plus encore, le scénariste raconte la vie personnelle et amoureuse du Lantern au travers de sa confrontation avec le premier Red Lantern, et ça marche sacrément bien. Il en est de même pour l’autre série, Wesley Dodds: The Sandman, qui se place elle en 1940, et raconte un justicier traumatisé par les récits de son père sur les gaz utilisés lors de la Première Guerre Mondiale, et qui se jure de ne jamais tuer personne. Jusqu’au jour où, ses recherches sur un gaz soporifique non létale le mènent à découvrir d’autres formules, plus létales, qu’il tente de cacher, mais qui vont être volées par un vilain. Sur une ambiance type film noir, le comics écrit par Robert Venditti et superbement mis en image par Riley Rossmo est une véritable réussite, avec un récit fluide et des visuels saisissants. Comme pour le comics dédié à Alan Scott, on sent une volonté d’étoffer l’histoire de ces personnages pour les rajeunir, mais aussi en faire d’éventuels têtes d’affiches pour un renouveau de la JSA, aux côtés de Huntress et Stargirl qui étaient au centre des deux premiers tomes.

Nightwing Infinite – Tome 7, un exploit et puis s’en va

© 2025 DC Comics / Urban Comics

Quelle surprise aura été ce Nightwing. Décidé à faire grandir le personnage et en faire un des éléments centraux de l’univers DC, Tom Taylor a donné beaucoup de coeur à Dick Grayson, éternel sidekick de la famille de Batman qui prenait enfin l’ascendant, en incarnant un renouveau tant du côté de ses aventures personnelles, avec sa vie commune auprès de Barbara Gordon (Batgirl), que de sa vie publique en utilisant une fortune nouvellement acquise pour faire le bien dans son fief de Blüdhaven. En tant que super-héros, c’est aussi celui qui s’est mis avec les Titans à diriger l’essentiel des efforts des justiciers et justicières, en remplaçant une Justice League désormais plus ou moins à la retraite. En gagnant en épaisseur, le personnage gagne aussi en finesse, grâce à l’écriture d’un Tom Taylor qui a été capable aussi bien d’en faire un récit épique que drôle, en y ajoutant aussi beaucoup d’émotions, un attachement inévitable à sa chienne Haley, ou en revenant sur son enfance et sur ceux qui sont restés dans l’ombre du drame de la mort de ses parents. Très intime sur le fond, le comics a aussi été une immense réussite visuelle avec un Bruno Redondo au plus fort de sa forme, qui avait laissé quelques numéros à d’autres dessinateurs depuis mais qui revient là sur le dernier tome avec talent. 

Qu’en est-il concrètement de ce dernier tome ? On a d’abord un numéro annual sur Bea Bennett, la pirate que l’on a rencontré au tome précédent et qui raconte comment elle s’est retrouvée là. Plutôt sympathique, c’est une mise en bouche pour les derniers numéros de la série principale Nightwing, où l’auteur vient conclure l’histoire autour de Sans-coeur, la principale menace de la série depuis ses débuts. Les personnages vont découvrir enfin qui se cache derrière le masque de celui qui arrache des coeurs, mais surtout, cette fin passe par une « chute » littérale que figurative de Dick Grayson, dont toute l’action est remise en cause publiquement, avec des petits bouts de puzzles disséminés dans l’ensemble des tomes précédentes et qui forment enfin le tout du plan machiavélique de Sans-coeur. C’est une belle fin, à la hauteur émotionnelle du reste de la série, avec une mise en scène toujours aussi impressionnante. Bruno Redondo s’était illustré pour sa manière de « jouer » avec les cases dans une mise en scène très dynamique, ce qu’il fait là encore, pour notre plus grand plaisir. Si la série ne manque pas de grands moments visuels, on se souvient notamment du numéro #87 (dans le tome 2) où le dessinateur racontait un numéro complet, d’une vingtaine de pages, en une longue et unique illustration sans coupure, à la manière d’un plan-séquence au cinéma. Nightwing Infinite est terminé, et ça va nous manquer.

  • Les comics de la collection DC Infinite sont disponibles en librairie aux éditions Urban Comics.
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Aussitôt annoncé le 13 février dernier, aussitôt disponible, Warriors: Abyss était une sacré surprise. D’abord parce que le jeu, qui s’inscrit dans la licence des « musou » de Koei Tecmo (Dynasty Warriors et Samurai Warriors) sortait tout juste un mois après Dynasty Warriors Origins, et ensuite parce que le jeu est le fruit d’un mélange des genres, reprenant des mécaniques propre au genre qu’il a lui-même créé, et en le mixant avec une structure plus proche du roguelite. Un étonnant cocktail qui s’avère finalement assez évident, dans un jeu certes imparfait, mais qui ne manque pas d’arguments. 

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’une clé PlayStation 5 par l’éditeur.

Théâtre des enfers

© KOEI TECMO GAMES CO., LTD. All rights reserved.

Ayant bien conscience qu’on ne vient pas là pour l’histoire, Koei Tecmo ne s’attarde pas sur l’aspect narratif de son jeu en se limitant à un contexte qui lui permet de s’écarter des enjeux de la série principale. Ici, on retrouve Zhao Yun, Général du royaume de Shu, qui se retrouve en enfer sans trop savoir pourquoi. Peut-être mort dans l’un des nombreux titres principaux de la saga, il n’en reste pas moins qu’il se retrouve face à Enma, roi des enfers, qui lui demande de combattre Gouma, un autre monstre qui s’est emparé des enfers. Ni une ni moins, Zhao Yun met ses talents à disposition pour anéantir des vagues de monstres déchaînés, jusqu’à… Sa mort. Une morte atypique, le genre où l’on revient vite sur nos pattes, et nous voilà après cette première run probablement plutôt courte face à ce qui fait l’essentiel des roguelite : pour aller au bout du jeu, il faudra mourir, plusieurs fois, jusqu’à accumuler suffisamment de puissance (grâce à des bonus passifs débloqués à chaque run) et de connaissances du jeu pour réussir à traverser toutes les zones qui composent le jeu et abattre tous les boss sans mourir. Zhao Yun n’est toutefois pas seul dans cette quête puisque excepté la première run qui sert de gros tutoriel, le jeu met rapidement à dispositions des dizaines de héros, et beaucoup d’autres à débloquer, pour un total de 100 personnages jouables venant des deux séries du développeur (Dynasty et Samurai Warriors). Dans le plus pur esprit des musou, il faut ainsi compter sur une galerie de personnages gigantesque avec pour chacun·e son propre style de combat, son arme de prédilection et son coup spécial. Certain·es seront plus simples à maîtriser que d’autres, mais le jeu repose beaucoup sur la coopération en bonne intelligence entre les différents personnages, et ce afin de former des synergies qui permettent de progresser plus rapidement.

Car le jeu repose sur un vaste système « d’alliances » à former avec cette galerie d’une centaine de personnages. Découpé en quatre niveaux de huit phases chacune (= huit salles à vider avant de passer à la suivante), le jeu propose en effet entre chaque salle (ou presque, selon les récompenses choisies) de former une nouvelle « alliance » avec un héros ou une héroïne parmi des personnages proposés aléatoirement. Chaque nouvelle alliance offre un nouveau coup, puisque les personnages alliés sont invoqués pour mettre un coup final pour chaque combo quand les conditions sont remplies (il y a un temps de repos, type cooldown, entre chaque apparition), mais surtout, ces personnages apportent des bonus passifs qui peuvent renforcer la vitesse, l’attaque, la résistance ou encore le coup ultime de notre héros. Plus encore, former des alliances avec des personnages de même allégeance ou propriétés permet de créer des synergies, démultipliant les bonus passifs obtenus. Indispensable à la bonne complétion du jeu, ce système d’alliances permet en effet souvent de se tirer de situations compliquées grâce aux coups de soutien des allié·es dont la puissance permet en général de se défaire de dizaines d’ennemis en même temps. Et surtout, une fois six allié·es obtenues simultanément, on peut déclencher un finisher lors du coup ultime qui rase toute la salle. Mais il faut parfois faire des concessions, puisque à chaque fin de salle on a le choix entre plusieurs directions (via des portails de téléportation) pour la prochaine salle : soit les classiques avec une alliance à former à la fin, soit les salles à récompenses type crédits à dépenser dans un magasin pour obtenir des bonus ou « karma », l’indispensable monnaie d’échange pour renforcer les prochaines runs.

Mourir pour conquérir

© KOEI TECMO GAMES CO., LTD. All rights reserved.

Car roguelite oblige, aucune run ne doit être parfaitement inutile, quand bien même on mourrait bien loin du boss final. Si l’on rêve très tôt d’aller faire son compte à Gouma au terme des quatre niveaux, il faut mourir quelques fois avant même de voir le deuxième niveau, alors atteindre le quatrième, ce n’est au départ qu’un lointain rêve. Pour éviter la frustration, les roguelite, en opposition aux roguelike, offrent en général des gains passifs qui permettent de faciliter les essais suivants. Et c’est exactement là que se joue la progression de Warriors: Abyss avec un système de points de « karma » à obtenir, que ce soit dans les coffres à trésor, en battant les boss ou certains ennemis. Une fois amassé suffisamment de karma, on peut aller débloquer dans un gigantesque arbre de progression de nombreux personnages qui deviennent à la fois jouables, et disponibles pour former des alliances. Cela sert également à débloquer des « tactiques » qui renforcent les alliances selon les personnages. Pour chaque héros ou héroïne débloquée, le jeu offre un bonus passif de points de vie, d’armure ou de force, qui s’accumule sur tous les personnages afin de faciliter les prochains essais. Au début, ces bonus semblent assez limités, puisque l’on parle d’améliorations de l’ordre de 1% à 3% en général sur les statistiques de force ou d’armure de base, ou une poignée de points de vie. Mais très vite, l’accumulation décuple la puissance et c’est avec une cinquantaine de personnages débloqués que j’ai pu aller face au boss final et lui régler son compte. Sur le fil, parce qu’il est sacrément violent. 

Mais Warriors: Abyss se distingue aussi des autres roguelite par l’essence même de la saga, celle du défouloir. Celle des hordes d’ennemis tués avec un compteur de « K.O. » en bas à droite de l’écran qui nous rappelle que nos généraux sont des génocidaires. Exit toutefois les bataillons entiers d’humains que l’on assassine dans la série principale, et place plutôt à des monstres difformes qui ne reviennent pas mettre en cause notre propre humanité quand à la fin d’une run on nous annonce fièrement sur la page de statistiques finales qu’on en a tué des milliers. Ce côté défouloir est très clairement accentué par un gameplay maîtrisé auquel la saga principale nous a habitué·es, avec des grands coups de lances, de hallebardes, d’épées ou encore d’armes un peu plus farfelues qui permettent de balayer littéralement des vagues entières. Là où Warriors: Abyss souffre un peu plus, et malgré le sympathique défouloir qu’il constitue, c’est sur la qualité de sa mise en scène et de ses décors, tous un peu trop similaires, avec un bestiaire bien peu généreux, et des combats de boss dont l’intérêt est assez limité à cause de patterns répétitifs. Une fois le jeu terminé une première fois (il faut compter huit à dix heures environ), difficile d’avoir envie d’y retourner pour débloquer les derniers personnages, parce que le jeu a assez peu de choses à proposer au-delà du défouloir.

Pour autant Warriors: Abyss a été une agréable surprise. Malgré ses limites techniques, pour un jeu très clairement développé à très petit budget, mais aussi son aventure finalement assez courte et peu engageante, j’ai pris un plaisir certain à m’y défouler entre deux jeux exigeants un peu plus d’investissement mental. Taper dans le tas sans trop réfléchir, sachant que le jeu offre toutes les aides possibles pour former les meilleures alliances et utiliser les meilleures tactiques sans se poser de question, c’est peut-être aussi ce dont on a besoin par les temps qui courent. Taper dans le tas, voir les coups spéciaux se déchaîner à l’écran sans que l’on comprenne trop ce qui se passe (avec une lisibilité pas toujours parfaite), et puis la mort libératrice de Gouma, le grand méchant. En voilà une aventure qui paie pas de mine, qui détend, et qui donne envie de voir Koei Tecmo se réessayer à l’exercice dans une éventuelle suite qui pourrait capitaliser sur le « feeling » des combats déjà bien acquis, tout en y ajoutant peut-être plus d’ambition narrative, et plus de diversité dans le bestiaire et les zones parcourues. Pour un lancement à 25€, c’est une proposition tout à fait honnête.

  • Warriors: Abyss est disponible depuis le 13 février 2025 sur PC, Nintendo Switch, PlayStation 5 et Xbox Series X|S.
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Personnage clivant, Hideo Kojima ne laisse pas indifférent dans le petit monde des jeux vidéo. Considéré comme un génie par certain·e·s, caricaturé par d’autres pour son égo qui a bien du mal à passer les portes, le créateur à la tête de Kojima Productions peut toutefois se targuer d’avoir marqué à sa manière son industrie. Initialement employé chez Konami, il a connu un succès considérable avec Metal Gear Solid en 1998 sur PlayStation, premier épisode en 3D d’une série débutée une dizaine d’années plus tôt de manière plus confidentielle sur MSX2. Précurseur du jeu d’infiltration, la saga est devenue culte en connaissant un succès considérable. Vingt sept ans plus tard, et alors que le jeu a connu de nombreuses suite, « MGS » comme on l’appelle plus généralement est-il encore le jeu culte de nos souvenirs ?

« 100 ans après » est une chronique rétro qui vous invite à découvrir des jeux vidéo qui ont marqué notre histoire de joueurs et de joueuses, pour le meilleur comme pour le pire, en les parcourant à nouveau à notre époque afin d’y apporter un regard neuf.

De la série B au drame

© METAL GEAR SOLID. Konami Digital Entertainment

Metal Gear Solid est écrit comme une tragédie. Et à l’époque, c’était une surprise. Car les premiers épisodes en 2D s’inspiraient plutôt de films d’action bas du front, et ce premier opus en 3D sorti sur PlayStation débutait de la même manière. Entre les premiers dialogues dans le « codec » (un outil de communication) où interagissent les différents protagonistes, et l’aspect quasiment « cartoonesque » du comportement des ennemis, avec le point d’exclamation au-dessus d’eux quand ils nous repèrent et leurs mouvements très codifiés, il est bien difficile de prendre le titre au sérieux dans ses premiers instants. Et ce n’est pas un hasard : le jeu s’inscrit pleinement dans la fin de la guerre froide et la guerre du Golfe, à un instant où les dynamiques politiques sont redistribuées, et il est l’héritier d’un cinéma qui caricaturait les relations géopolitiques et militaristes des antagonistes de cette époque. Pour autant, MGS a fini par surprendre son public en orientant rapidement son récit vers quelque chose de plus sérieux, de plus touchant aussi, avec une écriture qui manque certes parfois de finesse, mais qui voulait aborder des thématiques qui se faisaient plus rare dans les jeux vidéo. Le tout accompagné par une bande originale de TAPPY et Kazuki Muraoka notamment, qui s’approprient des sonorités militaires en leur insufflant un vent dramatique, à l’image du superbe thème principal.

On y découvre ainsi une narration qui vire vers la tragédie, en abordant les destins brisés de personnages comme Psycho Mantis et Gray Fox, antagonistes dont le passé tragique en a fait des espèces de rats de laboratoire, ou encore Sniper Wolf, victime d’une vie où elle n’a jamais connu autre chose que la guerre. Aussi, un discours foncièrement antimilitariste et antinucléaire, qui suivra la saga par la suite, où au-delà de l’action ambiante, le récit préfère prendre le temps dans ses cinématiques de révéler à ses personnages les horreurs de guerres interminables au titre de gains personnels. L’arme nucléaire est décrite comme une menace pour l’humanité, remettant en cause le principe même de l’arme comme outil de « dissuasion » alors que l’aventure consiste à empêcher une organisation secrète de mettre la main sur des têtes nucléaires qui ne devaient être que des moyens de défense, officiellement. C’est, d’ailleurs, une thématique centrale dans les jeux de Hideo Kojima, avec en apogée Metal Gear Solid V : The Phantom Pain où le mode multijoueur consistait en un effort commun de la communauté pour détruire l’intégralité des armes nucléaires de son univers. On pourrait aussi citer Death Stranding, qui n’appartient pas à la même saga, mais où le développeur y apportait aussi une réflexion antinucléaire, sur fond de coopération entre les joueurs et les joueuses pour retrouver une forme d’humanité. 

Action, grandiloquence et pêché mignon

© METAL GEAR SOLID. Konami Digital Entertainment

Pour autant, MGS propose une aventure d’action-infiltration aux multiples rebondissements, ne perdant jamais de vue ses inspirations premières. Tout commence alors que Solid Snake, un soldat d’élite, est envoyé sur l’île de « Shadow Moses » où se trouve une base contenant des armes nucléaires. Un groupe de soldats en rébellion en a pris le contrôle, et leur leader menace les États-Unis. Entre les rencontres fortuites (qui tombent toujours à pic) et les grands méchants vraiment très méchants, le jeu n’oublie pas d’être un divertissement où le second degré n’est jamais très loin. Quitte à parfois trop en faire, comme la scène improbable où l’un des boss, Revolver Ocelot, nous gratifie d’un discours interminable sur son habileté au revolver, ou encore l’infiltration sous un carton, et plus généralement les discussions sarcastiques entre le héros et les antagonistes en plein combats. Le jeu ne se prend pas toujours au sérieux, et c’est certainement l’une de ses plus belles qualités, car sa narration utilise avec brio ce décalage de ton entre l’aventure et le drame qui se joue en toile de fond. Un bon moyen d’aborder les limites de la militarisation et le danger nucléaire sans pour autant en faire un pamphlet imbuvable, tout en s’offrant quelques scènes mémorables à l’image de la scène de torture, les révélations autour des méandres de la politique américaine, ou encore quelques rencontres face à des boss qui apportent un vrai plus narratif.

Ce mélange des tons ne convient toutefois pas à tout le monde, comme on l’a vu en 1998 où le jeu souffrait déjà de certaines critiques sur son manque de sérieux, même si cela ne l’a pas empêché de connaître le succès. Mais surtout, ce second degré omniprésent peut parfois poser quelques problèmes à l’émotion de certaines scènes, poussant le studio à mieux équilibrer la narration dans les épisodes suivants. Plus encore, c’est le traitement des personnages féminins qui n’a pas bien traversé les époques, avec des remarques franchement sexistes de Solid Snake sur le postérieur de Meryl, l’un des personnages féminins, le faisant passer pour un blaireau. Ou encore le traitement d’un personnage comme Mei Ling qui tombe en pâmoison devant le charisme du héros, et la tenue de Sniper Wolf, l’un des boss du jeu, qui viserait probablement moins bien avec son sniper si elle n’avait pas un décolleté aussi plongeant (sur une île près de l’Alaska, où il fait un peu froid). C’est dommage, car ces personnages bénéficient par ailleurs d’une écriture pas inintéressante à certains endroits. Et sur le sexisme, on ne peut pas dire que Hideo Kojima ai revu sa copie par la suite ; pire encore, le traitement de certains personnages des titres suivants est encore plus limite, comme Quiet dans le cinquième épisode de la série principale qui a fait polémique à sa sortie, à juste titre. 

Infiltration austère, mais gratifiante

© METAL GEAR SOLID. Konami Digital Entertainment

S’il y a bien une console rétro qui a mal vieilli, c’est la toute première PlayStation. Et en particulier, les premiers jeux qui exploitaient une 3D encore balbutiante, entre une image à la fluidité relative, des gros pixels pas toujours flatteurs, des textures scintillantes et des contrôles à la croix directionnelle (avant même l’arrivée des sticks analogiques) qui étaient finalement assez peu adaptés au mouvement dans un espace en 3D. Et ça se remarque assez bien dans ce premier Metal Gear Solid en 3D, avec une certaine « lourdeur » dans les mouvements, un système de visée bien moins pratique que dans ses suites et des combats au corps à corps assez risibles. Pourtant, en y rejouant en 2024, et avec le recul du quart de siècle qui me séparait de ma première expérience avec le jeu, je me suis vite rendu compte que jeu avait pleinement conscience de ses limitations et faisait au mieux pour les surmonter. Par exemple, sur le mouvement dans l’espace, Solid Snake suit des mouvements assez archaïques (en ligne droite et en diagonale, sans entre-deux) comme ses adversaires, mais il est capable de tirer sur un ennemi légèrement décalé dans l’axe, grâce à une visée automatique qui s’affine à mesure que l’on multiplie les tirs sur un même ennemi. Pareil pour la possibilité d’utiliser une vue à la première personne temporairement afin de mieux observer les alentours et compenser la caméra fixe sur l’action. 

C’est pourquoi le jeu arrive encore à étonner de nos jours, en s’appuyant également sur un système d’infiltration pionnier qui impressionnait pour son époque. Les ennemis réagissent aux bruits de pas sur certaines surfaces (métal, flaque d’eau), repèrent les traces de pas dans la neige et remontent la piste, ou encore parviennent à réagir aux tirs. Maintenant, il faut avouer que tout n’était pas rose. Puisque échapper à une alerte déclenchée consiste généralement à aller se planquer dans un des conduits d’aération devant lesquels les gardes sont incapables de réagir. Attendre sagement qu’ils se calment tous et retournent vaquer à leurs occupations, même s’ils doivent se remettre à patrouiller an sifflotant là où ils ont vu leurs camarades que l’on a tué quelques secondes plus tôt. Ainsi, même si l’on n’échappe pas aux lenteurs d’antan, avec un Solid Snake qui semble quinquagénaire au moment de se relever après avoir rampé, et qu’il faut un certain temps d’adaptation avant de comprendre et d’accepter les limitations techniques d’un jeu sorti en 1998, l’expérience s’avère encore aujourd’hui plutôt agréable. Et encore heureux, parce que la Master Collection sortie en octobre 2023 qui m’a permis de rejouer au titre sur PC est d’une fainéantise exemplaire : pas d’amélioration de gameplay, ni de visuel, avec en tout et pour tout une galerie d’artworks plutôt agréable pour admirer le travail de Yoji Shinkawa sur les personnages devenus iconiques. À noter par ailleurs que cette édition permet de choisir entre les différentes versions du jeu, mais que je préconise largement de choisir la version US. D’abord parce que la traduction anglaise était de bien meilleure facture que la traduction française (néanmoins très drôle malgré elle), mais aussi parce qu’à l’époque, les jeux US NTSC tournaient en 60hz et non en 50hz comme en Europe : un gain de fluidité immédiat qui se voit très largement sur MGS.

En réalité, pour bien apprécier dans MGS, il faut se remémorer ce qu’était la pop culture dans les années 1990. Un monde post-guerre froide où les dynamiques mondiales étaient en plein bouleversement, un moment où l’on craignait le retour de nouveaux conflits armés à un moment où les belligérants habituels ne cachaient plus leurs capacités atomiques. Avec une dissuasion nucléaire qui battait son plein, qui inspirait bon nombre de films plus ou moins réussis, avant que les jeux vidéo s’emparent également du sujet. Avec son ambiance cinématographique qui nous plonge dans une base militaire qui suinte les débris d’une guerre froide encore dans toutes les têtes, avec une pointe de technologies de l’époque auxquelles on greffe quelques gadgets fantasques et un mecha à l’allure exceptionnelle, le Metal Gear Rex, Metal Gear Solid n’est pourtant pas que cette émanation d’une autre époque que l’on pourrait lui reprocher. Parce que son écriture était suffisamment maline pour que, entre ses entrepôts, souterrains et laboratoires où l’on est pris au piège, seul contre tous, parfois jusqu’à l’angoisse, on y incorpore un sous-texte qui résonne encore aujourd’hui sur l’antimilitarisme et l’arme nucléaire, qui a jetée dans le monde une crainte dont on ne se séparera probablement jamais.

  • Metal Gear Solid est initialement sorti en 1998 sur PlayStation et est désormais jouable sur PC, PlayStation 4, PlayStation 5, Nintendo Switch et Xbox Series X|S dans la « Metal Gear Solid: Master Collection Vol.1 » sortie le 24 octobre 2023. 
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