Godzilla Minus One | Portrait d’une fatalité

par Anthony F.

Né au milieu des années 1950, Godzilla est l’émanation d’une société japonaise d’après-guerre encore traumatisée par les bombardements atomiques. Incarnation monstrueuse d’une mort venue d’ailleurs, le kaiju est depuis amplement entré dans la culture populaire en inspirant bon nombre d’oeuvres. Mais si la production de films autour de Godzilla est extrêmement prolifique du côté du studio Tōhō, son exportation en dehors des frontières japonaises est plus aléatoire. Les choses sont différentes toutefois pour Godzilla Minus One de Takashi Yamazaki qui, l’année dernière, a profité d’une sortie mondiale en plus de gagner l’Oscar des meilleurs effets spéciaux. Une première dans cette catégorie pour un film japonais, et c’est mérité.

L’union du petit contre le fort

© Toho Co., Ltd.

Il faut bien avoir en tête le caractère politique de Godzilla et ce qu’il incarne. Car Godzilla Minus One aborde le sujet frontalement et ne laisse planer aucun doute sur ses intentions. Dès le début du film, le cinéaste Takashi Yamazaki suggère des origines de Godzilla liées à la bombe atomique, avec des images d’archive montrant le bombardement, mais également avec la peur inspirée par la créature alors qu’elle réalise sa première attaque. C’est une peur viscérale face à une menace inconnue, un monstre contre lequel il est impossible de lutter, et une violence qui déferle sans laisser la chance à qui que ce soit de pouvoir en échapper. Cette interprétation, très proche des idées qui ont donné vie à la créature au milieu des années 1950, permet au film de poser dès ses premières minutes les bases d’un drame humain et militaire qui porte ensuite le long métrage. Car le cinéaste aborde l’oeuvre sous l’angle humain de la chose, avec une créature laissée loin des côtes pendant une très grosse partie du film, préférant se focaliser sur le destin de ses personnages et du peuple qui sera amené plus tard à se révolter et combattre contre le kaiju. Pour ce faire, il nous raconte le destin de Shikishima (incarné par Ryunosuke Kamiki), survivant d’une première apparition du monstre sur l’île d’Odo où le militaire s’était posé avec son avion en feignant un problème technique afin d’échapper à une mort certaine (étant pilote d’un avion kamikaze, donc destiné à une mission-suicide). Ironie des choses, il fait partie des deux seuls survivants de l’attaque. Puis, un an plus tard, l’ancien pilote retourne à la vie civile dans un Tokyo décimé par les bombes, où il doit vivre avec la honte et la culpabilité d’être un des seuls survivants, en plus de ne pas avoir accompli sa mission. Au travers de ce personnage, mais aussi des autres qu’il rencontre en cours de route comme Oishi (jouée par Minami Hanabe), une femme qu’il rencontre dans la rue et qu’il décide d’héberger, le réalisateur, également scénariste, essaie peu à peu de trouver la résilience qui caractérise une société martyr. Le film, évidemment, ne s’attarde pas sur les responsabilités militaires du pouvoir japonais pendant la Seconde guerre mondiale, mais raconte intelligemment la force de caractère d’une population qui, laissée pour morte, finit par trouver la force de s’en sortir.

Et c’est d’autant plus malin qu’il va lier cette résilience à la figure de Godzilla, qui incarne la fatalité, la violence inexorable d’une bombe tombée de nulle part. En voyant Godzilla, les japonais regardent la mort en face, et trouvent aussi là une chance de pouvoir combattre et se défendre face à l’horreur. Comme une revanche sur les bombes atomiques, dans un film qui se sert du kaiju comme d’une excuse pour célébrer l’entraide et la résilience d’une population face à l’impossible. La mise en scène fait ainsi la part belle au gigantisme du monstre, à ses apparitions comme une masse terrifiante et inévitable, à la force du groupe et à l’entraide sans que le héros ne tire la couverture à lui seul. C’est d’autant plus significatif lors des attaques du monstre où, le plus souvent, c’est le destin du groupe plutôt qu’individuel qui se joue avec la destruction de zones conséquentes, plutôt que des attaques localisées autour des personnages principaux. Pour autant, le destin de Shikishima est central, lui qui travaille désormais en mer sur un dragueur de mines (ces petits bateaux qui visent à trouver et détruire les mines navales), là où le monstre marin se cache. Le cinéaste ne manque donc pas de bonnes idées, offrant à la licence un film capable par ses thématiques et sa mise en scène d’aller jouer sur un autre terrain, pas uniquement celui du film de monstres, à commencer par ceux du drame et de la guerre.

La guerre de tous

© Toho Co., Ltd.

Parce qu’on est au lendemain de la fin de la Seconde guerre mondiale, la thématique militaire est forcément centrale au film. Les autorités, dont l’armée a pratiquement disparue, ont toutes les peines du monde à faire face au monstre, mais le film emmène son récit sur un plan savant imaginé par le peuple, au travers d’un scientifique et d’anciens militaires comme Shikishima, pour renvoyer le monstre vers les profondeurs. Sorte de révolte à l’inaction d’un gouvernement défait par la guerre, on en retrouve néanmoins les thématiques habituelles du film de guerre entre les plans de bataille, le courage des troupes, la dévotion à la mission et l’idée qu’un sacrifice peut être nécessaire pour le bien commun. Et cela se ressent d’autant plus dans une mise en scène qui donne à Godzilla une place similaire à celle d’une armée ennemie : quand le monstre attaque les côtes, c’est l’équivalent d’un bombardement, un déferlement d’explosions qui rasent tout sur leur passage. Tout n’est pourtant pas rose dans les choix qui ont été faits, avec un film qui peine à pointer du doigt les responsabilités du Japon dans la Seconde guerre mondiale, c’est le rôle du pilote kamikaze qui est très romancé, peu interrogé, et dépeint comme une forme d’héroïsme malgré leur rôle au cours de la guerre et la nature suicidaire d’une fonction poussée par un état major resté bien au chaud.

Célébré par la critique et couronné de très nombreuses récompenses, Godzilla Minus One a été capable d’emmener le monstre bien connu de la pop culture japonaise sur un terrain qui était finalement assez peu connu en occident. Si la thématique nucléaire et celle de la guerre sont intimement liées au monstre et omniprésentes dans les différentes œuvres qui lui sont consacrées, celles-ci ont rarement eu l’occasion de sortir des frontières japonaises. Et plus encore, le film de Takashi Yamazaki séduit par son intelligence, sa faculté à relier ces thématiques à Godzilla, à en faire un monstre plus terrifiant que jamais, dans une mise en scène où la fatalité prend tout son sens. Bien aidé par des effets spéciaux extrêmement impressionnants malgré le budget réduit du film, le cinéaste livre une œuvre importante pour la licence, et au-delà de ça, un très beau film.

  • Godzilla Minus One est sorti le 7 décembre 2023 en salles.

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