Plutôt décrié lors de sa projection au Festival de Cannes en 2022, Stars at Noon de Claire Denis a mis un temps fou à trouver sa place en salles. Il a fallu attendre plus d’un an après, et le mois de juin 2023, pour enfin pouvoir poser nos yeux sur un film qui s’est laissé désirer. Et c’est peut-être une heureuse coïncidence, car du désir, il en est question dans ce long métrage qui met en scène Margaret Qualley et Joe Alwyn. Un film où le désir et la sensualité se heurtent à la réalité politique d’un Nicaragua en pleine tourmente.
Une vie de mensonge
Tourné pendant la pandémie du Covid-19, le film de Claire Denis l’intègre pleinement à son univers. On y découvre des personnages masqués, un hôtel où l’on contrôle la température de ses invité·es à leur arrivée, et des frontières imperméables, ce qui renforce un peu plus le sentiment d’oppression qui se fait de plus en plus prégnant pour son héroïne. Incarnée par Margaret Qualley, celle-ci est une journaliste américaine qui fait ce qu’elle peut pour trouver quelques informations à renvoyer à son employeur. Mais alors que les affaires tournent lentement, celle-ci est virée, et fait la rencontre d’un homme d’affaires énigmatique, incarné par Joe Alwyn. Coup de foudre ou moyen de décompresser dans une atmosphère devenue insoutenable, les deux ne se quittent plus, alors que le film prend une tournure de thriller aux tendances érotiques, où la romance et la sensualité se mêlent à un mystère qui semble planer au-dessus de ses personnages. Une rencontre fortuite de laquelle découle beaucoup de choses, mais Claire Denis s’amuse avec les spectateur·ices en ne dévoilant ses cartes que très lentement. Parce qu’avant de retomber sur une intrigue de thriller plus classique, Stars at Noon est l’histoire de deux âmes perdues qui se croisent et ne peuvent plus se quitter car il n’y a plus aucune autre solution : c’est deux personnes qui ont tout à perdre, mais qui n’envisagent plus d’avancer seul. Pas nécessairement par amour, mais plutôt parce que le réconfort et la « protection » même factice de l’un aide l’autre à surmonter un contexte presque surréaliste.
C’est alors que le long métrage oscille entre film noir et espionnage, car l’on ne sait pas trop qui est cet homme d’affaires prénommé Daniel. Bon, mauvais, un peu des deux, il exerce une sorte de fascination chez la journaliste, qui elle-même semble cacher des choses. C’est deux personnes qui s’accrochent l’une à l’autre alors qu’elles ne se connaissent pas et ne sont faites que de mensonges, ce qui donne au film un ton assez étonnant. Parfois un peu ridicule dans sa manière de présenter ses personnages, parfois intriguant, Stars at Noon est un film brinquebalant. C’est un peu de tout, un peu de rien, qui n’assume pas toujours ses intentions mais qui n’hésite toutefois pas à aller au bout de ses idées. Pour le meilleur, et parfois pour le pire. Notamment dans l’intrigue, sur sa deuxième moitié, autour d’un policier costaricain qui semble vouloir du mal à Daniel, et dont le comportement est caricatural, comme si la réalisatrice se moquait à sa manière de films d’espionnages qui se prennent un peu trop au sérieux. Surtout qu’elle y jette beaucoup de choses : au-delà de la dimension sensuelle et érotique du film, elle y met des considérations politiques, avec des personnages qui évoquent plusieurs fois les élections à venir, qui semblent être un moment décisif pour Daniel et le policier qui lui court après. Des indices distillés pour finalement raconter quelque chose d’assez classique, c’est-à-dire les Etats-Unis et leur éternelle influence sur la politique du Nicaragua. Cela ne reste toutefois que des éléments suggérés en toile de fond, car Claire Denis l’aborde sous un angle distant. Ce n’est qu’un décor, des évènements que les personnages n’évoquent que du bout des lèvres sans trop se dévoiler sur leurs intentions. Ce qui l’interroge, c’est plutôt la relation de ses deux personnages, un moment suspendu au milieu d’évènements beaucoup plus grands qui n’intéressent pas vraiment la cinéaste.
Fuite en avant
C’est intéressant d’avoir abordé le fond politique du film de cette manière, en gardant le même flou que subirait n’importe quelle personne normale confrontée à la situation. Car le personnage de Margaret Qualley n’est qu’une journaliste avec assez peu d’expérience, elle n’a aucune raison de comprendre ce qu’il se passe. C’est hors de son champ d’expertise. Il y a quelque chose aussi d’assez fascinant dans cette manière de ressentir l’étau se resserrer : d’une quelconque amourette le film finit par devenir quelque chose de plus intense, plus fort, même si Claire Denis en fait parfois trop sur sa mise en scène des sentiments contraires, insistant encore et encore sur la relation d’amour sans confiance entre ses deux personnages. Mais c’est un film brutal sur sa manière d’aborder les sentiments, un amour naissant mais pas trop, des moments cruels, une perpétuelle recherche de sincérité dans quelques jours d’une vie où les mensonges prennent le pas sur la vérité. Margaret Qualley est parfaite pour le rôle, avec ses yeux très expressifs et son visage d’ange, elle incarne une certaine innocence face à la réalité.
C’est aussi facile de détester que d’aimer le film. La proposition de Claire Denis est atypique. Ni complètement une histoire d’amour, ni vraiment un récit d’espionnage, c’est juste le récit de quelques jours où tout fout le camp et où elle ne s’embarrasse pas d’en expliquer les raisons. Les personnages se trouvent pris dans des évènements dont ils ne disent rien, quitte parfois à nous perdre un peu, tandis que les scènes recherchant une certaine sensualité sont parfois un peu lourdaudes. Mais il y a un certain charme là-dedans, une certaine élégance qui survit au gloubi-boulga d’une histoire mal maîtrisée, tout particulièrement grâce à une caméra qui sait apprécier l’instant et mettre en valeur de jolies scènes, et surtout, qui sait accentuer la tension qui se referme peu à peu sur ses personnages. Stars at Noon n’est pas un immanquable, mais c’est assurément un film qui questionne et qui provoque des sentiments assez intéressants.
- Stars at Noon est sorti le 14 juin 2023 en salles et est depuis disponible en VOD, DVD et Blu-ray.