Second Tour | Fable naïve et contagieuse

by Reblys

Drôlatiques et rocambolesques. Voici là deux adjectifs parfaitement désuets, mais qui me semblent définir à merveille les films d’Albert Dupontel. Le cinéaste français est, à bientôt soixante ans, exactement là où il le voulait. Vissé sur sa chaise de réalisateur-acteur, auréolé d’un succès populaire croissant depuis qu’il a, non sans panache adapté, réalisé et interprété l’un des rôles principaux de Au Revoir Là-Haut à partir du roman de Pierre Lemaître. Son univers si singulier semble avoir conquis le public, et j’ai eu le plaisir de le constater au cinéma, en prenant place dans une salle presque comble lorsque je suis allé voir Second Tour, la dernière réalisation du bonhomme. Avec ce nouveau film, qui semble avoir pris pour décor le monde de la politique, je dirais, non sans malice, que Dupontel se paye le luxe de proposer une rupture dans la continuité. D’une part car, comme dans Adieu les Cons, sa patte très personnelle vient titiller des problématiques sociétales hautement contemporaines, de l’autre car, lorsqu’on est un grand enfant comme Albert Dupontel, on ne cesse jamais de s’amuser, et ce faisant, d’explorer et de proposer.

La campagne la plus chiante de l’histoire ?

© Pathé, ADBC Films, Manchester Films

Pierre-Henry Mercier, qualifié au second tour de l’élection présidentielle, est le champion de la droite libérale et conservatrice. Économiste surdoué, il n’a pourtant rien d’un homme politique de carrière, ce qui suscite l’admiration des médias, qui en ont fait leur chouchou. Suite à un concours de circonstances, c’est Mademoiselle Pove, journaliste dissidente un peu trop portée sur l’investigation, au point d’embêter ses employeurs, qui se retrouve à devoir couvrir les derniers jours de la campagne de Mercier, qualifiée comme l’une des plus ennuyeuses de l’Histoire. Accompagnée de Gus, son fidèle cameraman, elle va rapidement remarquer de troublants détails sur un candidat finalement bien méconnu… Sur ces fondations, on se retrouve catapulté.es dans une aventure dont seul Dupontel a le secret. A celles et ceux qui ont vu d’autres de ses films, vous ne serez pas surpris des circonvolutions les plus inattendues que prendra cette histoire, dans laquelle l’univers de la politique ne sera qu’une toile de fond plus ou moins lointaine, mais où le message et l’engagement politique se retrouvent sur tous les plans. Et ce n’est pas surprenant lorsque l’on connaît le positionnement politique de son réalisateur.

Albert Dupontel, de par sa sensibilité exacerbée, est révolté, consterné par la violence du monde qui l’entoure, et des organisations qui encouragent cette violence. Sans surprise, le film met en scène des personnages atypiques, mais surtout révoltés, chacun à leur échelle, contre le système établi, qu’il soit politique, économique, médiatique ou encore éducatif. Au travers de leurs péripéties, ces personnages mettent l’emphase sur l’absurdité, quand ce n’est pas le cynisme des agissements des puissants, n’hésitant pas à mettre les pieds dans le plat…quitte à ce que cela donne au film un côté rêveur de doux idéaliste. Car c’est probablement l’un des principaux reproches que l’on peut faire au film, celui de mettre en scène un message très lisse, et pas forcément distillé avec finesse. Un mantra à l’impact affaibli par le fait qu’on puisse parfois le résumer par un cruel « c’est pas gentil d’être méchant ». Et pourtant. Est-ce que ce ne serait pas passer à côté du film que de lui faire cette critique ? Alors que tout dans le cinéma d’Albert Dupontel transpire de cette naïveté enfantine ? De cet émerveillement face à la beauté du monde, et de cette révolte face à son injustice ? Est-ce que Second Tour n’essayerait pas au final de s’adresser à notre part d’enfance, à travers des situations et des dialogues désarmants de spontanéité, mais qui n’auraient que peu d’impact dans un débat aux arguments solidement bâtis ? N’est-ce pas exactement ce que le film essaye de combattre ? Cette lutte rhétorique qui fait que l’on passe beaucoup plus de temps à se demander comment on va dire des choses plutôt que de passer à l’action ? C’est en tout cas ce que j’ai ressenti. Quand bien même le film est profondément candide, il est cohérent avec lui-même et avec son réalisateur. On a pas ici affaire à un adulte maladroit qui parle comme le feraient des enfants. On a affaire à un réalisateur accompli, qui pense que la vérité sort de leur bouche.

Irrésistiblement enthousiasmant

© Pathé, ADBC Films, Manchester Films

D’ailleurs lorsque j’emploie le terme de « réalisateur accompli », c’est loin d’être un hasard. Il a au fil des années perfectionné sa technique, affuté ses idées, poli ses gimmicks de réalisation pour mieux nous les servir, en les mettant à profit dans son histoire. Dans Second Tour, j’ai constamment été interpellé par deux fondamentaux de la mise en scène : les lumières et les mouvements de caméra. Le travail sur la lumière est omniprésent, et est indissociable de l’ambiance de certains lieux et de certaines séquences. Si vous avez vu le film ou que vous allez le voir, vous pourrez par exemple prêter attention à cette lumière striée qui donne au bureau de Mademoiselle Pove et de Gus l’atmosphère d’un lieu où l’on avance à vue (car les stries de lumière viennent s’aligner sur les yeux), mais où on s’efforce de faire la lumière sur la situation (car la majorité du lieu reste plongée dans le noir). Mais vous pourrez également guetter les mouvements de camera tellement propres à Albert Dupontel, qui n’hésite pas à aller dans la profondeur, à zoomer sur les visages pour leur donner un côté cartoonesque, ou à recourir à  certaines formes de flous ou à des effets spéciaux, certes un peu kitchs, mais qui contribuent à reconnaître immédiatement que l’on est dans un film signé Dupontel. Car toutes ces extravagances, qui pourraient nous faire sortir du film, permettent en réalité de nous extraire du réel, pour aller dans ce monde où les idées visuelles moins conventionnelles se mettent au service de l’idéalisme dont on parlait plus tôt. On rentre ici dans le domaine de la sensibilité personnelle, mais cette démarche me touche. C’est pour ces raisons que j’apprécie ce cinéaste. Parce qu’il n’a pas honte de sa naïveté. En plus de faire des films, certes empreints de poésie, mais aussi où on rigole bien.

En effet, je crois que Second Tour est le film d’Albert Dupontel devant lequel j’ai le plus ri, et ce même pas tant pour le côté satyrique de l’œuvre, les caméos plus ou moins appuyés, ou les nombreuses situations burlesques héritées de l’admiration sans borne du réalisateur pour Chaplin, mais plutôt pour ses personnages absolument irrésistibles. Le duo formé par Cécile De France et Nicolas Marié (déjà hilarant dans Adieu les Cons) est fabuleusement comique. De leur accoutrement à leur attitude, en passant par leur répartie ou leur vocabulaire châtié, ces deux-là n’en ratent pas une, et c’est toujours un régal de les voir évoluer tout au long du film, car tous deux en sont sans doute plus les protagonistes que l’homme politique dont ils vont suivre la campagne. Mais il n’y a pas que Gus et Mademoiselle Pove. Il y aura également un autre personnage, que vous découvrirez, et dont chaque seconde a l’écran a provoqué chez moi un indéfinissable sentiment d’émerveillement. On parlait plus tôt de la poésie candide de Dupontel, ce personnage l’incarne littéralement. Il représente tout ce que je trouve aussi puissant que touchant dans son Cinéma, tout en m’ayant presque fait pleurer des larmes de rire. Non pas de par l’intensité de l’amusement qu’il allait tirer de moi, mais plutôt de par ce qu’il représente au delà de ce qu’il est. Cette part de simplicité, de douceur, d’innocence, que le monde actuel a tôt fait de ruiner, et qui pourtant nous est plus que jamais indispensable.

C’est surtout cela que je retiendrai de Second Tour. Car si on l’aborde sous le prisme de la satire politique, on y voit un message naïf, voire presque grotesque de simplicité. Mais si on s’y rend comme on doit se rendre à mon sens dans un film de Dupontel, c’est à dire avec notre âme d’enfant prête à s’abandonner et à s’émerveiller, on y trouve une nouvelle tentative d’un homme d’une immense sensibilité de nous dire ce qu’il a sur le cœur, avec ses mots à lui, avec sa grammaire à lui. Avec son Cinéma. J’y suis sensible, de plus en plus même. Et à chaque fois que j’y retourne pour m’occuper un peu du gamin qui est en moi, ça m’aide beaucoup à ne pas le laisser mourir.

  • Second Tour, réalisé par Albert Dupontel, est sorti en salles le 25 octobre 2023

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