Misanthrope | Un crime sans motif

by Anthony F.

Parfois le cinéma lâche des pépites sans crier gare. Des moments suspendus où l’on se laisse porter par un film qui offre tout ce dont on a besoin à cet instant. C’est la beauté du cinéma, mais c’est une chose qui est pourtant assez rare. Parce que la production cinématographique a parfois d’autres priorités, ou simplement parce que les émotions ne se contrôlent pas. Quand j’ai été voir Misanthrope de Damián Szifrón, je ne savais pas dans quoi je me lançais, mais une chose est sûre, c’est qu’à la fin de la séance, j’ai réalisé que ce serait difficile d’oublier une telle expérience.

Une soirée sans fin

© METROPOLITAN FILMEXPORT, FILMNATION et RAINMAKER FILMS

Un soir de Nouvel an à Baltimore aux Etats-Unis, la panique surgit. Profitant du bruit des feux d’artifice pour couvrir ses tirs de sniper, un tueur fait une trentaine de victimes. Des personnes qui faisaient la fête chez elles, sur leurs balcons, dans leur appartement. Des personnes qui se pensaient en sécurité, mais qui disparaissent sous le coup d’une balle venue de nulle part. Planqué dans un immeuble, le tireur s’en va rapidement et fait exploser l’appartement duquel il a tiré, empêchant dès lors la police de pouvoir récupérer la moindre preuve, la moindre trace sur les lieux. Mais cela est sans compter sur la persévérance de Eleanor, interprétée par Shailene Woodley, une flic qui patrouille une nuit comme une autre, alertée par un message radio qui demande à tous les flics aux alentours de se réunir sur les lieux du crime. Elle y fait la rencontre de Lammark, joué par Ben Mendelsohn, agent du FBI un peu désabusé par son commandement qui réalise vite que Eleanor est capable d’apporter le coup de fouet dont l’enquête a besoin. Car il décèle en elle une vraie capacité d’analyse qui en ferait une enquêtrice précieuse, alors qu’elle est convaincue de son côté que le tireur va recommencer très rapidement à un autre endroit.

Damián Szifrón imagine un film pesant, qui s’inscrit entièrement dans la mythologie d’un thriller noir où le crime prend le pas sur le quotidien. Un genre qui se fait plutôt rare ces temps-ci au cinéma à ce niveau de qualité, et que le cinéaste argentin maîtrise parfaitement. On ressent vite qu’il n’existe aucun échappatoire, qu’il n’y aura pas de fin heureuse, parce que le monde qu’il raconte n’est fait que de personnes brisées. Le personnage de Ben Mendelsohn est en conflit permanent avec une hiérarchie qui est plus intéressée par la politique et la presse que par le fait de mener l’enquête à bien, en l’incitant à vite trouver un « coupable idéal » quitte à ce que cela ne corresponde pas à la réalité. Cela provoquant évidemment l’ire d’un agent qui tente de bien faire, tandis que le personnage de Shailene Woodley est celui d’une femme brisée, qui ne rejoint la police que par dépit, après une vie faite de violence et d’une difficulté à vivre avec son passé. L’actrice livre d’ailleurs une prestation formidable : je n’ai jamais été un grand fan de celle-ci, la faute peut-être à une filmographie assez peu captivante. Mais elle fait corps avec son personnage, l’emmène là où on ne l’attend pas, et s’offre probablement l’un des meilleurs rôles de sa carrière. L’actrice américaine prouve son talent et confirme les bonnes choses qu’elle montrait dans l’excellent The Mauritanian il y a deux ans.

La maîtrise d’un genre éprouvé

© METROPOLITAN FILMEXPORT, FILMNATION et RAINMAKER FILMS

La mise en scène de Damián Szifrón impressionne, le réalisateur argentin maîtrise son sujet sur le bout des doigts avec un film où la tension ne redescend jamais, fort d’une maîtrise de l’ambiance à chaque instant. Qu’il s’agisse de la nuit d’horreur initiale, l’enquête de plein jour ou la traque qui va inévitablement s’ensuivre, le cinéaste parvient à maintenir l’urgence d’une situation qui devient vite impossible. Car sans véritablement parler de contre la montre, le réalisateur le suggère quand ses personnages sont convaincus que le meurtrier va recommencer, un meurtrier sur lequel on ne sait rien pendant les deux tiers du film mais qui inspire une peur redoutable. Car il apparaît si méthodique, si intouchable, qu’il ressemble plus à un monstre ou un à un fantôme qu’à un humain. A tel point que le film prend parfois des airs de film d’horreur, où la mort peut surgir à chaque instant et où l’on semble traquer un démon qui n’existe pas. Et cela est aussi suggéré par la photographie de Javier Juliá, transformant Baltimore et ses alentours en scène de crime permanente, insistant sur la froideur d’une ville qui ne semble exister que par la violence et le crime, sans limite dans l’horreur.

Il est un peu tôt pour désigner les films de l’année, mais Misanthrope sera sans aucun doute l’un de mes meilleurs souvenirs de l’année. Grand film noir, il est parvenu à capter mon attention sans jamais la relâcher. Fort de son ambiance et de l’intelligence de son écriture, le film nous emmène dans une enquête où le dénouement ne peut être qu’aussi sombre que le crime originel. Mais ce qui donne autant de corps au long métrage, c’est aussi et surtout le destin de son héroïne sur le modèle classique de « l’antihéros ». Un personnage brisé, mais fondamental à la compréhension des motivations d’un meurtrier qui ne semble rien avoir d’humain.

  • Misanthrope est sorti en salles en France le 26 avril 2023.

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