L’homme de la Mancha | La complainte de Don Quichotte

by F-de-Lo

Qui est le fou ? Celui qui voit le monde tel qu’il est, ou celui qui le voit tel qu’il devrait être ? C’est le dilemme posé par l’existence même de Don Quichotte, le chevalier à la triste figure ayant marqué l’histoire de la littérature mais aussi l’ensemble du paysage culturel. Rédigé par Miguel de Cervantes au XVIIe siècle, Don Quichotte est une parodie de l’idéal chevaleresque, porteuse d’une satire sociale. Le roman conte les mésaventures d’Alonso Quichano, un passionné de livres de chevalerie, lesquels vont troubler son jugement, au point que l’homme idéaliste devienne un véritable redresseur de torts. Accompagné de son fidèle écuyer Sancho Panza, le chevalier à la triste figure va prendre des moulins à vent pour des géants, et se battre sans répit au nom d’une Dame qu’il n’a jamais vue : Dulcinée.

Le chevalier aux multiples figures

Jacques Brel dans le rôle de Don Quichotte © Théâtre des Champs-Élysées, 1968

Sans surprise, les adaptations de Don Quichotte ont foisonné, au fil des années. Parmi elles, on peut compter le film de Terry Gilliam, à la figure aussi triste que le chevalier dont il s’inspire : L’homme qui tua Don Quichotte. Le long-métrage inachevé en 2000 et à l’origine de plusieurs documentaires ou projets, a la réputation d’être maudit. Il arrive que la réalité imite étrangement l’art. Pourtant, Terry Gilliam est venu à bout de l’impossible rêve, en projetant une version finale du film, lors du Festival de Cannes de 2018.

Il est heureux que la comédie musicale L’homme de la Mancha ait eu plus de fortune. Man of la Mancha est une pièce initialement écrite par Dale Wasserman ; elle a remporté de nombreux Tony Awards, lors de sa sortie, en 1965. Dans les pays francophones, elle est devenue célèbre grâce à l’adaptation réalisée par Jacques Brel, en 1968. Le chanteur – ou devrait-on dire poète ? – belge eut un véritable coup de cœur tant pour la comédie musicale que pour le personnage, auquel il décida de prêter ses traits. Et sa voix.

La chanson La Quête ou le titre assez burlesque L’homme de la Mancha ont marqué le paysage musical francophone.

Très friande du personnage de Don Quichotte, et surtout grande amatrice de comédies musicales, j’ai eu l’occasion de découvrir L’homme de la Mancha, au théâtre du Châtelet, à Paris. Cette adaptation, dont la mise en scène est assurée par Michael de Cock et Junior Mthombeni, a été représentée sur scène entre le 29 mai et le 6 juin 2021. Oscillant entre un chant traditionnel et des passages lyriques, Ana Naque incarne Dulcinea. Le fidèle Sancho Panza est interprété par Junior Akwety. Enfin, c’est le chanteur belge Filip Jordens qui prête ses traits à Don Quichotte. On sent combien l’interprétation de Jacques Brel a pu l’influencer, comme en témoigne cette version de La Quête.

La quête de l’impossible rêve

L’intrigue de la comédie musicale se situe à Séville, au XVIe siècle. Elle met en scène Cervantes lui-même, tandis qu’il est mené dans une pièce commune de la prison de l’Inquisition. Son tort ? Être un homme de lettres. On note le destin commun avec un poète nommé Gringoire, dans Notre-Dame de Paris (Victor Hugo). D’ailleurs, cette prison a tout d’une Cour des Miracles, où Miguel de Cervantes risque d’être jugé coupable par les autres détenus, avant même le véritable procès. L’auteur n’a aucune arme sur lui, si ce n’est un mystérieux manuscrit inachevé. Il va alors faire appel à son imagination, et à celle de ses menaçants compagnons de cellule, pour plaider sa cause. Tout à coup, le personnage d’Alonso Quijana, puis de Don Quichotte, prend vie sous les regards ébahis :

« Je vais tenter de personnifier un homme. Venez ! Suivez le cheminement de mon imagination et vous le verrez. Son nom ? Alonso Quijana  ! Il conçoit le plus étrange projet jamais imaginé : devenir chevalier errant et jaillir dans le monde pour en redresser tous les torts. Ne plus être le simple Alonso Quijana, mais un preux chevalier connu sous le nom de Don Quichotte de la Mancha ! »

Filip Jordens dans le rôle de Don Quichotte © Théâtre du Châtelet, 2021

Filip Jordens prête sa voix à Miguel de Cervantes, qui donne vie à Alonso Quijana, lequel devient lui-même Don Quichotte. La mise en abyme est totale et promet de nombreuses pistes de lecture, à l’issue du spectacle.

Au cours de sa quête pour affronter un certain chevalier aux Miroirs, Don Quichotte croise la route d’une jeune femme qui pourrait être l’héritière de Carmen : Aldonza. Le chevalier errant la prend immédiatement pour sa Dulcinea, au point de faire tout ce qui est en son pouvoir pour devenir digne de sa Dame. Si les différents quiproquos prêtent à sourire, la pièce n’est pas non plus avare en émotions. Don Quichotte exaspère ses acolytes, à cause de sa témérité et de son obstination exubérantes. A l’exception de Sancho Panza, nombreux sont ceux à vouloir lui faire ouvrir les yeux sur le monde. C’est pourtant quand il perdra ses convictions, que le chevalier arborera la plus triste figure.

En revanche, les amateurs des comédies musicales de Broadway ou même de Londres pourraient rester sur leur faim. La mise en scène de L’homme de la Mancha est très minimaliste. Ici, on aperçoit un château de sable pourvu d’un petit moulin à vent. Là-bas, un projecteur diffuse quelques vidéos, servant le propos de la pièce, de manière plus ou moins explicite. Les décors et costumes demeurent, quant à eux, très limités ; même si l’on pourrait rétorquer que Miguel de Cervantes nous avait prévenus, en nous demandant de faire appel à notre imagination…

Conclusion

Pour être tout à fait honnête, L’homme de la Mancha n’est pas la meilleure comédie musicale que j’ai eu l’occasion de voir sur scène. Certains passages sont inégaux et la mise en scène souffre de son caractère minimaliste. Bien qu’elle ait mal vieilli, la pièce mérite d’être connue, car elle cerne les enjeux autour de l’existence de Don Quichotte, au cours d’un hommage tantôt léger, tantôt vibrant. Certaines chansons sont tout simplement magnifiques, et le portrait de Don Quichotte est si touchant qu’il parvient à ébranler nos convictions les plus solides. Je gage qu’en 2021, le chevalier idéaliste serait encore plus incompris et traité de fou. Et pourtant, nous avons plus besoin de lui que jamais.

  • L’homme de la Mancha est une comédie musicale qui a été représentée au théâtre du Châtelet, entre le 29 mai et le 6 juin 2021.

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