Film réalisé par Ryota Nakano, méconnu dans nos contrées malgré déjà quelques films à son actif, La famille Asada sort un peu de nulle part. Initialement sorti à la fin 2020 au Japon, le film a eu un certain retentissement là-bas en racontant une histoire qui a su toucher le public en s’appropriant un drame ressenti par l’ensemble des Japonais. Mais il a fallu attendre ce mois de février 2023 pour que le film franchisse enfin nos frontières, avec une sortie cinéma où l’on a enfin pu essayer de comprendre pourquoi ce film a tant ému. Et j’ai vite compris.
Un besoin de se souvenir
La famille Asada n’a pas l’air comme ça, mais elle est spéciale. Ou plutôt, elle a été rendue spéciale par Masashi, le fils cadet qui rêvait d’être photographe. Un destin surprenant pour une famille qui a toujours vécu dans son coin et qui n’imaginait pas être un jour sous le feu des projecteurs, mais Masashi avait une autre idée : celle de profiter de l’amour qui unit ses proches pour en faire un grand album photo, un grand livre de souvenirs qui lui permettrait de réaliser ses rêves, mais aussi ceux de ses proches. Masashi Asada n’est pas que le héros d’une fiction, c’est un véritable photographe, un homme dont l’album familial est sorti il y a quelques années, une histoire étonnante et un destin inattendu que Ryota Nakano sublime dans un film biographique où il raconte son étrange quête. Celle-ci consistait en effet pour Masashi à photographier sa famille dans des situations étonnantes, d’abord pour réaliser leurs rêves : son père rêvait d’être pompier, alors lui et sa famille ont convaincus un vieil ami de leur prêter des uniformes, un camion et la caserne l’espace d’un petit instant pour immortaliser le rêve. Son frère aurait aimé faire de la course automobile, alors ils sont allés se photographier dans les stands du circuit de Suzuka. Autant de grands rêves parfois oubliés auxquels il donne vie dans une simple photo, un simple souvenir, pour appuyer un peu plus sur les liens forts qui unissent sa famille. On découvre ainsi des gens très aimants, qui trouvent un sens à leur vie ensemble au travers de la photo, se soutenant les uns et les autres dans des rêves parfois invraisemblables, comme c’est le cas pour Masashi qui veut faire de la photo une véritable carrière. Mais qu’il s’agisse de photographier sa famille en yakuzas, en gens bourrés à la sortie d’un bar ou en super-héros de sentai, il y a toujours un élément essentiel pour Masashi : rendre honneur à une famille qui le soutient envers et contre tous.
C’est, ainsi, une sorte de comédie feel good qui se dévoile devant nous, où le rêve de Masashi est vécu par procuration par sa famille qui ne cesse de croire en lui, jusqu’à l’aboutissement d’une vie : une éditrice lui propose de publier ses photos après les avoir vues en exposition, faisant rapidement du livre un énorme succès qui lui permet de remporter un prix prestigieux. L’occasion de révéler les pensées profondes de son père, notamment, dans un moment plein d’émotion lors de la remise du prix, mais aussi un nouveau point de départ pour le photographe qui se met à sillonner les routes du Japon pour offrir ses services à d’autres familles qui rêvent également d’avoir l’un de ces souvenirs impérissables, l’une de ces photos qui représentent l’amour de leur propre famille. Et puis tout disparaît. Le film prend une tournure dramatique et absolument déchirante. C’est le mois de mars 2011, le Japon est frappé par un gigantesque séisme provoquant un tsunami meurtrier, enlevant plus de 15 000 vies. Un traumatisme encore aujourd’hui pour le Japon, où Masashi se met soudainement à réfléchir sur le sens des photos, leur importance et leur nécessité face à l’horreur. Si les photos de famille traduisent l’amour qui peut unir certaines personnes, alors peut-on les laisser disparaître sous les décombres ? Le photographe décide alors, avec d’autres personnes rencontrées sur le chemin, de se mettre en quête de l’impossible : retrouver les photos perdues au milieu des maisons détruites, pour les nettoyer, les protéger et les stocker avec l’espoir qu’un jour elles puissent retrouver les familles auxquelles elles appartiennent, ou bien pour rendre hommage aux disparu·es. Toujours d’une bienveillance formidable, La famille Asada devient alors un drame, un film qui aborde avec énormément de justesse et d’espoir une situation traumatisante, un souvenir collectif et douloureux où la photographie devient une forme de thérapie pour bon nombre de personnes qui veulent aller de l’avant tout en gardant de précieux souvenirs des personnes qui n’ont pas survécu.
La beauté d’une aventure
C’est une autre manière de raconter ce désastre, au-delà de films catastrophes qui l’ont fait depuis, c’est l’humanité qui prime et le besoin de se reconnecter à des moments heureux du passé, immortalisés grâce à des photos que Ryota Nakano tente de raconter. Et il le fait avec un grand talent, avec une sensibilité qui permet à La famille Asada d’être beaucoup de choses à la fois. D’abord un film feel good, puis un drame, mais toujours avec une bienveillance et une volonté de regarder les souvenirs du passé avec le sourire, le film raconte le deuil avec une intelligence bouleversante. Et ce grâce tout particulièrement à une réalisation chaleureuse et intimiste, aux couleurs chaudes qui expriment les caractères différents des personnages, mais aussi et surtout la prestation de Kazunari Ninomiya, terriblement touchant dans le rôle de Masashi. Aussi drôle que bouleversant, d’une sensibilité exquise, l’acteur porte avec brio un rôle difficile à interpréter, où il parvient à nous faire rire et à pleurer. Il joue avec nos coeurs tout en se focalisant toujours sur l’essentiel : l’humanité du photographe qu’il incarne.
Quelle belle surprise, quel bonheur de pouvoir découvrir de telles œuvres. Comme je le disais au tout début, La Famille Asada sortait un peu de nulle part : mis à part les aficionados du cinéma japonais et les personnes qui l’avaient découvert aux Saisons Hanabi l’année dernière, le film faisait assez peu de bruit. En allant le voir par hasard, je ne m’attendais à rien de plus qu’un film familial assez doux, comme le laissait présager l’affiche. Et puis me voilà rapidement embarqué dans une aventure inoubliable, deux heures où le duo de cinéaste et d’acteur Ryota Nakano et Kazunari Ninomiya ont pris mon cœur et ont en fait ce qu’ils voulaient. Deux heures où la joie et la douceur laissent place au drame et aux larmes, mais surtout, deux heures d’un véritable bonheur, où je me suis rappelé pourquoi j’aime autant le cinéma.
- La famille Asada de Ryota Nakano est sorti en salles le 25 janvier 2023.