On ne va pas se le cacher, si Lee Jung-jae disposait déjà d’une célébrité monumentale en Corée du Sud après avoir été la tête d’affiche de nombreux films à succès (comme New World ou The Housemaid), sa popularité a été décuplée avec Squid Game il y a deux ans. Une célébrité nouvelle pour l’acteur qui a fêté ses 50 ans, et qui en profite pour ajouter une corde à son arc, celui de la réalisation. Passé derrière la caméra, il propose Hunt, son premier film où il incarne également l’un des premiers rôles, où il partage l’affiche avec le non moins populaire Jung Woo-sung. Le film est sorti en France le 7 juin 2023, uniquement en VOD, et le 21 juin en DVD et Blu-ray.
Une guerre fratricide
L’action prend place dans les années 1980, une décennie décisive pour l’avenir de la Corée du Sud. Un moment où des mouvements pour la démocratie ont été violemment réprimés (comme le soulèvement de Gwangju de mai 1980 que le film évoque), tandis que des groupes militaires tentent de garder la main sur le pouvoir politique. Pendant ce temps là et comme le montre le film, la Corée du Nord rêve d’en profiter pour influencer le sud alors que les deux pays se livrent une guerre froide depuis 1953, avec le désir de quelques uns de soit prendre le contrôle du sud, soit pousser vers une réunification. C’est dans ce contexte politique que Hunt nous emmène sur le chemin de deux officiers gradés des services secrets sud-coréens, deux officiers rivaux dont les unités sont mises en concurrence pour tenter de trouver une taupe du nord qui se serait infiltrée dans les services secrets du sud. Se lance alors une guerre interne sans merci pour trouver cette taupe, mais aussi et surtout une intrigue complexe se met en place afin de mettre en lumière les dysfonctionnements de services de renseignement. Car ceux-ci, incarnés par les deux unités gérées par les deux officiers incarnés par Lee Jung-jae et Jung Woo-sung, sont partagés entre un pouvoir politique qui veut des résultats immédiats afin de légitimer son pouvoir, et un complot qui semble se fomenter en arrière plan. Comme souvent avec ces récits d’espionnage, c’est avant tout une lutte de pouvoir qui s’exerce en toile de fond, les officiers n’étant au final que des pions dans une histoire qui les dépasse.
Bien que l’intrigue soit complexe, elle est rendue limpide par une narration très bien maîtrisée, qui n’est jamais confuse malgré le nombre pléthorique de personnages. Les intentions et les rôles sont bien distribués, et on ne perd jamais le fil bien que les situations se multiplient et se complexifient à mesure que le film avance, dans un monde où chacun·e tente de mener son propre petit jeu. Au-delà de ça, c’est un film qui dénonce foncièrement la violence à laquelle s’adonne le sud dans sa quête de vérité : les victimes pleuvent à un tel point que ça en devient grotesque, la torture est quotidienne et la vie n’a plus vraiment de valeur. Tout cela au nom d’une guerre et d’une haine que les personnages peinent à expliquer, entre deux pays qui partagent une culture presque identique mais des gouvernements complètement opposés (si ce n’est un goût commun pour le sang). Et c’est un discours sublimé par un duo d’acteurs formidable : les deux ont un style très différent, entre l’intensité habituelle de Lee Jung-jae qui incarne un personnage au bord de l’implosion, tandis que s’oppose à lui la classe naturelle de Jung Woo-sung, souvent en retenue. Un duo et une opposition naturelle qui émule assez bien la guerre entre le nord et le sud, celle de deux frères qui veulent chacun avoir le dernier mot, même quand leur guerre n’a plus aucun sens. D’ailleurs, en déplaçant son sujet d’une énième histoire de contre-espionnage entre les deux Corée à, plutôt, une histoire de fraternité anéantie par le conflit, le film s’offre quelques airs de The Spy Gone North ou de JSA, sans la virtuosité de ces deux films, mais avec de belles intentions qui le rendent plutôt attachant.
Une première solide et ingénieuse
Être un excellent acteur ne garantie rien au moment de passer derrière la caméra. La prise de risque est bien là, et on s’aperçoit rapidement que Lee Jung-jae maîtrise plutôt bien son projet. Il y a peut-être quelques hésitations de style ici et là, le néo-cinéaste tentant beaucoup de choses comme s’il n’était pas encore complètement fixé sur ses propres intentions, mais il montre déjà quelques éléments qui laissent penser qu’il pourrait s’épanouir et trouver le succès dans ce nouveau rôle. Car il offre une mise en scène solide et efficace, avec une caméra très vivante dans les scènes d’action, qui virevolte, et qui évite l’écueil d’une shaky cam intempestive dans lequel tombent bon nombre de réalisateur·ices de films d’action. Il parvient aussi à donner vie aux dialogues avec une belle intensité, créant une rivalité assez géniale entre son personnage et celui incarné par Jung Woo-sung, une rivalité teintée de fraternité, toujours à la limite entre les soupçons que l’un et l’autre se portent et leurs intérêts divergents. Il saisit finalement plutôt bien l’essence du monde de l’espionnage, avec des moments de trahisons à la mise en scène toujours spéciale, pour donner de l’importance à ces séquences décisives, aux regards et aux gestes qui trahissent parfois les intentions de ses personnages. Sans être parfait, son premier essai derrière la caméra montre que l’acteur-réalisateur a encore beaucoup de choses à offrir malgré une carrière déjà bien remplie.
C’est une excellente surprise. Un film que j’aurais aimé découvrir sur grand écran tant son histoire est haletante, sa mise en scène efficace et ses personnages captivants. La narration est féroce, elle ne laisse aucun moment de répit à des antihéros éprouvés par un contexte politique et militaire insoutenable, avec une écriture qui ne manque pas de moments d’éclat. Certes, l’originalité n’est pas le fort du film, son sujet est éculé et Hunt ne cherche pas à le révolutionner, même s’il déporte la guerre entre les deux Corée vers, plutôt, une guerre interne aux services secrets sud-coréens. Mais c’est efficace, et visuellement, c’est plutôt impressionnant pour un premier film. On sent que Lee Jung-jae est aussi passionné par la mise en scène que par l’acting, et il prouve dès son premier film qu’il a de belles idées et ambitions.
- Hunt est disponible depuis le 7 juin 2023 en VOD, et le 21 juin en DVD et Blu-ray.