On découvrait fin janvier l’univers DC Infinite, enfin arrivé en France aux éditions Urban Comics. Cette nouvelle ère du monde de DC Comics promettait une révolution et, surtout, un bon point d’entrée pour les nouveaux lecteurs et nouvelles lectrices qui voudraient se lancer dans la continuité. En effet, avec toutes les séries relancées au tome 1, c’est le moment idéal pour y aller. Et comme promis, on suivra chaque mois ces séries pour voir ce qu’il en est ; c’est ainsi que cette deuxième chronique s’attarde sur les quatre comics estampillés Infinite qui sont sortis au mois de février 2022 (on a un peu de retard, certes), en attendant de voir ce que le mois de mars nous réserve. Au programme : le retour de Harley Quinn, du Joker, mais aussi une nouvelle vie pour Nightwing et des questions sur l’avenir de Superman.
Cet article a été rédigé suite à l’envoi de copies dématérialisées des tomes par Urban Comics.
Harley Quinn Infinite – Tome 1, pour l’amour de Pam
Au fil des dernières ères DC (New 52/Renaissance et Rebirth), Harley Quinn s’est peu à peu affranchie de l’emprise du Joker sur sa vie, lui offrant une stature nouvelle mais aussi des revendications différentes dans la continuité. Devenue iconique, grande figure de la pop culture, l’héroïne a pu s’extirper de l’ombre du Joker pour se créer sa propre histoire. Un récit qui lui est propre et qui aborde autant ses traumatismes que des revendications féministes, incarnant même désormais une alliée de Batman. Un changement qui peut sembler radical pour Harley Quinn, mais qui est finalement assez naturel et dans la logique du personnage. Si celle-ci a longtemps été une « vilaine » de l’univers DC, elle a souvent gardé un bon fond, et bon nombre d’auteur·ice·s du personnage se sont évertué·e·s à pointer l’emprise toxique du Joker sur Harley, faisant de lui le responsable de la plupart de ses actes. C’est donc un personnage qui a souvent, au fond, été ambigu, et qui incarne aujourd’hui des valeurs positives.
Celle qui était autre fois une « vilaine » dans l’univers DC devient peu à peu une héroïne, et c’est évidemment un thème central encore avec l’ère Infinite où Harley Quinn assume pleinement sa volonté de devenir une héroïne auprès de la Bat-family, ce doux nom accordé aux héro·ïne·s qui portent la chauve-souris sur le torse. Si Harley n’en est pas encore au point de revêtir un tel costume, elle cherche tout de même à montrer qu’elle a changé et qu’elle est capable de faire le bien autour d’elle, ce qu’elle tente de faire dans ce premier tome en partant à la rescousse des anciens sbires du Joker, des citoyen·nes de Gotham « changé·es » en criminel·les pendant les événements de Joker War. Ces personnes désemparées, qui ne se reconnaissent plus, sont pourchassées par Hugo Strange, fraîchement allié du nouveau maire de Gotham dans un programme de réhabilitation qui cache des horreurs. Au-delà de la confrontation avec le vilain, ce premier tome raconte la quête de rédemption de Harley Quinn qui se lance dans une aventure extrêmement dangereuse pour tenter de changer l’image qu’elle renvoie auprès de la ville, et pour tenter de faire le bien après avoir elle-même participé à la destruction de Gotham. Confrontée aux conséquences de ses actes passés, la nouvelle héroïne est bien obligée d’assumer et de grandir, de comprendre ce qu’elle était pour aller de l’avant.
Très finement racontée par Stephanie Phillips et avec des dessins tout à fait charmants de Riley Rossmo, Harley Quinn gagne encore en profondeur dans un nouveau rôle qui lui sied définitivement bien. Sans en faire l’héroïne idéale à la Wonder Woman, l’autrice du comics insiste sur les erreurs de Harley pour mieux la faire rebondir et lui offrir cette seconde chance qu’elle attend depuis longtemps. On y découvre d’ailleurs même un team-up avec Catwoman qui s’avère terriblement mignon, et qui est l’occasion d’évoquer l’amour de Harley Quinn pour Poison Ivy, un élément qui semble s’annoncer comme le fil conducteur des prochains tomes. Car au-delà du bien que souhaite faire autour d’elle Harley, c’est son amour, sincère, pour Pamela Isley (Poison Ivy) qui semble guider son cœur et qui la pousse à se dépasser. Mais celle-ci a disparu, et Harley tente ce qu’elle peut pour ne pas l’oublier, avec l’espoir de la retrouver un jour. Ce premier tome est vraiment séduisant, on sent la volonté d’amener le personnage un peu plus loin et de dépasser peu à peu la simple idée de rédemption pour lui offrir de nouveaux objectifs, avec des valeurs fortes d’acceptation de soi et de féminisme, et c’est absolument génial, coloré et malin. Je conseille chaudement.
Joker Infinite – Tome 1, traque au soleil
Après les événements Joker War et le Batman qui rit, l’influence du Joker sur Gotham s’est considérablement réduite. Si on lui attribue (pour le moment) l’attaque du jour « A » à l’asile d’Arkham, où la plupart des pensionnaires ont été tués (voir Batman Infinite – tome 1), il reste introuvable. Et pour cause, le Joker est en exil. On découvre alors dans ce premier tome que l’histoire est plutôt centrée sur l’ex-Commissaire Gordon, désabusé après avoir quitté la police, sans véritable but dans sa vie et qui s’interroge sur ce qu’il laissera comme héritage. Alors qu’il n’a jamais vraiment oublié les traumatismes que le Joker lui a fait subir, ainsi qu’à sa fille Barbara Gordon (The Killing Joke), une mystérieuse femme s’approche de lui pour lui faire une offre : traquer et tuer le Joker, en échange de 25 millions de dollars. Une offre à laquelle il réfléchit sérieusement, car si l’idée de tuer quelqu’un de sang-froid lui a toujours été difficile, la figure horrifique du Joker, pour tout le mal qu’il a fait, le fait sérieusement douter. Plus encore, il se demande s’il n’en est pas arrivé au point dans sa vie où il n’a plus rien à perdre, et s’il ne serait justement pas préférable d’éliminer le Joker pour que l’avenir soit un peu plus radieux pour celles et ceux qui l’entourent.
Débute alors un récit dans l’esprit traumatisé de Gordon, avec une mise en scène qui lorgne très clairement du côté de l’horreur, où Gordon se lance dans une traque terrible de son ennemi de toujours à travers le monde, sans être encore certain de ce qu’il fera face à lui. A ses côtés, sa fille Barbara, qu’il prend de court en lui révélant qu’il sait depuis bien longtemps qu’elle est Oracle/Batgirl, profitant ainsi de ses lumières pour pouvoir retrouver le plus grand vilain de l’histoire de Gotham. Cette dimension familiale donne une touche très émouvante à un récit qui n’est jamais lourdingue quand il évoque The Killing Joke, malgré tous les travers de ce vieux récit, au contraire de l’effroyable Trois Jokers. Il a la capacité de raconter quelque chose de presque « nouveau » sur le Joker, alors que je partais franchement pas motivé à la lecture : si le Joker est un personnage emblématique, il est éculé et il semble qu’on ait déjà tout dit sur lui. Omniprésent dans l’univers étendu de Batman, le clown peine à évoluer et devient une facilité pour les auteur·ice·s dès qu’il s’agit de raconter une grande menace sur Gotham. Mais en déplaçant l’histoire en dehors de la ville, vers d’autres pays (entre Amérique du Sud et la France), James Tynion IV arrive à renouveler l’ensemble et montre qu’il saisit parfaitement les enjeux du monde de Batman, comme il le montrait déjà dans le premier tome de Batman Infinite.
Ce récit à la fois policier et horrifique est plutôt intéressant, même si l’ersatz de Bane qui nous est servi en guise de rebondissement n’est franchement pas une réussite pour le moment. J’ai toutefois passé un super moment à la lecture dans un récit qui multiplie les surprises, et qui se révèle même parfois touchant quand il évoque la relation père-fille de Gordon et Barbara. La mise en scène de Guillem March, qui s’oriente vers l’horreur, accomplit quelques jolies prouesses, notamment dans les premiers chapitres avec un Joker qui inspire une peur certaine. Ensuite, il profite d’un récit qui s’oriente vers les vilains les plus « crados » de Gotham pour insister un peu plus sur une ambiance poisseuse et parfaitement inquiétante, montrant qu’au-delà des vilains farfelus, Gotham regorge aussi de personnages absolument écœurants. Peut-être pas à mettre entre toutes les mains, sans échapper pleinement au phénomène d’overdose que l’on peut ressentir avec le Joker, ce tome n’en reste pas moins plutôt sympathique et je suis curieux de voir ce que la suite nous réserve.
Nightwing Infinite – Tome 1, Dick Grayson au grand cœur
Alfred Pennyworth est mort. Le majordome de Batman est décédé il y a déjà quelques temps dans la continuité de DC Comics, et on découvre dans ce premier tome qu’il a décidé de léguer à Dick Grayson (Nightwing) l’intégralité de sa fortune. Une richesse insoupçonnée qu’il a amassé aux côtés de Bruce Wayne, ce dernier lui ayant confié des actions dans son entreprise, permettant au majordome historique de la Bat-family de devenir milliardaire. À cela se pose une question : mais pourquoi avoir continué à servir Wayne ? Une question qui trouve vite réponse dans un tome plutôt touchant, à l’occasion d’une scène où Dick Grayson se voit remettre la lettre de celui qu’il considérait depuis comme son père adoptif. Car si la relation de Dick Grayson avec Bruce Wayne a toujours été compliquée depuis que ce dernier l’avait recueilli à la mort de ses parents (et entraîné jusqu’à devenir Robin), Alfred lui représentait cette figure paternelle, bienveillante, dont avait besoin Dick. Et c’est pour cette raison qu’il prend vite une décision évidente : ces milliards, s’il devait les utiliser uniquement pour lui, ne serviraient à rien. Pour rendre honneur à Alfred, il doit faire le bien autour de lui.
Dans ce formidable monde un peu naïf où les riches décident de (véritablement) faire le bien dans le monde plutôt que de s’enrichir en appauvrissant le reste du monde, Dick Grayson devient alors une sorte de philanthrope qui n’a que le bien en tête. Mais avant ça, il se retrouve confronté à une ville à l’abandon, sa ville de Blüdhaven, qu’il tente de sauver de l’influence de la famille mafieuse Maroni et du super-vilain Blockbuster, qui ont la mainmise sur les autorités. C’est alors un récit aux forts accents familiaux qui nous est offert, où Dick redécouvre ses origines et s’allie à son amour de toujours, Barbara Gordon, sur fond d’enquête sur un mystérieux serial killer qui vole les cœurs de ses victimes. Il y aborde la vie sous un angle nouveau et porte un regard différent sur sa ville, réalisant qu’il a désormais les moyens d’aider tous·tes les gamin·es à la rue. Pour ça, il doit réapprendre qui il est, lui qui a vu sa vie complètement chamboulée après avoir perdu la mémoire dans différents événements précédemment.
C’est un comics particulièrement bien raconté et je dois avouer avoir adoré, alors qu’habituellement les aventures de Nightwing ont tendance à me passer au-dessus de la tête. Il y a quelque chose de sincère qui fait beaucoup de bien, et une bienveillance importante qui s’en dégage, comme si, à la manière de Harley Quinn, le héros incarnait une nouvelle manière de voir les choses chez DC Comics. Souvent associé à des univers froids et violents, l’éditeur tente aussi d’insister sur ce type de personnages qui tentent de changer les choses pour le meilleur, sans tomber dans une pleine naïveté que l’on associe habituellement à Wonder Woman et Superman. Et pour l’illustrer, c’est Bruno Redondo qui offre à l’histoire de Tom Taylor un dessin dynamique et plein de bonnes idées, même s’il a parfois tendance à référencer à outrance -parfois à la limite de la copie- le Hawkeye de David Aja, jusque dans sa manière d’illustrer le mouvement case par case les moments où Nightwing utilise ses bâtons. Un style que s’approprie Redondo, avec sûrement moins de qualité, mais qui fluidifie la lecture et offre quelques bons moments. A voir ce qu’il en sera sur la durée, et si l’hommage ne se transforme pas en plagiat.
Superman – Tome 1, l’héritage de Superman
Superman (Clark Kent) est-il encore utile à la Terre ? La question est osée mais elle est d’une importance capitale, dans un premier tome où Philipp Kennedy Johnson n’hésite pas à égratigner l’homme d’acier en annonçant d’emblée qu’il a perdu une part de ce qui le rendait invincible. C’est alors que le Warworld, sorte de planète satellite où règne en maître le sanguinaire Mongul décide d’envahir la Terre pour éliminer Superman et ses proches. Mais la confrontation n’est pour le moment pas directe, elle repose plutôt sur un doute mis dans la tête des personnages avec l’arrivée de ce qui semble être des kryptonien·ne·s, population décimée dont vient Superman, sur lesquel·le·s se posent des doutes et des menaces. Notamment aux yeux de Jon, le fils de Superman, qui au cours de divers événements passés a pu voyager dans le futur et sait qu’à partir de ces événements, il n’y aura plus aucune mention de son père dans les livres d’histoire. Serait-ce la date de sa mort qui approche, ou bien va-t-il disparaître pour une autre raison ?
La question de l’héritage se pose naturellement à ces personnages, sur ce que Clark Kent va laisser à son fils Jon, mais également la capacité de ce dernier à prendre sa relève. Pour protéger la Terre, mais aussi pour le remplacer du côté de la Ligue de Justice, sur sa capacité à faire face à tous les périls qui se montreront à lui et sur sa maturité pour ne pas succomber à la violence. Un peu comme pour introduire le Superman Son of Kal-El, centré sur Jon, qui sortira le mois prochain, ce premier tome de Superman Infinite pose les bonnes questions pour favoriser l’émancipation d’un nouveau Superman. Et c’est l’occasion de rappeler que l’homme d’acier est un personnage plus nuancé qu’il n’en a l’air, lui qui a toujours l’image d’un personnage unidimensionnel mais qui porte pourtant en lui de nombreux doutes, de nombreux espoirs aussi, tandis que son fils a déjà un caractère affirmé qui diffère de son père. Plus impulsif mais aussi peut-être plus empathique, il incarne le futur de DC Comics.
Sur la forme, le récit verse dans l’épique avec la menace incarnée par l’horrible Mongul, tandis qu’une crise diplomatique se dessine en toile de fond entre Atlantis et les États-Unis. C’est, sur ce point là, un récit relativement classique pour Superman et franchement loin d’être captivant. Mais l’essentiel n’est pas là tant ces séquences ne sont que des prétextes pour raconter la succession qui s’organise entre Clark et son fils, et c’est sur ce point que Philipp Kennedy Johnson s’en sort le mieux. Avec des dialogues forts, même si on pourrait presque enlever une partie de l’histoire tant il y a de moments superflus qui parasitent un récit souvent mal équilibré, qui part un peu dans tous les sens et qui peine à se recentrer sur l’essentiel. C’est hasardeux, et c’est bien moins maîtrisé que les autres comics dont on a parlé plus tôt dans cet article, mais c’est à l’image de tout ce que l’on a lu de l’ère Infinite jusqu’à maintenant : ça promet tout de même de belles choses. Alors on va prendre notre mal en patience et attendre la suite pour voir si la bonne dynamique entre Clark et Jon se maintient.
- Les comics Harley Quinn Infinite, Nightwing Infinite, Joker Infinite et Superman Infinite sont disponibles en librairie aux éditions Urban Comics depuis le 25 février 2022.