Il est certainement inutile de présenter La Casa de Papel, une série espagnole qui connut un succès international, dès qu’elle parut sur Netflix, en 2017. Force est de constater que les deux premières parties, initialement produites par Antena 3, étaient d’excellente facture. Les trois parties suivantes, conçues par Netflix, l’étaient un peu moins. Et pourtant, le succès était toujours au rendez-vous ; si bien qu’un remake coréen sortit en 2022. On en entendit déjà moins parler. De l’eau avait coulé sous les ponts… La popularité des braqueurs·euses portant le masque de Dali s’était bel et bien essoufflée. Netflix choisit pourtant de faire renaître la série de ses cendres ; ou du moins un personnage en particulier. Il s’agit d’Andrés de Fonollosa, aka Berlin, incarné par Pedro Alonso. Le braqueur à la personnalité fortement controversée, et malgré tout populaire auprès des fans, s’est vu offrir un spin-off faisant office de préquel. Cette série, constituée de huit épisodes, est sortie le 29 décembre 2023, sur Netflix. Il ne reste plus qu’à se demander si c’était un beau cadeau de Noël…
Un monstre à Paris
Réaliser un spin-off et un préquel n’est pas chose aisée. Cela nécessite de trouver un équilibre délicat entre la fidélité à la série originelle et la nécessité de se renouveler. Le personnage principal est – par définition – intouchable, ce qui peut empêcher d’insérer de la tension ou des enjeux. C’est peut-être pour cette raison que Berlin prend le contre-pied de La Casa de Papel. Vous pouvez dire adieu au huis-clos qui a fait le succès de la série originale, puisque de nombreuses scènes se déroulent en extérieur, à Paris. Si les plus chauvin·e·s d’entre nous en seront heureux·.euses, cela a un revers de la médaille. Le braquage, pourtant prometteur puisqu’il est question de dérober 400 millions d’euros de bijoux, en une nuit, n’occupe même pas la moitié de la saison, ou à peine. Le reste de l’intrigue se concentrera sur la fuite des braqueurs·euses et sur – il faut le reconnaître – pas mal de remplissage. Berlin tâche aussi d’être beaucoup plus léger que La Casa de Papel, pour ne pas dire que la série verse dans la comédie romantique. Il est vrai que les relations amoureuses ou conflictuelles avaient une place prépondérante dans la série de base, mais cela fonctionnait car ça n’empiétait pas de manière démesurée sur l’intrigue principale, sans compter que les personnages étaient bien écrits et attachants. Ce n’est malheureusement pas le cas des personnages inédits de Berlin. Bien qu’ils semblent sympathiques, de prime abord, ils ne s’avèrent être que de sombres caricatures de ce qu’on a pu connaître auparavant. Malgré de bonnes intentions, comme le fait de nous aérer l’esprit, Berlin échoue donc à proposer de véritables enjeux, et surtout de nouveaux personnages captivants.
Le club des cinq
L’équipe de braqueurs·euses est constituée de cinq nouveaux membres. La plus intéressante d’entre eux est probablement Keila, interprétée par Michelle Jenner. On aurait pu craindre qu’elle incarnerait tous les clichés de la geek, mais ce n’est pas vraiment le cas. Keila, peu coutumière des relations amoureuses, a l’habitude de se réfugier dans sa propre réalité virtuelle. Mais le casse lui permet de faire la rencontre de Bruce, et de prouver qu’elle a plus d’une corde à son arc, puisqu’elle n’a pas froid aux yeux quand il faut passer à l’action. Damian, le vétéran de l’équipe, joué par Tristan Ulloa, est aussi plutôt sympathique. Il offre un parallèle intéressant avec Berlin, dont il est l’opposé. Il est plus posé, en couple depuis longtemps, et ne supporte pas de voir son leader papillonner à droite et à gauche. Les deux hommes finiront malgré tout par se comprendre mutuellement et, paradoxalement, c’est là que Damian perd tout son intérêt narratif. L’équipe compte également Cameron, incarnée par Begona Vargas. Son rôle dans le casse est déjà un peu plus flou. On cerne vaguement un mélange entre Tokyo et Nairobi, mais malheureusement, sa seule caractéristique est de ne s’être jamais remise de la rupture avec son ex. Roi (Julio Pena), quant à lui, avait du potentiel. Il s’imaginait être le fils spirituel de Berlin, alors que celui-ci ne le considère que comme un chien bien dressé. Malheureusement, ce lien ne sera jamais vraiment exploité, tant Berlin a peu d’interactions avec les membres de sa propre équipe. D’abord sérieux et concentré sur le casse, Roi va tout à coup péter les plombs et faire n’importe quoi, au risque de compromettre tout le plan. Et ce, pour les beaux yeux de Cameron. Bref, le Rio du pauvre. Mais c’est avec Bruce (Joel Sanchez), une pâle copie de Denver, que l’on frise le ridicule. Je retiens une scène particulièrement gênante où, prisonnier d’une voiture de police, Bruce met en joue deux flics, avant de les contraindre à chanter à tue-tête, une chanson des Bee Gees ; et ce devant un hôpital plein de monde.
La chanson des vieux amants
Le dernier personnage inédit dont j’aimerais parler est Camille, jouée par Samantha Siqueiros. Il s’agit de l’épouse (délaissée) par l’un des hommes que l’équipe s’apprête à arnaquer : François Polignac (Julien Paschal), le directeur des ventes de la Maison des Enchères. Or, Berlin tombe éperdument amoureux d’elle, au point que cela frise l’obsession. À ce propos, j’aurais dû compter combien de fois le mot « amour » est prononcé dans la série. Cette romance ne m’intéressait pas, si ce n’est pour me demander à quel moment Berlin allait devenir toxique et la pousser à prendre ses jambes à son cou, ou bien se venger. Or, Samantha est déchirée entre deux hommes, au point de changer constamment d’avis, mais aussi de prendre de bien mauvaises décisions. Un triangle amoureux consternant. On aurait pu se consoler avec le bref retour de deux actrices du casting original : Najwa Nimri (Alicia Sierra Montes) et surtout Itziar Ituno (Raquel Murillo Fuentes) mais celles-ci arrivent trop tard pour s’avérer utiles, sans compter qu’elles ne semblent soudainement guère prendre leur travail au sérieux. Dans Berlin, tout est devenu une parodie de La Casa de Papel, y compris les enquêtrices les plus redoutables d’Espagne.
Qui c’est qui est très gentil ? Les méchants
Force est de constater que j’attendais tout autre chose de ce spin-off, concentré sur Berlin. J’aurais plus volontiers assisté à sa jeunesse, à sa relation avec son frère (Le Professeur) ou à des moments plus tragiques, comme lorsqu’il apprend qu’il est malade. Cela aurait été diablement plus intéressant que ses vacances amoureuses à Paris, car oui, Berlin se concentre bien plus sur Camille que sur le casse. On sait que Berlin peut rapidement devenir obsédé par une femme, mais pas au point de manquer à tous ses devoirs. J’ai beau adorer Pedro Alonso, son personnage est ici édulcoré, pour ne pas dire dénaturé. Soyons honnêtes : Berlin n’était pas le personnage le plus aimable de La Casa de Papel. Ses nombreux défauts étaient toutefois contrebalancés par des circonstances atténuantes et surtout un sens du devoir tel qu’il était prêt à se sacrifier pour mener à bien sa mission. Pour les un·e·s, Berlin était un « méchant » qu’iels aimaient détester, pour les autres, c’était un personnage gris et paradoxal qui ne manquait pas de charisme. Bien sûr, tout n’est pas à jeter dans le spin-off qui lui est consacré. Certains passages laissent deviner que Berlin est un homme dangereux, prêt à tout pour parvenir à ses fins, mais cela renforce l’idée que c’est un choix de protagoniste bien curieux pour développer une espèce de comédie romantique. Pour que l’histoire ne soit pas trop malsaine, le personnage ne pouvait qu’être dénaturé. Berlin souffre du syndrome de Maléfique ou de Venom, car il n’est plus concevable de proposer une intrigue où le rôle principal est occupé par un personnage négatif. Je peux entendre que ce préquel se passe à une époque différente de la vie de Berlin, mais j’ai souvent peiné à reconnaître le personnage, ce qui rend la série mal écrite et forcément incohérente.
Conclusion
Berlin était certainement mon personnage préféré de La Casa de Papel. Il était si populaire qu’il est réapparu dans toutes les saisons, mais il s’agissait sans doute du retour de trop. Le spin-off de La Casa de Papel est doté d’un début prometteur, et de quelques qualités, mais il s’agit dans l’ensemble d’un naufrage. Le pire réside sans doute dans le fait que la fin est ouverte. Sait-on jamais, si la série a du succès, ils se risqueront à une saison 2. J’aurais – de loin – préféré une mini-série unique qui avait quelque chose à raconter et qui était en accord avec le personnage, plutôt que cette production tout juste destinée aux ados. Je ne regrette pas de l’avoir vue, dans la mesure où certaines scènes fonctionnent bien, et où Pedro Alonso conserve le charisme qu’on lui connaît. De la même manière, je ne peux que vous conseiller de la visionner par vous-mêmes, afin de vous forger votre propre avis. Mais le fait est que, même en en attendant très peu, je fus quand même déçue.
- Berlin est disponible sur Netflix depuis le 29 décembre 2023.