Quand Disney a mis un point final à toute une ère de sa saga Marvel au cinéma avec Avengers Endgame, il était important pour le géant américain de se réinventer. Cela passait, selon eux, par une diversification des supports en allant jeter un œil du côté du petit écran, à un moment où ils devaient trouver des arguments pour vendre des abonnements à leur service de streaming Disney+. Et nous y voilà enfin, faisant table rase du passé de Marvel à la télévision (et c’est probablement pour le mieux), la firme aux grandes oreilles a diffusé du 15 janvier au 5 mars, au rythme d’un épisode par semaine, la série WandaVision. Premier titre d’une nouvelle ère.
Quelques semaines après les événements de Avengers Endgame et la mort de Vision (Paul Bettany), Wanda Maximoff (incarnée par Elizabeth Olsen) est en deuil. C’est alors qu’apparaît une étrange série télévisée où Wanda et Vision en sont les principaux personnages, mis en scène dans ce qui ressemble au quotidien de la famille idéale…
La deuil de l’après-Endgame
L’après Endgame interrogeait beaucoup, au-delà des qualités intrinsèques du film, c’est toute une saga qui doit se remettre en cause. Avec ses trois « phases », Marvel Studios a su populariser auprès du grand public des licences qui avaient perdu de leur superbe au fil d’adaptations cinématographiques douteuses et d’une certaine impopularité des comics. Ce qui avait d’ailleurs conduit Marvel à vendre ses droits d’adaptation aux plus offrants au début des années 2000, sans trop être regardant sur la qualité et les motivations de chaque acheteurs. Mais aujourd’hui la tendance est complètement inverse, puisque les héros et héroïnes Marvel font déplacer des millions de personnes au cinéma (du moins à l’époque où nous avions encore la possibilité d’y aller) et leurs histoires en passionne plus d’un·e. Les attentes sont donc aujourd’hui plus importantes, le Marvel Cinematic Universe devant se réinventer pour capter l’attention d’un public qui a déjà vu beaucoup de choses sur cet univers, et qui pourrait même finir par ressentir une lassitude un jour ou l’autre. C’est dans ces conditions que le medium change : exit le cinéma pendant un temps, en attendant les prochains films, et place au petit écran avec une succession de séries prévues sur le service Disney+. La première d’entre elles, WandaVision, a la lourde tâche de donner une nouvelle orientation à la saga en racontant l’après Endgame, et qui de mieux que Wanda Maximoff pour le faire ? Elle qui a tout perdu au fil des années : son frère, son pays, et maintenant l’amour de sa vie. La mort de la Vision est une des principales conséquences du dernier film de la saga, et c’est aussi le meilleur moyen d’aborder des thèmes qu’aurait dû traiter le film Avengers Endgame.
Ces thèmes, c’est ceux du deuil, de l’importance des souvenirs des êtres aimés et la violence des émotions ressenties lorsque la moitié de l’humanité a disparue, avant de revenir. Autant de sujets que le dernier film avait tendance à survoler, dans un récit qui faisait la part belle à l’action au détriment du traumatisme qu’aurait dû causer son histoire. Pour ce faire, WandaVision raconte essentiellement une phase où Wanda nie la perte de celui qu’elle aimait, reconstituant à sa manière une vie de couple parfaite qui passe par le format télévisuel. Mais on s’aperçoit aussi que le récit peut servir de découverte d’un personnage qui n’a, finalement, jamais trop eu l’occasion de se révéler au cinéma. Wanda Maximoff a souvent été décrite comme une héroïne très puissante, mais rarement les films ont su lui rendre honneur. Chose plus ou moins réparée avec WandaVision, une série dense et généreuse, qui aborde autant l’après que l’avant : presque comme une origin story, la série réinvente son personnage. Mais la série ne fait pas que ça, à l’image de l’introduction de Monica Rambeau (interprétée par Tayonah Parris) qui, lors d’une scène très juste, fait en quelques minutes bien mieux que Avengers Endgame sur ce qu’a provoqué la disparition puis le retour de la moitié du monde à cause de Thanos. Tout cela tient pour beaucoup à Elizabeth Olsen, qui -sans surprise- rayonne dans un rôle qu’elle affectionne, et auquel elle peut offrir enfin un peu plus de subtilité. Des pastiches des premiers épisodes jusqu’à une conclusion enflammée qui, en l’espace de quelques instants apparaît comme une meilleure origin story que la plupart des films Marvel qui se sont prêtés à l’exercice, l’actrice amène son personnage un peu plus loin qu’espéré. Et ce grâce à un talent certain dans un rôle qui se renouvelle sans cesse, puisque le format de la série la pousse à aller chercher dans un registre comique comme dramatique, avec des séquences qui mêlent les genres avec réussite.
On peut regretter tout de même ces deux derniers épisodes, où la série a tendance à mettre de côté ses bonnes idées avec cette insupportable volonté de tout expliquer. Car les spectateur·ice·s sont peut-être considéré·e·s par Disney comme trop bêtes, alors la série s’embarque dans un tunnel d’explications parfois pénible où les auteur·ice·s insistent encore et encore des éléments qui auraient pu se limiter à des suggestions que tout le monde aurait compris sans trop de difficulté. Cela donne deux derniers épisodes qui retombent dans un carcan déjà défini par le Marvel Cinematic Universe depuis plus de dix ans, où la magie de WandaVision s’envole pour revenir sur quelque chose de très classique. Dommage, d’autant plus que la série réalise d’excellentes choses en matière de mise en scène, mais pèche dès qu’il y a cette volonté de revenir vers un format classique et une narration qui se rattrape aux branches d’une saga qui avait pourtant bien besoin d’évoluer. Alors tout n’est pas à jeter dans ces derniers instants qui contiennent même quelques uns des meilleurs moments de la série, mais avec l’arrivée en force de cinéastes venu·e·s du cinéma indépendant à la tête des prochains films Marvel, espérons que la saga gagne enfin en subtilité.
Une idée du pastiche télévisuel
Les premières images de WandaVision avant sa diffusion intriguaient pour une raison : son univers visuel. De Ma sorcière bien-aimée à Modern Family en passant par Malcolm, la série instille une dose d’humour dans un gigantesque pastiche qui référence plusieurs décennies de télévision américaine. S’il y a esthétiquement un parti pris très facile en mimant les univers visuels des séries référencées, il faut toutefois noter le soin apporté à ces scènes qui s’approprient tous les codes des différentes époques. Qu’il s’agisse de décors, du jeu de Elizabeth Olsen et de Paul Bettany, du rythme ou de la mise en scène des dites séquences, tout fleure bon une maîtrise qui permet à la série de s’approprier le médium télévisuel. Difficile évidemment d’expliquer pourquoi ces séquences sont fondamentales pour la série sans verser dans un spoil malvenu, mais on s’aperçoit bien vite que ce pastiche a beaucoup de choses à dire.
Aborder le deuil à la télévision, c’est un exercice difficile, d’autant plus pour les séries familiales qui recherchent une légèreté communicative. En utilisant le médium télévisuel et en exploitant ses codes au travers du pastiche, WandaVision raconte beaucoup de choses : c’est d’abord l’évolution de l’Amérique et du « rêve américain », passant de la famille modèle des années 1960 au chaos à la Malcolm des années 2000. Ensuite, on remarque tout particulièrement un certain cynisme qui se dégage du pastiche, l’exercice ayant comme fonction de mettre en scène le deuil de Wanda dans une sorte de vie rêvée, sur plusieurs décennies, avec Vision. Une vie qu’elle n’a pas pu obtenir, et des souvenirs qui restaient encore à se créer. Le ton léger de la série s’oppose à la violence des événements vécus par Wanda, et à sa peine qui ne semble pas pouvoir s’atténuer. Il y a là une vraie bonne idée, une approche qui permet à la série de s’échapper parfois du carcan imposé par Marvel et de s’inventer un univers extrêmement dense.
L’autre manière de raconter Marvel
C’est une autre manière de faire, une volonté d’échapper aux codes de Marvel (tout en adaptant ceux d’autres œuvres, paradoxalement) comme Wanda tente d’échapper à sa peine. Il y a quelque chose de surprenant qui donne à WandaVision cette petite chose en plus, comme si Marvel Studios avait enfin compris qu’ils ont la main sur des centaines de héros et d’héroïnes aux univers différents, qu’ils peuvent raconter sans toujours se reposer sur un format similaire. Et c’est quelque chose que le studio serait bien inspiré de garder en tête pour l’avenir. Car si la série a beaucoup de choses à se reprocher, notamment toutes ses séquences dans un monde Marvel plus classique et moins intéressant, elle brille tout particulièrement quand elle met en place son propre univers. A cette volonté de faire autrement, on ajoute le choix de la diffusion hebdomadaire. Si cela relève plutôt de la plateforme Disney+ qui a tout intérêt à étaler ses séries exclusives dans le temps faute de contenu plus régulier, le mode de diffusion sied tout particulièrement bien à une série qui clame sa volonté de prendre le temps et d’observer l’évolution de ses personnages au fil des semaines. On a vu passer ici et là des critiques sur ce type de diffusion, alors que chacun est désormais habitué à « binger » des saisons intégrales qui sortent d’un coup, mais il est plaisant de pouvoir découvrir une telle série à un rythme beaucoup plus lent. Cela laisse le temps de se l’approprier, d’y réfléchir et surtout, de prendre du recul.
WandaVision n’est pas parfaite, la série se perd dans ses derniers épisodes et souffre de quelques tares propres à Marvel Studios. Mais on ne peut que saluer les risques pris par une œuvre qui pastiche cinquante ans de télévision Américaine pour y raconter, plutôt finement, le deuil et la renaissance d’un personnage qui gagne largement en profondeur après des interventions plus discrètes au cinéma. C’est probablement là que les séries Marvel ont un coup à jouer, en proposant des histoires qui diffèrent beaucoup de ce qu’il se passe au cinéma, sans la pression du box office et de sa recherche perpétuelle du record d’entrées. Elizabeth Olsen y brille tout particulièrement, incarnant avec le talent qu’on lui connaît une Wanda Maximoff qui, décidément, est probablement l’un des personnages les plus intéressants de ce petit monde de super-humains.
- WandaVision est disponible intégralement sur Disney+