Ultimate Invasion | Le retour d’un vieux fantasme

par Anthony F.

Il y a une vingtaine d’années, Marvel avait su relancer l’intérêt du public pour ses comics avec l’arrivée de l’univers Ultimate. Une Terre-1610 qui permettait de se décharger de la continuité de la Terre-616 de l’univers classique, et ainsi pouvoir capter un public habituellement paumé face aux multiples publications qui rendaient certaines lectures périlleuses. Depuis, cet univers a disparu, permettant de ramener ses meilleures idées sur les publications classiques, mais Jonathan Hickman a été missionné l’année dernière pour réaliser un vieux fantasme de lecteur·ices : faire revivre l’univers Ultimate. Le crossover racontant l’évènement déclenchant le retour de cet univers est raconté dans le comics Ultimate Invasion sorti en VF le 6 mars 2024 chez Panini Comics.

Confusions des univers

En dépit d’une popularité conséquente, l’équipe éditoriale de Marvel avait fait le choix en 2015 de faire disparaître l’univers Ultimate (et d’autres univers ici et là) pour rassembler l’essentiel des forces en présence au sein de l’univers classique, celui de la Terre-616, qui est là depuis toujours. Et déjà à l’époque c’est Jonathan Hickman qui avait chapeauté le crossover principal, intitulé Secret Wars. Pour autant tout n’était pas perdu : de Ultimate, l’une de ses meilleures créations, Miles Morales, est arrivé sur la continuité. C’est aussi à partir de là que Nick Fury est devenu un homme noir aux traits inspirés par ceux de Samuel L. Jackson, et plus largement, Ultimate avait beaucoup inspiré les débuts de l’univers cinématographique Marvel. Près de dix ans plus tard, Hickman est à nouveau derrière ces histoires alors qu’il se voit confier un projet d’envergure et plutôt périlleux, celui de trouver un moyen de recréer Ultimate, ou a minima un univers similaire, sur les vestiges de celui qui a été détruit à l’époque. Car en théorie, il n’en reste rien : la Terre-1610 a été détruite, pratiquement tous les personnages ont disparu, à l’exception de deux très importants, le Créateur et Miles Morales. Et c’est le premier, sorte de version « ultime » de Reed Richards (l’homme élastique des Quatre Fantastiques), qui trouve un moyen de réapparaître dans un superbe premier numéro avec la firme intention de redonner vie à son monde. Dans un élan de mélancolie, on le voit même rendre visite à Miles Morales, lui demandant assez simplement s’il est prêt à l’aider, mais se voit opposer refus. Des débuts compliqués, mais les choses s’enveniment assez rapidement, un peu trop même peut-être, tant ce crossover en quatre petits numéros multiplie les raccourcis pour vite arriver à ses fins. Parfois confus, d’autres fois franchement intéressant, c’est un comics assez étonnant qui préfère se focaliser sur les fondations de l’univers à venir, plus que sur une quelconque mise en scène des intentions de son grand méchant, qui n’en est pas vraiment un au sens littéral.

Car le Créateur apparaît comme un scientifique dément certes, mais aussi comme une personne qui a vu son monde être volé par des héros et héroïnes en collants. Le comics ne s’attarde pas vraiment sur ce qui a provoqué la chute de l’univers Ultimate à l’époque, mais préfère plutôt montrer son antagoniste comme un pendant plus radical de Reed Richards, prêt à tout pour arriver à ses fins, des manipulations de l’histoire en altérant le cours de la vie des héros et héroïnes en devenir pour qu’iels n’en soient jamais, en passant par la politique, pas seulement pour son propre intérêt, mais aussi pour faire revivre ce qui n’aurait jamais dû disparaître à l’époque. Un moyen également de retrouver des souvenirs disparus, fragmentés par la destruction de son univers avec les évènements de Secret Wars en 2015. Mettant en scène les manipulations de son antagoniste comme celles d’un grand complot, Jonathan Hickman joue sur ses forces et semble avoir digéré ce qui a fait sa popularité ces quinze dernières années. Du crossover Avengers vs. X-Men à la réinvention des mutants dans House of X / Powers of X, l’auteur américain est devenu une véritable star chez Marvel Comics, avec ce que cela comporte d’attentes chaque fois qu’il se lance sur un nouveau projet. Et malheureusement, à certains égards, Ultimate Invasion n’est pas le blockbuster que l’on attendait. Parce qu’il semble manquer du liant entre les nombreuses planches qui se focalisent sur l’apparition du nouvel univers Ultimate mais pas assez sur ce que cela implique pour l’univers classique, comme si l’apparition de cet univers était tout à fait décorrélé de la continuité, bien que le tout premier numéro en suggère l’inverse. Plusieurs fois, l’auteur donne le sentiment de nous lâcher au milieu des combats sans trop vouloir en raconter les enjeux, malgré quelques monologues plus ou moins intéressants d’un Créateur qui relèvent le plus souvent de la branlette faussement scientifique que d’une quelconque volonté d’étendre les enjeux d’un bouleversement pourtant annoncé.

Éviter le piège de la nostalgie

Sans préjuger de ce qui se prépare pour l’avenir, Ultimate Invasion a donc ce goût de trop peu. Une ambition démesurée mais une exécution qui peine à tenir la distance, dans un court récit qui se contente essentiellement de poser les fondations d’un avenir dont on ne sait pour le moment pas grand chose. Il n’empêche qu’il suscite la curiosité, car c’est un joli vent d’air frais dans les publications Marvel, avec l’envie de voir ce que cela peut bien provoquer. La toute fin du tome est un cliffhanger plutôt bien amené, même si c’est bourré de fan service, mais ça marche. Cela fonctionne car Hickman maîtrise parfaitement ce qui fait vibrer les lecteur·ices de Marvel, toutes ces petites références communes qui incarnent ce monde-là. Sans pour autant tomber dans une nostalgie mal placée, Hickman ayant l’intelligence de réinventer la Terre-1610 sans la calquer sur ce qui a été fait à l’époque. Elle est différente, plus inquiétante, plus mystérieuse aussi, mais ne vise pas à refaire la même chose vingt ans après, et c’est même un but avoué du Créateur qui imagine un monde à son image, dont la politique est entièrement à sa main, déterminant avec une poignée de puissants l’influence et les marges de liberté offertes à certaines régions du monde, afin d’en maîtriser les forces en présence. Et cela me rend d’autant plus impatient de pouvoir lire les récits estampillés Ultimate à venir, à commencer par le Ultimate Spider-Man écrit par le même auteur. Pour terminer sur le comics qui nous intéresse aujourd’hui, on peut profiter également de dessins de Bryan Hitch, qui savoure la liberté créatrice offerte par une telle refonte avec un Créateur très réussi, mais aussi quelques personnages réinventés, comme Howard Stark, le père de Tony, qui est cette fois-ci le véritable détenteur de l’armure d’Iron Man, tandis que son fils est mis à l’écart. Les décors quant à eux souffrent d’une certaine austérité, à mi-chemin entre modernisme et techno-architecture. Clairement, ce n’est pas très chaleureux.

D’une façon générale, Ultimate Invasion ressemble à beaucoup d’autre crossovers. C’est-à-dire des récits rassemblant de manière un peu hasardeuse de nombreux personnages aux intentions rarement bien expliquées, dans un récit qui n’a d’autre vocation qu’à justifier l’apparition d’un nouveau paradigme. On en garde un Créateur tout à fait fascinant, mais les questions restent aussi nombreuses qu’avant la lecture du comics. Si on peut lui reconnaître une volonté salvatrice de ne pas se laisser piéger par la nostalgie trop facile d’un vieux fantasme de fan, Jonathan Hickman garde ses cartes pour les prochains comics à venir (et probablement son Ultimate Spider-Man) quitte à ce que ce que l’on reste sur notre faim avec cette première incursion. Plus encore, le récit n’arrive pas à capitaliser sur son excellent premier numéro, qui est un modèle de suspens. Si la qualité d’ensemble est inégale, il n’en reste pas moins que Ultimate Invasion ressemble bien à ce dont Marvel avait besoin ces derniers temps, comme au lancement du premier Ultimate en 2000 : un vent de fraîcheur, et de nouvelles promesses pour l’avenir.

  • Ultimate Invasion est disponible en librairies depuis le 6 mars 2024 aux éditions Panini Comics.

Ces articles peuvent vous intéresser