Cinq ans déjà nous séparent de Spider-Man : Into the Spider-Verse (ou New Generation, le sous-titre français qui lui a été donné à l’époque). Et pourtant, on a l’impression que ça ne date que d’hier. Parce que le film a eu un impact considérable sur le cinéma d’animation, comme aucun autre film adapté de comics auparavant. Tant pour ses techniques d’animation qui permettaient de mettre en lumière un style qui était encore assez peu connu à l’époque, que pour sa manière si maline d’exploiter le Spider-Verse, cet espèce de multivers spécifique à l’univers de Spider-Man, avec des Terres parallèles où évoluent des incarnations radicalement différentes du même personnage. Du haut de son immense succès, il y avait une certaine pression pour sa suite intitulée Spider-Man : Across the Spider-Verse (qui n’a pas été renommé chez nous, cette fois-ci). Une suite chargée de faire aussi bien que son aîné, et plus encore.
La plus belle illustration du Spider-Verse
Miles Morales n’est plus l’enfant que l’on découvrait à l’époque, c’est aujourd’hui un adolescent plus affirmé, qui comprend et maîtrise ses pouvoirs, habitué à une vie de super-héros qu’il parvient à concilier avec son quotidien, dans la limite de ce qui est possible. Mais il est aussi plus solitaire aujourd’hui, alors que Gwen est retournée dans son monde après les évènements du premier film. Jusqu’à ce qu’une nouvelle menace apparaît, et remet les destins de leurs mondes en jeu. De manière plutôt maline, le film dévie son propos de la menace d’un énième super-vilain à, plutôt, les enjeux de la nouvelle vie de Miles. Surtout, la question de dire un jour la vérité à ses parents à propos de ses pouvoirs. Comment leur dire ? Quand ? Et avec quelles conséquences ? Comme si le film tentait d’émuler tous les questionnements qui passent par la tête d’un·e adolescent·e à cet âge-là, avec les mêmes incertitudes face à un monde qui change, des découvertes perpétuelles, et un besoin de trouver une forme de « validation » auprès de celles et ceux qui comptent. C’est peut-être pour ça qu’il en ressort un chaos permanent à l’écran, avec un film qui ne cesse de faire courir ses personnages, jamais à bout de souffle. Et c’est un excellent choix, car cela fait sortir le récit du classique « méchant de la semaine » qui caractérise habituellement les histoires de Spider-Man tout en apportant un rythme endiablé, en emmenant les personnages sur un autre terrain, quitte à ce que le film ne tranche jamais vraiment l’histoire autour de la nouvelle menace. Parce que ça, c’est pas vraiment le sujet.
Cette nouvelle menace n’apparaît en réalité que comme une excuse pour emmener à nouveau les personnages vers une exploration du Spider-Verse, découvrant de nouvelles incarnations du personnage, et des références extrêmement nombreux sur les films, séries animées et comics qui ont fait son histoire. Sans trop en dire, ces références apportent quelque chose de décisif au récit, avec une thématique récurrente (qui ne surprendra aucun·e fan de cet univers) qui symbolise le personnage peu importe son incarnation. Cela permet de souder les différentes versions, peu importe leur univers d’origine, et de s’affranchir des frontières entre les mondes, avec une intelligence qui fait plaisir à voir. La douceur qui se dégage du film est formidable, sa déclaration d’amour à Spider-Man montre l’immensité d’un héros atypique, peu importe son incarnation, qui a incarné des valeurs constantes au fil des décennies. D’ailleurs, c’est ses valeurs, qui sont celles de la bienveillance, du partage, de l’ouverture sur les autres qui donnent à Spider-Man l’occasion de découvrir celles et ceux qui l’accompagnent dans son aventure. Avec, notamment, une véritable connexion qui se créé avec Gwen, plus que dans le premier. Elle finit par être la véritable héroïne du film, en incarnant un des aspects les plus posés, les plus réfléchis du film, en opposition avec Miles qui est au centre d’un chaos permanent, baladé d’un bout à l’autre par des enjeux qui le dépassent.
Une déclaration d’amour
Plus encore que pour son récit, le film brille évidemment pour son style, la beauté de ses scènes, sorte de fantasme d’une animation sans barrière, sans limite, avec une création artistique libre et pourtant terriblement cohérente. Le film multiplie les styles visuels différents selon les univers traversés et l’origine des personnages (entre ceux qui viennent des comics, d’autres de cartoons, d’autres d’anime ou d’un monde de papier…) mais toujours terriblement réussi, avec une constance qui force l’admiration. Un grand plus d’ailleurs pour l’univers de Gwen, toujours aussi génial, avec un sous-texte intéressante sur l’identité du personnage, son univers étant entièrement colorié selon les nuances de couleur du drapeau de la communauté trans. Enfin, c’est sa mise en scène si précise qui permet de donner un sens à tout ça. Le premier film a été une révolution pour l’animation américaine, le deuxième film enfonce le clou et montre que le studio en a encore énormément sous le pied. C’est une prouesse visuelle et technique, associé à une mise en scène intelligente qui est capable de trouver un chaos permanent qui peut, certes, être éprouvant. Mais le film ne se perd jamais, il retombe toujours sur ses pieds, comme Miles Morales qui multiplie les acrobaties à chaque fois qu’il se déplace sans jamais se rater.
Curieusement et malgré un amour infini pour le premier film, je n’en attendais pas de suite. Parce qu’il me semblait déjà parfaitement complet, qu’il allait au bout de ses idées et qu’il aurait été compliqué de faire mieux. Mais cette suite m’a donné tort, montrant qu’il y avait vraiment la possibilité d’aller plus loin, d’être plus fou, plus inventif, d’exploiter le Spider-verse d’une manière encore plus pertinente. C’est une déclaration d’amour à cet univers mais pas seulement, c’est aussi une déclaration d’amour à ses fans, à ses auteurs, ses autrices, ses dessinateurs et dessinatrices qui ont fait vivre ses personnages depuis la première apparition de Spider-Man dans un comics en 1962. Et le film va au-delà de l’hommage, en racontant une histoire poignante, une aventure épique qui certes, ne trouve pas de conclusion en attendant le troisième film, mais qui paradoxalement semble se suffire à lui-même, parce qu’il trouve des réponses aux questions les plus importantes qui animent le personnage depuis toujours. C’est-à-dire l’importance de sa famille, de ses proches, et de celles et ceux qui lui donnent la force de se battre pour des jours meilleurs.
- Spider-Man : Across the Spider-Verse est sorti en salles le 31 mai 2023 et en vidéo depuis le 4 octobre 2023