Seers Isle (l’île des voyants) est un visual novel, dans la lignée des autres jeux proposés par Nova-Box (Along the Edge, Across the Grooves, Echoes). Le studio nous entraîne dans une histoire comportant pas moins de sept personnages, chacun avec une personnalité et un passé propres. Tous sont des apprentis chamans et embarquent sur un navire à destination de Seers Isle, où les esprits décideront de les faire chamans ou non après une série d’épreuves.
À la manière des livres dont vous êtes le héros, chaque choix a une répercussion sur le fil de l’intrigue et sur le sort des personnages. Une histoire interactive rendue d’autant plus agréable et visuelle par les dessins soignés et vivants de Nicolas Fouqué et Ludovic Rivalland, qui permettent à la fois de s’immerger dans un univers de fantasy et de s’attacher rapidement aux personnages.
Cet article a été réalisé grâce à une clé Windows du jeu, fournie par Nova-Box.
Un voyage dans une Europe nordique de fantasy médiévale
Sans que de dates ou de lieux soient donnés, Seers Isle nous entraîne dans un monde aux accents nordiques envoûtants. Les décors de l’île, que ce soit sur la plage ou l’intérieur des terres, font immédiatement penser aux pays scandinaves entre falaises, mer déchaînée, brume et neige. De par leurs vêtements, ce sont les personnages qui nous indiquent le plus la temporalité de l’histoire : leurs armes et leur style vestimentaire les ancrent définitivement dans une version moyenâgeuse de l’Europe. Une impression renforcée par certains souvenirs des personnages, qui évoquent des rues, des maisons, des superstitions ou des manières de vivre propres à cette époque. C’est ainsi le soin des détails visuels et la narration qui nous permettent de nous situer dans une histoire sans jamais nous prendre par la main.
Nos sept personnages ne se connaissent pas. Ils ont pour seul point commun d’être sur le point de devenir de futurs chamans, et de se rencontrer donc pour la première fois en partant pour Seers Isle. Bien qu’ils soient nombreux, ces protagonistes sont loin d’être simplistes ou de simples coquilles vides avec quelques traits de personnalité. Il est difficile de ne pas être séduit par la gentillesse et la maturité de Jennyver, guérisseuse, ou l’entrain et la curiosité d’Arlyn, une jeune pêcheuse. Des personnages sont plus distants mais fascinants par la force qu’ils dégagent et leur mystère, comme Erik et Freya, proches des archétypes de guerriers nordiques au fort caractère. Duncan, avec sa témérité et son sens de la mesure, est tout aussi important que Connor, citadin venu de la ville et le plus étranger à toutes les coutumes de ses compagnons de voyage. Brandon, charpentier, est également un appui solide et doté d’un certain sens de l’humour pour le groupe.
Si l’identification n’est pas toujours présente avec ces protagonistes, le groupe forme néanmoins un bel ensemble, équilibré et hétéroclite à la fois. Les diverses romances, certes secondaires, montrent aussi une belle ouverture d’esprit naturelle. Et surtout, au fur et à mesure que l’histoire se déroule et que les interactions aussi paisibles que conflictuelles se font entre les personnages, on a envie d’en savoir toujours plus sur eux et sur ce qui les a menés sur cette île.
Enfin, impossible de ne pas dire un mot sur les musiques, composées par Camille Marcos et Julien Ponsoda. Les mélodies nous transportent sans peine dans cet univers de fantasy aussi rude que magique, avec une sonorité propre à chaque tableau et chaque personnage. Bien des morceaux reflètent l’intensité de moments-clés, que ce soit The Cycle, The Lone Wolf, The Crow takes flies ou bien entendu Seers Isle, le thème principal empreint de toute la mystique mélancolique de l’histoire.
Une multiplicité de choix au service des subtilités d’une histoire
Seers Isle va vite mettre à l’épreuve la petite troupe d’apprentis. Par le biais de choix, les premières décisions permettront ainsi de fuir la tempête qui menace le bateau près de l’île d’entrée de jeu. Une fois sur la terre ferme, on pourra décider d’observer certains groupes de personnages plus que d’autres, de laisser des membres de l’équipe en arrière, de choisir tel chemin ou de suivre les esprits de l’île, aussi effrayants que superbes… et ce n’est que le début des nombreux chemins divergents qui façonnent l’histoire de Seers Isle. En se basant sur un système de décisions du joueur, le jeu favorise quatre symboles représentant des arcs scénaristiques spécifiques : l’oeil, la main, l’homme, le cerf. Des symboles plutôt cryptiques et qui ne donnent pas forcément à voir au premier coup d’oeil quelle décision prendre pour influencer vers tel chemin. Le jeu propose pas moins de huit fins différentes, avec quelques variations ici et là, ce qui lui assure une forte rejouabilité… ne serait-ce que pour saisir au mieux les détails et secrets de l’histoire !
Car le cœur de Seers Isle, outre ses décors enchanteurs, ce sont les personnages. Chacun d’entre eux a sa propre personnalité, et chaque choix permet de découvrir leur passé, leurs traumatismes ou leurs espoirs. Si certains dialogues permettent de survoler leur vie, c’est par le biais des esprits qui les entraînent dans des visions, des épreuves et des rêves, qu’on apprend vraiment qui ils sont et les raisons de leur venue. Et pour cela, il faudra forcément plusieurs parties pour découvrir les secrets de chacun de manière satisfaisante. Ces personnages cachent alors bien des thématiques plus profondes qu’il n’y paraît. Si le voyage sur l’île est avant tout initiatique, leurs épreuves personnelles évoquent le deuil, les responsabilités trop lourdes au sein d’une famille, l’exclusion sociale, l’hypocrisie religieuse, la culpabilité du survivant… Autant de thèmes qui rendent les personnages plus attachants à chaque partie.
Le surnaturel occupe aussi une grande place dans l’histoire. Seers Isle est peuplée d’esprits que nous croiserons ici et là dans des circonstances aussi bienvenues qu’effrayantes. Selon les arcs de l’histoire, des choses demeurent inexpliquées, faisant travailler notre imagination. Et sans vouloir le dévoiler, un twist majeur dans le cours de l’aventure nous amène même à nous interroger sur notre rôle de joueur et l’omniscience que nous avons des personnages, avec ironie.
S’il est parfois compliqué d’orienter l’histoire vers une direction précise, Seers Isle est un roman graphique interactif qui a tout pour charmer et pour intriguer. Un premier run ne suffit pas pour saisir toutes les subtilités du récit, nous incitant à retourner dans l’aventure aussitôt. Un sentiment qui n’est pas étranger à la symbolique du jeu : les épreuves des personnages peuvent être réussies ou non, mais évoquent toujours la nécessité de briser un cycle et d’aller de l’avant, ou alors de choisir de le continuer. Une symbolique qui emprunte sans aucun doute à la mythologie nordique et ses cycles d’existence. A cet égard, le jeu aborde aussi le sens du sacrifice et la responsabilité des choix, dans un final inattendu.
- Seers Isle est disponible en français et en anglais sur PC (Windows, Mac, Linux) depuis le 18 septembre 2018, et porté sur Nintendo Switch depuis le 15 octobre 2020.