Mindhunter | Bien au delà de l’esprit du tueur

par Reblys

A l’heure ou tout est instantané, et où on a tendance a se focaliser uniquement sur les nouveaux contenus qui sortent tous les jours, j’aime bien parfois (sans doute par esprit de contradiction), jouer la carte de l’anti-hype et me plonger dans une série à la fois trop ancienne pour être encore régulièrement dans les discussions, mais trop récente pour rentrer dans la catégorie des « classiques », type Dexter ou Breaking Bad. Dans ces moments-là rien ne vaut d’aller piocher dans les listes à rallonge, composées des diverses recommandations que l’on reçoit de son entourage, et qu’on a jamais pris le temps de regarder.

Cette fois, c’est tombé sur Mindhunter. Une série dont je ne connaissais que l’illustre producteur, le cinéaste David Fincher, aussi réputé que méticuleux lorsqu’il s’attelle à un projet. Mais il aurait été dommage de s’arrêter là. Car Mindhunter est non seulement une œuvre collective, mais permet aussi de découvrir une variation à part de la série policière et de profilage. A la fois historique, intimiste et psychologique, Mindhunter est un thriller sériel passionnant, car, comme on pouvait s’y attendre en y voyant attaché le nom de Fincher, c’est une série qui ne laisse pas grand chose au hasard.

Un trio de protagonistes complémentaires au cœur de l’intrigue

A la fin des années 70, Holden Ford, jeune négociateur du FBI se retrouve malgré lui transféré au centre de formation du FBI, à Quantico, dans l’État de Washington, en tant qu’instructeur. Bien conscient de ne pas être à sa place, il va toutefois découvrir que la manière dont on forme les futures recrues semble bien loin de la réalité, en particulier quant à la psychologie des criminels. Ses interrogations vont lui faire croiser la route de Bill Tench, responsable de l’unité des sciences comportementales, mais dont le travail consiste surtout à dispenser des formations aux quatre coins des États-Unis. Au contact d’Holden, il va solliciter l’une de ses connaissances, le docteur Wendy Carr, spécialiste en psychologie. Ainsi se forme l’équipe qui va révolutionner la façon d’aborder l’esprit des tueurs…

© Netflix

Incontestablement ces personnages font partie des plus grandes forces de la série. Tous trois sont à la fois opposés et complémentaires, et cet équilibre savamment dosé permet de développer une large palette de situations, de confrontations, et de résolutions. Holden est solitaire, froid dans ses contacts avec autrui, beaucoup dans sa tête. Mais il est également empathique, très intuitif, voire instinctif. Souvent sûr de lui, voire borné, il est pourtant fragile aux jointures. Bill se veut être un family man à l’américaine. Sociable et chaleureux, capable de jouer les médiateurs, au travail comme en famille. Mais il est également un homme qui peine à être présent pour sa femme et son fils, à comprendre comment les gens fonctionnent, y compris lui même. Wendy est une femme présentant une classe et une aura indéniable. Professeure de son État, elle semble goûter à une reconnaissance méritée, et se lance probablement dans le projet de recherche le plus important de sa vie. Mais elle cache toute une part d’elle même, et avec celle-ci nombre d’incertitudes.

Vous l’aurez compris, l’écriture des personnages joue beaucoup sur ces contrastes. Des oppositions aux cœur même de ces différentes personnalités, qui viennent s’exprimer entre elles au fur et à mesure que leur projet se développe. Holden, Bill et Wendy appartiennent à des milieux différents et ont des caractères très éloignés les uns des autres. Ces différences vont permettre de créer des ambiances très différentes selon le point de vue que le scénario adopte. Différents lieux, rythmes et enjeux, qui viennent régulièrement renouveler l’intérêt des spectateurs et spectatrices, en plus de donner du corps et de la variété à l’univers qui nous est présenté. Le fait de jouer sur les contradictions des personnages et sur leurs différentes facettes permet de mieux exploiter leurs failles, pour en faire des ressorts narratifs aussi éprouvés qu’efficaces. On se prend ainsi au jeu, assistant à l’évolution de cette femme et ces deux hommes face aux épreuves qu’ils doivent surmonter, tant sur le plan professionnel que dans la sphère intime. Ainsi, tout au long des 21 épisodes que compte pour l’heure la série, on a affaire a des personnages profonds, complexes mais cohérents, qui font parfois des erreurs et commettent des fautes. Qui se laissent aveugler par leurs émotions et manquent parfois de recul. Des personnages imparfaits, mais tenaces faces à l’adversité. Des personnages humains, auxquels on s’identifie, à la fois par mimétisme et par admiration.

© Netflix

S’il ne s’agissait que des personnages principaux, on aurait déjà une base très solide, mais cette qualité d’écriture se retrouve chez tous les personnages secondaires. Les chefs du FBI, les compagnes des personnages principaux, même Greg Smith, la quatrième roue du carrosse, dont on voit poindre progressivement le développement, apportent énormément à la dynamique narrative. Car malgré leur positionnement au second plan, ils sont tout sauf des personnages fonction. Cela est encore plus vrai pour les criminels que l’on croise en fil rouge tout au long de la série. Alors même que le but est de trouver des points communs entre tous ces tueurs, de tracer une typologie de comportements afin pouvoir les repérer et les anticiper, il en ressort que très peu d’entretiens se ressemblent. La fascination que ressent Holden pour ces esprits tordus est palpable, et va l’amener à se rapprocher toujours plus d’eux. Tant et si bien qu’on ne sait plus parfois de quel côté il se trouve, et qu’à l’instar de Harley Quinn avec le Joker, on se demande s’il ne serait pas un jour capable de franchir la fine ligne qui le sépare de la bête.

Des thèmes aussi forts qu’habilement traités

Il faut dire que l’écriture de certains de ces tueurs en série, ainsi que les interprétations saisissantes des acteurs qui les incarnent, nous transmettent une partie du charisme hypnotique de ces êtres que l’on qualifie régulièrement de « monstres ». Elles viennent nous emmener sur un terrain où les limites entre bien et mal s’effritent, révélant des individus tantôt froids et méticuleux, tantôt sanguins et explosifs, mais souvent bien plus complexes qu’on ne l’imagine. Ces portraits, dressés à partir de ces multiples rencontres qui constituent le fil rouge de la série, permettent de développer l’un de ses thèmes majeurs : Qu’est-ce que le Mal ? Comment naît-il, et se développe-t-il chez ces hommes ? Une question aussi morbidement passionnante que ceux qui l’incarnent, et qui se trouve être traitée dans Mindhunter avec beaucoup de nuance, et sous plusieurs aspects. L’évolution du personnage de Holden en est un, mais l’arc  scénaristique qui se tisse tout au long de la deuxième saison autour de Brian, le jeune fils de Bill Tench, en est un autre, aussi brillant qu’efficace.

© Netflix

Alors que dans la première saison et une partie de la seconde, les rencontres avec les « serial killers » permettent d’avoir un certain recul sur les crimes relatés, la deuxième partie de la deuxième saison, que j’ai trouvée la plus prenante de l’ensemble de la série, nous place au cœur de l’action, alors que les agents Ford et Tench vont avoir pour la première fois l’occasion de mettre en pratique leurs travaux sur le terrain. Ces travaux sont loin de se dérouler sans accrocs, et de cela transparait à mon sens une autre thématique plus secondaire, mais tout aussi intéressante : Comment une institution bien ancrée (en l’occurrence le FBI et plus largement la police américaine) accueille un changement radical de perspective, et à quel point un petit groupe d’hargneux défenseurs d’une idée nouvelle doivent batailler pour la faire vivre et la développer. Sans trop en révéler sur le déroulement des évènements, on se rend finalement compte que ce n’est pas la qualité d’un argumentaire, ou la pertinence d’une vision qui font changer les choses. Bien souvent, c’est surtout la chance qui s’exprime, à travers la connivence subtile de deux esprits (dont l’un se trouve être aux commandes) qui vont l’un et l’autre partager le même point de vue à un instant T.

Il serait enfin délicat de refermer cette section sans parler de la portée politique de la série. Elle est tantôt très clairement affichée, lors de tout l’arc d’Atlanta dans la deuxième saison, où la communauté noire est au premier plan (dans l’Amérique de la fin des années 70 rappelons-le), et parfois plus subtilement amenée, à travers le développement de certains personnages féminins, dont je ne dirai encore une fois pas plus pour ne pas trop en révéler. De la même façon qu’elle aborde les meurtres en série avec un regard neutre et distant, elle montre sans fard le quotidien d’un groupe minoritaire, son traitement et sa perception politique, y compris dans une ville où le maire nouvellement élu est lui-même noir. Une autre dimension particulièrement intéressante pour une série qui en apportait déjà beaucoup.

Aussi précis que réaliste

N’étant pas vraiment expert sur le volet de la technique, je me contenterai de relever sur le plan de la forme une réalisation que l’on connaît déjà un peu quand on est familier avec la filmographie de David Fincher. Avec des plans précisément découpés, une mise en scène sobre, pour ne pas dire austère, et une colorimétrie délavée, qui me renvoie l’image d’un monde dur et sale, où les gens doivent faire de leur mieux pour exister. Cette forme participe indéniablement à l’ambiance de Mindhunter. Pesante, parfois oppressante, elle apparaît toutefois assez réaliste pour nous faire nous demander à quel point la série s’appuie ou non sur des évènements réels pour mieux nous captiver, car dans le même temps, la reconstitution historique de la fin des années 1970 est tellement crédible qu’on perdrait parfois de vue qu’il s’agit d’une fiction.

Faisant preuve d’une maîtrise narrative franchement impressionnante, Mindhunter est d’autant plus une réussite que chaque scène semble utile à un dessein d’ensemble, chaque personnage, chaque situation s’intègre avec fluidité dans un rythme qui happe et qui va crescendo. Et ce jusqu’aux derniers épisodes de la seconde saison, desquels il est extrêmement ardu de décrocher, nous laissant démunis lorsque l’on sait que la saison trois n’existe même pas encore à l’état de projet. On imagine sans peine l’énorme travail que représente la création d’une telle série, à tel point que David Fincher a préféré proposer son film Mank à Netflix, pour passer à autre chose après une saison deux qui l’avait épuisé. Il ne reste donc plus qu’à prendre son mal en patience pour celles et ceux qui, comme moi, ont goûté à ce fleuron de la firme au gros N rouge. Pour les autres…ce serait vraiment cool si vous alliez y jeter un œil.

  • Les deux premières saisons de Mindhunter sont disponibles en streaming à la demande sur Netflix

Ces articles peuvent vous intéresser