Mickey7 | L’homme consommable

par Anthony F.

Récemment adaptée au cinéma par Bong Joon-ho avec Mickey17, l’idée née dans l’esprit de l’auteur américain Edward Ashton a d’abord fait son petit bout de chemin avec un roman intitulé Mickey7, sorti en VF à l’été 2022. Son éditeur Bragelonne profite de l’adaptation cinématographique pour remettre un coup de projecteur sur le roman, et c’est l’occasion pour nous également d’aller tenter de voir ce que le cinéaste coréen a bien pu trouver dans cette histoire pour s’en saisir et avoir envie de la mettre en images. Récit de science-fiction teinté de cynisme et d’humour grinçant, Mickey7 a des arguments à faire valoir.

Cette chronique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire par l’éditeur.

Destin à répétitions

« De toutes mes morts, celle-là s’annonce comme la plus stupide. » Avec un tel incipit, Mickey7 pose les bases de son ambiance avec une facilité déconcertante. Entre l’analyse cynique d’un futur où l’humain n’est plus qu’une ressource, et l’ironie qui s’en dégage, le roman de Edward Ashton va d’entrée sur un terrain sarcastique qui accompagne le récit jusqu’à ses derniers mots. Son héros, Mickey Barnes, a tout de l’anti-héros le plus classique possible. Pas vraiment sympathique, empêtré dans une affaire sordide avec des mafieux qui lui promettent l’enfer, il n’a d’autre choix que de signer pour rejoindre un vaisseau qui va tenter d’aller coloniser la planète de Niflheim, un monde de glace en vue d’y installer une humanité qui a déjà quitté la Terre depuis longtemps. Mais comme il n’a pas trop de talents si ce n’est d’être un larbin, il n’a qu’une option, celle de signer pour devenir l’un des consommables du vaisseau. Dans ce monde-là, on maîtrise une technologie capable d’enregistrer les souvenirs et la personnalité d’une personne avant de la transférer dans une enveloppe corporelle identique créée de toute pièce. De quoi se créer une armée de consommables, des gens qui acceptent de réaliser les tâches les plus dangereuses, quitte à mourir dans d’effroyables circonstances, en sachant qu’elles reviendront à la vie. Un poste pas très enviable puisqu’il est souvent synonyme de souffrances physiques et psychologiques terribles, mais qui s’avère être le seul échappatoire pour Mickey. On le retrouve ainsi vite dans sa septième enveloppe, déjà mort six fois, et désormais nommé Mickey7, comme pour lui retirer le bout d’humanité qu’il lui reste. Ce qui pourrait ressembler aux prémices d’un bouquin de science-fiction assez plan-plan trouve vite son twist lorsque, laissé pour mort par son coéquipier au fond d’une crevasse de Niflheim, Mickey7 parvient à s’en sortir tout seul et découvre à son retour à la base qu’il a déjà été remplacé par Mickey8. Copie conforme de lui-même, à l’exception des trois dernières semaines de sa vie puisqu’il n’avait pas pensé à enregistrer ses souvenirs dans ce laps de temps. Trois semaines suffisantes pour que les deux copies révèlent avoir une personnalité sensiblement différente.

Obligés de dissimuler ce double, puisque l’éthique interdit formellement d’avoir un double d’une même personne (pour ce qu’il reste d’éthique dans ce monde-là…), les deux compères doivent alors rivaliser d’astuces pour accomplir leurs tâches sans se faire prendre, trouver de quoi manger alors que les ressources sont ultra-limitées dans une colonie en terrain hostile, et enfin, garder de bonnes relations avec leurs collègues alors qu’il est bien difficile de cacher le moindre secret dans la minuscule base où tout le monde se croise dix fois par jour. Et… C’est tout. Ce qui est raconté dans les deux ou trois premiers chapitres constitue l’essentiel de ce que parvient à offrir Mickey7. Un roman qui ne trouve jamais le bon équilibre entre la tranche-de-vie, qui a ses bons moments, et l’action qui oblige son héros double à tenter de trouver une solution à sa situation, ainsi qu’au destin de la colonie qui se trouve vite face à des espèces de vers des glaces géants. Mais difficile d’en dégager un fil rouge, la faute à une écriture très rébarbative pour un auteur qui passe beaucoup de temps à expliquer, par quatre ou cinq moyens différents (et autant de chapitres), à quel point Mickey n’aime pas sa vie et à quel point le monde est dur avec lui. Antipathique au possible, son héros peine à rendre la pareille à des personnages secondaires un peu plus intéressants, bien que très stéréotypés, et dont le rôle reste essentiellement motivé par ce qu’ils peuvent apporter à la progression du héros. Il en est de même pour un twist qui va alimenter les théories les plus farfelues, sans vraiment retomber sur ses pattes. Peut-être que sa suite Antimatter Blues est plus maîtrisée, mais il manque clairement quelque chose à ce récit pour satisfaire ses ambitions.

Hostilité de circonstances

Le bouquin finit vite par lasser, avec un récit qui a du mal à se renouveler et à faire comprendre où il veut aller. Il y a bien un bout de fil rouge en arrière plan autour des secrets que dissimulent la planète Niflheim, mais ils sont constamment relégués derrière les états d’âme du héros. L’antagoniste principal, le commandant de la colonie, a un impact assez faible sur le récit et il faut attendre les trois ou quatre derniers chapitres pour que l’auteur accélère soudainement la cadence afin de conclure son histoire. C’est un rythme étonnant que nous impose Edward Ashton, jouant constamment sur un ton sarcastique qui a tendance à singer John Scalzi, sans son humour, avec de grosses faiblesses sur la manière de raconter l’action et les interactions entre ses personnages. Le monde lui-même offre assez peu de choses, on n’apprend pas grand chose de Niflheim à part qu’il s’agit d’un monde de glace, qu’elle est peuplée par des gros vers de glaces, et que les gens de la base sont déprimés par le froid. À côté, le style de l’auteur est facile à lire, avec une traduction française qui rend honneur à sa simplicité. On aurait aimé qu’il aille un peu plus loin sur quelques thématiques qu’il esquisse rapidement, comme les problèmes éthiques posés par l’existence d’un humain en guise de consommable, les problèmes psychologiques posés par les nombreuses morts d’une même personne ou encore les traumatismes vécus par ses proches. Mais en dehors d’une longue discussion avec la recruteuse de Mickey Barnes qui ne comprend pas elle-même pourquoi il voudrait s’infliger ça, l’auteur remet ces sujets sous le tapis et se contente d’aller vers la fin du livre en se laissant porter par le moment.

Sacré déception que ce Mickey7. Si on se gardera ici de faire une quelconque comparaison avec le film et ce que Bong Joon-ho a pu ou non lui apporter avec son adaptation dans Mickey17, le bouquin de Edward Ashton a beaucoup de mal à tenir la longueur malgré la bonne idée initiale. Écrire un héros un peu loser et peu charmant requiert certaines qualités d’écriture qui ne sont pas évidentes dans le style d’Ashton, on se retrouve avec un récit parfois un peu irritant, mais surtout le plus souvent inconséquent, avec une tranche-de-vie ni agréable ni désagréable, qui se laisse lire sans qu’on n’en retienne grand chose, et avec un grand final sans aucune attache émotionnelle capable de provoquer quoique ce soit pour le destin de ses personnages. 

  • Mickey7 est disponible en librairie aux éditions Bragelonne.

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