L’affaire du col Dyatlov ne vous sera peut-être pas inconnue si vous vous intéressez aux true crimes ou aux événements mystérieux jamais totalement expliqués. Le mystère du col Dyatlov, c’est la mort étrange de neuf alpinistes russes dans le nord de l’Oural (Russie mais ex-URSS à l’époque), dans la nuit du 1er au 2 février 1959. Partis pour une randonnée assez difficile, les jeunes gens (tous étudiants, entre 20 et 30 ans), n’atteignent jamais la montagne de l’Otorten, leur destination finale. Ceux-ci sont retrouvés, probablement morts de froid, en partie dévêtus, séparés en plusieurs groupes à plusieurs dizaines de mètres les uns des autres, et avec leur tente déchirée de l’intérieur.
Suite à ces événements, la première enquête russe se révèle insatisfaisante, voire bâclée, car aucune théorie ne permet d’expliquer précisément ce qui est arrivé au groupe de randonneurs. Si bien que les enquêteurs de l’époque ne peuvent conclure leur rapport que par ces mots : qu’une « force irrésistible » a entraîné la mort des jeunes gens. De ces mots coulent depuis lors plus de 70 théories sur l’affaire, allant de l’avalanche aux expériences militaires russes, en passant par les extraterrestres, une jalousie mortelle entre les randonneurs ou encore un complot de l’URSS pour réduire ces victimes au silence. Et c’est de ce mystère jamais complètement explicité que naît la bande dessinée écrite par Cédric Mayen et illustrée par Alejandro Gonzalez.
Une plongée dans l’Histoire et dans la vie des randonneurs
Loin de vouloir forcément proposer leur théorie sur l’affaire du col Dyatlov et de l’imposer dans leur BD, les deux auteurs choisissent un autre angle pour raconter cette histoire moult fois décortiquée : une vision factuelle et humaine à la fois des événements.
Ainsi, la bande dessinée se compose en deux alternances de point de vue : celui de l’enquêteur chargé de résoudre l’affaire, dans des tons verts sombres et froids, reflétant une froideur toute soviétique et déshumanisante ; et le récit de voyage des jeunes gens, tel qu’on le connaît par le journal de bord tenu par l’un d’eux, jusqu’à la nuit fatale. Cet aspect-là de l’histoire est dominé par un ton sépia, plus ancien, mais aussi en hommage aux photos prises par les randonneurs, certaines cases étant d’ailleurs des transcriptions illustratives de ces clichés.
Par le biais de l’enquêteur, on comprend mieux le deuil des familles, les multiples interrogations et inquiétudes suscitées par l’accident à l’époque, dans la presse et chez la population. On perçoit aussi la pression du KGB pour étouffer l’affaire et la résoudre aussi vite que possible, ou la façon dont on cherche à cacher certaines informations. Il faut bien entendu garder à l’esprit que le récit est légèrement romancé, même s’il est basé sur une solide documentation et de nombreuses recherches.
Les deux auteurs choisissent de ne mettre aucun parti en avant durant le récit, pour déterminer si telle théorie est ou non la bonne pour expliquer cette étrange affaire. Au contraire, ils choisissent plutôt d’en laisser les portes ouvertes, parsemant l’enquête et la randonnée ici et là d’indices possibles : une attaque d’animal, d’une tribu nomade ? Une volonté de l’URSS de se débarrasser de neuf futures personnalités politiques ou rebelles ? Une tempête de neige, une météorite ? Une bagarre qui aurait tourné au drame ? Toutes ces théories sont évoquées ou mentionnées rapidement, invitant la·le lecteurice à se faire sa propre idée de l’accident.
Une autre nouveauté bienvenue dans la chronologie du récit est de donner un peu plus vie et corps aux neuf randonneurs, le dixième ayant abandonné l’expédition au début à cause d’une sciatique. Bien que l’on se concentre aussi sur les faits, on a un plus grand aperçu des relations entre les neuf victimes. S’il n’est pas aisé de ne pas mélanger les noms russes, on distingue des dynamiques : une des jeunes femmes, anciennement sortie avec l’un des membres du groupe, qui se prend d’affection pour un autre ; le chef d’expédition, plus âgé, dont on se demande s’il n’est pas une taupe chargée de surveiller les étudiants… Certains sont vantards, sensibles, déterminés, ou prennent soin les uns des autres. Plutôt que de les cantonner à des noms de victimes, les neuf randonneurs sont présents, vivants, se taquinent, se chamaillent, parfois se disputent ; de quoi rendre leur disparition plus émouvante, quand on atteint le moment de la nuit fatidique sur le col Kholat Syakhl (montagne morte d’après le surnom donné à cette montagne par la tribu mansi locale).
Une parfaite introduction au mystère du col Dyatlov
Même si, quand on connaît déjà un peu cette affaire mystérieuse, on n’apprend rien de spécifiquement nouveau, ce qui peut se révéler frustrant et laisser sur sa faim, cela est contrebalancé par le fait de s’intéresser aux personnages et à la façon dont la narration permet d’évoquer toutes les théories sur ces morts « irrésistibles ».
Par ailleurs, la bande dessinée s’accompagne à la fin d’un dossier, assez court mais intéressant, permettant d’avoir des témoignages de diverses personnalités ayant enquêté sur cette affaire, de la webmastrice du site Dyatlov Pass, reconnu pour être la référence pour toutes les informations officielles et photographiques sur ce sujet, à Johan Gaume, chercheur français ayant tenté d’expliqué le phénomène d’avalanche grâce à des calculs mathématiques et un logiciel de simulation de coulée de neige. Autant de points de vue qui permettent d’enrichir ce mystère et d’en donner des clés, bien qu’aucune, à ce jour, n’ait complètement élucidé l’affaire.
Car c’est bien ce qui continue de fasciner, 60 ans après : comment un tel événement a-t-il pu se produire, alors que les neuf randonneurs étaient prêts et entraînés pour une telle expédition ? Pourquoi certains avaient-ils des fractures et blessures? Pourquoi étaient-ils presque entièrement déshabillés, séparés les uns des autres par de grandes distances ? Pourquoi ne pas avoir trouvé refuge dans la forêt après que leur tente ait été lacérée de l’intérieur ? Si aujourd’hui, l’explication de l’avalanche, de l’hypothermie, de puissants vents empêchant d’avancer, semblent être la plus cohérente, des détails restent toujours troubles, et il est difficile d’oublier les nombreuses théories aussi réalistes que complotistes qui se font fomentées pendant des années.
Mais il faut aussi garder en mémoire, avant tout, que l’affaire du col Dyatlov est un mystère certes fascinant, mais surtout tragique et triste, ayant coûté la vie à neuf jeunes gens qui avaient encore toute la vie devant eux. C’est ce que la bande dessinée Le Mystère du Col Dyatlov réussit à nous faire passer, avec une dernière page émouvante.
- La BD est sortie le 29 septembre 2023 aux éditions Le Lombard.
- Le jeu vidéo Kholat par le studio IMGN.PRO, sorti en 2015, se base sur le mystère du col Dyatlov et en propose sa version des événements.
- Le roman-documentaire Le Mystère Dyatlov de Anna Matveeva demeure le seul ouvrage français sur cette affaire.
- La chaîne Youtube La séance de Minuit propose une interview passionnante sur la création de la BD avec Cédric Mayen.