Comment passer à côté de Emily in Paris ? La nouvelle série de Darren Star, le créateur de Beverly Hills 90210, Melrose Place ou encore Sex and the City débarque à Paris pour raconter les pérégrinations d’une Américaine soudainement envoyée dans la capitale française. Mais à l’instar des séries précédentes de son auteur, Emily in Paris a aligné les clichés, provoquant l’ire des Parisiens. Mais franchement, on ne va pas se le cacher : la série est plutôt rigolote à suivre grâce à son énergie débordante.
La série nous emmène dans la vie bien chargée d’Emily (incarnée par Lily Collins), fraîchement débarquée à Paris. L’Américaine a en effet été mutée par sa société de marketing basée à Chicago pour aller superviser la boîte Française spécialisée dans le luxe qu’elle vient d’acquérir. Mais l’Américaine ne peut pas éviter le choc des cultures, tant dans sa vie personnelle que professionnelle où sa cheffe Sylvie (jouée par Philippine Leroy-Beaulieu) lui fait vite comprendre qu’elle n’est pas la bienvenue.
Ô Ville Lumière
Pour peu que l’on fréquente les réseaux sociaux, il était difficile d’ignorer tout le bruit qu’a provoqué Emily in Paris. Influenceurs, journalistes ou simples spectateurs, tout le monde avait un mot à dire sur les clichés balancés par la série. Les Parisiens n’y semblent pas très amateurs de douches, ils ne sont pas aimables, ils se moquent de l’incapacité de l’héroïne à parler français, ils sont en retard au travail et ils sont tous infidèles. Je pourrais continuer la liste encore longtemps tant la série de Darren Star n’oublie absolument aucun cliché sur les Français et plus spécifiquement, les Parisiens. Mais on pourrait aussi parler de préjugés plus positifs qui y apparaissent : les Parisiens ont bon goût, ils sont romantiques et ils sont terriblement séduisants. En réalité, la série ressemble à la carte postale que pourrait dresser un touriste étranger passé par la capitale après avoir fait le tour des lieux touristiques, ou même celle d’un riche « expatrié » venu vivre son rêve d’une vie « à la française ». Faut-il s’en émouvoir ? Pas toujours. On remarque que ces clichés apparaissent essentiellement dans le premier épisode qui raconte, du point de vue de son héroïne, le choc des cultures vécu par une Américaine qui débarque dans une ville qu’elle ne connaît qu’au travers des publicités de produits de luxe. En se mettant à sa place, on comprend vite l’exagération de tous les détails qui peuvent la surprendre. On est face à une ville de Paris fantasmée certes, mais pas si éloignée de la réalité vécue par la catégorie sociale qu’elle aborde : celle qui est très aisée, hors sol, avec un appartement dans le cinquième arrondissement et qui passe ses soirées dans des restaurants inaccessibles ou dans un bar excessivement cher avec une vue imprenable sur la Tour Eiffel.
Il est donc évident que le Paris dépeint par la série ressemble plus à un rêve qu’à la réalité vécue par la plupart de ses habitants. A l’image du New York de Sex and the City, Emily in Paris pousse autant que possible dans l’exagération pour raconter le quotidien de personnes surprenantes, censées faire rêver avec des vies pleines de découvertes dans des lieux qui émerveillent par leur beauté. On peut s’interroger sur la pertinence de raconter le quotidien de quelques personnes qui ne brillent que par leur porte-monnaie, mais c’est la réalité qu’a choisie de raconter la série. Une œuvre qui tient essentiellement à la gentillette performance de Lily Collins qui incarne avec spontanéité un personnage qui peut être aussi attachant qu’insupportable. La série profite d’autant plus de son énergie qu’elle propose une intrigue rythmée et passionnante grâce au monde inaccessible qu’elle raconte, en donnant une vue, certes caricaturale, d’une profession qui envisage Paris sous un angle bien différent de celui que l’on connaît. La mise en scène est accrocheuse, mais on peut quand même pester contre une photographie lamentable qui peine à raconter Paris : certains environnements donnent l’impression d’être en carton-pâte alors que la série a été filmée intégralement à Paris. C’est dommage, car le concept de l’étrangère qui débarque à Paris était l’occasion de raconter une histoire au travers de la ville, plutôt que de s’en servir comme d’un simple décor à une intrigue dont l’identité parisienne se limite à quelques clichés. Mais pour cela il aurait fallu prendre le temps de se poser, d’observer et de réaliser ce qui fait Paris, plutôt que de se limiter à la brochure touristique que l’auteur a trouvé dans la chambre de son hôtel parisien. Tout n’est pas raté pour autant, puisqu’il y a suffisamment d’énergie dans cette histoire pour donner le sourire et inciter à passer à l’épisode suivant pour connaître la suite des histoires d’Emily.
Les privilégiés de Paris
Mais le plus gros point faible de la série à mon sens reste tout de même son incapacité à vivre avec son temps. On a beaucoup entendu parler des clichés, mais s’il faut chercher un problème essentiel à la série c’est son approche particulièrement désuète de la réalité, avec un rapport des plus douteux avec le concept de harcèlement sexuel au travail. Par exemple lorsque Emily reçoit de la lingerie d’un client qui tente de la séduire (comme la quasi-intégralité des hommes qu’elle croise), la série raconte l’évènement avec une certaine légèreté, présentant le client comme sympathique et séducteur plutôt que de rendre compte de l’inconséquence d’un tel acte dans le milieu professionnel. Cela donne vite l’impression que le showrunner Darren Star est resté très ancré dans les années 1990-2000, entre Beverly Hills et Sex and the City, à une époque où la télévision ne faisait malheureusement pas grand chose pour sortir d’un entre-soi qui ne profite qu’à une poignée de privilégiés. Ceci en refusant d’aborder frontalement des questions de société plus sérieuses, y compris ici dans le monde de la mode et du luxe qui a pourtant été frappé de plein fouet ces dernières années par de nombreuses révélations relatives aux agressions et au harcèlement. Cela sonne donc un peu faux de voir le personnage incarné par Lily Collins accepter un tel cadeau sans jamais le remettre en cause, comme si c’était un acte normal dans une ville qui semble pouvoir tout justifier. Et l’impression sur l’approche désuète de Darren Star est largement renforcée en jetant un œil à un casting qui n’a pas grand chose à faire non plus des questions d’inclusion et de représentation des minorités, confirmant une fois de plus que la posture de Netflix sur le sujet ne se vérifie pas dans les actes.
Cliché oui, exagérée toujours, mais scandaleuse pas vraiment : Emily in Paris se joue des idées reçues quitte à en abuser mais garde toujours une distance avec ses jugements sur la capitale, en observant constamment les situations dans les yeux d’Emily. On saisit vite l’intention de montrer la ville et ses habitants du point de vue d’une cadre américaine qui débarque dans un milieu terriblement privilégié. Ce n’est jamais vraiment fin, mais la série a le mérite de faire rire, de profiter d’un rythme soutenu et d’une belle dynamique autour de son héroïne qui déborde d’énergie. Sympathique, tout comme un ou deux de ses collègues, Lily Collins porte une série qui galère pourtant sur bien des sujets qui semblent plus importants que la question des clichés sur le temps de travail des Parisiens. Véritable point faible de la série, son rapport d’une autre époque avec le harcèlement sexuel et la représentation porte préjudice à sa manière d’aborder l’industrie du luxe, comme s’il n’y avait pas eu des dizaines de scandales ces dernières années. A trop vouloir idéaliser son monde Darren Star manque de recul sur des sujets qui sont aujourd’hui fondamentaux, y compris dans une comédie romantique, et même s’il est sans nul doute convaincu de ne pas faire partie du problème.
- La série Emily in Paris est disponible depuis le 2 octobre 2020 sur Netflix.