On a dit beaucoup de choses sur Max Payne au fil des années. Classique pour certain·es, mauvais souvenir qui a engendré un film avec Mark Wahlberg pour d’autres, sa sortie en 2001 a quoiqu’il en soit laissé une empreinte sur le jeu vidéo (mais pas au cinéma, certes). Pour son gameplay en particulier, avec l’arrivée du bullet-time dans les jeux vidéo alors que Matrix avait marqué toute une génération en salles, mais aussi pour son histoire, celle d’une vendetta qui cherche son inspiration du côté des polars les plus sombres. Un jeu à la mise en scène maline et à l’action trépidante. Mais que reste-t-il du premier grand succès de Remedy Entertainment (Control, Alan Wake) deux décennies plus tard, alors qu’un remake est toujours prévu ?
« 100 ans après » est une chronique rétro qui vous invite à découvrir des jeux vidéo qui ont marqué notre histoire de joueurs et de joueuses, pour le meilleur comme pour le pire, en les parcourant à nouveau à notre époque afin d’y apporter un regard neuf.
Une histoire comme les autres ?
L’aventure commence sur le toit d’un gratte ciel à New York, les sirènes de police retentissent, et quelque chose de grave semble avoir eu lieu. Max Payne est là, seul, et il nous dit qu’il s’agit du point final à une nuit en enfer. Une nuit qui commence en réalité trois ans plus tôt, alors que sa femme et son bébé sont assassinés sauvagement, Max, flic sous bons rapports, décide d’intégrer la DEA, la division de police spécialisée dans la chasse aux trafiquants de drogue, il est placé sous couverture afin d’infiltrer un gang soupçonné d’être à l’origine de tout, et trois ans plus tard, l’aventure débute réellement avec une nuit où il va enfin pouvoir mener sa vendetta contre ceux qu’il tient pour responsable du meurtre de sa famille. Poursuivi par la police pour un crime qu’il n’a pas commis, pris au piège par la pègre, il n’a plus rien à perdre et se lance corps et âme dans la violence, n’hésitant plus à frapper, à tuer, et laisser les balles pleuvoir dans les repères de mafieux sans foi ni loi. Très inspiré par le cinéma, qu’il s’agisse du polar noir ou du cinéma hongkongais, Max Payne apportait en 2001 une vision de l’action qui était finalement assez absente du jeu vidéo. Une action où l’histoire est prépondérante, reprenant les codes narratifs du cinéma, en jouant sur le modèle de l’antihéros qui n’a plus rien à perdre. Autant d’éléments très clichés dans le polar, qui n’étaient pas encore si fréquents côté vidéoludique, et qui a très largement inspiré d’autres studios de jeux vidéo par la suite pour imaginer leurs propres productions. En ce sens, le jeu de Remedy a marqué son époque, devenu source d’inspiration de bon nombre d’autres jeux, et conservant une image à part, celle d’un jeu qui osait et qui parvenait à nous embarquer dans un univers qui a marqué celles et ceux qui ont pu y jouer à l’époque.
Au cours d’une nuit qui semble sans fin (une dizaine d’heures de jeu, cela dit), l’antihéros traverse New York dans ce qu’il y a de plus poisseux, de son métro aux égouts, en passant par un bar et un hôtel miteux, ou un port mal fréquenté. Avec une histoire qui ne perd jamais son fil rouge, toujours alimenté par la soif de vengeance de Max, qui l’emmène tour à tour entre les mains de mafieux, d’une étonnante femme fatale, et de mercenaires. Certes, on pourrait lui reprocher quelques choix narratifs plus malheureux dans son troisième et dernier acte, et peut-être même aussi ses combats de boss (notamment le dernier) qui présentent assez peu d’intérêt. Mais c’est dans l’ensemble un jeu très bien équilibré, qui manipule avec justesse les codes du polar pour les ramener dans un univers vidéoludique qui, à l’époque, était une vraie surprise. Aujourd’hui, le jeu a un peu vieilli, la faute à des modèles 3D moins réussis que dans sa suite sortie deux ans plus tard (même si on ne se lasse jamais de la tête de Sam Lake, créateur du jeu, qui donne son visage à Max). Mais son histoire est intemporelle, et le plaisir de jeu reste intact.
La mise en scène au service de l’action
Quand Remedy Entertainment débarque en 2001 avec Max Payne, c’est la surprise. Encore assez jeune, du haut d’un seul jeu publié sur MS-DOS quelques années plus tôt (Death Rally), le studio ne s’est alors pas encore illustré pour sa capacité à mettre en scène une histoire trépidante et à raconter des choses au travers des images. Mais dès le premier chapitre de Max Payne, le studio pose les bases de ce qui va ensuite accompagner le studio tout au long de son existence, jusqu’à aujourd’hui. Le premier chapitre, en guise d’introduction, parvient à nous emmener immédiatement dans son univers : on nous parle d’abord du Valkyr, la drogue qui commence à s’installer dans les rues de New York, Max est présenté comme un flic modèle qui rêve d’une vie bien rangée avec sa femme et son enfant qui vient à peine de naître, et puis… Tout part en flammes. Dès la première scène de gameplay, on incarne un Max qui revient à la maison à la fin de sa journée de travail, pour trouver une maison bien vide et calme. La narration environnementale devient alors centrale et on découvre peu à peu ce qu’il s’est passé en arpentant les quelques pièces qui nous séparent de l’inévitable : des meubles renversés, un téléphone qui sonne et qui révèle un interlocuteur qui semble vouloir du mal à Max, une maison visiblement braquée, et puis, des cris. Ceux de la femme de Max, les pleurs de son enfant, et enfin des coups de feu. Sa femme et son bébé ont été sauvagement assassinés. En quelques minutes, ce premier chapitre dévoile toute la maîtrise du studio finlandais en racontant une scène très choquante au travers de l’environnement, des sons, et de la découverte de l’horreur dans les yeux d’un héros qui n’y était pas préparé.
Cette introduction tranche avec la suite du jeu, dont la mise en scène épouse pleinement la violence presque caricaturale qui puise son inspiration du côté du cinéma hongkongais, Max nomme d’ailleurs expressément Chow Yun-fat au détour d’un dialogue. Quand je parle d’une violence caricaturale, c’est celle des balles qui virevoltent, des sauts en bullet-time (dont Max Payne est le principal pionnier côté jeux vidéo) pour mieux en apprécier la gymnastique, un saut sur un train en marche ou encore la démesure des armes peu à peu mises à disposition, du simple flingue au lance-grenades pour assassiner des hordes de mafieux et de flics. En jouant sur les deux tableaux, son histoire dramatique et la folie de sa mise en scène, le titre apportait à l’époque un souffle nouveau dans le petit monde des jeux d’action un peu plan-plan qui avaient du mal à se renouveler. C’était une petite révolution, qui prouvait que le jeu de tir pouvait aussi raconter des choses, émouvoir, faire rire parfois (Max se révélant particulièrement sarcastique), en empruntant au cinéma sans manquer d’affirmer les codes du jeu vidéo, avec un titre fondamentalement « fun » à jouer, dont on pourrait parfaitement zapper l’histoire sans perdre de plaisir à dézinguer tout ce qui bouge en balançant nos meilleurs sauts en bullet-time.
Le jeu n’est en outre pas avare en ambiances marquantes, entre l’hôtel miteux où traînent camés et prostituées, un bar de mafieux appelé « Ragnarock » où drogue et metal se mélangent sur fond de délires satanistes, un niveau de cauchemar dans l’esprit de Max où le malaise règne en maître, comme un ersatz de ce que le studio fera plus tard que Alan Wake et Control. Ou encore un manoir où l’on pourchasse un mafieux, et son final, où il déchaîne tout ce qu’il a, sur le toit d’un gratte-ciel. Malgré l’apparente simplicité de leur histoire ; ce n’est qu’un récit de vendetta ; les créatifs·ves de Remedy se sont offert une aventure jamais lassante, toujours surprenante, comme si aucune limite ne s’imposait au studio. Pourtant, le jeu devait s’accommoder d’une technique à l’époque assez limitée, avec des niveaux toujours très linéaires, des espaces clos (à l’exception d’une poignée de séquences dans la rue) et des arènes très petites. Cela leur joue d’ailleurs des tours, car certains gunfights sont d’autant plus difficiles que la caméra peine à se faire une place dans certains couloirs, avec des ennemis qui en plus n’arrêtent pas de bouger. La difficulté est d’ailleurs assez importante, même dans le niveau de difficulté le plus bas, plus encore aujourd’hui après quinze années de jeux de tir à la troisième personne où l’on s’est habitué·es à se cacher bien au chaud derrière des murets et autres abris en attendant de trouver la bonne ouverture pour tuer nos ennemis. Mais en 2001 les choses étaient différentes. Pas de système de couverture, juste l’obligation de se déplacer constamment pour pratiquement « danser » entre les balles, utiliser le bullet-time pour obtenir l’ascendant, et surtout viser du mieux possible pour vite se défaire des hordes d’ennemis et éviter de se retrouver submergé·es.
L’élégance où l’on ne s’y attend pas
Mais ce serait dommage de vite passer les cutscenes, car la beauté de ces séquences narratives en simili-bande dessinée (en réalité, des photos prises au studio avec des filtres offrant un rendu BD) jouent un rôle prépondérant dans son ambiance si électrisante. Une poignée de cases de BD qui se déroulent sous nos yeux entre chaque chapitre, avec son lot de bulles aux dialogues ciselés, avec une belle galerie de personnages essentiellement centrée autour d’une pègre new-yorkaise dont les chefs sont parfois courageux, mais souvent aussi des lâches, une vue fondamentalement nihiliste sur des rues envahies d’une drogue qui fait perdre la tête à ses addicts. Et si ces séquences sont aussi réussies, c’est aussi parce que la direction d’acteur·ices est exemplaire, avec des voix qui collent parfaitement aux personnages. À commencer par celle de Max, incarné par James McCaffrey, qui nous a malheureusement quittés en 2023, et qui donnait un vrai ton au personnage. De tout ça ressort une élégance étonnante, pas vraiment en adéquation avec la noirceur d’un titre qui ne lésine pas sur l’hémoglobine, mais qui incarne plutôt bien une vendetta décrite comme inévitable dans un monde fondamentalement pourri.
Max Payne est un titre à deux faces. La première, elle est évidente, c’est un ténor de l’action, un jeu dont la violence apparente cache une inventivité formidable pour son époque avec un gameplay qui ne manque pas d’intelligence, où l’utilisation du ralenti (ou bullet-time) permet de naviguer entre les balles qui filent tout autour de notre personnage. Inspiré par le cinéma, le jeu sait aussi l’importance de l’image pour raconter ses idées et son aventure. Et c’est ce qui constitue son autre face, peut-être moins évidente quand on n’a jamais touché au jeu, mais pourtant fondamentale. C’est un côté plus narratif, autant par les cutscenes qui s’inspirent de la BD que par une narration environnementale intelligente, avec un monde qui raconte des choses, des décors que l’on se plait à traverser et qui racontent tous la lente descente aux enfers du personnage, en miroir d’une ville qui s’effondre. C’est pour ces raisons que, plus de vingt ans après, le plaisir est intact au moment de relancer le jeu. Un classique qui a considérablement influencé le jeu de tir à la troisième personnage, et qui posait les bases pour un studio qui a fini par se faire connaître pour ce doux équilibre entre l’action et la narration qui est au centre de chacune de leurs productions.
- Max Payne est sorti en 2001 sur PC, PS2 et Xbox. Le jeu est actuellement jouable sur PC via Steam, et un remake est toujours prévu sur la génération PS5 et Xbox Series X.