L’équipe de Pod’Culture.fr compte en son sein deux amateurs assumés de jeu de rôle japonais, ou JRPG pour les intimes. Notre cher Anthony F. vous l’a déjà montré, au travers de ses écrits sur Dragon Quest, Yakuza : Like a Dragon ou encore Atelier Ryza 2. J’ai aujourd’hui le plaisir de me présenter à mon tour sous ma plus belle casquette de weeb, pour vous parler de Ys IX – Monstrum Nox, dernier épisode en date d’une franchise à laquelle je n’avais jamais touché, suivant la geste de l’aventurier Adol Christin, et dont le premier épisode date tout de même de 1987.
Cette critique a été rédigée à partir d’une copie PS4 de Ys IX : Monstrum Nox fournie par Koch Media, le distributeur du jeu en France.
Adol Christin n’a vraiment pas de chance : A peine arrive-t-il dans la cité fortifiée de Balduq pour y prendre un peu de repos, que le voici emprisonné dans les geôles de sa forteresse. Parvenant à s’évader, il croise le chemin d’une mystérieuse femme qui lui fait don de pouvoirs d’origine inconnue. Transformé en Monstrum, il ne peut plus quitter la ville, et doit au surplus, avec ses confrères et consœurs, défendre la cité de Balduc contre les Larvas, entités démoniaques qui déchainent leur furie lors des nuits de Grimwald, moments suspendus dans le temps durant lesquels la lune brille d’un rouge de sang.
Qui est cette mystérieuse femme ? Qu’est-ce qu’un Monstrum ? Quelle est l’origine de la Nuit de Grimwald ? Pourquoi la prison-forteresse de Balduc est elle aussi suspecte ? Autant de questions qui vous occuperont durant la trentaine d’heures qui composent la quête principale du jeu, mais qui n’ont pas donné réponse à l’interrogation qui me taraude encore maintenant, même après avoir bouclé cette aventure : Est-ce que c’était bien Ys IX ?
Sans développer je serais obligé de vous faire la pire réponse de normand : C’est bien…et c’est pas bien. Dans l’intérêt commun, je m’en vais donc développer.
Au crépuscule d’une époque
Difficile d’ouvrir cette critique sans parler du choc des deux premières heures de jeu. Ayant pas mal vadrouillé entre les diverses sagas les plus connues du jeu de rôle japonais, je suis habitué au fait que ces licences, à part les porte-étendards que sont la saga Final Fantasy, ou plus récemment Persona 5 ou Yakuza, traînent derrière elles un retard technique, au mieux gentiment anachronique, au pire carrément problématique. La saga Ys n’a apparemment jamais brillé de ce côté là, mais il est important de savoir que pour son neuvième épisode canonique, l’esthétique évoque carrément le début de la génération PS3 voire la fin de la génération PS2 si elle avait été en haute définition. Au niveau de l’atmosphère et de la rigidité des contrôles, le jeu m’a beaucoup fait penser à Dark Chronicle. Un excellent RPG, mais sorti en 2003 sur Playstation 2… Une proposition clairement anachronique donc. Mais est-elle pour autant problématique ? À dire vrai pas franchement.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, comme s’il était conscient de son retard, le jeu nous propose très vite un panel d’options de mouvements intéressantes, qui rendent les déplacements beaucoup plus dynamiques que dans la majorité des JRPG, qui plus est en nous permettant de profiter d’une verticalité certaine dans le level design, élément là aussi très rare dans ce genre de jeux. Un certain rythme commence ainsi à se développer, et finalement, les seuls moments ou la technique impacte clairement l’expérience de jeu seront ceux ou l’exploration des niveaux passe par des séquences de plate-forme. Mais j’y reviendrai.
Car si le début d’YS IX fait un peu peur, il intrigue également beaucoup. On nous présente un univers a priori en huis clos, où la seule cité de Balduq constituera le théâtre de nos aventures, comme on nous montre tous les personnages jouables dès la première heure de jeu, allant à l’encontre d’un des poncifs les plus courants du déroulement d’un JRPG. Tant est si bien qu’on ne sait plus bien si le jeu est bloqué dans le passé, ou au contraire bien conscient de son héritage et essaye de le dépasser. Et ce sentiment qui m’a saisi dès le départ ne m’a plus jamais quitté.
L’efficacité avant tout
Le chapitre introductif terminé laisse la place aux prémisses de la boucle de gameplay du jeu : Il nous faut récupérer de l’énergie de Nox, qui nous permettra d’accéder à d’autres zones de la ville, pour cela il faut réaliser des quêtes annexes. Le quota nécessaire d’énergie Nox atteint, on affronte une nuit de Grimwald, dont l’issue est l’ouverture d’un des murs qui restreignaient nos mouvements. Une fois la nouvelle zone accessible, l’histoire prend le pas et nous pousse à explorer cette dernière, tout en découvrant l’histoire d’un des autres héros de l’équipe. Ces investigations nous amènent jusqu’à un donjon, dont l’exploration nous conduira à un gros boss. Conclusion, fin du chapitre, répétez huit fois, et c’est la fin. Merci d’avoir joué.
En lisant ce paragraphe, vous avez peut-être (légitimement) pensé que je reproche au jeu sa structure répétitive. Mais curieusement il n’en est rien. Car cette structure est certes réutilisée selon le même schéma pendant tout le jeu, mais elle l’est avant tout parce qu’elle est diablement efficace. Elle nous permet d’aborder les événements de manière fluide, en renouvelant régulièrement les objectifs. Permettant d’apprécier un scénario qui, même s’il n’a rien de transcendant, fait le travail, gérant avec attention le mystère jusqu’aux révélations finales. Qui plus est la régularité quasi mécanique avec laquelle ce cycle revient hypnotise et nous place dans une zone de confort qui, à défaut de rendre le jeu révolutionnaire, crée un cocon agréable dans lequel il est doux d’évoluer.
Un cocon au demeurant peuplé de personnages très attachants, bien qu’un brin archétypaux, tant du côté des membres de l’équipe que des personnages secondaires, dont le niveau d’amitié influencera l’importance de leur soutien lors des nuits de Grimwald. Personne n’est laissé de côté : chaque héros voit son caractère évoluer et son histoire être développée avec soin, tandis que chaque compagnon secondaire est rendu assez vivant pour qu’on ait plaisir à le retrouver entre chaque chapitre, et c’est probablement l’un des plus grands points forts du jeu. En effet ce n’est pas la cité de Balduq qui va nous faire voyager, avec ses murs de pierre grise omniprésents, qui viennent nous saper le moral à chaque retour dans la prison, qui est, vous l’aurez compris, l’un des éléments centraux du scenario.
Le nerf de la guerre
Heureusement le système de combat vient à son tour en renfort pour ajouter du piment à ce tableau monochrome. Sur ce plan Ys IX joue pleinement la carte de l’Action-RPG et propose un système de combat nerveux et dont le rythme repose sur l’observation et les réflexes. Le joueur contrôle une équipe allant jusqu’à trois personnages, et peut changer celui qu’il contrôle à la volée, à la simple pression d’une touche de la manette. Un système ultra-permissif qui permet non seulement d’adapter le personnage joué à la situation (Par exemple privilégier un personnage spécialisé dans les attaques à large portée lorsque le terrain est rempli de monstres), mais aussi de jouer sur les trois types d’attaques que propose le jeu : Tranchant, Perforant et Contondant. Chacune efficace ou inefficace contre un certain type d’ennemi. Ce qui peut pousser a privilégier une composition équilibrée histoire de ne pas se retrouver démuni, ou a l’inverse de volontairement retirer un type d’attaquant de son équipe pour bénéficier d’un bonus de dégâts attribué en échange de ce sacrifice.
Chaque personnage possède divers coups spéciaux, chacun avec ses propriétés. À la manière de ce que proposerait un épisode de la série Tales Of, on sélectionne quatre coups spéciaux parmi ceux qui siéront le plus à notre style de jeu, et l’on apprend à jouer avec et autour de ces capacités, en gardant à l’esprit que plus on les utilise, plus celles-ci gagneront de l’expérience et monteront de niveau.
Enfin le noyau de ce système de combat repose à mon avis sur les mécaniques d’esquive et de « just guard » qui nous octroient un bullet time ou des bonus offensifs si le joueur presse la touche d’esquive ou de garde juste avant d’être touché. Sur un champ de bataille surchargé de monstres, réussir une esquive parfaite donne de l’air et permet de reprendre son souffle au cœur du combat, tandis qu’une perfect guard assure un boost de dégâts considérable, de nature à faire pencher la balance en faveur du joueur en l’espace d’un instant.
Grace à ces différentes composantes, on obtient un système de combat particulièrement instinctif, presque viscéral. Aux antipodes de la dimension stratégique d’un RPG au tour par tour. D’un côté cela permet d’entretenir une certaine frénésie durant les combats. De l’autre cela implique un certain manque de profondeur de par le faible nombre de paramètres entrant en ligne de compte. Il est en tout cas certain qu’il s’en dégage une efficacité et une fluidité diaboliques, qui nous absorbent sans problème dans le flow du jeu, combat après combat. Ceci d’autant que le système de progression et d’équipement des personnages est assez simplifié. Limitant le nombre d’équipement à quatre (une arme, une armure et deux accessoires), et l’évolution des personnage à leur niveau principal et à celui de leurs capacités. Un choix qui permet de se mettre à niveau et à suivre l’histoire sans forcément se prendre la tête, même si j’imagine que les niveaux de difficultés les plus élevés (on en compte tout de même six !) permettront aux joueurs les plus hardcore de bénéficier d’un challenge à la hauteur de leurs ambitions.
Une nuit douce, mais sans étoiles
Ainsi armés, on est prêts à arpenter tous les recoins de la cité de Balduq, dont la vie vient surtout de son architecture et de ses thèmes musicaux, qui viennent apporter une ambiance différente à chacun de ses quartiers. Néanmoins c’est lorsque le déroulement des évènements nous invite à pénétrer dans un donjon que le jeu révèle son second point fort à mes yeux. Je reviens sur la verticalité du level design dont je parlais plus haut, car c’est en grande partie ce qui rend ces séquences mémorables. Les différentes options de mouvement à notre disposition, ainsi que l’agencement de ces repaires à monstres rendent le tout très agréable à parcourir. Le tout également magnifié par les compositions musicales, percutantes et héroïques de la Falcom Sound Team jdk, qui n’ont par moments rien à envier au travail d’un Motoi Sakuraba en grande forme. Il n’est pas superflu de s’arrêter un moment sur les combats de boss en eux-mêmes. Souvent titanesques, les ennemis venant annoncer la fin d’un chapitre permettent, à défaut d’être vraiment marquants au niveau de leur design, de goûter régulièrement à l’exaltation de se sentir comme David triomphant de Goliath.
Seul point venant ternir le tableau (si l’on met de côté l’atmosphère des différents donjons, que j’ai trouvée terriblement oubliable) : les quelques séquences de plate-formes que le jeu essaye de distiller dans le but d’aller récupérer un coffre ou de découvrir un chemin caché. Celles-ci mettent cruellement en lumière l’imprécision des contrôles et surtout de la gestion des sauts, qui m’ont fait maintes fois passer à côté de plates-formes qui étaient pourtant en face de moi. Ce n’est certes pas ce qu’on attend en premier lieu d’un JRPG, mais il est vraiment étonnant de remarquer d’un côté des choix clairement faits en faveur de la fluidité des déplacements, et de l’autre de constater des échecs dans le gameplay qui, bien qu’anecdotiques, handicapent significativement quelques instants de jeu.
Et c’est bien là toute la contradiction face à laquelle me met Ys IX. À une exception près, tout est agréable, tout coule de source. Mais en même temps rien n’est vraiment neuf, ni particulièrement marquant. On connait la chanson, et rien ne vient surprendre un habitué des JRPG, alors qu’il faut justement avoir roulé sa bosse dans quantité de titres du genre pour se rendre compte du niveau de perfectionnement acquis au fil des années par le studio Nihon Falcom, pour proposer un produit fini qui se tient à ce point de A à Z. Ceci sans doute au détriment d’une véritable prise de risques qui aurait peut-être pu faire sortir le jeu de son confortable statut de jeu de niche.
Et alors que l’aube se lève, je suis entre deux chaises comme rarement je l’ai été. J’ai indéniablement aimé YS IX, saluant pendant trois dizaines d’heures son efficacité et la maîtrise de sa formule, qui font du jeu une expérience agréable à parcourir. Mais je l’ai aimé comme on aime un produit auquel on est habitué, et auquel on revient plus par habitude que par véritable intérêt : L’aspect n’a pas changé depuis plus d’une décennie, le goût non plus, du coup on ne peut pas vraiment se tromper, mais pas s’émerveiller non plus.
Est-ce que c’est mal ? Je ne crois pas. Est-ce que c’est dommage d’avoir manqué d’ambition ? Je le pense. Mais, ce n’est que mon avis, et je n’ai pas ressenti que la démarche de Nihon Falcom ait été de révolutionner quoi que ce soit. Ainsi, du moment que l’on sait pour quoi on signe, on pourra toujours profiter d’Ys IX pour savourer une garniture très classique sur une pâte qui retient minutieusement chaque ingrédient à sa place.
- Ys IX : Monstrum Nox est sorti le 5 février 2021 sur PlayStation 4 et est prévu sur Nintendo Switch et PC pour l’été 2021