Une heure-lumière | Voyage à travers l’imaginaire

by Hauntya

« Une heure-lumière, c’est la distance que parcourt un photon dans le vide en 3600 secondes, soit plus d’un milliard de kilomètres. Une distance supérieure à celle séparant Jupiter du Soleil. Ce qui nous emmène déjà très loin… » (Présentation de la collection Une heure-lumière sur le site du Bélial).

Pour une fois, je ne vais pas vous faire découvrir un livre en particulier, mais une collection : Une heure-lumière chez Le Bélial’. Les fans des genres de l’imaginaire la connaissent probablement, mais pour moi, ce fut une véritable découverte quand j’en ai tourné les premières pages en 2019. A cette époque, je ne lisais plus vraiment de science-fiction, m’étant un peu détournée d’un genre avec lequel je pensais n’avoir que peu d’atomes crochus. Et ça a été la révélation : j’ai (re)découvert à quel point la science-fiction possédait des facettes variées, pouvait traiter de nombreux sujets tout en gardant une profonde émotion, et même redonner de sacrées claques à la lecture. Le tout avec des livres qui peuvent se dévorer en une heure.

Une heure-lumière m’a donc refait aimer la science-fiction. Son concept : une collection qui publie environ six titres par an, souvent auréolés de prix, par des auteurs français aussi bien qu’étrangers, entre 100 et 200 pages, et explorant toutes les nuances de l’imaginaire. Cyberpunk, fantastique, lovacrafteries, hard SF, fantasy… on y trouve de tout, par des plumes très différentes, servies par les magnifiques couvertures d’Aurélien Police qui donne une identité unique à la collection. Et si je vous en parle, c’est parce que je suis persuadée que bien des ouvrages publiés chez Une heure-lumière plairont à ceux déjà convaincus par la SFFF (science-fiction, fantasy et fantastique) mais peuvent aussi permettre de découvrir ces genres à des personnes qui n’y connaissent rien, qui ont des préjugés ou qui sont simplement curieuses de s’y frotter. Embarquons donc chez Une heure-lumière et toutes ses possibilités !

Attention, cette présentation ne prend en compte que les titres que j’ai lus – pas tous donc – et reflètent d’un avis purement subjectif selon mes goûts personnels. Vous trouverez peut-être votre bonheur avec un Une heure-lumière qui m’est tombé des mains !

Le choc de la découverte

© Une heure-lumière, collection chez Le Bélial’ – Aurélien Police

Ma première rencontre avec Une heure-lumière a eu lieu avec deux titres chaudement recommandés sur divers blogs spécialisés en littérature de l’imaginaire – auquel je me permets cependant d’en rajouter un troisième !

L’homme qui mit fin à l’histoire de Ken Liu

S’il ne fallait en lire qu’un de la collection, ce serait peut-être celui-là ! L’auteur nous entraîne dans la science-fiction avec une machine à remonter le temps, inventée par deux scientifiques. Une machine qui permet de remonter une fois seulement à une temporalité précise, avant que celle-ci ne s’efface. Ils s’en servent alors pour essayer de démontrer l’horreur de l’Unité 731, véritable camp historique au Japon lors de la Seconde Guerre Mondiale, où on a torturé et expérimenté sur de nombreuses personnes. Une docu-fiction sur un fait historique qui n’a été reconnu qu’en 2002 par l’État Japonais, d’autant que l’Unité 731 se situe désormais en Chine. Un vrai choc que cette novella-ci, très dure, mais qui est également une brillante démonstration de l’importance du devoir de mémoire.

Les meurtres et La survie de Molly Southbourne

Dans une toute autre ambiance, mon second livre de Une heure-lumière fut Les meurtres de Molly Southbourne. Sorte de relecture des thématiques du Double et de Frankenstein, la novella nous fait découvrir Molly, une jeune fille qui, dès l’enfance, voit la moindre goutte de son sang versé donner naissance à un double agressif d’elle-même. Alors, il faut les tuer, encore et encore. Un récit à la fois sanglant et fantastique, tout en offrant à voir le parcours d’une héroïne atypique, qui devient scientifique pour essayer de s’expliquer elle-même, et qui a en texte sous-jacent la crainte de son propre corps, la violence qu’on peut exercer contre sa propre chair… L’auteur garde son style limpide et cinématographique avec la suite, La survie de Molly Southbourne, qui réussit à complètement retourner tout ce qu’on avait appris dans le premier tome. Au point qu’on pourrait même le lire de façon indépendante !

Ceux qui mettent une claque au lecteur

© Une heure-lumière, collection chez Le Bélial’ – Aurélien Police

Si L’homme qui mit fin à l’Histoire fait certainement partie des livres qui font réfléchir le lecteur après plusieurs jours, ce n’est pas le seul. Dragon de Thomas Day nous entraîne dans une Thaïlande terriblement réaliste et crue, où on sent littéralement au fil des pages la noirceur, la moisissure et la saleté de ces quartiers où se trafique la pédophilie dans l’ombre. Jusqu’au jour où un mystérieux dragon semble tuer les responsables de ces réseaux, amenant le narrateur à enquêter…

Vigilance de Robert Jackson Bennett immerge dans un récit aux enjeux a priori connus : la légalisation des armes aux Etats-Unis et la récurrence des tueries de masse, ont entraîné la naissance d’un immense jeu de télé-réalité, se passant dans un secteur précis, où n’importe qui peut être pris à part dans une fusillade de masse. La publicité et les médias fournissent généreusement de l’argent aux familles des victimes, et le gagnant parmi les tueurs remporte le gros lot – quoique les personnes présentes dans le secteur peuvent aussi éliminer les tueurs. Une vision dystopique à l’atmosphère glaçante et violente, qui là encore fait bien réfléchir à un futur qui s’est créé non seulement sur la peur de l’autre, mais aussi grâce à une communication massive des médias et réseaux sociaux.

Des univers familiers

Quelques-un des titres de Une heure-lumière seront également familiers et plus abordables par ceux et celles connaissant déjà les genres de l’imaginaire. Une nouvelle traduction de La Chose de John W. Campbell (le texte ayant donc inspiré le célèbre film The Thing de Carpenter) permet ainsi de découvrir l’inspiration première d’un mythe du cinéma. Une base scientifique et militaire isolée au milieu de l’Antarctique, où une créature venue d’ailleurs va semer la mort, prenant les apparences des uns et des autres. Et si le texte a une couche scientifique très perceptible, il n’a pas vieilli d’une ride au niveau de son action et de son ambiance, 70 ans après !

Pour ceux et celles qui aiment l’univers de H.P. Lovecraft, deux novellas y sont directement liées : Les agents de Dreamland de Caitlin R. Kiernan et La Ballade de Black Tom de Victor LaValle. Je ne saurais, malheureusement, vous en glisser quelques mots sans être mauvaise langue, car le monde créé par Lovecraft m’est inconnu et je n’ai donc guère compris ces deux histoires intertextuelles avec son œuvre !

Ceux qui me sont tombés des mains

Puisqu’une collection ne peut être parfaite – ou plutôt, parce qu’on a tous et toutes des goûts et des couleurs – quelques titres de Une heure-lumière ne m’ont pas laissé de souvenirs de lectures très vivaces, et je ne les recommande pas forcément pour une première découverte.

Le Choix de Paul J. McLauley est pourtant une belle histoire d’amitié entre deux adolescents, dans un monde où a eu lieu plusieurs catastrophes écologiques. Un Dragon tombe alors du ciel, et les deux ados décident d’aller observer la créature extraterrestre, ce qui entraînera la séparation de leurs chemins… mais hors cela, il ne m’est resté pas grand-chose de cette histoire s’appuyant sur le contact extraterrestre.

Le Nexus du Docteur Erdmann (Nancy Kress) nous présente Henry Erdmann, un physicien de génie qui vit désormais dans une maison de retraite suite à son âge avancé. Il se résigne à la fin, attendant la mort comme les autres pensionnaires de l’endroit, quand une douleur insupportable vrille son cerveau… reliant son esprit à ceux des autres occupants de l’endroit. Là encore, une intrigue qui ne m’a guère passionnée, mais qui plaira peut-être à d’autres !

De la SF pure et dure

© Une heure-lumière, collection chez Le Bélial’ – Aurélien Police

Si vous êtes plutôt amateur ou amatrice de science-fiction pure et dure, alors c’est peut-être vers ceux-là qu’il faudra vous tourner ! Le regard de Ken Liu est toujours servi par l’écriture magistrale de l’auteur malgré une intrigue un peu convenue : dans un futur très cyberpunk, une enquêtrice traque l’assassin de plusieurs prostituées, à qui on a pris le soin de voler les yeux. Mais si l’héroïne est aussi bonne enquêtrice, c’est aussi parce que son appareil Régulateur gère et canalise ses émotions, pour la rendre efficace sur le terrain et la mener aux choix les plus justes… Une nouvelle qui reprend les codes du polar avec efficacité et un brin d’émotion jusqu’à la toute fin.

Avec Cookie Monster de Vernor Vinge, on plonge dans le quotidien d’une employée d’un géant high-tech, LotsaTech, qui décroche un job au service clients… où elle reçoit des étranges mails d’une personne inconnue. Sa curiosité la mène à découvrir le revers de la société informatique, proposant un retournement vertigineux au cours de l’histoire, et qui a de quoi alimenter la stupéfaction à la lecture, au risque de s’y perdre un peu.

L’enfance attribuée (David Marusek), on est dans un univers extrêmement bien construit, avec un système solaire colonisé absolument partout, où la population dispose d’un traitement anti-vieillissement, devenant immortelle… à part pour les rebuts de la société qu’on veut mettre à l’écart. Un monde où on se télé-hologramme où l’on veut, où on sait beaucoup les uns sur les autres avant même de faire une rencontre, et où peu de couples reçoivent la permission de concevoir un enfant. Un bouleversement pour le couple du roman, à qui il faut réapprendre un instinct maternel et paternel, et qui n’est pas sans éveiller des jalousies. Une intrigue là encore assez vertigineuse, emplie de réflexions sur la parentalité, l’immortalité, l’omniprésence des intelligences artificielles.

« Atmosphère, atmosphère… »

© Une heure-lumière, collection chez Le Bélial’ – Aurélien Police

Et si votre style, c’est plutôt les ambiances qui s’installent page après page, les atmosphères mystérieuses et flirtant avec le fantastique, alors tournez-vous vers Un pont sur la brume de Kij Johnson. Une immense brume, remplie de monstres géants, a toujours séparé l’Empire en deux : on confie à l’architecte renommé Kit Meinem d’Atyar de construire un pont pour enfin relier le territoire et notamment les deux villes de chaque côté de la brume. Mais construire ce pont, c’est voir disparaître les deux petites villes traditionnelles avec leurs coutumes, c’est perturber un équilibre sociétal depuis longtemps établi, c’est faire abandonner les anciennes habitudes pour en créer de nouvelles, plus modernes, plus pratiques, mais oublieuses du passé… Une nouvelle mémorable par son atmosphère, sa subtilité et par ce qu’elle donne à voir de l’évolution d’une société, d’une ville, de ses habitants, par la construction d’un pont considéré comme salvateur, et qui va pourtant entraîner bien des changements.

Plus troublant avec sa narration à la deuxième personne du singulier, Abimagique de Lucius Shepard pourrait tout avoir d’un trip hallucinogène. Le narrateur rencontre Abimagique, une jeune femme au style gothique et aux pratiques New Age : une noirceur qui dissimule aussi une sensualité et un sens maternel troublants. Et quand Abimagique prétend vouloir sauver le monde et la nature, n’annonce-t-elle pas au contraire la venue de quelque chose de bien plus terrible ? Détonnant avec sa narration inhabituelle mais parfaitement maîtrisée, Abimagique regorge aussi de retournements de situations, flirte entre fantastique et réel, quotidien et sensualité, formant un texte bien à part dans la collection.

Retournons du côté de Ken Liu avec Toutes les saveurs : il nous embarque à l’époque de la Conquête de l’Ouest, en Amérique, alors que les Américains se méfient profondément des Chinois venus également s’installer. Malgré l’hostilité affichée entre les deux communautés, une jeune fille va passer outre les préjugés pour se rapprocher d’un Chinois, découvrir leur cuisine, ainsi que leurs mythes et légendes… Ken Liu a toujours cette façon bien à lui de mêler l’Histoire au fantastique sans en avoir l’air, tout en parlant des relations entre les gens, de la découverte de l’autre, de l’importance d’une culture à laquelle se rattacher.

Conclusion

Avec cet aperçu de la collection Une heure-lumière, j’espère vous avoir donné l’envie de découvrir au moins l’un de ces livres. Et, qui sait, si vous n’êtes pas adepte du genre, vous avoir persuadé de donner une chance aux littératures de l’imaginaire qui peuvent nous plonger dans des univers très différents. Ce qui n’est pas incompatible avec une réflexion sur le monde qui nous entoure et la présence de personnages parfois poignants – même en ne les côtoyant que pendant une centaine de pages !

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