Stellar Blade | Les intentions derrière l’image

by Anthony F.

Annoncé en 2019 dans une bande-annonce mystérieuse sous le titre provisoire Project EVE, qui dévoilait les intentions d’un projet encore bien loin de son résultat final, le jeu Stellar Blade était finalement revenu un an plus tard et révélait à cette occasion un partenariat avec Sony Interactive Entertainment. Source de curiosité car développé par un studio coréen, Shift Up, plutôt habitué au mobile, le jeu a suscité une certaine attente. Quatre ans plus tard, le jeu est enfin là, et sa sortie ne s’est pas faite sans heurts. Source d’une polémique autour de la sexualisation de son héroïne, on se demandait si malgré tout, quelque chose de plus intéressant se cachait dans le jeu, derrière le choix un peu facile de vendre un titre essentiellement pour la plastique de son personnage. On a donc mis la main dessus suite à la sortie du jeu le 26 avril 2024 en exclusivité sur PlayStation 5, et il y a beaucoup de choses à en dire.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un code du jeu par l’éditeur. L’aventure ainsi que la plupart des quêtes secondaires ont été terminées en une vingtaine d’heures.

Théories de l’évolution

© 2024 Shift Up. All rights reserved.

Les débuts de Stellar Blade sont énigmatiques. Une guerre, une ville en ruines, l’arrivée soudaine d’une capsule venue de l’espace de laquelle sort l’héroïne, sorte d’androïde. On n’en saura pas plus avant un bout de temps, si ce n’est qu’il y a des « naytibas » qui semblent en vouloir à l’humanité et qui ressemblent à des extraterrestres. Notre héroïne a été créée dans le cadre du Projet EVE, membre d’un escadron attendu sur Terre pour chasser l’oppresseur. Débutant comme bon nombre de récits de science-fiction, le jeu ne brille pas par son originalité. Très rapidement, on voit le jeu aller chercher son inspiration du côté de NieR: Automata. Sans spoiler de manière éhontée sur le jeu, ces éléments étant dévoilés assez rapidement, on sent que le jeu tente maladroitement d’interroger l’être humain, le sens d’une guerre livrée à une espèce inconnue, et les comportements immoraux dans le cadre de la survie d’une espèce. On trouve ces interrogations très tôt dans les collectibles laissés sur de nombreux corps sans vie jonchant d’anciens champs de bataille, mais aussi dans le cadre de quêtes secondaires dont l’intérêt narratif varie énormément d’une quête à l’autre. Si le jeu est avare en explications sur son monde dans le cadre de l’aventure principale jusqu’à son dernier tiers où tout se décante, il ne manque pas de livrer beaucoup d’informations sur son lore en guise de récompense de l’exploration, en allant chercher dans tous les recoins d’éventuels bouts d’explications sur ce qu’il a pu se passer sur Terre avant que EVE n’y arrive. Heureusement la quête principale retrouve un peu d’intérêt sur son dernier tiers, dès lors que les premières révélations (que l’on sent quand même venir de loin) arrivent enfin, et que l’héroïne commence enfin à prendre à son compte l’histoire des gens qui l’entourent. Parce qu’avant ça, elle est le plus souvent une coquille vide, jouant juste son rôle d’androïde programmé pour sauver l’humanité. Pas inintéressante à partir de là, l’histoire gagne soudainement en pertinence, mais cela arrive bien trop tard pour gommer les nombreuses heures passées à enchaîner les missions sans véritable motivation.

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L’intérêt des éléments narratifs retrouvés sur des corps sans vie n’est pas toujours évident, d’autant que le jeu se rate complètement sur sa narration environnementale, se contentant le plus souvent de disposer des corps au hasard dans les différentes zones pour qu’on y cherche un texte quelconque laissé par un soldat ou un civil avant sa mort. Les décors quant à eux racontent assez peu de choses, à l’exception d’une poignée de zones, la faute à des couloirs qui se ressemblent un peu tous, et des maps semi-ouvertes qui n’ont pour fonction que de nous faire courir d’une quête secondaire à l’autre. Dans la forme, le jeu mélange une structure entre des zones fermées, faites de couloirs, qui sont souvent les plus intéressantes, et zones plus ouvertes. Les zones fermées relèvent de la quête principale et permettent d’explorer souvent de nouveaux endroits, tout en faisant avancer une histoire qui met beaucoup de temps à se lancer. Et à côté, deux zones plus ouvertes, de grandes maps à l’intérêt visuel très limité, où se déroulent la plupart des quêtes secondaires. Des quêtes quasiment indispensables pour faire progresser au mieux notre personnage, mais aussi pour obtenir l’unique récompense véritable du jeu : les nombreux costumes pour personnaliser EVE. Pour le reste, l’exploration de ces zones se fait à pieds, en affrontant des montres peu diversifiés sur le chemin, et dans des quêtes qui, à l’exception peut-être d’une ou deux, consistent simplement à aller d’un point A à un point B pour récupérer un objet, tuer un monstre ou rencontrer un personnage secondaire. Autant dire que l’intérêt est relatif, mais cela permet dans de rares quêtes de pouvoir en apprendre un peu plus sur les survivants d’une grande guerre souvent évoquée par le jeu, sur la vie après la destruction du monde, et sur les raisons qui font que ces gens sont toujours sur Terre alors qu’une partie de l’humanité semble être partie dans l’espace dans ce qui est appelé « la colonie ». Et c’est le strict minimum pour compenser des personnages principaux assez vides malgré quelques bonnes choses, bien trop rares pour qu’on se souvienne encore de EVE et ses compagnons dans quelques temps. Au moins, les personnages sont plutôt bien incarnés avec des voix coréennes qui font un bon travail.

Ruines grisâtres

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La structure du jeu pèche ainsi par un excès d’envie, comme s’il était indispensable d’y inclure un certain nombre de choses pour que le studio, Shift Up, peu habitué aux AAA, prouve qu’il en est capable. On alterne alors d’abord sur des séquences en couloir où la mise en scène se veut plus grandiloquente, avec son lot de situations désespérées où l’on se rattrape sur le fil (comme la chute du train, empruntée à Uncharted 2). Et puis on passe à des zones ouvertes, où l’exploration est plutôt rémunératrice en ressources et costumes supplémentaires, mais où tout se ressemble un peu trop. Surtout que l’on reste cantonné à une zone assez limitée de la planète Terre, dans une ville non identifiée et ses abords, entre canyon et désert. Les enseignes visibles sur les immeubles en ruines font penser à du cyrillique, mais l’environnement très désert, bourré de sable, avec d’occasionnels palmiers, évoque aussi plutôt des pays du sud. Dans l’ensemble le jeu tombe dans l’écueil d’un monde trop gris, au prétexte qu’on est dans un univers post-apocalyptique. Et ce même en intérieur, dans certaines zones pourtant relativement épargnées par la destruction, qui n’en reste pas moins grises. À certains égards Stellar Blade me rappelle de nombreux jeux, depuis oubliés, de la génération PS360. Des jeux d’action qui étaient tous très ternes, tentant péniblement de raccrocher les wagons des leaders du genre en reprenant des mécaniques connues et des décors similaires mais sans inspiration. Difficile, en prime, de passer outre le sujet qui a affolé les débats avant la sortie du jeu : la sexualisation de l’héroïne.

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La démo sortie quelques semaines avant le jeu laissait malgré tout entrevoir qu’il pouvait exister un jeu derrière la plastique de EVE et la mise en scène attrape chaland par un studio qui ne s’est pas gêné de faire sa communication là-dessus. Et le jeu peine à remettre cela en cause, en atteste le cynisme autour des personnages masculins dont on ne voit étrangement aucun bout de peau (à part un seul moment précis du jeu), tandis que l’intégralité des personnages féminins dévoilent leur peau et leurs formes dans des tenues à la praticité certainement relative. Et ça en devient presque un gag tant Stellar Blade insiste lourdement là-dessus, avec des costumes tous plus sexy les uns que les autres en guise de seules véritables récompenses à aller chercher. Mais aussi la multiplication des plans de caméra serrés sur les formes avantageuses de EVE, qui existent non seulement dans les scènes cinématiques, mais aussi à chaque « finisher » contre les monstres. Les costumes, eux, offrent soit des combinaisons ultra moulantes, soit des jupes et robes extrêmement courtes qui dévoilent la petite culotte de l’héroïne dès qu’elle se met à courir. Même à l’échelle des titres qui ont joué sur la plastique de leur héroïne (pour de bonnes ou mauvaises raisons) et qui ont été souvent cités en exemple dans cette polémique, comme NieR: Automata et Bayonetta, il faut bien admettre que Stellar Blade fait bien pire sur le sujet. Est-ce que cela fait du titre de Shift Up un mauvais jeu ? Pas de manière absolue, ce point dépendant beaucoup des sensibilités et des attentes de chacun·e sur le sujet de la sexualisation des corps féminins dans le jeu vidéo. Mais même pour moi, qui ai tenté de ne pas condamner le titre à l’avance sur ce sujet, j’ai très rapidement fini par me lasser du déblocage de costumes assez grotesques et de plans de caméra qui frôlent souvent le ridicule. Ce qui est d’autant plus dommage que, occasionnellement, quand le titre se souvient qu’il peut être autre chose, la mise en scène se permet de très belles choses.

Limites d’une androïde

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Il y a, tout de même, des intentions intéressantes sur un point central du jeu : son système de combat. En bon jeu d’action, Stellar Blade multiplie les affrontements contre les « naytibas » dont les bonnes idées sont rapidement identifiées. À commencer par le choix de focaliser l’ensemble sur la gestion de la parade, qui, au premier abord, est assez surprenant. À cause d’un rythme de combat plus lent qu’attendu, il faut prendre le temps d’entrer dedans pour pouvoir opposer résistance à des ennemis qui, au début du jeu, tapent sacrément fort. Alors les combats se jouent essentiellement à la parade, attendant les coups de l’adversaire pour faire baisser son nombre de points de bouclier jusqu’à ce que, réduit à zéro, on puisse déclencher un « châtiment » qui consiste en un coup décisif, mis en scène avec de savants plans de caméra sur le corps de l’héroïne, alors qu’elle tourne autour de l’ennemi pour (souvent) le trancher en deux. Maîtriser cette parade est indispensable, y compris en mode de difficulté histoire (où le timing de parade est facilité par un ralentissement) pour survivre au jeu. Évidemment les choses sont facilitées par la suite avec le déblocage de compétences qui augmentent la puissance des pouvoirs et la rapidité avec laquelle ils se régénèrent (grâce à une barre d’énergie « bêta » qui permet de les déclencher), mais aussi en équipant quelques objets qui apportent des bonus passifs. Alors, dans la première moitié du jeu il faut bien admettre que ces équipements ont un impact tout relatif, mais dès lors qu’il est enfin possible d’en équiper plusieurs ensemble (jusqu’à quatre), on sent enfin un certain renforcement de l’héroïne et de sa capacité à se défaire des ennemis les plus basiques sans grand risque. Cela reste dans l’ensemble un jeu qui peut offrir quelques difficultés, notamment quand les ennemis attaquent en groupe, mais aussi parce que certains éléments de gameplay apparaissent comme de fausses bonnes idées dont il faut vite se séparer. Comme l’esquive, rarement utile, sauf sur certaines attaques mises en évidence.

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Les combats manquent de punch dans l’ensemble, la faute à son rythme lent. Mais ils peuvent être sacrément satisfaisants, notamment contre les boss où la prise de risque est souvent rémunératrice, dès lors que l’on a appris les patterns qui permettent de réaliser les bonnes parades au bon moment. Surtout que certains boss s’offrent un design assez dément, et une mise en scène grandiose avec des combats dans des zones souvent plus inspirées que le reste. Néanmoins, en dehors des rares moments d’éclats, les monstres de base se ressemblent un peu tous avec un visuel inintéressant qui lorgne du côté difforme à la Silent Hill ou Dead Space sans en avoir le génie. Il en est de même pour leurs attaques qui, pour l’essentiel, obéissent à des patterns similaires qui finissent par rendre le jeu terriblement lassant : tous les combats se ressemblent, tirent en longueur (à cause de la nécessité d’attendre les attaques pour les contrer) et présentent un intérêt ludique très limité. La faute aussi au fait qu’il n’existe que deux armes à utiliser, une épée au corps à corps et un canon à distance. Peu diversifié dans son approche, le système de combat s’offre quand même de nombreuses compétences à exploitées, des pouvoirs capables de mettre un peu plus de dégâts aux ennemis, mais même là on peine à voir la différence entre chaque pouvoir. Et pour mettre de l’ambiance là dedans, il ne faut malheureusement pas compter la musique, pourtant composée en partie par Oliver Good et Keita Inoue de MONACA (le groupe qui a composé sur les NieR notamment, et de nombreux anime japonais). Les compositions, souvent des titres chantés, reposent sur des boules musicales très courtes et entêtantes qui accompagnent assez mal les moments décisifs du jeu et ne donnent aucun rythme aux combats.

De manière générale, Stellar Blade a un goût d’inachevé. On sent les hésitations d’une équipe de développement qui s’essaie à son tout premier jeu d’une telle envergure. Si la curiosité est de mise parce que l’on est face à une production « AAA » développée en Corée du Sud, un pays plus habitué aux MMO et aux jeux mobile, le résultat n’en reste pas moins assez peu intéressant. La polémique autour de la sexualisation de l’héroïne avant la sortie du jeu a finalement visé plutôt juste tant le titre multiplie jusqu’à l’écœurement les plans serrés sur le postérieur de son héroïne, agrémenté de costumes très sexy en seule récompense de nos efforts pendant la partie. Et derrière cela, le jeu n’arrive pas à montrer grand chose. Son histoire relève d’un récit de science-fiction assez bateau et ne s’envole que dans un dernier tiers pourtant imparfait, tandis que ses combats, pourtant au cœur du jeu, deviennent trop vite répétitifs. Lassant, le jeu tente quand même des choses et multiplie les mécaniques, essayant de prouver qu’il est capable de jouer dans la cour des grands, mais son exécution tape souvent à côté, avec en seule perspective quelques rares bons moments de mise en scène, et des combats de boss qui restent plutôt plaisants.

  • Stellar Blade est disponible en exclusivité sur PlayStation 5 depuis le 26 avril 2024.

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