S’il y a bien un jeu indépendant qui m’a captivé ces dernières années, c’est The Messenger en 2018. Un jeu d’action-plateforme, développé par le studio québécois Sabotage Studio, qui m’a conquis tant pour la qualité de son exécution, un vrai modèle du genre, que son univers, son twist et ses bonnes idées narratives. Cinq ans et un Kickstarter plus tard, sa préquelle Sea of Stars débarque sur toutes les consoles et sur PC. Exit l’action-plateforme et place à un RPG à l’inspiration japonaise, en hommage notamment aux titres 16 bits, allant chercher ses influences autant du côté de Chrono Trigger que de Super Mario RPG. Sorti en août dernier, c’est l’une des plus belles réussites de la riche année vidéoludique qu’était 2023.
Histoires de cœur
Sea of Stars commence comme beaucoup des J-RPG dont il s’inspire. On y raconte un monde au bord du précipice, une menace terrible qui plane sur les terres et une seule chance, celle qu’incarnent deux élu·e·s. Il s’agit de Valere et Zale, qui suivent depuis longtemps les enseignements dans leur village aux accents mystiques pour devenir un jour des guerriers du Solstice. Les deux, enfants devenus adolescent·e·s, possèdent les pouvoirs du Soleil pour l’un, les pouvoirs de la Lune pour l’autre. Ensemble, c’est la magie de l’Éclipse qui est à leur portée, seule forme de puissance capable de lutter contre l’entité, nommée l’Hôte, qui fait planer le danger. Mais petit twist, on trouve aussi à leurs côtés un certain Garl, l’image du bon pote très volontaire mais sans véritables pouvoirs, toujours empreint d’une bonne humeur contagieuse et d’un optimisme à toute épreuve. Un personnage absolument sublime, terriblement touchant, qui vient apporter un peu de surprise à une histoire qui a quelque chose d’honnêtement assez bateau. Les histoires d’élu·e·s, c’est à la limite de la caricature, mais Sea of Stars trouve son identité dans sa manière de raconter ce trio, l’amitié qui les lie, les envies de grandeur et d’aventure, leur détermination à accomplir leur quête et les sacrifices auxquels le groupe va inévitablement devoir faire face. Le monde est vivant, plein de petits villages où chacun·e tente de vivre sa propre vie, et où l’on fait la rencontre de personnages hauts en couleur dont le quotidien est bouleversé par la menace.
Dans l’ensemble, l’aventure parvient à maintenir un excellent rythme, en proposant des donjons souvent assez courts, en renouvelant constamment ses environnements et en sachant éviter les aller-retours intempestifs. Mais surtout, malgré son envie très conventionnelle de reprendre quelques codes les plus classiques du J-RPG, le jeu sait y insuffler une jolie modernité. Cela passe par sa mise en scène, qui malgré l’hommage aux gros pixels d’antan, s’offre de jolies animations à la hauteur de ce que l’on attend de notre époque. Mais aussi, il trouve un bon équilibre entre les intentions très classiques sur la narration et une envie de les mélanger à quelque chose de plus actuel. En réalité, Sea of Stars ressemble beaucoup à son prédécesseur, The Messenger. Comme lui, cela commence comme un hommage à un genre très populaire à l’ère 16 bits et puis, peu à peu, le jeu y ajoute quelques éléments visuels, de gameplay, des petites pastilles narratives, qui raccrochent le jeu à notre époque. Une très belle démonstration que l’on peut encore aujourd’hui trouver de nouvelles idées sans renier les jeux qui ont fait l’histoire, en jouant avec les codes d’antan et en les adaptant à une nouvelle manière de jouer et de raconter des aventures.
Mais surtout, les dialogues du jeu restent, à mes yeux, l’un de ses meilleurs arguments. Ils sont en effet dotés d’une belle intelligence. Pas au sens où le jeu tenterait faussement d’être complexe, mais plutôt, parce que les dialogues ont une approche assez « simple » en montrant les objectifs de manière directe, avec des personnages qui comprennent vite ce qui les entourent, qui expliquent régulièrement ce qui se passe sous leurs yeux pour que tout soit plus facile à appréhender. L’intelligence se traduit ainsi dans cette simplicité, en assumant de ne pas rechercher la complexité, avec des dialogues courts et précis, qui apportent toujours un petit quelque chose, sans jamais se perdre dans des digressions qui s’oublient vite. C’est un choix vraiment atypique pour notre époque, alors que beaucoup de J-RPG sur cette génération veulent aller toujours un peu plus loin sans toujours disposer de la finesse d’écriture nécessaire. Cela n’empêche toutefois pas l’univers du jeu de s’étoffer d’heure en heure, en découvrant de nouvelles villes, et de nouveaux peuples qui ont des choses à dire. Des gens qui montrent une facette différente du monde dans lequel nos personnages évoluent, avec un petit côté Dragon Quest qui me fait nécessairement plaisir en tant que fan, qui se retrouve dans cette envie très propre à la série de Yuji Horii de raconter ses histoires sous l’angle du voyage, de la découverte du monde et de la manière dont les évènements racontés sont vécus par des gens d’horizons très différents.
Au rythme des éléments
Également, le système de combat de Sea of Stars va chercher ce qui a fait l’histoire, en se basant sur un système au tour par tour. Très classique là encore dans son approche, le jeu offre des combats à trois personnages contre des bandes d’ennemis, dont les tours sont prédéterminés selon la vitesse de chacun·e. Mais le jeu y incorpore une subtilité avec son système de combo, traduit par une barre qui se charge (trois points de charge à remplir) afin de pouvoir déclencher des attaques en duo, coûtant un à trois points de charge à chaque fois. Mais surtout, pour expliquer le système de combat, il faut aller chercher vers l’une des autres inspirations du titre : Super Mario RPG. À l’appui d’un sens du rythme dément, le jeu offre la possibilité de bonifier certaines attaques en appuyant sur la touche d’action au bon moment, tant pour augmenter les dégâts que pour continuer une attaque. Comme la boule de feu de Zale qu’il faut charger en tapotant la touche, ou le boomerang magique de Valere qui peut enchaîner les coups un certain nombre de fois quand on parvient à appuyer sur la touche d’action au moment où l’arme touche l’ennemi. Ce système a fait ses preuves à l’époque et fonctionne très bien une fois adapté à Sea of Stars, d’autant qu’il permet de donner un peu de vie à des combats qui en manquent parfois cruellement.
Cherchant à jouer sur les propriétés des différentes attaques, le jeu pousse à varier constamment les compétences utilisées pour rythmer ses combats. Cela se traduit par des petites cases de faiblesse inscrites au-dessus de chaque ennemi pour désigner les attaques à réaliser afin de bloquer l’ennemi et l’empêcher de déclencher son attaque au prochain tour. Mais cela s’avère rapidement rébarbatif à cause du manque de diversité d’attaques, d’ennemis et de patterns. À tel point que les combats finissent par tous se ressembler, en réalisant souvent les mêmes successions d’attaques afin de bloquer un ennemi dont on connaît l’attaque dévastatrice, tout en chargeant les petites boules d’énergie qui apparaissent sur le terrain de combat à chaque attaque « simple » afin de les canaliser et bonifier le coup suivant. Cette critique de la répétitivité pourrait être récurrente et assez légitime sur de nombreux J-RPG, mais Sea of Stars paie probablement sa profusion de combats, beaucoup trop nombreux par rapport à l’échelle du jeu. Et c’est bien dommage parce qu’il est beaucoup plus malin à côté pour jouer avec ses propres limites et ne pas trop en faire. Heureusement, les reliques, des objets que l’on obtient en début de jeu et que l’on peut ensuite acheter dans des magasins permettent de moduler la difficulté : activables à notre guise, ces reliques vont permettre de doubler le niveau de points de vie, diminuer la puissance des ennemis ou encore faciliter la récupération de points de mana. À défaut de modes de difficulté (le jeu n’offrant aucun choix à ce niveau), ces reliques représentent un bon moyen de se débarrasser plus rapidement de combats qui perdent graduellement en intérêt, ou pour faire face à un équilibrage pas toujours idéal pour certains boss.
Les promesses d’un joli voyage
En revanche, il ne serait pas correct de limiter Sea of Stars à son système de combat brinquebalant. Parce qu’on venait pour le voyage et la beauté d’un jeu qui a su séduire dès ses premières bandes-annonces pour son ambiance. Et sur ce point, il n’y a aucune forme de déception. Avec un pixel art d’une beauté à la hauteur des attentes, le jeu modernise un style d’antan en y ajoutant une gestion de la lumière très actuelle, qui fait des exploits et qui devient même une des composante des rares puzzles à résoudre en cours d’aventure. De surcroît, le jeu profite d’animations de toute beauté qui insufflent une fluidité de mouvement terriblement agréable. À cet égard, on prend un malin plaisir à explorer les donjons et contrées qui s’offrent à notre petite groupe, d’autant que le jeu ravit par ses couleurs chatoyantes qui évoquent l’éclat de certains jeux dont le studio revendique l’inspiration comme Illusion of Gaia ou Chrono Trigger. À ce propos, le jeu profite d’ailleurs de la participation de Yasunori Mitsuda, compositeur sur Chrono Trigger, à l’occasion d’une dizaine de thèmes qui accompagnent l’aventure. La bande originale est l’une des grandes qualités du jeu et, même si l’on peut remarquer une certaine irrégularité des thèmes, certains sont si bons qu’on oublie rapidement les quelques titres moins réussis.
À trop vouloir s’approcher de ses idoles, Sea of Stars aurait pu se brûler les ailes, mais l’équipe québécoise a su proposer sa propre vision du J-RPG, entre un attachement à des codes hérités de l’époque 16 bits et une véritable volonté de forger sa propre identité. Une envie qui passe par la création d’un univers aux clins d’œil certes discrets mais tout de même présents à The Messenger, ainsi qu’une jolie manière de « jouer » avec les codes du J-RPG 16 bits pour y adosser une certaine modernité. Fort d’une narration enjolivée par des dialogues malins, attachant grâce à ses personnages, en particulier le fabuleux Garl qu’il est probablement impossible de détester, Sea of Stars est imparfait à cause de ses trop nombreux combats ou une vraie fin cachée derrière une quête fastidieuse, mais il a un tel cœur qu’on se laisse prendre au jeu avec beaucoup de plaisir.
- Sea of Stars est disponible sur PC, PlayStation 4, PlayStation 5, Xbox One, Xbox Series X|S et Switch depuis le 29 août 2023.