SCHiM | L’ombre d’un rêve oublié

by Anthony F.

Rien de mieux qu’un concept pratiquement unique pour commencer l’été. De l’imagination foisonnante de deux développeurs néerlandais, Nils Slijkerman et Ewoud van der Werf, est né l’étonnant SCHiM. Entraperçu à l’occasion d’un Wholesome Direct il y a deux ans, cette fameuse conférence désormais annuelle où se présentent les jeux indépendants au ton résolument accessible et bienveillant, le jeu pointe enfin le bout de son nez avec une sortie prévue ce 18 juillet 2024 sur toutes les consoles du moment et sur PC. Réinvention du genre de la plateforme, bardé de bonnes intentions, c’est une plongée dans un univers plus mélancolique qu’il n’en a l’air.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’une clé de test PlayStation 5 par l’éditeur. 

Rêves d’enfant

© 2024 SCHiM

À l’aube de son aventure, SCHiM dévoile une tonalité poétique, celle d’une introduction où se succèdent des saynètes interactives, sorte de grand tutoriel pour se familiariser avec les déplacements atypiques du jeu, où l’on voit grandir l’être humain qui deviendra rapidement l’objet de notre quête. Un être humain que l’on voit apparaître en couche-culotte, puis courir avec d’autres gamins dans un parc, apprendre à faire du vélo, grandir avec ses camarades, puis obtenir son diplôme, découvrir le monde du travail en bureau et… perdre ce qu’il était. Et c’est là qu’entre en scène notre « personnage », le « schim », petit nom qui désigne l’âme d’une personne ou d’un objet, qui vit dans l’ombre et qui ne peut en sortir que pour se jeter dans une autre ombre. Lors de l’introduction, cette âme représentée comme une petite boule noire avec deux yeux ne cesse de courir après son humain, à mesure que celui-ci cherche un sens à sa vie. Et puis plus rien, le lien est rompu, et il va falloir le retrouver. C’est alors que le jeu nous entraîne dans une succession de niveaux plus ou moins longs, de quelques secondes à une dizaine de minutes, parfois linéaires et d’autres fois plus ouverts, à la recherche de quelques secrets et du meilleur moyen de traverser des zones où la vie est grouillante. Les voitures défilent, les gens se baladent à vélo, les animaux vivent leur vie, les objets mouvants (vélos, ballons, cerfs-volants) deviennent des « plateformes d’ombre » à atteindre pour avancer, et cela tranche avec la mélancolie sous-jacente d’un homme qui a laissé ses rêves de jeunesse sur le pas de la porte d’un monde corporatiste qui lui a volé son âme. Mais SCHiM en tire un ton plein d’espoir, une envie de s’en tirer, à mesure que l’on voit de loin notre humain traverser toutes sortes d’expérience jusqu’à, on l’espère, trouver un sens à sa vie.

© 2024 SCHiM

Il ne faut pourtant pas aborder ce jeu comme quelque chose de déprimant, bien au contraire. C’est d’une poésie succulente, sublimée par une mise en scène isométrique aux contours abstraits et aux tons monochromes. Les journées d’été teintées d’un orange pastel, l’hiver grisâtre et les nuits bleues, où l’on se joue des ombres générées par les réverbères pour progresser, tout est prétexte à donner au jeu une identité très abstraite. Mais pas sans histoire, car si le jeu est intégralement muet, il n’empêche qu’il parvient à raconter des petits bouts de quotidien dans chacun de ses niveaux, tandis que la poursuite de notre humain s’affiche en toile de fond de l’aventure surprenante de notre petite âme. Inspiré par l’architecture néerlandaise (d’où la surreprésentation de cyclistes, certainement), le jeu offre de vrais jolis moments qui donnent envie de se poser là quelques instants et profiter du temps qui semble défiler sous nos yeux. Pourtant les répétitions sont parfois grossières, certains personnages tournent en rond car il faut bien que l’on puisse utiliser leur ombre pour atteindre la suite du niveau, mais il y a un vrai sentiment de vie qui s’en dégage et c’est une jolie prouesse.

La plateforme au ras du sol

© 2024 SCHiM

Du haut de ses 65 niveaux dont on voit le bout en quelques quatre à six heures de jeux, selon que l’on y cherche les nombreux secrets qui s’y dissimulent, et probablement un peu plus pour les chasseurs et chasseuses de trophées, le jeu arrive à apporter une petite touche inattendue qui donne un nouvel élan au genre de la plateforme. Pas de grands sauts au-dessus de précipices, pas d’exigence de dextérité ni de vitesse. Ici, il s’agit simplement de sauter d’une ombre à l’autre, ni plus ni moins. Comme tous les jeux qui revendiquent ce caractère « wholesome », l’échec n’existe pas. En deux touches, celle du saut et celle de l’action, qui permet de faire klaxonner un véhicule quand on est dans son ombre, faire aboyer un chien, allumer un feu de circulation ou forcer un oiseau à s’envoler, le jeu s’apprivoise aussi vite qu’il séduit. La seule forme de contradiction, c’est celle de rater son saut en étant trop court·e pour atteindre la prochaine ombre, mais cela se corrige soit en bénéficiant d’un second saut (plus court) pour passer les derniers pixels restants avant notre destination, ou juste être renvoyé·e immédiatement et sans temps de chargement à l’ombre précédente pour retenter son coup ou chercher un autre chemin. Dans l’ensemble, aucun niveau ne présente de réel challenge, sauf peut-être si l’on veut atteindre certains secrets (qui ne sont pas obligatoires pour finir l’aventure), et l’ensemble se joue très bien peu importe notre familiarité avec le genre de la plateforme. Il y a vite quelque chose de très naturel au mouvement, avec le saut d’une ombre à l’autre qui se fait avec fluidité, d’autant plus qu’un certain système de « magnétisme » du schim vers l’ombre visée rend le jeu très tolérant. Il n’y a en effet souvent pas besoin de viser parfaitement l’ombre pour y entrer. On lui reprochera peut-être une certaine répétitivité des niveaux, les 65 ne faisant pas toujours preuve d’une inventivité phénoménale, et le jeu aurait donc peut-être gagné à être un peu plus concis à certains instants. Mais il laisse un souvenir si doux que j’ai bien du mal à le lui reprocher réellement.

C’est une jolie expérience que nous offre SCHiM. Un jeu atypique qui cherche à réinventer la plateforme. Mais pas seulement pour le plaisir d’offrir un high concept, c’est aussi pour mieux suggérer le travail que fait sur lui ce jeune homme que l’on tente de retrouver, un peu paumé dans sa vie, qui ne sait pas vraiment ce qu’il doit faire, alors qu’une déprime latente l’éloigne de sa propre âme. Chaque niveau est une excuse pour une nouvelle étape d’un travail sur lui-même, jusqu’à un final d’une tendresse bienvenue. C’est de ça dont on a besoin pour traverser l’été, en douceur, et avec une véritable envie de proposer quelque chose d’inhabituel, mais qui s’aborde curieusement d’une manière très naturelle.

  • SCHiM sort le 18 juillet 2024 sur PC (Steam), Xbox One, Xbox Series X|S, PlayStation 4, PlayStation 5 et Nintendo Switch.

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