Reynatis | La magie sans les rêves

par Anthony F.

Pas facile de se faire une place dans l’industrie des J-RPG. Genre prolifique, adoubé autant par les grands studios que par les indépendants, celui-ci connaît pléthore de titres qui en reprennent les codes chaque année. Pour sortir de la masse, il convient parfois de compter sur la réputation de ses auteur·ices, et c’est exactement ce qui a attiré l’attention sur Reynatis : le jeu édité par FuRyu s’est surtout illustré dans la presse pour la présence de Kazushige Nojima (scénariste sur bon nombre de Final Fantasy, et les Kingdom Hearts), ainsi que de Yoko Shimomura (compositrice au CV interminable). Mais comme on le voit assez vite avec Reynatis, les noms ne font pas tout.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’une clé par l’éditeur. Le jeu a été joué sur PlayStation 5.

Panique à Shibuya

© FURYU Corporation.

Théâtre des débats, le quartier de Shibuya à Tokyo concentre l’essentiel de l’action. On y fait la rencontre de Marin, un « Wizard » (le jeu est uniquement traduit en Anglais), un magicien, qui tente de se servir librement de ses pouvoirs avec un seul objectif, celui d’être le plus fort. Face à lui, les membres de la Magic Enforcement Administration (MEA), une force de police spécialisée dans la poursuite de Wizards, une force elle-même composée par ces magiciens hors pair, dont l’énigmatique Sari. Dans le monde de Reynatis, les gens acquièrent des pouvoirs, et deviennent des Wizards, après avoir vécu une expérience de mort imminente, seul point commun entre toutes ces personnes qui soudainement doivent choisir entre deux camps : se conformer à la MEA et lui obéir, ou conserver sa liberté au mépris de la loi. De l’autre côté, on trouve la Guilde, une faction aux intentions obscures, qui semble fricoter avec le surnaturel et des monstres qui proviennent de « Another », une zone alternative accessible via des portails qui apparaissent ici et là. Le jeu ne nous dira pas plus de choses que ça sur son contexte et son histoire, puisque vite jeté·es dans l’arène, les joueurs et les joueuses se retrouvent vite confronté au plus gros problème d’un jeu qui n’arrive jamais vraiment à être à la hauteur de ses ambitions. Ce problème, c’est une narration brouillonne. La MEA apparaît d’abord comme une force assez obscure où cohabitent de nombreuses personnalités vaguement présentées ; une force toute puissante qui combat le mal par le mal, tandis que la fuite en avant de Marin et des compagnons qu’il se fait en route peine à convaincre. La confusion règne dans un jeu où les chapitres s’enchaînent rapidement, en nous baladant d’un groupe à l’autre dans un récit chorale sans véritable liant. On passe du coq à l’âne constamment, l’histoire balance quelques idées ici et là, avec des enjeux mal définis.

On pense par exemple à tout le sous-texte sur la drogue, ici nommée « rub », qui semble être liée à la magie et aux Wizards et qui pose de véritables problèmes dans les rues de Tokyo. Ces enjeux-là liés à la drogue reviennent assez tard dans le jeu, mais sont souvent oubliés en cours de route, tandis que le propos sur l’interdiction d’utiliser la magie en publique pour les Wizards qui ne sont pas affiliés au MEA pourrait être une thématique assez intéressante autour de la prohibition, dans la continuité du propos sur la drogue, mais le jeu n’en fait pas grand chose de plus qu’une gimmick de gameplay qui consiste à se cacher du public pour se faire oublier chaque fois qu’on est pris en train de l’utiliser. Plus généralement, la confusion règne à cause d’un trop grand nombre d’enjeux balancés à la figure des joueurs et des joueuses sans trop s’y attarder. On nous montre une force de police autoritaire souffrant de conflits internes, une drogue qui ravage les rues mais pas trop, des monstres qui apparaissent comme un cheveu sur la soupe, des magicien·nes tout en noir (au bon souvenir de Kingdom Hearts) qui sortent de nulle part et des forêts magiques à explorer avec l’objectif d’y ouvrir une porte non moins magique sans qu’on ne sache trop pourquoi. Et tous ces éléments ont comme point commun d’être introduits sans s’attarder plus que cela sur la cohérence d’ensemble.

© FURYU Corporation.

La faute à l’introduction de beaucoup de personnages d’entrée de jeu avec une caractérisation sommaire. Marin, le héros, n’a rien d’autre à faire valoir que son envie d’être « le plus fort » des Wizards. Sari, son pendant à la MEA, est une coquille vide et ne semble être là que pour ses pouvoirs surpuissants. Les autres personnages jouables de sont pas plus aidés, et les choses se gâtent encore plus avec les personnages non jouables dont l’intérêt est toujours discutable. Même les grand·es méchant·es de l’histoire ont des motivations assez obscures, que le dernier tiers de l’histoire ne parvient pas vraiment à éclaircir. On se contente alors assez vite d’avancer dans l’histoire en pilote automatique, en enchaînant les chapitres sans trop se poser de question, avec l’espoir d’y comprendre quelque chose un jour. Et quand on commence un peu à comprendre ce qu’il se passe, on est déçu·es de se rendre compte que le jeu a fait beaucoup de mystères pour peu de choses. Cette confusion générale s’observe d’autant mieux dans la messagerie accessible à tout moment où les personnages s’échangent des messages plus ou moins rigolos, plus ou moins utiles à la narration : les messages sont distribués dans le désordre, les échanges sont parfois hasardeux, et on s’y perd vite. Quant au contenu secondaire, il n’y a rien de très intéressant, les missions suivent toutes le même cheminement. C’est-à-dire écupérer la mission, aller taper quelqu’un, et passer à la suivante. Mais ces missions secondaires sont indispensables car elles permettent de faire baisser le niveau de « malice » de la ville, donnant accès à des compétences supplémentaires via les « Wizarts ».

L’art de rue comme arme

© FURYU Corporation.

La « malice » est un taux (initialement à 100%) qu’il convient de faire baisser en réalisant des quêtes secondaires pour aider les habitant·es de Shibuya. Plus le taux est bas, plus les Wizarts sont accessibles. Il s’agit de graffitis qui ornent certains murs et qui, une fois récupérés, donnent accès à de nouvelles compétences actives et passives à équiper sur les personnages. Si le système semble intéressant, il s’avère en réalité assez artificiel car les quêtes secondaires étant directement liées au chapitre en cours, la baisse du taux de malice ne peut aller plus vite que la quête principale ; de fait, la progression des personnages est dépendante de l’avancée dans l’histoire. Néanmoins le système commence à prendre sens dans le dernier tiers du jeu quand suffisamment de Wizarts ont été récupérés, permettant de modifier intégralement les attaques magiques des personnages et les améliorer au moyen de cristaux acquis lors de la montée en niveau des personnages. Ces graffitis poussent à l’exploration d’un quartier de Shibuya compartimenté en plusieurs petites zones, pas désagréables à parcourir, même si les rues sont très vides et qu’il n’y a pas grand chose à y faire à part récupérer les graffitis. Néanmoins, l’ambiance y est plutôt sympathique, et le système de Wizarts s’intègre plutôt bien à son univers, avec le choix de faire reposer la magie sur l’art urbain, comme un clin d’oeil à l’esprit créatif du quartier de Shibuya, plutôt réputé chez les jeunes, où il fait bon se balader. Même si artistiquement, on sent le besoin de caser les quelques marques qui ont donné leur image, de la tour 109 à BIC Camera, en passant par le moins japonais Burger King. 

Le système de combat, reposant sur les Wizarts, est très facile à prendre en main : en appuyant sur L1, on passe le personnage de sa forme normale qui cache sa magie (« suppressed ») à sa forme libérée de Wizard (« liberated »). Dans la forme normale, la barre de mana permettant ensuite d’utiliser les actions offensives se recharge doucement, ou plus rapidement quand le personnage réalise des esquives. Pour faciliter les choses, le temps est ralenti quand le personnage est sur le point de prendre un coup en mode normal, et cela permet de réaliser un contre qui remplit la barre de mana quasi-intégralement. Pour grandement se faciliter les combats, il faut donc jongler entre les deux modes afin de toujours avoir une barre de mana alimentée, de manière à éviter les temps morts où il n’est plus possible d’attaquer. Une fois maîtrisé, le rythme des combats devient assez naturel, et simplifie amplement le jeu. Avec une difficulté unique, sans modification possible, on aurait pu craindre des moments moins accessibles, mais Reynatis se révèle finalement même trop simple. Une fois maîtrisé le contre il est presque impossible de mourir, et dans le dernier tiers le personnage de Sari devient absolument imbattable grâce à ses attaques qui lui permettent d’être toujours en mouvement, en plus de sa surpuissance magique. 

© FURYU Corporation.

Ainsi, les combats sont stéréotypés. L’approche est toujours la même, pas bien aidé par le fait qu’on soit presque toujours seul sur l’aire de combat puisque les autres personnages se contentent juste de distribuer deux ou trois coups avant de partir quand on change de personnage à la volée, profitant de leur barre de mana rechargée pendant leur attente. Un système faillible, puisque les combats se ressemblent tous, la faute au trop peu de coups à disposition. En effet, le jeu se joue avec trois coups : carré pour le coup de base, et triangle et rond pour les coups spéciaux affectés avec les Wizarts obtenus. Ces coups sont assez nombreux à débloquer, mais en définitive on n’en utilise qu’une poignée et ils ne peuvent être modifiés qu’en dehors des combats. Dans un titre qui s’avère beaucoup trop simple lors des combats face à une poignée d’adversaires grâce à la très simple parade, mais qui peut être insupportable et ingérable quand les adversaires sont trop nombreux, car les monstres attaquent tous en même temps et les coups encaissés provoquent un temps d’arrêt du personnage. On en arrive à des situations où ça devient presque impossible de mettre un coup, en essayant juste de faire monter la barre d’ultime qui permet de lancer une attaque dévastatrice qui touche tous les ennemis (heureusement, elle monte vite) afin de réduire leur nombre. Finalement, la principale difficulté reste dans la gestion d’une caméra qui devient souvent folle, notamment dans les espaces exigus de certaines zones.

Tokyo d’une autre époque

© FURYU Corporation.

Malgré un découpage en petites zones pas inintéressantes à parcourir, le quartier de Shibuya souffre, comme le reste du jeu, d’une direction artistique dépassée. Pas vraiment originale, rarement séduisante, celle-ci s’appuie sur des choix visuels qui n’évoquent rien de vraiment mémorable. Pas mieux pour les héros et héroïnes qui manquent de personnalité, tant sur leur écriture que visuellement, et qui peinent à être crédibles dans un univers qui manque de cohérence. Pas mieux sur la technique avec des textures et des animations d’antan, des rues extrêmement vides (et les quelques habitant·es que l’on croise se répètent à l’infini selon une poignée de modèles). On sent que le jeu a quelques générations de retard, et ce n’est pas ses personnages complètement stoïques et inexpressifs qui améliorent le constat. Pas mieux du côté des ennemis peu inspirés, tous ressemblants, le jeu ressortant même de nombreuses fois les mêmes deux ou trois mini-boss qui s’affrontent à chaque fois de la même manière. Si les boss sont plus variés, notamment dans le dernier tiers du jeu, ils souffrent également des mêmes problèmes avec des designs peu intéressants, en plus d’avoir des patterns très basiques. Enfin, c’est les « donjons » qui font peine à voir, puisqu’il s’agit du « Another », le monde alternatif accessible via des portails. Les zones sont toujours les mêmes, avec une sorte de forêt magique et labyrinthique à la distance d’affichage d’il y a vingt ans, où les mêmes ennemis s’affrontent encore et encore au même endroit, pour obtenir les mêmes objets et la même expérience. 

Il y avait pourtant du beau monde sur le projet, et on aurait pu espérer que Kazushige Nojima soit capable de proposer une narration engageante à défaut d’être exceptionnelle ; mais le scénariste à qui l’on doit quelques très beaux J-RPG semble en roue libre sur un jeu au développement probablement accidenté. Manque de liant entre les chapitres, personnages peu caractérisés, monde vide de sens, tout tape à côté dans Reynatis et c’est plutôt déprimant à parcourir. Il n’y a même pas une petite étincelle qui laisserait espérer des jours meilleurs, puisque au contraire, la narration n’arrive jamais à élever son niveau, pas plus lors de son final aussi raté que le reste. Il ne restait qu’un espoir, la bande originale de Yoko Shimomura, qui a rarement été prise à défaut lors de sa longue carrière. Mais même là, la compositrice à qui l’on doit quelques unes des plus belles OST du jeu vidéo japonais n’arrive pas à trouver ses qualités habituelles, en livrant une bande-son assez pauvre en titres (avec des thèmes qui se répètent souvent) en plus de ne jamais nous emmener dans son univers. Bref, Reynatis est une énorme déception, un jeu dans lequel on a bien du mal à trouver une réussite.

  • Reynatis est disponible depuis le 27 septembre 2024 sur PC, Nintendo Switch, PlayStation 4 et PlayStation 5.

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