Persona 5 Royal, sorti initialement en 2020, venait agrémenter le Persona 5 de 2017 d’une sorte de Director’s Cut où le studio venait ajouter tout ce qu’il manquait au jeu original. Une traduction Française, un mode spécial supplémentaire, mais aussi un personnage en plus avec son récit et le donjon qui l’accompagne, ou encore un quartier supplémentaire à visiter. Une version étendue donc, qui enfonçait le clou d’un truc sur lequel à peu près tout le monde était d’accord à la sortie : Persona 5 est l’un des tous meilleurs J-RPG de l’histoire. Quelques années après, en cette fin 2022, le roi revient en se proposant à plus de monde encore : s’il était cantonné à la PS3 et la PS4 en son temps, le jeu débarque enfin sur les Xbox One et Xbox Series X|S, sur PC, PlayStation 5 et Switch.
Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire du jeu par l’éditeur. Le jeu a été exploré sur Switch après avoir été terminé en son temps sur PS4.
Monde dramatique
La série des Persona a très vite acquis une bonne base de fans parmi les amateur·ice·s de J-RPG. Mais il faut bien avouer que son cinquième épisode a été un tournant : à la sortie de Persona 5, une certaine hype s’est créée et celle-ci permettait de toucher un public plus large. Et ce n’est pas étonnant, car si les précédents épisodes possédaient déjà quelques uns des ingrédients qui ont mené leur successeur au succès, Persona 5 est celui qui était le plus proche de notre monde. Ses thématiques touchent en effet facilement, notamment la jeunesse, entre le harcèlement, les violences sexuelles, la difficulté d’exister quand on ne nous accorde pas d’attention, etc. Des thématiques déjà esquissées dans d’autres épisodes, comme Persona 4, mais avec probablement moins d’éclat. C’est ainsi que le jeu nous embarquait dans son monde du lycée, où une bande de potes, qui se forme un peu par la force des choses, se trouve affublée d’un pouvoir qui leur permet d’accéder à un simili-Surmoi de Freud, une sorte d’instance morale et inconsciente symbolisée par des donjons où l’on peut explorer l’âme et les pensées de personnes qui font du mal à leur entourage. Tout commence d’ailleurs avec un prof de sport au lycée, coupable de harcèlement physique et sexuel, démontrant dès le départ la volonté du jeu d’aborder une certaine rage adolescente contre l’autorité, contre un vieux monde fait de violence, où l’adulte représente un abus d’autorité menant aux violences physiques et sexuelles. Ce premier arc du jeu est un exemple de narration et une superbe introduction à la manière dont fonctionne ensuite l’histoire : la découverte d’un personnage, souvent investi d’une position d’autorité, la recherche de son point faible, et puis l’exploration de son âme jusqu’à un combat final qui se conclut par une forme de catharsis.
Extrêmement fin et malin narrativement, le jeu multiplie les thématiques propres à notre monde, entre le harcèlement déjà décrit, mais aussi les thèmes du suicide, de l’abus de pouvoir ou encore du racisme. Et c’est le plus souvent abordé au travers de ses personnages jouables qui, tous, portent un lourd passé qui sonne souvent comme un cri du cœur, une alerte sur la condition de la jeunesse au Japon, mais aussi partout dans le monde. Parce que ces thèmes sont universels et voir cette bande de jeunes, déterminée à punir les personnes responsables de ces malheurs en incarnant les « Phantom Thieves », sorte de voleur·euse·s de l’âme et du cœur, a quelque chose de transcendant. C’est un véritable acte de rébellion que les développeur·euse·s de Persona 5 Royal racontent, contre l’autorité d’un professeur, d’un maître, d’adultes, de la police ou encore d’un gouvernement qui ne fait rien pour aider. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard : on sait depuis que Persona 5 devait, à l’origine, raconter un roadtrip d’adolescents (qui a finalement fait l’objet de l’histoire du spin-off Persona 5 Strikers). Mais le studio avait décidé de réécrire l’histoire et, probablement, d’être encore plus acerbe sur l’autorité suite au tsunami qui a touché le Japon en 2011, où l’après-catastrophe a plus que jamais exposé l’inutilité et la corruption des têtes dirigeantes au Japon. Alors voir cette bande, qui est composée de gamin·e·s imparfait·e·s, tentant de bien faire, a quelque chose de touchant, avec des personnages attachants et bouleversants.
La bonne réforme de l’éducation
Le jeu se décompose en deux parties : la vie et les donjons. Une vie où l’on progresse sur le calendrier scolaire, de jour en jour, en accomplissant divers quêtes narratives, en invitant nos potes pour augmenter nos liens d’amitié (et donc débloquer plus de choses sur la fin du jeu) mais aussi en allant explorer les différents quartiers. Il y a même des moments imposés au lycée, où l’on va être confronté à des tests et devoirs en tout genre qu’il faut, au moins tenter, de valider (mais les réponses sont souvent difficiles à avoir : ça parle beaucoup d’histoire japonaise, pas facile pour un public occidental). Et puis, quand on identifie la menace qui plane, tout se met doucement en place. On observe des personnages qui se comportent bizarrement, ou bien les protagonistes ont vent de crimes commis sans être élucidés, la troupe se transformant alors en Phantom Thieves, des voleurs fantômes qui, grâce au pouvoir que l’on vous laissera découvrir, et leurs costumes de voleur·euse·s se métamorphosent, cherchent à sauver les victimes en entrant dans le psyché de grand·e·s méchant·e·s pour y affronter le boss qui emprisonne leur cœur. Il y a évidemment quelque chose de très métaphorique, de très planant même, mais c’est une mise en scène très maline qui permet d’aborder sans filtre les pensées de personnages qui seraient autrement balayés comme de simples mauvaises personnes, sans trop chercher à aller plus loin. Si Persona 5 Royal n’excuse jamais pleinement ses antagonistes, on découvre tout de même des personnages brisés, souvent intéressants. Ce qui permet d’ailleurs d’alimenter toute la narration hors-donjon, avec des discussions entre les protagonistes sur le comportement des méchant·e·s. Tandis que dans d’autres moments, on s’attache plutôt vite aux personnages grâce à des sorties entre ami·e·s ou des SMS envoyés ici et là qui permettent de découvrir le quotidien, les goûts et les rêves de chacun·e. Il y a un côté de trop plein parfois avec un contenu absolument démesuré qui nous submerge, avec la peur de manquer des choses, notamment à cause du calendrier qui avance après un certain nombre d’actions par jour. Mais c’est aussi ce qui fait le charme du jeu : on est là pour prendre ce qu’il nous offre, avec toute la diversité d’actions et d’occasions qui se présentent, et il faut accepter l’idée que l’on ne verra pas tout.
Sur son système de jeu, Persona 5 Royal utilise pleinement ses thématiques pour servir son gameplay : chaque affrontement contre un boss est un exutoire, une rage déversée suite à l’accumulation d’émotions dramatiques autour d’un ou plusieurs personnages. Cela s’incarne à l’écran, avec quelque chose de très dynamique, de très bien mis en scène et de très intense malgré les combats au tour par tour. Jamais lent, jamais ennuyeux, très agile dans sa mise en scène et avec une interface d’une beauté sans pareil, le titre parvient à faire oublier la répétitivité de ses donjons. Et pourtant, ses combats sont extrêmement classiques pour la série : on récupère des Persona, ces espèces de démons qui nous filent un coup de main moyennant une bonne réponse à une question lors de la capture, ou en les soudoyant avec de l’argent ou des objets. Une fois équipé, le démon nous permet de balancer les sorts qu’il connaît, avec la possibilité également de les fusionner entre eux pour en obtenir de plus puissants. On y retrouve la plupart de ces entités déjà connues dans les autres jeux de la saga Persona et de Shin Megami Tensei, mais c’est toujours un plaisir de les redécouvrir en exploitant leurs forces et faiblesses élémentaires, ce qui constitue le cœur du gameplay. Ces combats interviennent dans des donjons assez grands, souvent répétitifs, mais qui tentent d’alterner entre les combats et des phases d’infiltration plus ou moins ratées. On cherche surtout à jouer sur l’effet de surprise en tapant un ennemi dans le dos afin d’obtenir l’avantage du premier tour. Et ça fonctionne pas trop mal, pour un jeu qui peut se révéler très difficile mais qui offre plusieurs modes de difficulté, y compris un mode histoire, permettant à chacun·e de pouvoir profiter de son histoire sans souffrir sur ses combats. Notons d’ailleurs que le portage sur Switch, qui fait l’objet de ce test, se comporte de la meilleure des manières et ne ralentit jamais, y compris en face d’exploration de donjons ou dans les combats contre les ennemis les plus impressionnants visuellement.
Une œuvre d’art
Si Persona 5 a marqué sa génération, en plus de parfaitement tenir la route aujourd’hui avec le portage sur de nouvelles plateformes, c’est avant tout pour son art. Sa direction visuelle, son character design, sa musique et plus généralement son ambiance. Visuellement éclatant, très coloré mais extrêmement harmonieux, toujours sur des tons qui jouent sur le noir et les ombres, en opposition à un rouge très vif présent dans l’interface, le jeu s’est créé une image et un style que l’on n’oublie pas une fois terminé. À tel point que d’autres ont tenté de s’en inspirer par la suite, donnant à la saga quelque chose qui lui manquait peut-être encore un peu : une identité visuelle remarquable (et remarquée). D’autant plus que le titre peut compter sur ses très belles cinématiques façon série d’animation, qui insiste encore un peu plus sur la proximité de son monde à celui de l’animation Japonaise, notamment celle qui se déroule dans les lycées. Avec un monde lycéen aussi fantasmé que réel : des thématiques bien actuelles, très réalistes, opposées à une conception visuelle du lycée très fantaisiste et fantasmée. Et le jeu n’en est que plus beau grâce à son excellent character design, avec sa galerie de personnages aux personnalités identifiables au premier coup d’œil, sans pour autant tout dévoiler puisque tous·tes arrivent à nous surprendre au fil des heures. C’est de beaux personnages, aussi bien pour leur aspect visuel très familier, agréable et attachant, que leur écriture pointue et intelligente.
Enfin, ce serait un affront de ne pas mentionner ce qui a aussi participé à faire du titre l’un des plus plébiscités de ces dernières années : la bande originale. Probablement l’une des meilleures OST de jeux vidéo, ses airs d’acid jazz surprennent mais s’incorporent étonnamment bien chaque fois que l’on déboule dans les différents quartiers de Tokyo, explorant une ville aussi actuelle que nostalgique, comme une carte postale qui a sa part d’ombre, avec le cri de liberté et d’émancipation qu’incarne l’histoire du jazz. Et c’est d’autant plus impressionnant que la bande-son ne lasse jamais vraiment, malgré la répétition de certains thèmes, un tour de force pour un jeu excessivement long qui a pourtant tout le temps de nous lasser de ses thèmes musicaux. Et c’est d’ailleurs cette longueur qui constitue peut-être le plus grand défaut du jeu que l’on pourrait mettre ici en avant. Il faut en effet compter une bonne centaine d’heures pour en voir le bout (ou, en mode histoire avec des combats anecdotiques, au moins 70 heures). Pourtant, cette longueur se justifie parfaitement par un jeu qui n’est jamais artificiellement rallongé, avec une histoire qui avance sans arrêt et ne prend pas tant son temps que cela. Mais pour beaucoup de monde, ça peut être un frein, et ça se comprend parfaitement quand l’on n’a pas autant de temps à consacrer à un unique jeu.
Des années après, je ne cache pas que le plaisir était intense en me replongeant dans ce jeu que j’avais beaucoup aimé à la sortie, mais dont je n’avais peut-être pas pleinement savouré le génie. Certes c’était déjà un coup de cœur en son époque, mais je réalise en y rejouant sur Switch cinq ans après que l’originalité et la folie du jeu était quelque chose d’assez unique. Si, dans mon cœur, Persona 4 Golden reste l’élu de la série, Persona 5 Royal a une manière d’oser, de dire des choses, de s’intéresser à des thématiques si actuelles, de taper là où ça fait mal et de nous plonger dans son univers parfois quasi psychédélique qu’il en devient absolument indispensable. Un très grand jeu, qui ne cessera de se bonifier avec le temps, à mesure que l’on réalise à la fois son impact sur l’industrie du J-RPG, mais aussi l’intelligence dont il a fait preuve en abordant des thématiques de front, sans pincettes, parvenant à libérer des cœurs, comme ceux de ses boss.
- Le portage de Persona 5 Royal sur PlayStation 5, Xbox One, Xbox Series X|S, Switch et PC est sorti le 21 octobre 2022.