Roman young adult sorti au début de l’année 2024, Noblesse oblige de Maïwenn Alix propose aux lecteur·ices de s’embarquer dans un récit uchronique où la monarchie française a survécu à la Révolution de 1789. Plus violente et vicieuse que jamais, la noblesse se réjouit de voir le petit peuple s’accrocher au rêve projeté par une émission de télé-réalité où des roturières apprennent à être de bonnes épouses, en vue de mariages arrangés avec des aristocrates en mal d’amour. À mi-chemin entre le roman d’espionnage et le thriller, Noblesse oblige est une belle surprise.
L’aristocratie en quête de popularité
Grinçant, le récit de Maïwenn Alix aborde toute l’ignominie d’une noblesse qui n’a rien perdu de sa violence morale au fil des siècles. Partant du postulat que la Révolution de 1789 a été un échec, l’autrice imagine ce que serait la monarchie à une époque contemporaine. On y apprend que Louis XXI règne désormais sur la France, qu’une purge a été menée pour écarter les opposants, et qu’un petit groupe d’abolitionnistes continue d’agir dans l’ombre en publiant régulièrement des pamphlets appelant à la fin de la monarchie. L’Europe, dans son ensemble, a suivi le même chemin, et il faut aller voir du côté de « l’Union orientale » et précisément en Turquie pour trouver une forme de liberté et de démocratie. Un monde lointain auquel aspire Gabrielle, l’héroïne du roman, ancienne bourgeoise qui a vu son père se faire confisquer son entreprise et sa fortune parce qu’il commençait à prendre trop de pouvoir en opposition à la monarchie. Jetée dans la famille des Kerdoncuff comme servante, la jeune femme a tout perdu et voue une haine pure à l’encontre de la noblesse. Un bon point de départ alors qu’elle observe, dépité, le spectacle d’un pays tenu en haleine devant Noblesse oblige, une émission de télé-réalité où des jeunes femmes soigneusement choisies pour leur « sang pur » sont jetées dans un jeu de séduction pour qu’une bande d’aristocrates puissent trouver leur femme. Évidemment, elle va être choisie pour y participer, et tout commence là.
Amatrice de piano, joueuse hors pair, elle s’illustre dès lors comme une femme extrêmement raffinée, attirant le regard du public et des aristocrates participant au jeu. Une dynamique malsaine s’installe et l’autrice en profite pour critiquer le comportement d’une monarchie qui est inévitablement tombée dans un spectacle navrant qui en appelle plus aux Kardashian qu’à une quelconque retenue. La vie royale est diffusée aux yeux de tous·tes, le palais de Versailles est théâtre des premiers amours et des trahisons, les jeunes femmes sont transformées en objets et les ducs viennent faire leur choix parmi elles pour trouver la bonne poule pondeuse afin d’assurer leur lignée. Absurde et satirique, le roman égratigne ce qu’était déjà une monarchie à l’époque, qui avait besoin du soutien populaire pour espérer survivre à la Révolution (ce qu’elle n’a finalement jamais obtenu), et qui, dans cette uchronie, devient son unique raison d’exister. On y voit un Roi consternant, qui manipule son entourage comme des pions pour s’assurer une bonne place dans les sondages de popularité, un héritier au trône mystérieux dont le rôle est central dans le cirque qu’est devenue l’aristocratie, et des jeunes femmes qui ne sont pas dupes mais qui voient là une chance de s’extirper d’une vie de misère. Le concept même de l’amour paraît bien loin de cette télé-réalité, tandis que Gabrielle, opposante convaincue à la monarchie, profite de son statut de favorite de l’émission pour accomplir ses missions d’espionnage pour le compte d’un réseau abolitionniste, avec un seul rêve : voir les têtes tomber.
Au bon temps des guillotines
L’héroïne, déterminée, combative et absolument captivante, est la meilleur réussite du roman. Elle participe à cette émission dans l’unique but de trouver de quoi faire tomber la monarchie, tentant d’aider un réseau révolutionnaire qui a vu en elle l’occasion de trouver des preuves de la mascarade, et l’autrice en fait un vrai symbole de puissance. Si elle n’est pas intouchable, elle incarne à elle seule la force d’un peuple qui rêve encore d’autre chose, qui n’a pas baissé les bras, et qui est prêt à prendre les armes pour faire tomber ses bourreaux. Son écriture est maline, même si Maïwenn Alix a tendance à se répéter quelque fois (son héroïne « déglutis » souvent), et prend le temps de caractériser quelques personnages attachants, comme le garde suisse Antoine qui protège l’héroïne au sein du palais, ou le duc de Léon qui est la source d’un mystère qui pourrait remettre en cause le pouvoir. C’est là que le roman prend une tournure plus axée sur le thriller, au-delà de l’espionnage, avec quelque chose d’assez sombre, incarnant la violence d’un pouvoir qui n’a rien perdu de sa cruauté derrière les faux-semblants d’un jeu télévisé plein de sourires et de couleurs. On sent rapidement que l’autrice veut nous emmener dans l’arrière-boutique où l’ambiance prend une tournure complètement différente de celle esquissée initialement, profitant de la télé-réalité comme d’une excuse pour gratter peu à peu les différentes couches d’un pouvoir devenu fou. Vices, violences, dynamiques autoritaires et abus, autant de joyeux moments incarnés par des hommes qui profitent allègrement de leur position de pouvoir.
Et ces réflexions sur les manipulations de la monarchie fonctionnent, l’intrigue est bien structurée, l’aventure vécue par Gabrielle savoure son rythme et ne retombe jamais, mélangeant l’espionnage au thriller avec talent, d’autant que le livre ne dévoile ses véritables intentions que dans sa seconde partie. La fin manque peut-être d’un petit quelque chose, une pensée mieux amenée, ou un épilogue un peu mieux mené pour mettre un point définitif aux idées qui animaient Gabrielle tout au long de l’aventure. Néanmoins, et malgré cette légère critique, je dois bien avouer avoir passé un excellent moment avec Noblesse oblige, une lecture agréable qui même si elle surprend rarement, est capable de manier plusieurs genres avec brio tout en offrant un discours intéressant sur les dérives du pouvoir. On pourrait croire que l’uchronie n’est qu’un gimmick, et il est tout à fait vrai qu’une histoire similaire aurait pu être racontée dans n’importe quel contexte politique, mais Maïwenn Alix établit un lien pertinent entre quête de popularité télévisuelle et royauté, un pouvoir qui ne peut tenir traditionnellement qu’avec l’apathie d’un peuple qui ne se révolte pas.
- Noblesse oblige est disponible en librairie depuis le 8 février 2024.