Patrick Rothfuss est un écrivain américain connu pour sa saga de fantasy toujours en cours, celle de la Chronique du tueur de rois, composée de deux pavés tomes : Le nom du vent et La peur du sage. Il a également publié la novella La musique du silence, qui s’attarde sur un des personnages secondaires de l’intrigue. L’étroit chemin entre les souhaits met particulièrement en scène Bast, un Fae – un être non humain et doué de pouvoirs – qui assiste Kvothe, le héros du Nom du vent. Le premier tome de la Chronique du tueur de roi datant de 2009, L’étroit chemin entre les souhaits est donc un rappel de cet univers et une immersion bienvenue, grâce à Bast, le protagoniste de ce récit d’une journée.
Cette critique a été permise suite à l’envoi d’un exemplaire du livre par les éditions Bragelonne.
Be careful what you wish for

Les deux premiers tomes de la Chronique du Tueur de roi © Bragelonne, 2009-2013, Patrick Rothfuss
Et si quelqu’un était capable d’exaucer votre souhait ou un désir passager, en échange d’un prix à payer ? Voilà qui vous rappelle quelques histoires de pactes maudits, des récits faustiens qui mettent en garde contre le fait de vendre son âme pour réaliser un désir impossible, n’est-ce pas ? Eh bien, vous faites fausse route car L’étroit chemin entre les souhaits est loin de ces histoires tragiques. Bast est ici un Fae – pas un humain – un être doué de magie, d’une nature qui reste mystérieuse même encore après la fin de cette novella. S’il travaille dans une auberge de la petite ville de Newarre, l’une de ses autres occupations est aussi de réaliser les souhaits d’enfants plutôt jeunes, en échange de faveurs, au pied d’un arbre jadis frappé par la foudre.
Bast est ambivalent. Bast est un séducteur autant qu’un charmeur. Il est capable de réaliser les vœux de certaines personnes, de lire dans les cœurs et pourtant de se faire parfaitement avoir par la trop grande candeur d’un gamin venu lui rendre visite. Gracieux, éloquent, il n’a pas sa langue dans sa poche tout en maîtrisant la subtilité. C’est un personnage charismatique, presque manipulateur. Et pourtant, il possède en lui une certaine douceur, une empathie, qui font que ses marchés sont loin d’être diaboliques, plutôt bénéfiques.
Rike, Kostrel, Viette…autant d’enfants qui viennent demander des services à Bast au pied de l’Arbre-Éclair, lui qui est réputé pour savoir exaucer les souhait. Pour ce faire, il utilise le charme surnaturel des embrils (des pierres runiques / gravées mystiques) autant qu’un savoir-faire propre issu de sa nature féérique. Comment réussir à convaincre ses parents de garder ce chaton adoré ? Comment se venger d’un autre garçon ? Comment faire disparaître un père trop violent ? Certains désirs sont innocents, d’autres plus tragiques. En échange de nourritures, de secrets, de commérages du village, Bast semble pouvoir réaliser n’importe quoi. Avec autant de grâce que de philosophie.
L’étroit chemin entre les souhaits n’est autre que cette succession ininterrompue d’allers et venues d’enfants désirant quelque chose, des enfants plus futés et plus lucides qu’il n’y paraît au premier abord, dans un univers qui ne fait pas dans la dentelle. Des dialogues subtils avec parfois des allures de discussions philosophiques sur les sentiments humains ; des anecdotes sur la société de Newarre… Des moments qui témoignent autant de la sensualité que de la malice de Bast, quand ce dernier se met en tête de charmer quelques adultes. Une journée qui permet de raconter le quotidien de Bast. Mais elle donne surtout à voir l’ambivalence et le mystère de son personnage, entre bon génie et être pouvant se révéler impressionnant, porteur d’une nature mystérieuse que les enfants ne font qu’apercevoir.
Cosy fantasy, poésie et…jaspage
Pour une novella qui se contente des petits riens d’une journée « ordinaire » de son héros, il fallait bien une édition remarquable. Bragelonne a fait sur cet ouvrage un travail soigné, avec une couverture argentée et bleutée de toute beauté par Micaela Alcaino, rehaussée par les illustrations intérieures de Nate Taylor. On ne peut qu’être fasciné(e) par une couverture aussi élégante et mystérieuse, par le jaspage (l’illustration colorée sur la tranche de tête et la tranche de gouttière du livre) qui retrouve cette couleur bleu profond et des illustrations végétales, en rappel à l’Arbre-Eclair, ou la flûte de Pan dont joue Bast à un moment.
Les illustrations intérieures ne sont pas en reste, permettant de matérialiser les différents protagonistes et leurs expressions, presque à l’image d’un conte illustré. Elles font aussi la part belle aux décors de cet univers, que ce soit Newarre, un aperçu des embrils runiques ou une roue symbolique en début de chaque chapitre. Cet emblème permet de situer le moment de la journée et des objets reliés au récit raconté. Une très belle édition, surtout si vous aimez les objets-livres !
Ce soin apporté à la mise en page fait écho à la poésie douce et à la philosophie légère qu’on retrouve dans le récit. Au-delà de la journée de Bast, ce sont des petits morceaux de sens de la vie, quelques phrases de sagesse, les dilemmes entre les souhaits et la nature de chacun, qu’on trouve dans le récit. Pas de conflits, pas de duels, pas d’assaut épique. L’étroit chemin entre les souhaits appartient presque plus à de la cosy fantasy, une fantasy agréable et réconfortante, portant sur la vie de tous les jours, les relations entre les personnages, loin de batailles sanglantes. Et cela fait parfois du bien de voir des histoires qui restent plaisantes à lire, bien qu’il ne s’y passe, si on regarde de plus près, pas de véritable péripétie.
Conclusion
A-t-on intérêt à lire L’étroit chemin entre les souhaits pour entrer dans l’univers de Patrick Rothfuss ? Non, et lui-même le déconseille dans sa postface. Si vous voulez entrer dans sa saga, mieux vaut donc commencer par le Nom du vent, premier tome sublime d’une fantasy incroyable, un roman d’apprentissage que je ne saurais que trop vous recommander. J’en garde un excellent souvenir, surtout que rares sont les mondes de fantasy qui expliquent à ce point les mécanismes physiques d’une magie qui s’acquiert avec effort, sueur et argent. L’étroit chemin entre les souhaits est cependant une replongée agréable dans cet univers, peut-être certes pas indispensable. Mais elle donne terriblement envie de relire les premiers tomes et même de découvrir La musique du silence.
- L’étroit chemin entre les souhaits (mars 2025) de Patrick Rothfuss – et ses autres livres – sont disponibles aux éditions Bragelonne.