Si Urban Comics est plutôt connu pour être l’éditeur des productions DC dans nos contrées, il ne faut pas ignorer pour autant leur label Urban Indies qui va chercher quelques pépites outre-Atlantique pour notre plus grand bonheur. Et c’est le cas de Hitomi de H.S. Tak et Isabella Mazzanti, publié l’année dernière chez Image Comics, et qui débarque enfin en version française. Une douce histoire de vengeance au trait élégant, dans un Japon féodal où la violence n’a plus de limite. Hitomi commence là où l’histoire de Yasuke, le premier samouraï d’origine africaine, s’arrête officiellement. C’est une histoire en un seul tome.
Cette chronique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire par l’éditeur.
L’autre samouraï
Il a fallu que Ubisoft annonce que son prochain jeu de la licence Assassin’s Creed, sous-titré Shadows, pour que la figure de Yasuke revienne sur toutes les lèvres. Mais plus que l’objet de toutes les fascinations au sein de la pop culture (il suffit de voir le nombre de personnages inspirés par lui côté mangas), Yasuke a marqué l’histoire du Japon féodal pour avoir été, notamment, le premier Africain apparu dans les récits de l’époque. Raconté au travers de nombreux écrits, il s’agirait d’un esclave arrivé au Japon afin de servir un Jésuite, alors que des missionnaires tentaient d’y répandre le catholicisme. Rapidement repéré par Nobunaga pour ses qualités militaires et stratégiques, l’homme le plus puissant du Japon au 16è siècle en fait son protégé et lui décerne le titre honorifique de samouraï, un cas unique pour un homme venu d’Afrique. Mais l’œuvre qui nous intéresse aujourd’hui n’est pas le récit du parcours de Yasuke. Si j’en dis quelques mots, c’est parce qu’il faut comprendre son parcours pour aborder l’histoire imaginée par H.S. Tak. Il ne s’agit pas pour l’auteur de faire un cours d’histoire, pas plus qu’il n’est question de se focaliser sur l’étonnement suscité à l’époque de voir cet homme noir au milieu d’une société qui n’en avait jamais vu. Loin d’en faire la bête de foire qu’il aurait pu être, l’auteur raconte l’après, le bout de destin du samouraï que personne ne connaît. Car dans les écrits qui ont été retrouvés de la fin du 16è siècle, toute mention du samouraï noir s’éteint avec la mort de son maître Oda Nobunaga. Alors cela laisse une liberté totale à l’auteur pour imaginer un futur où il s’est mis à vagabonder sous le titre de ronin, un samouraï sans maître, organisant des combats sans grand intérêt avec un sumo qu’il ne semble plus pouvoir battre, et tentant de gagner sa croute avec un air désabusé face à une société qui a déjà oublié qui il était.
C’est à ce moment-là qu’il fait la rencontre de Hitomi, à l’hiver 1590. Une jeune fille orpheline et sans attaches qui parcourt le Japon à la recherche d’un samouraï à la peau noire. Si elle n’en garde un souvenir que sommaire, elle est toutefois convaincu que c’est ce samouraï-là, cette légende oubliée, qui a détruit son village et assassiné sa famille à son plus jeune âge. Leur rencontre se passe un peu comme prévu : l’un n’en a pas grand chose à faire, et l’autre veut apprendre à se battre à ses côtés pour, un jour, avoir les capacités de l’assassiner et assouvir sa vengeance. Formant un drôle de duo, les deux vont traverser quelques villages en mettant leurs services en vente pour gagner quelques pièces, lui essayant d’apprendre à la jeune fille le maniement des armes mais plus encore, un certain sens de la justice, tandis qu’elle est extrêmement pragmatique et cherche à accomplir sa vengeance le plus tôt possible. Sorte de Léon sans le sous-texte crado qui va avec, Hitomi séduit par sa douceur, l’intelligence d’une mise en scène qui cherche avant tout à célébrer les différences de deux personnages atypiques. Deux marginaux qui peinent à trouver leur place dans un Japon féodal qui rejette les différences, et qui trouvent certainement une forme de réconfort dans le bout de route à accomplir ensemble.
Vengeance de l’ombre
Contre toute attente, c’est un lien fort qui va peu à peu rassembler Hitomi et Yasuke. La détermination de la jeune fille en vient à convaincre le ronin de l’accompagner et de la former, tandis que lui se reconnaît malgré tout dans cette quête d’idéal qu’il a depuis longtemps abandonné. Le récit de H.S. Tak arrive à un équilibre intéressant en jouant sur deux temporalités : celle du présent où le duo inattendu vagabonde à travers le Japon, et puis des bribes d’un passé commun entre chasseur et chassée. En jouant sur les zones d’ombre de l’histoire de cette figure historique japonaise, le scénariste lui donne une consistance pas inintéressante, de souvenirs lointains d’un pays d’Afrique jamais nommé (car aucun écrit ne permet de savoir d’où il venait réellement), à un passé d’esclave, jusqu’à une allégeance à un Oda Nobunaga qui ne fait plus partie que de l’histoire ancienne. Hitomi, quant à elle, incarne ce fameux personnage vengeur dont la littérature ou même le cinéma japonais est friand, et dont s’inspire allègrement l’auteur. Si l’on devait pinailler, on lui trouverait un caractère relativement unidimensionnel, mais cela s’explique aussi parce qu’elle est à un âge où elle apprend autant du monde qui l’entoure que sur sa propre personnalité. Un caractère qui s’est fondé dans l’horreur, et qui l’a amenée à grandir avec un seul but dans la vie : tuer le samouraï noir. Pour donner vie à cette histoire rondement menée, la dessinatrice italienne Isabella Mazzanti s’inspire des estampes japonaises. Plutôt du côté des couleurs, offrant quelques planches d’une beauté surprenante. Elle évite par ailleurs la facilité en y ajoutant un trait résolument moderne qui n’est pas sans rappeler quelques-unes de ses précédentes illustrations.
Aussi fascinant que méconnu, le destin de Yasuke a suscité de nombreux fantasmes. Complètement absent au-delà de la mort de son maître au 16è siècle, il n’en reste pas moins une figure qui n’a cessée d’alimenter les théories les plus folles. Alors en imaginant son destin, celle d’un vieux ronin en quête d’une vie plus paisible, H.S. Tak et Isabella Mazzanti s’offrent une histoire à l’élégance certaine, pourtant agrémentée de quelques scènes qui n’hésitent pas à rendre compte de la violence ordinaire qui parcourait un Japon sans foi ni loi. Une belle histoire en un seul tome, celle d’une quête de vengeance atypique, mais pas seulement. C’est aussi et avant tout l’histoire d’une jeune fille qui se cherche, frappée par une vie sans pitié, et qui pourtant rêve malgré elle d’un autre monde.
- Hitomi est disponible en librairie depuis le 28 juin 2024 aux éditions Urban Comics.