Avide de trouver un « jeu service » à succès pour son catalogue, Sony a réorienté sa stratégie vers ce type de jeu pour tenter de dénicher la perle rare. Si les échos médiatiques annoncent des difficultés sur certains projets, l’un d’eux pointe enfin le bout de son nez. Et c’est Helldivers 2, développé par le studio suédois Arrowhead Game Studios, qui a su rappeler son expertise en la matière. Un peu à l’image de la bonne surprise du premier jeu sorti en 2015, cette suite amène ses ingrédients à succès et y ajoute quelques petits éléments qui lui ont permis de capter une jolie communauté autour de ses missions à la tension permanente.
Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un code PlayStation 5 par l’éditeur.
Pour la gloire de l’humanité
Helldivers 2 nous emmène sur la Super-Terre, une planète où l’humanité tente de se défendre face à des espèces extraterrestres qui lui veulent du mal. Mais on n’est pas là pour se prendre au sérieux, alors le studio suédois raconte une humanité sous l’égide d’un gouvernement techno-démocrate qui fleure bon l’autoritarisme sous couvert de bons sentiments, dans un monde néo-libéral qui s’accommode bien du bruit des bottes. Très second degré et avec une cinématique d’ouverture savoureuse, le jeu montre toute l’absurdité de son monde dans un patriotisme exacerbé où l’on incite les jeunes gens à s’engager pour aller se faire trucider. C’est une satire très réussie, où l’hommage à Starship Troopers est une évidence, mais il est dommage de voir que cette dimension narrative se met plus en retrait par la suite. Les bons mots et les découvertes sur l’histoire et le lore se limitent en effet ensuite à quelques collectibles à découvrir aléatoirement lors des missions, une poignée de mots à chaque fois où l’on en profite pour apprendre la tragédie vécue par d’ancien·nes soldat·es dont on trouve les corps inanimés. Ce système narratif a le mérite de laisser la part belle aux missions, pour un jeu qui est entièrement tourné vers son gameplay et la coopération. Mais la cinématique d’ouverture est une telle réussite qu’il y a une part de moi qui rêvait d’en avoir un peu plus par la suite.
Sur la forme, le système de jeu de Helldivers 2 s’assimile rapidement. Tout tourne autour d’un hub central, une sorte de grand destroyer spatial dont on peut customiser le nom selon des mots prédéfinis qui fleurent bon le patriotisme (le mien s’appelle le « Marteau de la Démocratie », la faucille manque à l’appel), qui permet de choisir les missions à réaliser, débloquer des compétences passives, équiper des stratagèmes et choisir les armes à emmener en mission. Mais j’en parlerai un peu plus bas. Le hub est aussi le moment de découvrir notre personnage, dont le sexe n’est pas défini, avec pour seuls éléments de customisation la voix, la forme du corps et de l’armure. Une fois tout intégré, il est l’heure de se jeter dans un des « pods » prêts à envoyer les petit·e·s soldat·e·s de la démocratie vers une nouvelle planète à sauver d’invasions de méchants extraterrestres. Globalement, toutes les missions commencent de la même manière, en arrivant jusqu’à 4 joueurs et joueuses en coopération (et c’est indispensable passé un certain niveau de difficulté) sur une planète aux objectifs générés aléatoirement, où il s’agit d’accomplir quelques objectifs clés comme des bases à détruire, des objets à récupérer, des radars à refaire fonctionner ou des humains à sauver, le plus vite possible afin de pouvoir rejoindre le point d’extraction dans le temps imparti. Plus globalement, ces missions ont une influence sur un univers qui raconte une guerre galactique persistante, comme à la plus belle époque de certains jeux en ligne (des MMO, notamment) qui nécessitaient l’entraide de toutes leurs communautés. Puisque chaque nouvelle planète à sauver ne l’est réellement que lorsque suffisamment de personnes ont pu terminer des missions dessus, avec une jauge qui se met à jour en temps réel pour montrer le pourcentage de démocratie qu’il reste à jeter sur le coin de la gueule des insectes et robots qui nous servent d’ennemis. Ce système persistant est similaire à celui du premier jeu, et incite fortement à la coopération, ce qui facilite grandement les missions en matchmaking rapide où, en général, on tombe sur des personnes plutôt bien intentionnées qui poursuivent les mêmes objectifs que nous. Une fois une planète délivrée, rebelote, on nous propose un nouvel objectif global et on passe à la planète suivante, tandis que le studio a pour objectif de lancer des évènements réguliers pour faire découvrir de nouveaux lieux et planètes, mais aussi inciter sa communauté à revenir jouer et picorer de nouvelles choses à mesure que l’univers progresse pour tout le monde. Par exemple, deux semaines après la sortie du jeu où l’essentiel des missions se faisaient contre un envahisseur alien à l’aspect insectoïde, le jeu a embrayé sur un nouvel envahisseur fait d’androïdes, avec ce que cela implique de nouvelles spécificités de gameplay (armures plus résistantes aux balles, missiles et armes à feu pour certains ennemis…)
La grande nouveauté de cette suite toutefois, et elle saute aux yeux dès le lancement de la première mission (un vaste tutoriel dans un camp d’entraînement pour bon patriote) : exit la vue du dessus du premier jeu, à la manière de twin-stick shooter d’antan, et place cette fois-ci à une vue type third person shooter, avec une caméra qui se place juste derrière notre personnage. C’est un changement de paradigme considérable pour le jeu puisque cette nouvelle vue redistribue entièrement la dynamique et l’approche des missions. Il y a la perspective d’abord, avec un terrain fait de dénivelés, plus vertical, avec ce que cela a d’impact sur la visée et les déplacements. Mais surtout, dans un jeu qui balance régulièrement des grandes vagues d’ennemis, il faut constamment jeter un coup d’oeil dans son propre dos pour éviter de se faire encercler. Bien que les ennemis tombent facilement sous les balles, sauf les mini-boss et quelques ennemis en armure, le personnage tombe aussi très rapidement sous les coups. Il y a bien moyen de se faire quelques injections dans le cou pour regagner un peu de vie, mais ces objets sont limités et le temps nécessaire pour les utiliser fait qu’il est presque impossible de survivre quand on est prix en sandwich. D’autant plus que les personnages sont plus lents, les déplacements parfois entravés par des marais ou autres joyeusetés qui ralentissent les pas, une barre d’endurance empêche de trop enchaîner les roulades, et ce afin de toujours maintenir une certaine vulnérabilité qui oblige à jouer en équipe pour aborder les différentes vagues d’ennemis.
Démocratie enflammée
Et pour faciliter les choses, on retrouve le système de stratagèmes du premier, c’est-à-dire des colis que l’on peut demander à tout moment en réalisant une suite de touches, comme des codes de triche de jeu à l’ancienne. Des colis largués sur le champ de bataille pour se ravitailler en munitions, amener de nouvelles armes, drones, ou encore appeler des frappes orbitales et aériennes qui aident bien à faire le ménage. Les stratagèmes sont nombreux mais les meilleurs nécessitent d’être débloqués grâce à des ressources obtenues en mission, des ressources plutôt chiches qui nécessitent d’explorer chaque recoin, rendant la progression assez lente. Du côté des armes, elles se débloquent via un « battle pass » comme on en voit dans de nombreux jeux service et jeux mobile, c’est-à-dire un certain nombre d’objets à débloquer au fil du temps et qui se renouvellent au fil des saisons et évènements lancés par le studio. Le bon côté, c’est que le pass est gratuit et offre beaucoup de contenu, tandis que la version payante pour le moment n’offre rien de déterminant pour la progression. La vigilance reste de mise pour l’avenir, car compte tenu du succès immédiat du jeu, on ne doute pas qu’il sera maintenu avec du nouveau contenu pendant un bon bout de temps, et il faut espérer que le studio ne soit pas tenté au bout d’un moment de favoriser les joueurs et les joueuses qui rajoutent quelques pièces dans la machine avec quelques euros durement gagnés. Néanmoins les choses devraient être limitées par le fait que les armes et armures (dont l’impact n’est que cosmétique) du battle pass dit « premium » nécessitent de toute façon de débloquer des médailles, la monnaie d’échange acquise en mission. L’argent réel ne servant, finalement, qu’à débloquer la simple possibilité d’acheter ces armes et armures avec les médailles acquises en jeu.
Mais là où Helldivers 2 a tendance à me décevoir, c’est sur son contenu global. Neuf ans après le premier jeu, on se retrouve là au lancement avec un titre moins généreux que son prédécesseur : il y a une faction ennemie en moins, il n’y a pas d’amélioration d’équipement, pas de mécha ni de véhicules, et pas de réelle possibilité de jouer en « heal » ou « support » non plus. Plus encore, il y a à mon sens un manque d’impact dans le gameplay, avec des tirs qui n’offrent pas trop de sensations, même si la tension permanente du fait du risque d’être submergé·e par des vagues ennemies est un de ses points forts. Le souci, c’est également que beaucoup des meilleurs stratagèmes, ceux qui offrent un vrai sentiment de puissance, mettent beaucoup de temps à se débloquer, puisqu’ils se cachent à la fois derrière des ressources à dépenser (qui sont elles aussi plutôt longues à rassembler) et un niveau global de personnage qui monte tranquillement. Il faut donc bien passer 5 à 6 heures dans des missions répétitives, comptant essentiellement sur nos partenaires de coopération pour nous sauver les miches, avant de pouvoir récupérer de quoi s’amuser. Heureusement, il est tout à fait possible de refiler ses armes (du moins, celles larguées dans les colis) à nos compagnons en pleine mission, ce qui peut occasionner de jolis moments, comme les fois où en étant à bas niveau j’ai croisé de parfait·e·s inconnu·e·s qui m’ont offert leurs armes pour me permettre d’être plus utile dans la mission en cours. Enfin, et sur un plan technique, le jeu est solide et tourne très bien sur PlayStation 5, même si ses serveurs ont connu de sévères difficultés lors des deux ou trois premières semaines d’exploitation. Aujourd’hui, il n’y a toutefois plus vraiment de difficulté à trouver une partie à rejoindre en coopération, de jour comme de nuit.
Dans l’ensemble, on aurait pu espérer que 9 ans après le premier jeu, Helldivers 2 proposerait a minima un contenu aussi généreux tout en promettant des éléments inédits. En réalité, à l’exception du changement de perspective (de la vue du dessus au TPS) qui renouvelle le gameplay et la manière d’approcher les missions, Helldivers 2 ampute son univers d’éléments importants du premier jeu et nous laisse espérer que ceux-ci reviennent dans une mise à jour à venir. Si cela n’empiète pas sur le plaisir immédiat d’un jeu service dont le modèle économique est, pour le moment, plutôt honnête, il y a une certaine déception sous-jacente en s’apercevant que les nombreuses années qui séparent les deux jeux n’ont pas permis à Arrowhead Game Studios d’aller au-delà de la proposition initiale. Aussi addictif que son aîné, il lui manque néanmoins le petit gimmick supplémentaire qui lui permettrait de s’affranchir de son héritage, se contentant pour le moment de proposer un contenu de base similaire, moins quelques éléments que l’on aurait aimé voir dès le lancement du jeu, et pas dans une éventuelle mise à jour à venir. Le potentiel est là, il y a moyen de passer d’excellents moments en coopération et les sentiment de tension est extrêmement prégnant, mais il lui reste tout à prouver. On attend notamment un contenu capable de faire vivre le jeu sur le long terme.
- Helldivers 2 est disponible sur PlayStation 5 et PC depuis le 8 février 2024