Disgaea 6 : Defiance of Destiny | L’enfer du farming

par Anthony F.

Curieuse saga qu’est Disgaea. Sans jamais avoir fédéré largement le public, les jeux créés par les esprits de Nippon Ichi Software ont toutefois su trouver leur public grâce à un système de combat tactical, et des dialogues à l’humour noir où le quatrième mur n’a pas tenu bien longtemps. Je dois l’avouer d’emblée, c’est un titre sur lequel je ne me suis jamais attardé, mais j’ai eu envie de découvrir son univers avec l’arrivée du sixième épisode canonique (la série en comptant plus d’une vingtaine, avec les spin-off) sur PlayStation 5 et PC fin juin après une sortie sur Switch et PS4 l’année dernière. Attention, la critique peut contenir des spoilers mineurs relatifs à l’intrigue.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un code du jeu par l’éditeur. L’histoire principale a été terminée sur PlayStation 5 en une vingtaine d’heures, avant que le jeu me fasse comprendre qu’il voulait m’emprisonner quelques dizaines d’heures de plus.

Réincarnations pour se sauver

©2021 Nippon Ichi Software, Inc. ©2021 NIS America, Inc. All rights reserved.

Disgaea 6 nous conte les aventures de Zed, un mort-vivant qui a déjà vécu plusieurs « vies » dans une quête qui lui apparaît sans fin : la chasse au Death-tructor divin. Cette entité mystique qui détruit des mondes à la chaîne est responsable de la disparition de sa sœur, poussant le zombie à le pourchasser à travers les mondes et les incarnations. Car la particularité de Zed est qu’il ne peut lui-même pas être détruit, lui qui a déjà affronté le Death-tructor divin à de nombreuses occasions, réincarné chaque fois qu’il était terrassé. On prend donc le fil en route (et il n’y a aucun besoin d’avoir joué aux précédents titres pour comprendre l’histoire), à l’occasion d’une nouvelle chasse à l’ennemi avec l’unique but de l’affronter, le battre, mais finir par être terrassé avant d’être réincarné sur un autre monde et à une autre époque. Cette répétition de l’histoire n’apparaît que comme une excuse pour que Zed puisse traverser les âges et faire la rencontre de nombreuses personnes aux caractères bien trempés, dans des mondes allant de l’heroic fantasy la plus classique à un futur où les super-héro·ïne·s n’existent que pour tourner des films et faire des vues sur internet, l’écriture se moquant gentiment de la vague de films inspirés de comics qui ont déferlé sur notre monde ces quinze dernières années. L’occasion, aussi, pour les artistes du jeu de proposer des environnements très variés et colorés, dans des mondes qui n’ont pas grand chose à voir les uns avec les autres. Si la direction artistique elle-même est toujours très similaire aux précédents titres de la saga, notamment sur le style de ses personnages qui est caractéristique des Disgaea, on sent quand même que les artistes ont pris un sacré plaisir à imaginer des mondes radicalement différents où la mise en scène très théâtrale est sublimée par des couleurs chatoyantes.

Et ce toujours avec l’inévitable humour qui a fait la renommée de la série. Sans avoir passé trop de temps sur les précédents épisodes, je savais bien dans quoi je m’embarquais et ce sixième épisode canonique n’a pas déçu sur ce point. Chaque dialogue, chaque découverte d’un nouveau monde, chaque confrontation face à un nouvel antagoniste est une bonne excuse pour sortir des piques savoureuses au sein de dialogues à l’écriture qui recherche toujours du côté de l’humour. C’est souvent délirant, très second degré, avec un quatrième mur souvent brisé et des personnages qui s’en mettent plein la poire. Parfois drôle, le jeu peut aussi sombrer de temps à autre vers une certaine lourdeur, d’autant plus que ses personnages très stéréotypés n’arrivent pas à sortir de ce carcan imposé par leur personnalité. Il y a pourtant quelques bonnes idées qui montrent que le titre se moque parfois des stéréotypes des J-RPG, comme la princesse qui est ici autoritaire et n’est pas là pour être sauvée, le roi qui est un lâche et n’existe qu’au travers de son argent, un des grands méchants qui n’est pas très inquiétant (au contraire)… Disgaea 6 s’amuse d’un monde dans lequel le jeu a été bercé, avec quelques belles réussites qui n’effacent pas toujours une certaine longueur et un manque d’intérêt sur le long terme. On dit que les meilleures blagues sont les plus courtes, mais le titre semble être incapable de s’arrêter. Si l’intrigue principale est relativement courte pour ce type de jeu (une vingtaine d’heures), elle ressasse encore et encore les mêmes vannes avec un effet de surprise qui s’estompe rapidement.

Désir de puissance

©2021 Nippon Ichi Software, Inc. ©2021 NIS America, Inc. All rights reserved.

Plus que pour leur écriture, les Disgaea ont su fédérer une base de fans grâce à leur gameplay qui rappelle que les J-RPG ont, avant tout, su séduire par des systèmes bien à eux. Ici rien de bien nouveau pour la saga, puisqu’on retrouve des combats tactiques au tour par tour, avec un déplacement par case qui est habituel. La particularité étant que l’on contrôle jusqu’à dix héro·ïne·s avec la possibilité d’assembler ces personnages sur des cases adjacentes afin de multiplier leurs forces et taper plus fort. Le titre trouve aussi une originalité dans la verticalité de ses zones de bataille, jouant énormément dessus en proposant des personnages qui ont parfois plus de facilité à gravir certains obstacles, tandis que d’autres vont avoir besoin que l’on bouge des caisses les unes sur les autres afin de pouvoir atteindre les hauteurs. Cette prise de l’espace et de la hauteur n’a toutefois qu’une incidence très relative sur les dégâts faits aux ennemis, contrairement à d’autres tacticals où cela peut jouer. Ici, la verticalité sert essentiellement à contraindre les joueur·euse·s à déplacer leurs troupes avec parcimonie et intelligence, afin d’éviter qu’un personnage soit bloqué au début de la carte parce qu’on a cassé les caisses qui servent à progresser ou parce qu’on n’a pas profité de la présence d’un personnage pour en lancer (littéralement) un autre. Le système fonctionne assez bien, même si cela peut allonger certains combats où l’on passe beaucoup plus de temps à se déplacer qu’à attaquer véritablement une IA qui, de son côté, prend rarement de risques en s’exposant assez peu. Les déplacements sur la carte sont d’autant plus décisifs lors des combats que l’on trouve régulièrement des cases colorées qui, si on marche dessus, provoquent certains bonus (plus de vie, de force…) ou des malus (baisse de points de vie, d’expérience…) dont on peut tirer partie soit en attirant l’ennemi dessus, soit en détruisant les cristaux qui contrôlent ces cases. Plus que d’autres tacticals, Disgaea 6 profite à fond de ses environnements, avec des combats qui se décident souvent par notre capacité à comprendre comment fonctionnent les différentes cartes de batailles.

©2021 Nippon Ichi Software, Inc. ©2021 NIS America, Inc. All rights reserved.

Et il y a intérêt à trouver son compte dans les combats, car c’est le cœur du jeu. Les cutscenes où l’humour se déploie ne sont que de courtes étapes entre deux combats, où il va falloir être malin·e pour l’emporter face à des ennemis qui, selon les multiplicateurs de difficulté choisis, peuvent être pénibles. Car oui, le jeu ne parle pas en difficulté à proprement parler mais en multiplicateur puisque de base, le titre est assez facile et les ennemis offrent peu de résistance. Toutefois pour augmenter considérablement l’expérience acquise à chaque combat on peut accéder au « comptoir de triche » au sein du hub principal (où l’on trouve aussi marchands et autres joyeusetés) afin de jouer avec différents paramètres qui permettent d’augmenter, entre autre, le niveau des ennemis afin d’obtenir plus d’expérience. Mais aussi pour gagner plus de karma, ou encore d’argent, et ce afin de pouvoir corrompre « l’Assemblée infernale » où des députés votent les idées qu’on leur soumet (se réincarner, débloquer des pouvoirs, créer des allié·e·s…) selon nos infinités et l’argent qu’on veut bien y mettre quand ça coince. Cette Assemblée est d’ailleurs indispensable puisqu’elle permet de « s’ultra-réincarner », une mécanique qui consiste à retourner au niveau 1, tout en investissant dans des statistiques de base inhérentes au personnage (qui ne bougeront pas aux prochaines réincarnations), ce qui fait qu’à chaque ultra-réincarnation on recommence en étant plus fort·e qu’auparavant.

Mais pour obtenir toutes ces choses, il faut passer beaucoup, beaucoup de temps en combat. Si les Disgaea sont réputés pour l’enfer du farming qu’ils représentent, ce sixième épisode canonique tente d’alléger la charge en permettant littéralement de laisser le jeu se jouer seul. Et ce en introduisant un système de « démonicides » qui est pratiquement calqué sur l’excellent système des Gambits de Final Fantasy XII. Celui-ci permet de donner des actions à réaliser à chaque personnage selon les situations et selon trois questions : « quoi », « qui » et « quand ». C’est-à-dire choisir quelle action faire (quoi), en visant quel objectif (qui) et à quelle occasion (quand). Un exemple : on peut demander à un personnage de se déplacer vers l’ennemi pour déclencher une compétence d’attaque quand un ennemi apparaît. Ou à un autre d’utiliser une compétence de soin quand la vie d’un allié passe sous les 50%, ou encore à d’autres de se déplacer vers un coffre pour l’ouvrir quand il y en a un sur la carte, à défaut d’attaquer, etc. Il s’agit donc d’ordres en cascade que l’on s’amuse à mettre en place afin de couvrir toutes les situations possibles, et ce afin de déclencher des combats automatiques où l’on finit par poser la manette et regarder faire. Si ce système ne conviendra pas à tout le monde, il permet de s’éviter de longues sessions de farming pour gagner de l’expérience, du karma (qui sert essentiellement à débloquer des compétences) ou de l’argent. Cela permet, aussi, de rechercher l’optimisation parfaite de notre groupe en profitant de la complémentarité des compétences de chaque personnage. Et c’est indispensable, notamment en post-game. On parle en effet d’un jeu où le niveau maximal de base est 9 999, mais qui peut être débloqué jusqu’à 99 999 999 dans les quêtes qui arrivent une fois l’histoire principale bouclée. Cela donne lieu à des feuilles de statistiques ahurissantes pour les personnages, mais aussi de longues heures à manipuler les multiplicateurs de difficulté pour maximiser les revenus et finir par gagner des trillions d’expérience par combat. C’est absolument démesuré et débile au sens où les statistiques des personnages finissent par ne plus rien vouloir dire, mais c’est ça l’esprit Disgaea, n’imposer aucune limite. Cela fonctionne parfois, mais il faut bien avouer que Disgaea 6 a un côté épuisant, où ce désir d’en mettre toujours plus finit par décourager. Si j’ai terminé la quête principale, je n’ai pas été au bout du contenu post-game dès lors que je me suis rendu compte que le jeu allait me faire affronter des ennemis à plusieurs centaines de milliers de niveaux supérieurs à mes personnages (qui étaient tous 9 999 à la fin de l’histoire). Repartir pour du farming et d’interminables ultra-réincarnations a quelque chose d’assez lassant à la longue.

Un charme surprenant

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Plutôt joli et propre dans l’ensemble, le jeu profite de ce passage sur PlayStation 5 pour s’affiner et proposer des personnages un peu plus lisses que dans ses versions Switch et PlayStation 4 l’année dernière. Les cartes des combats quant à elles sont super bien réalisées, c’est vraiment la plus grosse réussite du titre, et les personnages ont tous un design très unique, souvent réussi. On regrette quand même que la série semble toujours peiner à évoluer sur sa représentation des personnages féminins, puisque l’on reste dans la caricature visuel des J-RPG avec ses héroïnes à la poitrine improbable. Et c’est d’autant plus dommage que le titre, comme je le disais plus tôt, a parfaitement conscience de ces caricatures et s’en amuse même parfois. Heureusement c’est un titre dans l’ensemble qui maîtrise plutôt bien son aspect visuel, avec un vrai plaisir à chaque fois de découvrir de nouvelles zones et de nouvelles ambiances, même s’il se répète deux fois dans la première partie en recyclant quelques zones. Mauvais point toutefois pour les ennemis qui sont plus répétitifs, et le fait que le jeu ne comporte pratiquement qu’un seul boss (le fameux Death-tructor divin). Certes, c’est l’histoire qui veut qu’on l’affronte un grand nombre de fois, mais ça aurait été bien que le jeu propose quelques boss différents en parallèle. Enfin et toujours sur la direction artistique, la bande originale peine à convaincre malgré quelques rares bons moments.

Les sentiments sont mitigés à la fin de ce Disgaea 6. Si je suis bien content d’avoir enfin pu aller au bout de l’histoire d’un titre de cette fameuse saga, et malgré quelques bons dialogues et un système de combat plutôt réussi, la lassitude s’est trop vite installée face à un humour qui peine à se renouveler. Les dialogues sont le plus souvent assez lourds, tandis que le plaisir de la découverte d’ambiances très différentes ne suffit pas à combler les lacunes d’un univers sans queue ni tête, et ce malgré la drôle d’alchimie bien trouvée dans le petit groupe que l’on forme. Plus encore, c’est le sentiment de trop plein qui prédomine dans un jeu qui ne sait jamais vraiment s’arrêter, à l’image de son contenu post-game où l’expérience à obtenir sur chaque personnage pour espérer tout compléter atteignent des niveaux délirants qui, certes, sont justifiés par l’ambiance improbable de la saga, mais qui finissent par lasser et pousser à mettre le jeu de côté. Alors ça peut être un bon titre pour l’été si l’on a envie de légèreté, mais il ne faut pas avoir peur d’être submergé d’informations et de contenu dans un jeu qui ne fait pas grand chose pour être accueillant aux nouveaux et nouvelles venues.

  • Disgaea 6 : Defiance of Destiny est disponible depuis le 28 juin 2022 sur PlayStation 4, PlayStation 5, Nintendo Switch et PC.

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