Le rendez-vous mensuel se poursuit avec ce troisième numéro de la chronique dédiée aux publications de l’ère DC Infinite depuis leur arrivée en France aux éditions Urban Comics. Et après trois mois, on a déjà pu voir un bel éventail de ce que cette nouvelle ère peut proposer, avec comme série majeure évidemment la continuité Batman qui se dote de son deuxième tome. Mais l’évènement de ce troisième numéro se trouve plutôt du côté de Batman Detective Infinite, un premier tome qui fait figure d’événement historique dans l’univers DC. En effet, les élites de la « distinguée concurrence » ont enfin découvert que les femmes peuvent aussi écrire des comics.
Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’exemplaires par l’éditeur.
Batman Infinite – Tome 2, la loi du plus fort
A sa sortie en janvier, le tome 1 de Batman Infinite écrit par James Tynion IV et dessiné par Jorge Jimenez avait pour lui son ambiance horrifique, au lendemain d’une terrible attaque sur l’asile d’Arkham qui rebattait les cartes à Gotham, entre vilains assassinés et nouveaux rapports de domination. C’est ainsi que Simon Saint, industriel milliardaire, se faisait une place au pouvoir en proposant au maire fraîchement élu, l’ancien officier de police Nakano (qui a les super-héro·ïne·s en horreur), de mettre en place le programme Magistrat. Celui-ci consiste à offrir à quelques personnes, dont un ancien gardien d’Arkham érigé en héros, une sorte d’armure et diverses augmentations physiques pour pouvoir lutter à la fois contre les super-vilain·e·s ainsi que Batman et ses semblables. La chauve-souris a en effet été déchue, avec une réputation mise à mal tandis que Bruce Wayne a perdu toute sa fortune. Ce deuxième tome continue l’arc et s’écarte un peu de l’aspect horrifique, avec l’Épouvantail, qui donnait au premier tome son ambiance si particulière. On retombe sur une mise en scène moins inspirée, moins inventive. Toutefois le duo James Tynion IV-Jorge Jimenez a suffisamment d’expérience pour offrir quelques chapitres très solides, qui s’accompagnent dans ce tome d’un chapitre de Nightwing écrit par l’excellent Tom Taylor.
Là où l’écriture fonctionne bien, c’est sur son questionnement de la figure du héros au travers de Sean, qui se rêvait en policier et qui a fini en gardien de prison raté. Pseudo-héros propulsé par Simon Saint pour s’attirer les faveurs du peuple de Gotham sous couvert d’un populisme dégoulinant, Sean est l’incarnation de ce désir, pour beaucoup de policier·e·s d’incarner l’ordre et la justice. Un désir de toute puissance et d’autorité qui mène aux dérives et aux violences que l’on connaît, un élément politique que James Tynion IV s’approprie très bien en s’intéressant à ce besoin de trouver des héros au milieu des plus grandes catastrophes. C’est aussi une manière d’écorcher le mythe du super-héros, qui apparaît imparfait et faible, qui n’est pas un remède au mal rampant qui gangrène la ville et ses institutions. À Gotham, le mal vient de partout, mais surtout d’en haut, incarné par Simon Saint et Christopher Nakano, deux hommes prêts à tout pour satisfaire leur besoin de pouvoir. L’un a fomenté la chute de Gotham pour mieux se l’approprier, l’autre est prêt à passer un pacte avec le diable pour écarter Batman. Face à ces deux hommes, on voit émerger une solution au travers d’un collectif populaire, Unsanity, en opposition à un système politique qui se nourrit de la peur des citoyen·ne·s pour justifier des décisions autoritaires au lendemain d’événements traumatisants (en l’occurrence, un attentat). Moins inventif sur sa mise en scène, ce deuxième tome va toutefois plus loin sur sa vision politique des nombreux conflits qui empoisonnent Gotham, et c’est une réussite.
Batman Detective Infinite – Tome 1, l’homme est un prédateur
Il est enfin là. Detective Comics (intitulé Batman Detective Infinite chez nous) était l’un des titres que j’attendais le plus dans l’ère Infinite. Parce que c’est une série que j’affectionne tout particulièrement pour sa capacité à rester plus terre à terre, plus proche de la facette détective de Batman, celui qui combat la pègre et les luttes internes des institutions plutôt que les super-vilain·e·s. Et dans le monde d’Infinite où tous les rapports de force ont été chamboulés à Gotham, il était évident que Detective Comics pouvait faire quelque chose d’intéressant. Et je n’ai pas été déçu : écrit par l’excellente Mariko Tamaki, le comics nous montre un duo formé par Huntress et Batman à l’heure où de nombreux assassinats ont lieu en ville. Si le crime est le quotidien à Gotham, ces assassinats sont particuliers : les victimes font parties de l’élite de la ville. Une élite que l’on nous présente comme complètement ignorante de la criminalité, qui voit le crime comme quelque chose de lointain, qui arrive dans les quartiers pauvres de Gotham, et qui n’atteindraient jamais leur porte. Pourtant, une voisine de Bruce Wayne (qui n’est plus milliardaire, mais qui vit quand même dans un beau quartier) est cruellement assassinée, tandis que d’autres disparitions sont signalées. S’enclenche une enquête où Huntress et Batman se muent en détectives, affrontant l’horreur la plus pure aux tréfonds d’un pouvoir aveuglé, croyant que « l’élite » ne risquerait rien. Le comics bénéficie en outre du super travail du dessinateur costaricien Dan Mora, dont la mise en scène sublime l’histoire de Mariko Tamaki.
Car c’est très bien raconté, d’autant plus que l’autrice en profite pour aborder les questions d’agressions sur des femmes, de la violence des hommes et de leur responsabilité dans un système oppressif où la violence vise essentiellement les femmes. C’est un titre engagé, notamment au travers de la relation entre Huntress et une inconnue, dont le destin a un impact conséquent sur l’héroïne et conditionne ses choix. Le titre est d’autant plus important que le choix de mettre Mariko Tamaki à l’écriture de Detective Comics est historique. Si c’est une évidence pour son talent et ses succès récents, cela n’a pourtant rien d’évident pour la série. Née en 1937, la série Detective Comics est un pilier de l’univers Batman et a vu se succéder de nombreux auteurs talentueux. Mais jusqu’à son numéro 1034 (qui constitue le premier chapitre de ce tome), Detective Comics n’avait… jamais connu d’autrice. Mariko Tamaki est la première femme à écrire sur la série, et seulement la deuxième après Devin Grayson (Gotham Knights) à écrire pour une des séries principales de l’univers Batman. Alors DC Comics s’attend évidemment à être récompensé d’un cookie et d’être célébré pour avoir honoré Mariko Tamaki de cette prestigieuse place de lead writer, mais… Vraiment ? Il fallait vraiment plus de 80 ans d’existence pour enfin en arriver là ?
Robin Infinite – Tome 1, origines d’un combat mortel
Damian Wayne, fils de Bruce, s’est éloigné de son père après une énième prise de bec et les événements du Joker War, il part alors dans une quête très personnelle : un retour vers ses origines. Ce premier tome de Robin Infinite s’ouvre donc sur une discussion entre lui et sa mère Talia al Ghul, avant qu’il se mette à rechercher des réponses du côté de son grand père Ra’s al Ghul. Le personnage de Damian Wayne a toujours été à part parmi les Robin, parce qu’il est le fils biologique de Batman, mais aussi parce qu’il possède en lui le « sang du démon » qui vient de Ra’s al Ghul. Faisant de lui, certes, un super-héros, mais aussi un gamin plutôt violent, insatiable et exigeant. On se souvient par exemple de l’excellent comics Super Sons où son mauvais caractère s’opposait à celui de Jon Kent, le fils de l’optimiste Superman. Et pour lancer ce Robin Infinite, sa quête l’emmène sur l’île de Lazare, là où les morts reviennent à la vie et où s’organise un tournoi à mort entre quelques combattant·e·s à qui l’on promet l’immortalité. Sorte d’hommage à Mortal Kombat, on sent que Joshua Williamson et Gleb Melnikov se sont éclatés à mettre en scène le comics.
Parce que cette évidente référence à Mortal Kombat provoque des combats absurdes où chacun·e peut mourir jusqu’à deux fois en revenant à la vie, la violence devient ainsi le quotidien et permet à Damian Wayne d’assouvir ses rêves de justice expéditive sans trop souffrir de culpabilité. On y trouve même presque une ambiance proche des Teen Titans, où des gamin·e·s fils et filles de personnages plus connus font équipe, ou s’affrontent, au gré d’alliances fragiles pour tenter de comprendre le plan machiavélique qui se prépare sous couvert d’un tournoi. Plutôt joli visuellement, le comics manque quand même d’une narration plus solide, qui parvient rarement à dépasser le cadre de l’hommage rigolo, tandis que le personnage de Damian Wayne est une vraie tête de con et ne semble toujours pas grandir. Souvent frustrant, il est unidimensionnel et finalement assez peu intéressant pour le moment. On espère quand même que cette nouvelle série permettra de mener le personnage sur une nouvelle voie et de lui apporter plus de matière afin qu’il dépasse enfin cette colère capricieuse qui le caractérise.
- Batman Infinite T.2, Batman Detective Infinite T.1 et Robin Infinite T.1 sont disponibles en librairie depuis mars 2022.