DC Infinite #27 | La guerre des idées

by Anthony F.

La fin de l’année approche et après quelques mois d’été plus légers, la collection DC Infinite repart de plus belle avec quatre comics sortis ce mois de novembre. On y compte la fin de la série Dawn of Superman, et les suites des excellents Dawn of Green Lantern, Le Pingouin et Wonder Woman : Hors-la-loi qui avaient fait forte impression avec leurs premiers volumes. L’ensemble de ces comics sont sortis au cours du mois de novembre 2024.

Cette chronique a été écrite suite à l’envoi d’exemplaires par l’éditeur.

Dawn of Green Lantern – Tome 2, qu’est-ce que c’est, être un héros ?

© 2024 DC Comics / Urban Comics

On commence à bien connaître le concept des séries « Dawn of » chez DC sorties tout au long de l’année. C’est-à-dire un univers, plusieurs histoires qui s’y rattachent, et souvent un fil rouge commun. Pour le grand retour des Green Lanterns, on découvrait dans le premier tome une histoire de Jeremy Adams et dessinée par Xermánico mettant en scène Hal Jordan, l’un des Green Lantern les plus populaires, qui avait plus ou moins décidé de rester sur Terre, dans sa caravane au milieu de nulle part, cherchant une vie un peu plus paisible que ses multiples missions dans le cosmos. Mais les choses le rattrapèrent vite à cause de l’éternel Sinestro. Dans ce deuxième tome, il est toujours sur Terre, mais cette fois-ci physiquement bloqué par les Planètes unies (sorte de gouvernement cosmique qui remplace les anciens Gardiens bien connus de cet univers-là) qui ont décidé de placer la planète en quarantaine, pour une raison qui est encore obscure à Hal Jordan. Évidemment, cela cache une menace cosmique de premier ordre, et c’est une bonne excuse pour Jeremy Adams qui nous emmène dans un court arc très orienté blockbuster, avec son lot de batailles bien garnies sur fond de conspirations diverses et variées. Pas inintéressant, néanmoins assez inconséquent, le récit ressemble plutôt à un amuse-bouche avant de laisser place au second récit qui compose ce tome. Ce qui est plutôt étonnant sachant qu’il s’agit de la série principale outre Atlantique. 

Car l’essentiel est à chercher en réalité du côté de la deuxième histoire, titrée Green Lantern: War Journal, scénarisée par Phillip Kennedy Johnson et dessinée par Montos. Un récit dont on avait eu un très léger avant-goût dans le premier tome. On y rejoint John Stewart, autre Green Lantern de la planète Terres qui a lui aussi mis un terme à ses aventures héroïques. Pas seulement par lassitude, mais surtout parce qu’il souhaite prendre soin de sa mère gravement malade et en fin de vie. Autrefois une figure importante de la lutte pour les droits civiques aux États-Unis, la vie de sa mère pousse John à se questionner sur le sens de l’héroïsme, et le sens de cette désignation de « héros » pour un gars comme lui qui a eu la chance d’obtenir des pouvoirs surnaturels, tandis que d’autres personnes comme sa mère ont lutté avec leurs armes, c’est-à-dire aucune. Une jolie histoire, très intime, qui n’échappe évidemment pas à une grande bataille face à une menace planétaire incarnée par la « reine des morts », néanmoins celle-ci n’est qu’un écho aux questionnements du héros, et on assiste à quelques jolies scènes entre le héros et sa mère qui permettent de recentrer l’action sur leur relation. Je m’interroge toutefois sur les ambitions et enjeux de Dawn of Green Lantern, qui semble vouloir s’éloigner des classiques aventures des Lanterns dans l’espace, mais qui ne peut entièrement couper ses personnages des univers lointains qui ont fait l’essentiel des enjeux de ces personnages depuis toujours. On se retrouve avec des récits un peu branlants, avec des intentions intéressantes, mais qui semblent manquer de certitudes sur leurs envies. Ce n’est clairement pas le meilleur de ce que Jeremy Adams et Phillip Kennedy Johnson ont pu écrire.

Dawn of Superman – Tome 3, dans l’esprit de Brainiac

© 2024 DC Comics / Urban Comics

Dernier tome de la série, on retrouve comme sur les précédents une série Superman de Joshua Williamson, et les Action Comics de Jason Aaron. Mais cette fois-ci, les deux récits ne visent qu’à orienter le comics vers un évènement intitulé House of Brainiac, un court crossover chapeauté par Williamson. Ainsi, dans la première histoire de ce tome, l’auteur renforce tout l’arc autour de la rédemption de Lex Luthor initiée maintenant il y a un bout de temps dans l’univers DC Infinite, l’éternel némésis de Superman ayant soudainement décidé de faire le bien autour de lui. Si les doutes sont toujours permis sur la sincérité de son action, l’auteur assure un peu plus de l’honnêteté de l’ancien grand méchant avec une histoire un peu gentillette autour d’un escadron venu tuer Lex, qui en profite pour prouver sa bonne foi. Pour le deuxième récit, c’est cette fois-ci un peu plus ambitieux, avec un Jason Aaron qui imagine une Metropolis contaminée par Bizarro, le fameux clone raté de Superman qui fait tout l’inverse de lui. Soudainement, la population se transforme en simili-bizarro, et tout le monde fait ce qu’ils et elles n’auraient jamais imaginé faire autrement : les pompiers mettent le feu, les flics libèrent les prisonniers, les journalistes brûlent des livres et les gens se haïssent plutôt que d’aimer leurs proches. Plutôt fun, ce récit joue sur la corde sensible de Superman et de son envie de voir l’humanité briller par ses sentiments.

Enfin, on en arrive à l’ultime récit, le fameux arc House of Brainiac que les deux premières histoires suggèrent ici et là avec quelques clins d’oeil au vilain Brainiac qui revient régulièrement dans les histoires liées à Superman. Superbement mise en dessin par Rafa Sandoval, cette histoire menée par Joshua Williamson s’amuse à ramener une invasion de soldats de Brainiac, allié aux Czarniens survivants, cette drôle d’espèce dont est originaire le « mec plus ultra » Lobo, drôle d’anti-héros de DC à mi-chemin entre un biker de l’espace et un fan de metal. Un peu fou, cet arc multiplie les clins d’oeil à l’univers de l’Homme d’Acier en allant chercher dans quelques uns des vilains qu’on n’avait pas vu depuis un bout de temps, et l’alliance de circonstance entre Superman et Lobo est plutôt drôle. Ça marche bien, c’est plutôt fun à lire, même si la narration manque beaucoup de subtilité et échoue à interroger les concepts propres à Superman, comme la solidarité ou l’entraide qu’il promeut habituellement au sein de sa ville. Au contraire, le récit est en un sens très individualiste, focalisant l’attention des lecteur·ices sur la relation de Superman à Lex Luthor.

Le Pingouin – Tome 2, oiseau pathétique

© 2024 DC Comics / Urban Comics

Dans le dernier tome de cette série en deux volumes, Tom King s’attarde plus longuement sur les origines du Pingouin et sur les évènements décisifs de sa vie semée d’embûches. De son enfance faite de violence que Cobblepot suggère dans quelques dialogues, à sa relation fracturée avec le monde du crime où il n’a longtemps été qu’un larbin pour Falcone, plus grand gangster de Gotham, en passant par son ascension fulgurante au sein du club La Banquise qui deviendra vite son terreau, il n’a jamais été un « vilain » comme les autres. Âme torturée, victime ou génie du crime, il est difficile de qualifier le Pingouin tel que l’imagine Tom King. Ce qui donne d’autant plus de force qu’on lui découvre une relation ambiguë à Batman, qui apparaît là comme un simple personnage secondaire, mais qui occupe une place prépondérante dans l’ascension du Pingouin sur l’échelle du crime à Gotham en le protégeant à mesure que celui-ci lui livre des informations sur les criminels à arrêter. Ce n’est évidemment pas innocent puisque King en a fait sa marque de fabrique de l’analyse des personnages emblématiques de DC par cette dualité entre le bien et le mal, et le sens de l’héroïsme qu’ils incarnent habituellement. Il y a d’abord un Pingouin qui n’entre pas dans toutes les cases du méchant tel qu’on l’imagine, tandis que Batman apparaît sous un jour très pragmatique, capable de collaborer avec un criminel en devenir pour faciliter sa tâche dans son combat contre les autres.  

Visuellement somptueux grâce aux dessins de Rafael de Latorre, Le Pingouin est un véritable récit de gangsters, au sens de ce que l’on voyait à l’époque de Un long Halloween. Le genre qui remet au centre des débats la pègre de Gotham, plus effrayante que n’importe quel sur-humain qui attaque régulièrement la ville. Et sous la plume de King, l’oiseau fascine par une vie incarnée par le drame, personnage pathétique qui inspire autant le rire que la crainte. C’est exactement ce que l’on attend d’un comics qui s’attarde sur un tel personnage, qui ne se contente pas de nous raconter une histoire de « méchant de la semaine » et qui va, au contraire, s’intéresser au sens des choses, ce qui le pousse à agir de la sorte, sans l’exonérer des crimes qu’il commet de sang-froid tout au long de l’action. La narration est maîtrisée, sans temps mort, et montre que Tom King est plus que jamais l’un des meilleurs auteurs de comics de sa génération.

Wonder Woman : Hors-la-loi – Tome 2, justice désavouée

© 2024 DC Comics / Urban Comics

Le tome précédent avait été une excellente surprise. Toujours écrit par Tom King, décidément toujours aussi prolifique, Wonder Woman : Hors-la-loi s’imposait dès son premier tome comme l’une des meilleures histoires écrites sur Wonder Woman ces dernières années. En s’appropriant le mythe de l’Amazone, et en la confrontant aux maux de notre époque avec un regain de puissance du patriarcat au niveau institutionnel et le phénomène masculiniste, l’auteur mettait Wonder Woman dans la peau d’une résistante. Pourchassée par le Souverain, un homme qui manipule la politique américaine dans l’ombre, et qui a réussi à lui imputer la responsabilité d’un meurtre sauvage qui aurait été motivé par une « haine » des hommes. Le premier tome terminait sur la capture de Wonder Woman par le Souverain, emprisonnée et attachée par les liens d’un lasso semblable au sien. On la retrouve dans ce début de second tome captive, avec un Souverain qui tente d’aliéner son esprit en lui répétant des textes religieux censés prouver la supériorité masculine sur les femmes. La mise en scène de Daniel Sampere tire pleinement partie de l’écriture ciselée de King, on y voit une Wonder Woman désemparée, qui va vite tenter de reprendre l’ascendant à la fois physique et moral sur son ennemi, en combattant à la fois l’homme et ses idées.

Le sujet est délicat, plus encore traité par un homme qui regarde ces questions de loin, néanmoins on y trouve une vraie sensibilité dans sa manière de l’aborder. Il le fait dans l’esprit de Wonder Woman, captive, qui parvient à résister aux humiliations et aux sévices du Souverain en se réfugiant dans une sorte de temple mental, où elle interroge sa détermination, sa quête et sa relation à son amour de toujours, Steve Trevor -par extension aux hommes. Au lieu de tomber dans le cliché, Tom King se sert des thèmes du sexisme et du patriarcat pour faire briller Wonder Woman, icône d’une lutte intemporelle, incarnant plus que jamais la justice et les valeurs morales qui lui vont si bien. Un récit dans l’ère du temps qui rend honneur à une longue tradition politique côté comics, où Wonder Woman a toujours incarné la défense des droits des femmes, des valeurs de liberté et de progressisme qui ne cèdent jamais face à des idées rétrogrades. 

  • Les comics de la collection DC Infinite sont disponibles en librairie aux éditions Urban Comics.

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