Pour le deuxième mois de publication de 2024, on revient à un rythme plus raisonnable du côté des sorties de la collection DC Infinite chez Urban Comics. Moitié moins de titres en février par rapport à janvier, mais pas moins de grands noms puisque c’est ce mois-ci que Batman revient dans le troisième tome du Dark City de Chip Zdarsky, tandis que Shazam et les Titans arrivent dans la nouvelle collection des « Dawn of » qui a été lancée le mois dernier avec les numéros de la Justice Society of America et de Superman. Pour rappel, l’objectif de ces gros volumes est de retrouver un peu l’esprit des kiosques d’antan, avec plusieurs histoires en un tome. Néanmoins pas au même tarif.
Cette chronique a été écrite suite à l’envoi d’exemplaires par l’éditeur.
Batman Dark City – Tome 3, la chute d’un modèle
Le tome s’ouvre sur trois numéros de Batman Knight Terrors, les tie in (c’est-à-dire les histoires secondaires prenant place pendant le même arc) consacrés à Batman autour de l’évènement Justice League Knignt Terrors dont on a traité dans l’article DC Infinite #19, sorti en janvier. Cela aborde l’attaque de Insomnia, le vilain qui a plongé le monde dans ses propres cauchemars, sous l’angle de Batman. Ce dernier ayant longtemps été confronté à ses démons, il a essayé d’apprendre à vivre avec ses propres cauchemars qui ont débuté à la mort tragique de ses parents. Si le personnage de Batman paraît parfaitement indiqué vu les thématiques de cet évènement qui tourne autour des traumatismes, les épisodes écrits par Joshua Williamson sont trop attendus et bien peu captivants ; on a lu bien mieux dans des numéros consacrés à d’autres personnages. Les idées sont trop diluées dans un ensemble bien peu maîtrisé, à tel point que l’on passe vite à la suite. Heureusement c’est ensuite les numéros de l’histoire débutée par Chip Zdarsky deux tomes plus tôt qui prennent le relais, où il raconte un Bruce Wayne déboussolé après les évènements précédents. Ceux où il a vu Zur-en-Arrh, sorte d’alter ego qui a pris le dessus dans son esprit, quand il ne parvenait plus à se protéger de ses propres traumatismes, alors qu’il était accusé d’avoir tué le Pingouin. Un alter ego qui a créé Failsafe, un personnage robotique pratiquement indestructible qui n’avait qu’un but : éliminer Batman. Zdarsky raconte un personnage brisé, qui doit malgré tout faire bonne figure face à celles et ceux qui l’entourent. Les dessins de Belén Ortega ne cessent d’étonner par leur précision. Si la mise en scène de l’action n’est pas toujours aussi efficace que d’autres, sa manière de dessiner les personnages m’intéresse beaucoup. La dessinatrice espagnole sait parfaitement inscrire sur les visages les émotions qu’ils et elles traversent, plus encore dans ce tome où Bruce doit jongler entre l’image renvoyé à ses proches et la réalité de son état psychique. Son duo avec Chip Zdarsky fonctionne super bien et c’est l’un des principaux attraits de la série Batman Dark City.
Dans la continuité, ce tome se conclut autour de l’arc The Gotham War, un super arc où Catwoman a décidé de prendre sous son aile les sbires des super vilains pour les détourner des crimes violents en les formant plutôt au vol de biens de grande valeur des quelques riches privilégiés de Gotham. Un plan qui réduit de manière conséquente les crimes de rue que traque habituellement Batman, qui se retrouve là dépassé, réalisant que Catwoman est en train de réussir là où il a toujours échoué. Un postulat intéressant, qui ouvre une discussion autour de l’impact réel de Batman sur sa ville, sur l’idée d’une violence qui engendre toujours plus de violence, mais aussi sur ses héritiers. On y voit une « Bat-family » qui remet en cause son modèle, admet que ses méthodes pourraient être l’un des maux de Gotham, et tentent d’aller un peu plus loin. Cette succession d’histoires chapeautées par Chip Zdarsky s’emboîtent vraiment très bien, offrant une vision intéressante du personnage, bien aidé également par une histoire qui fait intervenir une Catwoman intrigante. C’est le meilleur tome sorti dans la série Dark City pour le moment, et ça donne sacrément envie de lire la suite.
Dawn of Titans – Tome 1, le poids du renouveau
Il faut avoir lu la série Nightwing Infinite pour comprendre comment on en est arrivé là. Avec une montée en puissance et en responsabilités de Nightwing, feu la Ligue de Justice a décidé de lui confier les rênes de leur mission d’antan, celle de protéger la Terre des menaces qui la gangrènent. Alors que la Ligue de Justice a été dissoute, Nightwing a décidé de rappeler ses copains et copines des Titans à la rescousse pour former cette nouvelle équipe. C’est alors que débute ce premier tome de Dawn of Titans, où l’équipe autrefois adolescente, désormais adulte, porte le poids de l’héritage laissé par Superman, Wonder Woman, Batman et compagnie. Dans les premiers numéros, c’est Tom Taylor à l’écriture et Nicola Scott aux dessins qui se chargent de mettre en place les premiers évènements de leur prise de pouvoir. Et cela commence dès l’inauguration de leur QG (toujours en forme de T), avec une découverte effroyable : Wally West (Flash) a été assassiné et… une autre forme de lui, venue du passé, va les aider à déjouer sa propre mort. C’est un récit plutôt agréable, entre héritage et enquête, où les dessins de Nicola Scott rendent honneur à l’écriture toujours dynamique et plein de rebondissements de Tom Taylor.
Ce tome est aussi l’occasion, évidemment, de proposer les deux épisodes tie in des Titans autour de l’évènement Knight Terrors du mois dernier. Toujours une histoire de cauchemars provoqués par Insomnia, mais cette fois-ci on y découvre un cauchemar commun vécu par les Titans. Sans grande conséquence, le récit a le mérite de se lire facilement, dans une sorte de fuite en avant d’une tour devenue folle. Le récit manque toutefois de mettre un peu plus d’énergie et de détermination dans ses personnages, qui ressemblent parfois à des coquilles vides au cours des deux numéros. Enfin, ce premier tome se conclut sur la mini-série World’s Finest: Titans dans cinq épisodes qui, à la manière de l’excellente série Batman / Superman: World’s Finest raconte une histoire sous un angle et un ton similaire aux comics de l’âge d’argent et de bronze (pour rappel, les noms données aux comics sortis entre les années 1950 à 1980, environ). Une tonalité plus légère et enjouée, avec des Titans à l’allure plus kitsch et un dessin plus coloré. L’écriture de Mark Waid est solide, mais c’est surtout les dessins de l’artiste italienne Emanuela Lupacchino qui apportent un vrai plus à la mini-série. Dans l’ensemble Dawn of Titans est une réussite, entre ses personnages attachants, à l’exception de l’arc Knight Terrors, le rythme endiablé auquel nous habitue Tom Taylor et la beauté des dessins sur la plupart des numéros, qu’il s’agisse de ceux de Nicola Scott ou de Emanuela Lupacchino. Il y a une vraie bonne idée qui se cache derrière cette éditorialisation de DC dans des simili-anthologies avec les « Dawn of » mais, cela a un coût : 30 euros. On parle certes d’un comics de 304 pages, mais malgré un marché du comics en crise qui a toutes les peines du monde à séduire un public plus large, la lecture de supers en culottes devient un luxe qui n’incite pas les néophytes à s’y lancer.
Dawn of Shazam – Tome 1, une vie chamboulée
Cela faisait un sacré bout de temps que l’univers de Shazam n’avait pas eu droit à de nouvelles publications du côté de Urban Comics. Si l’on a croisé Billy Batson, le héros qui en porte le pouvoir, ici et là, ce Dawn of Shazam apporte enfin des séries spécifiques au personnage et à sa nouvelle incarnation. Car si Billy Batson portait autrefois fièrement l’éclair magique sur son torse, il a depuis perdu les pouvoirs de Shazam et n’a pu que les confier à ses frères et sœurs adoptives, temporairement, jusqu’à ce que le pouvoir s’empare définitivement de l’une seule des sœurs : Mary. On est loin des films sortis au ciné ces dernières années, même si l’on y retrouve cette même histoire de famille adoptive un peu dysfonctionnelle mais pleine d’amour. Mais ces comics ont un petit truc en plus : une légèreté à laquelle s’oppose régulièrement la dangerosité d’un univers magique qui aide autant Shazam qu’il ne l’empêche d’avancer. Des difficultés que découvre vite Mary, qui n’a initialement pas vraiment envie de ces pouvoirs. Dans les épisodes de The New Champion of Shazam de Josie Campbell et Evan « Doc » Shaner qui ouvrent le bouquin, Mary est en train d’intégrer l’université de ses rêves, découvre ses colocataires au campus étudiant et s’imagine déjà vivre une nouvelle vie, loin des difficultés inhérentes à la vie d’une (large) famille recomposée. Mais les choses tournent vite au vinaigre, alors qu’elle récupère les pouvoirs de Shazam, envoyés par son frère Billy Batson disparu, et découvre immédiatement que leurs parents adoptifs ont été enlevés. Le récit est bien écrit, on sent la volonté de proposer une ambiance très estudiantine, qui rappelle à certains égards le Blue Beetle sorti dans la collection Infinite l’année dernière. Ce n’est probablement pas le récit le plus mémorable du mois, mais c’est une nouvelle introduction sympathique à cet univers là, facilement accessible aux personnes qui ne connaîtraient pas grand chose à Shazam.
Ensuite, la deuxième partie du tome est l’occasion de relancer la série principale Shazam, cette fois-ci dans les mains de Mark Waid au scénario et Dan Mora au dessin. Le duo réalise quelques très belles choses, en racontant cette fois-ci non pas Mary mais Billy Batson, qui possède ici bien ses pouvoirs, mais constate qu’il devient presque fou chaque fois qu’il les utilise. Curieuse ambiance et postulat qui envoient le personnage dans une quête de soi, recherche d’une réponse à des questions qu’il ne parvient pas vraiment à formuler. C’est créatif et, à l’image de la série précédente centrée sur Mary, très riche sur ce que ça dit de ses personnages et leur rapport au pouvoir. Victimes de leurs pouvoirs, thématique centrale de ce Dawn of Shazam dont les bonnes idées foisonnent et qui n’a probablement que comme seul raté les deux numéros de Knight Terrors: Shazam qui n’apportent pas grand chose à un évènement paru le mois dernier qui ne méritait pas d’être autant étiré. C’est tout de même une belle réussite pour l’ensemble de l’anthologie, qui profite d’artistes extrêmement talentueux et d’une écriture à la qualité constante, qu’il s’agisse des numéros de Josie Campbell ou de Mark Waid.
- Les comics Batman Dark City, Dawn of Titans et Dawn of Shazam sont disponibles en librairie aux éditions Urban Comics.