DC Infinite #16 | Ram V à l’honneur

par Anthony F.

L’été est chaud, mais les nouveautés de l’ère Infinite de DC sont toujours au rendez-vous. Pour cette chronique mensuelle, il est temps de s’intéresser aux sorties de juillet 2023 chez Urban Comics, avec deux œuvres qui rejoignent cette nouvelle ère de DC Comics qui a débarqué au catalogue Urban il y a maintenant un an et demi. Et pour ce mois, c’est deux œuvres du même auteur, Ram V, qui n’a cessé de gagner en importance chez DC ces dernières années. Au programme donc, son interprétation du Chevalier Noir avec Batman Nocturne, et une histoire complète sur la Justice League Dark.

Cette chronique a été écrite suite à l’envoi d’exemplaires par l’éditeur.

Batman Nocturne T.1, un enfer inévitable

© 2023 DC Comics / Urban Comics

Derrière ce nom mystérieux de Batman Nocturne se cache en réalité une compilation des Detective Comics de Ram V, qui a pris la suite de Mariko Tamaki (dont le run était publié sous le titre Batman Detective Infinite). Nouvel auteur oblige, aucune nécessité d’avoir lu les précédents et il est tout à fait possible d’aborder Batman Nocturne comme un nouvel univers. Même si je conseille de jeter un œil aux Batman Detective Infinite, Mariko Tamaki a fait un super travail sur la série. Pour l’occasion, Ram V renvoie vers un univers plus gothique, aux origines de Gotham dans un ton qui sied si bien à cette ville faite d’ombres, où la nuit semble éternelle. Il imagine ainsi une famille qui serait propriétaire des terres de l’asile d’Arkham depuis des siècles, une famille qui tente de revenir sur le devant de la scène avec une pointe de surnaturel. Car rien n’a vraiment de sens à Gotham, la ville semblant liée depuis toujours à de nombreuses malédictions. Il faut bien avouer qu’à certains égards, cette histoire imaginée par Ram V rappelle Curse of the White Knight de Sean Murphy, avec son histoire déjà de famille millénaire fondatrice de Gotham. Derrière cela se cache évidemment une mythologie à la limite du mysticisme, sujet préféré de Ram V qui y raccroche la plupart de ses histoires. C’est ainsi qu’on découvre un Bruce Wayne/Batman hanté par des cauchemars avec Barbatos, sorte de dieu chauve souris qui tente de le mener vers l’enfer, tandis que la ville de Gotham sombre toujours plus dans les griffes de cette étonnante famille sortie de nulle part.

Visuellement très réussi grâce au travail de Rafael Albuquerque, le comics profite surtout de son originalité (malgré les proximités avec l’œuvre de Sean Murphy), notamment dans son approche d’un Batman qui perd prise face à des démons auxquels il ne comprend pas grand chose. Le récit a peut-être tendance à partir dans tous les sens, mais c’est habituel pour l’auteur qui s’illustre habituellement pour son goût des récits-puzzle, où il jette des idées un peu partout avant de rassembler le tout et leur donner un sens dans les derniers moments du récit. Comme il a pu le faire avec Swamp Thing Infinite par exemple, que j’avais chroniqué il y a plusieurs mois dans un autre article mensuel sur les sorties DC Infinite. Il est ainsi assez compliqué de se placer face à l’œuvre : elle est intrigante, forte d’une proposition qui fleure bon le goût de l’inexplicable de Ram V, mais c’est un comics incomplet, auquel il manque sa suite pour faire complètement sens. Cela n’en reste pas moins une lecture agréable, car l’auteur indien a un véritable goût des mots, des suggestions, une écriture fine qui est immédiatement reconnaissable et que la traduction française de Thomas Davier sublime à sa manière.

Justice League Dark Infinite – Le retour de Merlin, un monde en péril

© 2023 DC Comics / Urban Comics

Deuxième récit signé Ram V ce mois-ci, décidément très en vue chez DC. L’auteur qui ne cesse d’aligner les critiques élogieuses de la part de ses pairs s’attaque à un univers qui semble fait pour lui, celui de la Justice League Dark. Pour les personnes qui ne connaîtraient pas encore, cette équipe apparue il y a une dizaine d’années dans l’univers DC n’a pas grand chose à voir avec Superman, Wonder Woman et compagnie et leur Justice League. Ici, on parle de magicien·nes, des personnes qui interviennent quand les choses ne font plus trop sens pour le commun des mortel·les et des super-héros·ines. C’est John Constantine, Zatanna, Madame Xanadu ou encore, dans cette nouvelle itération, des personnages comme Jason Blood qui est à moitié possédé par un démon, ou encore le Détective Simien, un chimpanzé attiré par la magie. Ce petit monde, dont la loyauté au camp du bien n’est pas toujours une évidence, se trouve confronté à Merlin. Oui, on parle de celui des mythes et des contes, mais la version de DC n’est pas très fréquentable. Celui-ci réapparaît sur terre après avoir disparu et se lance dans une quête infâme, celle d’accaparer toute la magie de l’univers. Ce récit complet en un tome offre quelques moments intéressants, et interroge notamment ses personnages sur une idée évidente mais qui mérite d’être posée : pourquoi, dans l’infinité des mondes de cet univers, c’est toujours vers la Terre peuplée par tous ces super-héros et super-héroïnes que convergent tous les drames ?

Plus intéressé par la notion de Bien et de Mal, mais aussi les raisons pour lesquelles les choses doivent toujours mal tourner, Ram V manque toutefois peut-être du phénomène de « nouveauté » dont il peut se targuer dans d’autres récits. Car son univers à lui est tel qu’il était évidemment attendu sur Justice League Dark, où le mysticisme et les questions existentielles sont toujours au centre du récit. Il le fait bien, attention, loin de moi l’idée de dire trop de mal d’un comics qui est somme toute bien mené et qui offre d’excellents moments. Néanmoins, il n’y a pas vraiment de surprise, ni la curiosité de voir un monde réinventé, car l’auteur débarque dans un univers qui lui correspond à tous les niveaux. Heureusement cela ne l’empêche pas d’écrire un récit bien rythmé, qui permet à Zatanna de s’illustrer après les quelques malheurs qui lui sont arrivés récemment (et que le comics rappelle), et où Merlin est un vrai méchant à l’ancienne : foncièrement mauvais, et terrifiant. Avec sa multitude de personnages, le comics fait presque un sans faute. Presque, car la fin est abrupte et bizarrement amenée, comme s’il allait y avoir une suite alors que l’on est face à un récit complet. Et je ne parle pas d’une fin ouverte, non, on a plutôt l’impression qu’il en manque un bout. Enfin, malgré cet écart sur la fin, je suis resté admiratif du travail de Xermánico sur les premiers chapitres, puis Sumit Kumar (qui a déjà travaillé avec Ram V sur l’excellent These Savage Shores), au niveau des dessins. Les deux mettent en image un univers fait de magie, très inventif, comme une bibliothèque qui se modifie visuellement à mesure que l’histoire se raconte, une mise en scène de quelques pages en sens inverse ou encore une belle diversité de couleurs et de tons. Il y a une vraie volonté de raconter les pouvoirs des personnages par les couleurs, tout comme le fait que l’histoire se joue sur plusieurs pans de réalité, et ça donne à Justice League Dark quelque chose d’assez génial visuellement bien que les personnages sont un peu plus en retrait.

  • Batman Nocturne T.1 et Justice League Dark Infinite sont disponibles en librairie aux éditions Urban Comics depuis le 7 juillet 2023.

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