Dans le sens du vent | Sous le charme de l’Islande

par Hauntya

Découvrir l’Islande à travers un manga ? Voilà qui n’est pas habituel, puisqu’on s’attendrait davantage à ouvrir un pan de culture japonaise. Dans le sens du vent, écrit et dessiné par Aki Irie, est une exception à la règle. Possédant actuellement six tomes et toujours en cours de publication, cette série nous entraîne dans les pas de Kei, jeune Japonais immigré en Islande. Et si je vous en parle, pour moi qui n’ai pas tant que cela l’habitude des mangas, c’est bien parce que c’est un petit coup de cœur.

La beauté de l’Islande

Aki Irie s’est rendue en Islande. Elle a été totalement subjuguée par la beauté de ses paysages désertiques, par cette nature à la fois sauvage et immense, où les humains, comme la végétation et les animaux, doivent s’adapter pour vivre. L’Islande n’est en effet que landes emplies de bruyères et terres volcaniques, si bien qu’il est encore difficile d’y cultiver quoique ce soit, avec des températures toujours très froides et un vent incessant. Dans le sens du vent a ainsi été inspiré par sa fascination pour ce pays, extrêmement différent de son Japon natal. Il s’agit ici de son quatrième manga, après notamment Le monde de Ran.

Dans le sens du vent – © Soleil 2020

Dans le sens du vent, c’est l’histoire de Kei, un adolescent de 17 ans qui a choisi d’émigrer en Islande. Il vit désormais avec avec son grand-père français Jacques. Ses parents sont en effet décédés. Il laisse derrière lui un petit frère, Michitaka, vivant au Japon chez un oncle et une tante. Kei n’est pas n’importe quel adolescent, comme on le découvre dans les premières pages. Il possède le pouvoir de communiquer avec les objets (psychométrie). Il gagne sa vie en résolvant des petites enquêtes (cas d’infidélité, retrouver des personnes disparues, etc.) puisqu’il peut lire le passé de n’importe quelle machine : voiture, téléphone, pc portable, etc. C’est le deal qu’il a conclu avec son grand-père afin de continuer à vivre chez lui. D’ailleurs, Jacques a lui aussi un pouvoir surnaturel – plus poétique et davantage relié au monde animal ! Mais le quotidien bascule quand Kei apprend que son frère est recherché, pour le potentiel assassinat de son oncle et de sa tante. Le détective amateur va alors mener l’enquête, tout en partant à la recherche de Michitaka…

Kei ne vivant pas depuis si longtemps en Islande, le manga est aussi l’occasion de la confrontation des cultures japonaises et islandaises. Un de ses amis d’enfance vient ainsi lui rendre visite pour la première fois. C’est l’occasion de découvrir des paysages d’Islande, des coutumes et des magasins locaux, la gastronomie du pays… Mais le manga aborde aussi la différence de traitement de certaines thématiques entre les deux contrées, comme l’homosexualité par exemple. Le modèle de société japonaise, basé sur la réussite sociale et professionnelle, s’oppose ainsi ainsi au mode de vie islandais, où la vie est toute aussi chère, où la nature fait partie intégrante de la vie. Tous les habitants ont ainsi un pack de secours dans leur voiture (vivres, sac de couchage, chargeur…) au cas où ils tomberaient en panne lors d’un trajet. Lors de la visite de certaines régions désertiques, on attend toujours un second véhicule pour nous accompagner, juste par mesure de précaution.

C’est une infinité de détails que l’on découvre ainsi, toujours soulignés par le soin apporté au dessin par Aki Irie : les vêtements chauds des Islandais, les lignes courbes et immenses, évasés, des paysages naturels… On ressent un véritable dépaysement par le côté tranche de vie du manga, et par la beauté de ce pays inhabituel. On se sent petit, perdu, vivant dans l’immensité, là où le Japon se caractérise surtout par le bruit incessant de la capitale et de son animation moderne.

Une intrigue mêlant le surnaturel, l’enquête et la tranche de vie

Le côté seinen du manga se ressent par la caractérisation des personnages de Dans le sens du vent. Les personnages sont finement caractérisés, jamais unilatéraux. Kei apparaît d’abord comme un adolescent solitaire, un peu brut de décoffrage et impétueux. Il est néanmoins épris d’une certaine justice, il est aussi un ami fidèle. Il n’est pas toujours prompt à rendre service aux autres, parfois bougon, mais il le fait. Sa passion pour la viande, dont il pourrait avaler des kilos, prête toujours à sourire. Bien que taciturne et mystérieux, le personnage séduit par son style à la fois beau et négligé. Son caractère est aussi déterminé que surprenant. Jacques pourrait passer comme un coureur de jupons, mais renferme aussi un cœur d’or et une tendresse profondes. D’ailleurs, il fait souvent preuve d’une sagacité qui tempère l’impulsivité de son petit-fils.

Dans le sens du vent – © Soleil 2020

L’autrice n’est pas en reste quand il s’agit de caractériser d’autres personnages. Michitaka, dont le design est celui d’un enfant blond aux traits angéliques, se révèle vraiment trouble et ambivalent. On ne sait guère si on doit lui faire confiance, entre sa difficulté d’empathie et ses caprices enfantins.

Impossible de ne pas mentionner aussi Lilja, une Islandaise très attachée à la nature de son pays et musicienne.  Son sale caractère fera des étincelles avec celui de Kei. Leur relation part en effet sur des malentendus, et ne cessera de passer entre chamailleries, disputes, sales tours et moments plus harmonieux. On sent que la relation entre eux pourrait être amoureuse, les contraires s’attirant – ce qui donne par ailleurs droit à quelques images sensuelles mettant Lilja en valeur. Enfin, une fois que les deux protagonistes auront vraiment appris à s’apprivoiser !

Un manga chill et énigmatique à la fois

Actuellement composée de 6 tomes (le tome 7 est sorti en février 2024 au Japon), Dans le sens du vent est une série assez atypique, surtout pour son cadre d’histoire. Il est vraiment fascinant de découvrir l’Islande à travers un regard japonais, les paysages de ce pays devenant un personnage à part entière. L’Islande devient un moyen de révéler les héros et héroïnes du manga, les mettant face à la solitude, à des contrées sauvages, à des situations inhabituelles et quotidiennes. Sur cette toile de fond de confrontation des cultures et du récit tranche de vie, l’intrigue demeure imprégnée de mystères, chaque détail s’assemblant petit à petit comme les pièces d’un puzzle. Michitaka est-il coupable ou innocent ? Que cache Lilja derrière sa froideur et son sale caractère ? Les enquêtes de Kei en mènent aussi à en savoir plus sur son personnage, à le découvrir au-delà de sa facette taciturne, tout en évoquant avec finesse ses relations avec ses amis et sa famille.

Vous l’aurez compris, je ne peux que recommander Dans le sens du vent. Par son originalité, par son intriguant mêlant surnaturel et moments du quotidien, la série m’a complètement séduite. Elle permet de découvrir un pays dont on ne sait généralement pas grand-chose et ses rebondissements, petites intrigues, sont suffisamment variés et drôles pour qu’on garde un véritable intérêt pour le récit.

De plus, la manière d’écrire et de dessiner les différents personnages les rend vraiment attachants, tout en laissant planer un certain suspense et une belle ambigüité sur certains. Et malgré certains moments durs – violence, assassinats – le manga a également un côté assez chill par son ambiance tranche de vie, par la poésie de ses paysages sauvages et par sa musique. Une superbe découverte, dont j’attendrai les prochains tomes avec impatience.

  • Le manga Dans le sens du vent est disponible aux éditions Soleil Manga  depuis 2020. La série comporte actuellement 6 tomes et est toujours en cours de publication.

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