Chiruran – Tome 4 | Même les brutes ont un cœur

par Anthony F.

Fresque épique aux accents de shōnen, Chiruran était au lancement de Mangetsu la bonne surprise de leur catalogue. Mais nous en étions depuis restés au troisième tome, sorte de transition où l’histoire n’avançait plus trop et se contentait de mettre en place quelques bases pour la suite. On y découvrait des personnages parfois géniaux, censés nous accompagner pour la suite. Et la voilà enfin cette suite, puisque Shinya Umemura et Eiji Hashimoto donnent une nouvelle orientation à leur manga en abordant, notamment, le héros sous une forme plus sincère, moins caricaturale.

Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire du manga par son éditeur.

Un angle plus personnel

Après un tome de transition où il ne se passait pas grand chose, bien qu’il était nécessaire pour poser les nouveaux enjeux, l’histoire repart de plus belle alors que les « héros » sont pris pour cible par de mystérieux assassins. Chasseurs devenus proies, ces hommes font face à leurs limites et à leurs peurs. Une ambiance d’insécurité règne pour eux, qui étaient pourtant habitués à être craints par la plupart des gens qu’ils croisaient jusqu’alors. C’est à ce moment qu’entre en scène, enfin, un personnage féminin qui fait un bien fou au milieu de toute cette testostérone. Une mystérieuse assassine aux intentions qui se révèlent au fil des pages, elle qui semble venir d’ailleurs et qui est décidée à éliminer ses cibles sans leur laisser la moindre chance. L’apparition d’une telle menace fait un bien fou à un manga qui tombait dans un déséquilibre assez conséquent, avec une bande de guerriers qui écrasaient tout sur leur passage, et qui subissent là des revers qui ne font pas de mal au suspense de l’histoire. D’autant plus que Chiruran bénéficie toujours d’un soin tout particulier sur son écriture, qui, si elle reprend les codes des shōnen, tente des choses intéressantes dans sa manière d’amener des situations souvent inattendues. Il y a, chez Shinya Umemura, une vraie faculté à surprendre et à étonner dans sa façon d’orienter l’histoire et d’amener les obstacles à ses guerriers, souvent maltraités. Certes son héros Toshizo Hijikata s’en sort toujours bien, lui qui représente cette figure historique et quasi-héroïque qui fascine bon nombre d’auteur·ice·s au Japon. Toutefois ses compagnons vont et viennent, subissent des défaites et surtout, jouent toujours sur une ambiguïté qui évite au manga de s’embourber dans un petit train-train trop facile qui piège trop de shōnen.

© 2010 by EIJI HASHIMOTO AND SHINYA UMEMURA / COAMIX All rights reserved

D’autant plus que Chiruran creuse un peu plus le contexte politique de son histoire, à un moment où le Japon s’ouvre au monde et où les étrangers commencent à mettre les pieds sur l’archipel. La défiance est de mise, et c’est ainsi que l’on découvre ce personnage d’assassine, d’origine étrangère, qui vit presque en paria face à une société qui ne l’accepte pas. Cela ne tombe toutefois pas comme un cheveu sur la soupe : on sent que le manga commence à distiller les bases d’une réflexion peut-être plus profonde, ou au moins des éléments qui reviendront par la suite. On sait que le Shinsen gumi (qui n’est pas encore créé, à ce moment du manga) était aussi un anti-étrangers, alimenté par un élan nationaliste extrêmement attaché à l’identité et aux traditions japonaises. Ce n’est pas un hasard si cette milice reste un élément de fascination dans le Japon d’aujourd’hui, dont la politique est résolument conservatrice. Chiruran manque certainement de subtilité au moment d’aborder ces problématiques, mais cela apporte un peu de nouveauté dans les enjeux qui se présentent aux personnages, permettant aussi de passer outre le risque de tomber dans de bêtes oppositions face à des ennemis qui n’ont pas grand chose d’intéressant. Cela devrait être d’autant plus intéressant que l’étrangère semble déjà avoir acquis le soutien du héros.

Une mise en scène renouvelée

Plus encore, ce qui surprend dans Chiruran c’est la faculté qu’a le manga à renouveler sa mise en scène, puisque l’on a ici un tome bien plus intense et rythmé que les trois précédents. Comme si Shinya Umemura et Eiji Hashimoto avaient eu envie de donner un coup de fouet à leur œuvre. Il y a en effet une véritable modernité dans la manière de raconter l’histoire, de mettre en scène les dialogues, on est face à un shōnen qui comprend parfaitement les codes de son genre mais surtout, qui est capable de s’en affranchir occasionnellement pour se rattacher à son caractère historique. Même si le tome a près de dix ans (étant sorti en 2012 au Japon), on voit qu’il possédait déjà tous les ingrédients des shōnen qui sont aujourd’hui les plus populaires, avec ses dessins très dynamiques et sa manière de naviguer avec fluidité entre le drame et l’humour.

Qu’il est bon de suivre mois après mois les sorties de ce Chiruran. C’est un manga qui, depuis le début, ne cesse de surprendre et de se réinventer, abordant des thématiques variées, comme pour montrer la densité des sujets et la multiplicité des problèmes qui se posaient au Japon dans sa transition vers une nouvelle ère. Ce quatrième tome, une fois de plus, renouvelle sa narration mais également sa mise en scène pour aborder quelque chose de plus personnel, de plus intense aussi, alors que les personnages se dévoilent.

  • Le tome 4 de Chiruran est disponible en librairie depuis le 6 octobre 2021.

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