La K-pop alimente tous les fantasmes depuis un certain nombre d’années, que ce soit au travers des réseaux sociaux qui s’enflamment régulièrement ou des médias traditionnels qui s’emparent du phénomène pour toutes sortes de raisons. Certains y voient une construction artificielle qui ne cherche que le bénéfice alors que d’autres sont sincèrement passionnés. Le plus important finalement, c’est que chacun y trouve son plaisir, et c’est un peu ce que raconte Caroline Suh dans le documentaire BLACKPINK : Light Up the Sky pour Netflix, sorti courant octobre, où elle aborde avec beaucoup de bienveillance l’histoire d’un girls band qui a su se faire une place sur les scènes du monde entier.
S’il faut se lancer dans un petit jeu des légitimités à discuter du sujet, un élément qui fait parfois débat sur les réseaux sociaux, je dois avouer que je n’arrive pas en terrain inconnu. « Amateur » de K-Pop depuis près de vingt ans, j’ai vu le milieu évoluer, grandir et devenir petit à petit ce qu’il est aujourd’hui. D’un simple phénomène essentiellement populaire en Asie, la pop coréenne est lentement arrivée dans le reste du monde en profitant à la fois des réseaux sociaux, mais aussi et surtout des plateformes de partage comme YouTube. Il serait dommage toutefois d’oublier de mentionner la passion ardente des fans qui s’amusent à créer toutes sortes de sites amateurs pour partager l’actualité K-pop au plus grand nombre. Encore aujourd’hui, l’essentiel de la communication passe par les fans (le plus souvent bénévoles) qui alimentent des milliers de sites et pages sur les réseaux sociaux et qui aident autant que possible leurs groupes préférés à se faire connaître. Mais plus que de la K-pop en général, il est question ici de BLACKPINK. Un groupe né en 2016, réunissant quatre femmes, qui est depuis devenu le groupe coréen le plus populaire dans le monde auprès de BTS.
Un regard bienveillant et salvateur
La réalisatrice Caroline Suh aborde son documentaire avec innocence : elle sait évidemment que le groupe BLACKPINK est aujourd’hui un phénomène qui dépasse largement les frontières coréennes. On les voit depuis longtemps être invitées dans des émissions américaines, elles se sont lancées dans une tournée mondiale et elles font exploser les records de vue sur YouTube. Les membres du groupe sont des égéries des plus grandes marques de luxe, assistent aux défilés des différentes Fashion Week et apparaissent dans bon nombres de magazines de mode. Bref, le phénomène est là mais la réalisatrice n’y connaît initialement pas grand-chose. De son propre aveu, elle en a profité pour les observer plus simplement, avec l’œil d’une personne extérieure au groupe et à ce qu’il représente. Et c’est sûrement ce qui permet au documentaire d’être aussi touchant et bienveillant. En évitant à tout prix de porter des jugements, la réalisatrice recherche plutôt ce qui donne corps et âme au groupe. Elle ne s’intéresse là pas vraiment à la musique, mais plutôt aux différentes personnalités et aux trajectoires de vie des quatre femmes qui composent BLACKPINK. Si elles ont fini par se rejoindre autour de ce projet commun, via une agence qui les a formées, elles viennent toutes d’horizons différents racontés via des images d’archive : Jisoo est née et a toujours vécue en Corée, Lisa est thaïlandaise et n’a rejoint Séoul qu’à l’adolescence, tandis que Jennie et Rosé ont grandies respectivement en Nouvelle-Zélande et en Australie. Quatre femmes que peu de choses rapprochent, qu’il s’agisse de milieux sociaux ou culturels, mais qui ont pour point commun d’avoir traversé les longues épreuves qui ont précédées la constitution du groupe.
La première partie du documentaire cherche en effet à raconter leurs origines et leurs motivations. On y découvre quatre femmes attachantes et dont l’ascension vers un succès mondial a été semé d’embûches. On comprend vite pourquoi le public les aime tant, au-delà de la musique, tant la réalisatrice parvient à capter ce qui fait l’essence du groupe. Multiculturelles, diverses, apparaissant accessibles, on voit là des femmes qui ressemblent à leurs fans et qui apportent une certaine fraîcheur dans une industrie de la Pop qui peine parfois à s’adresser aux fans. On sent vite l’engouement, par exemple, que suscite Lisa du fait de son talent, mais aussi et surtout de ses origines. La pop coréenne est terriblement populaire en Asie du sud-est, alors le fait d’avoir une thaïlandaise dans un groupe devenu aussi populaire titille évidemment un certain sentiment de fierté qui pousse son pays à lui dérouler un tapis rouge à la moindre apparition. Plus intéressant encore que la célébrité, le documentaire montre parfois ses sujets comme vulnérables, à l’image de cette scène où Jennie hésite à répondre à une question en disant qu’elle n’aime pas vraiment parler d’elle et de sa vie privée. On sent vite qu’il y a quelque chose à creuser, et ça casse l’image très lisse et « parfaite » qui ressort d’autres séquences plus conformes à l’image de marque que s’est constitué le groupe.
L’humain derrière la musique
Light Up the Sky évite d’ailleurs un écueil, celui du récit hagiographique. Raconter l’histoire d’une célébrité dans un documentaire qui lui est dédié et, pire, réalisé en collaboration avec elle, c’est de finir par ne lui jeter que des louanges. On l’a vu sur Netflix tout récemment avec la série-documentaire The Last Dance consacrée à Michael Jordan. Un documentaire qui, bien que bourré de qualités narratives, versait parfois un peu trop dans l’idéalisation de l’homme en omettant tout ce qui pouvait mettre à mal le tableau parfait que chaque épisode s’amusait à peindre. Une erreur qu’évite Caroline Suh, car elle a bien conscience d’avoir affaire à des femmes qui ont fait des sacrifices et qui appartiennent à une industrie qui n’a pas que des qualités. Outre les poncifs sur les « chorégraphies millimétrées » et sur la « fabrication industrielle » du groupe que le documentaire évite très bien (et beaucoup devraient s’en inspirer en parlant de K-pop), elle n’ignore pas la réalité parfois moins séduisante.
Les quatre membres apparaissent souvent faillibles, tant physiquement que moralement, on explique d’ailleurs qu’elles ont été plusieurs fois rabaissées par les gens censés leur apprendre le métier. On découvre qu’elles souffrent réellement de l’éloignement de leurs familles, on y raconte leurs difficultés à suivre des entraînements physiques qui relèvent presque du sport de haut-niveau, mais aussi les sacrifices qu’implique le « devoir » d’apparaître comme des jeunes femmes parfaites aux yeux des fans. Pas de sorties, pas d’alcool, pas de tatouages, rien qui puisse les faire dévier d’une image de marque qui rassure les publicitaires, mais aussi les fans qui sont habitués à un système « d’idole » très répandu dans la production musicale pop en Asie orientale. Sans verser dans l’horreur absolue racontée par Satoshi Kon dans son formidable Perfect Blue, le documentaire de Caroline Suh explique très bien comment ces femmes s’insèrent dans l’industrie et pourquoi elles le font. Mais elle envisage leur quotidien sans jugement, en se contentant de dépeindre assez fidèlement une réalité qui évite le fantasme, avec une neutralité plutôt bien amenée. A ce titre Light Up the Sky est une jolie porte d’entrée au monde de la K-pop et à son industrie. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai décidé d’en parler sur Pod’Culture, car si l’œuvre cinématographique elle-même est assez dispensable, c’est son propos qui s’avère plutôt intelligent. La neutralité n’empêche pas Caroline Suh de parler de l’aspect quasi-destructeur de l’industrie avec les concerts qui s’enchaînent sans arrêt, les voyages en avion interminables, la fatigue qui s’accumule et les pépins physiques qui poussent à une surveillance de tous les instants. Tout comme cette neutralité ne l’empêche pas, non plus, de raconter comment elles parviennent à surmonter ça et ce qui caractérise un groupe qui est aujourd’hui en position de force face au monde qui l’a créé.
Un documentaire souvent superficiel
Tout cela donne finalement un documentaire très bien produit, qui arrive souvent à surmonter l’aspect « communication » d’un tel format pour se rapprocher un peu plus des pensées des membres du groupe. Cela dit, l’agence qui le chapeaute a évidemment son mot à dire là-dedans et on ne peut pas prendre toutes les images pour argent comptant sans s’interroger sur la volonté de filtrer ce qui sort des clous. On réalise en effet facilement que le discours est bien tenu pour éviter de trop en dire. Le documentaire n’est pas idéaliste, mais il a tendance à dire que les moments les plus difficiles valent le coup d’être subis. Malgré cela, c’est une œuvre sympathique à regarder pour les fans, abreuvés de détails sur leurs idoles, mais aussi pour les néophytes qui peuvent découvrir comment la « légende » qui entoure BLACKPINK s’est construite et a su convaincre tant de monde. Que ce soit par la mise en avant des personnalités, du style, l’affirmation de leurs caractères et leur originalité face à une concurrence souvent extrêmement rude. Le documentaire apparaît d’ailleurs sur sa deuxième moitié comme un carnet de route qui montre les étapes par lesquelles les jeunes femmes sont passées avant d’atteindre le nirvana : une participation au festival de Coachella.
Attention tout de même, on reste sur quelque chose de relativement superficiel qui ne va jamais vraiment au bout des choses. A l’image de la plupart des documentaires parus sur Netflix (je pense par exemple à Drive to survive, pour les fans de F1), le documentaire cherche à satisfaire tout le monde et à ne surtout pas mettre en difficulté son sujet. La communication se mêle ainsi souvent à l’information : les moments d’éclat du documentaire où la réalisatrice parvient à s’immiscer dans les pensées et craintes plus profondes des membres du groupe sont vite contrebalancés par des éléments moins naturels qui sonnent comme une opération de communication gérée par l’agence du groupe. Light Up the Sky se focalise essentiellement sur des émotions positives, où les moments les plus difficiles qui pourraient mettre à mal l’image de l’industrie sont expliqués par une forme de nécessité d’en passer par là. Heureusement, la réalisatrice évite un ton « paternaliste » caractéristique dans les articles et reportages occidentaux qui portent sur le même sujet. Elle évite d’aborder le groupe comme des « bêtes de foire » qui ne seraient qu’un pur produit marketing comme beaucoup aiment le faire en parlant de K-pop, et se contente de raconter ce qu’est fondamentalement BLACKPINK : quatre femmes terriblement sympathiques et attachantes, qui nous emmènent avec le sourire dans leur monde pendant 1h15. Qu’on aime ou qu’on n’aime pas le procédé, il a le mérite de nous faire passer un bon moment.
- Le documentaire BLACKPINK: Light Up the Sky est disponible sur Netflix depuis le 14 octobre 2020.