Entre 2017 et 2018, l’univers de Batman a vu arriver une pépite, une série de comics nommée White Knight. Créée par Sean Murphy, celle-ci raconte un univers où l’homme chauve-souris est enfin mis face à ses responsabilités, aux destructions et aux dégâts qu’il commet au nom de sa quête contre le crime. Parmi les personnages principaux de cet univers, Harley Quinn, à qui quelques épisodes écrits par Katana Collins étaient consacrés lors de cet événement et qui sont publiés chez Urban Comics depuis le mois dernier en un tome.
Cette critique a été écrite suite à l’envoi d’un exemplaire par son éditeur.
L’ombre de l’âge d’or
Dans le comics White Knight sorti avant cet épisode centré sur Harley Quinn, le Joker était soigné et redevenait Jack Napier, un intellectuel qui a tenté de sauver Gotham avec ses bons mots et ses intentions, louables, mais parfois aussi pour couvrir des manigances qui visaient à en faire l’idole de la ville. On y découvrait un personnage torturé, parfois touchant, qui luttait contre son démon intérieur incarné par le Joker, tentant de l’enfouir au plus profond de lui pour vivre une vie plus stable auprès de Harleen/Harley, celle qu’il a toujours aimé. Après le succès critique de cette histoire qui, à mes yeux, constitue l’une des plus belles réussites de l’univers de Batman ces dernières années, on découvre enfin dans nos contrées ce White Knight : Harley Quinn. Suite directe de White Knight, ce comics vient raconter l’après, le moment où Harley reprend sa vie en main alors qu’elle a dû dire adieu au Joker. Et c’est dans un monde surprenant que tout cela prend place : elle est devenue une amie proche et confidente de Bruce Wayne, lui qui a avoué à tout le monde être Batman et qui a été mis en prison pour les dégâts et le mal qu’il a fait à Gotham au nom de sa lutte contre le crime. Elle est aussi devenue la mère de deux enfants, peinant à trouver sa place dans ce nouveau rôle, tandis qu’elle donne aussi un coup de main à la police de Gotham en tant que profiler en profitant de ses aptitudes de psychologue. C’est un vrai bouleversement de ce qui a fait l’univers de Batman pendant si longtemps, les rôles devenant plus flous, mais surtout c’est une approche de cet univers qui remet en cause les concepts de bien et de mal, avec des personnages plus nuancés que jamais. Plus encore, c’est un récit plus humain que jamais, qui s’inscrit dans une mouvance intéressante de ces dernières années qui vise à offrir un visage plus humain à Harley Quinn, personnage qui jouit d’une popularité considérable.
Prise dans un tourbillon d’émotions, de la perte de Jack Napier à son nouveau rôle de maman et son job dans le « GTO », l’escouade de super-héros·ïnes à la botte de la police, Harley doit enquêter sur un nouveau serial killer qui a fait son apparition à Gotham. Celui-ci s’en prend à des vieilles gloires de l’âge d’or du cinéma, les stars sont retrouvées mortes chez elles, poussant Harley à faire équipe avec un drôle d’enquêteur qui semble obsédé par sa personnalité. Un peu comme le Joker l’était de Batman, cet enquêteur intrigue pour l’attention qu’il porte à Harley, poussant celle-ci dans une enquête en forme d’introspection qui emprunte à énormément de choses déjà vues par le passé dans les comics Batman, qui s’appliquent à une Harley sublimée par l’écriture de Katana Collins. Capable de rendre hommage à cet univers tout en offrant à Harley Quinn un récit terriblement fort dans l’affirmation de sa nouvelle vie, l’autrice offre à son personnage l’occasion de réapprendre à vivre sans l’influence néfaste du Joker, la poussant à faire le bien autour d’elle et à offrir à sa ville une alliée importante, sans pour autant renier ses origines ou tirer un trait sur ce qui fait tout le sel de ce personnage. Ambivalente et excentrique, elle n’en reste pas moins une personne bienveillante pour son entourage, une chose que l’écriture de Katana Collins met en évidence dans quelques scènes géniales chez elle ou lors de ses visites à Bruce Wayne en prison.
Réinvention cinématographique
Il y a quelque chose d’intéressant dans cette perpétuelle réinvention du personnage de Harley Quinn qui a été enclenchée il y a quelques années par DC Comics en voyant sa popularité accroître auprès du public. On en a d’ailleurs déjà parlé sur Pod’culture, tant le personnage s’est doté ces derniers temps de comics d’excellente qualité. Ici, il y a une réinvention très cinématographique, au sens où Harley devient un véritable personnage dramatique à la Erin Brockovich, femme seule avec ses enfants qui fait ce qu’elle peut pour s’en sortir. Cela l’éloigne aussi de l’emprise du Joker, le rapport de pouvoir ayant d’ailleurs été largement renversé dans le comics White Knight, d’autant plus que Katana Collins revient sur des séquences importantes de l’histoire de Batman et du Joker en montrant le rôle de Harley Quinn, dans l’ombre, qui a joué un rôle majeur. Le comics se pare en outre des superbes dessins de Matteo Scalera, capable d’offrir une ambiance unique grâce à son style qui tourne parfois pratiquement à la peinture, avec une mise en scène là-aussi très cinématographique en approchant les situations avec un recul qui rappelle celui d’un réalisateur. Il met en scène les personnages en tirant partie des thèmes abordés autour de l’âge d’or du cinéma, faisant de White Knight : Harley Quinn une oeuvre à part, une nouvelle pépite servie à un personnage qui a, décidément, plein de choses à raconter.
C’était difficile de passer après Batman White Knight, monumental récit de Sean Murphy qui a su réinventer la guerre que se livrent le Joker et Batman, sans tomber de lamentables facilités tel un Geoff Johns et son misérable Trois Jokers. Non, White Knight apportait plus de profondeur et de malice à des personnages déjà iconiques, chose que prolonge admirablement Katana Collins avec son Batman White Knight : Harley Quinn. Sa fine écriture offre à la « vilaine » de DC un nouveau récit captivant, mêlant des thématiques sociales à une enquête tout droit tirée d’un roman policier, dans un univers qui tire partie de l’excentricité de son personnage sans en faire un animal de foire. Plus fort encore, ce récit complet en un tome s’adresse autant aux personnes qui ont lues White Knight, approfondissant ses thématiques et conséquences, qu’aux personnes qui ne l’ont pas fait (et qui risquent d’avoir très envie de le lire après ce récit) en reprenant bien les événements qui ont eu lieu précédemment et en installant son contexte de manière claire.
- Batman White Knight : Harley Quinn est disponible en librairie depuis le 12 novembre 2021. Le comics est également disponible en version noir et blanc depuis le 3 décembre 2021.