Tout au bout du quartier | Regards sur l’univers d’un artiste

by Reblys

Au début de l’été 2021, les éditions Mangetsu nous présentaient un auteur atypique. A travers Panda Detective Agency on découvrait le trait et l’univers intimiste de Pump Sawae, auteur jusqu’ici inconnu en France. Son état de santé ne lui permettant pas de poursuivre sa série dans l’immédiat, c’est avec un recueil d’histoires courtes, intitulé Tout au bout du quartier, qu’il nous faut nous consoler. En ouvrant ce large volume de 240 pages, je pensais découvrir quelques histoires courtes dans un ton introspectif et touchant, proche de celui de Panda Detective Agency. Mais la proposition du recueil va bien au delà de ça, et nous emmène littéralement dans dix ans de la vie et de l’œuvre d’un mangaka, qui a décidément un regard très personnel sur le monde.

Cette chronique a été rédigée suite à l’envoi d’un exemplaire du manga par son éditeur

Foisonnant et intriguant

© 2020 by SAWAE PUMP. All rights reserved.

Dès sa première histoire, Tout au bout du quartier donne le ton, en racontant en quelques pages le quotidien d’une épouse qui vit nue chez elle, et qui ne sort plus depuis qu’elle a quitté son travail. Une première tranche de vie peu bavarde, très contemplative et qui laisse le temps s’écouler doucement. S’en suit l’histoire d’une jeune fille qui revient dans le passé afin de redonner à son aïeul le goût du base-ball. Puis soudain tout s’accélère. Car arrivent ensuite une foule de récits très courts, en deux, cinq, six, dix pages, voir même des micro-mangas d’une page racontant, le plus souvent avec nostalgie, un épisode de la vie de l’auteur.

Des formes raccourcies auxquelles j’étais plutôt habitué pour le ton humoristique des gags en quatre cases, très prisés pour constituer un supplément dans les pages bonus d’un tome relié. Mais ici, rien à voir. De par leur longueur réduite, ces récits adoptent des formes narratives qui vont droit au but. Ainsi le propos de chaque histoire peut se résumer en une phrase, qui est mise en scène sous forme de bande dessinée, ni plus ni moins. Il n’y a pas souvent de structure classique en plusieurs actes (situation initiale, élément perturbateur, péripéties, situation finale), car on a tout simplement pas le temps de s’en encombrer. Cela laisse d’abord un peu dubitatif. On a l’impression qu’il manque quelque chose à chaque histoire. Que l’auteur aurait pu travailler un peu plus à la construction de chaque récit. Puis, faute de retrouver ses repères habituels, on se concentre sur le fond de chaque épisode plutôt qu’à sa forme. Et surtout, on découvre les commentaires de Pump Sawae qui viennent ponctuer le recueil. C’est alors que l’on comprend que ces travaux sont non seulement l’œuvre d’un mangaka, mais aussi et surtout d’un mangaka qui apprend.

Une porte dérobée vers les coulisses d’une carrière

© 2020 by SAWAE PUMP. All rights reserved.

Pump Sawae nous raconte que les histoires en une ou deux pages proposées dans Tout au bout du quartier sont des exercices de style. Des défis qu’il se lançait avec un ami dessinateur via Skype afin de stimuler sa créativité. Il explique ainsi que, n’ayant que peu de temps pour réfléchir au scénario de la bande dessinée, il finissait toujours par représenter des histoires de son quotidien. Quotidien qu’il juge lui même peu palpitant, car très casanier et peu tourné vers le monde extérieur. Craignant de créer des histoires inintéressantes, l’auteur atteint pourtant un effet inverse. Car en représentant en une page, un moment du quotidien, une anecdote ou une discussion, il parvient à croquer une tranche de vie, en y ajoutant sa propre sensibilité. On a ainsi affaire au point de vue d’un artiste sur le monde, et il me semble que c’est le fondement même de l’expression artistique.

Car lorsque Pump Sawae parle de lui, il parle aussi de nombreux sujets universels. La vie de couple, la vie de famille, les souvenirs d’école, les leçons de vie que l’on reçoit au détour d’une conversation anodine…ainsi que les difficultés liées à la maladie. Au sein du recueil, ces petits moments viennent donner un peu de respiration entre deux histoires courtes un peu plus fournies, dont le ton décalé ou inspiré par des éléments de science fiction viennent nous en dire toujours plus sur l’imaginaire de son auteur. On referme ainsi le recueil avec le sentiment d’avoir voyagé dans la vie d’un homme. D’en connaître autant sur lui que si on l’avait côtoyé durant des années, car c’est un peu ce qui se produit à la lecture de Tout au bout du quartier.

En revenant du bout du quartier

Je pourrais relever la qualité très inégale des dessins, ou le fait que le recueil ne soit pas agencé de manière chronologique, le rendant parfois un peu perturbant, dans la manière dont tout s’y enchaîne sans apparente logique. Mais je crois que ce serait se méprendre sur ce qui nous est ici offert. Tout au bout du quartier est un témoignage. Une compilation de l’œuvre d’un artiste. Et un artiste, c’est parfois quelqu’un qui produit des micro-histoires d’une page, qui ne dessine pas très bien, qui sort des normes narratives, et qui raconte simplement et sans ambages quelque chose qu’il a envie de raconter, avec son point de vue. C’est pourquoi je recommanderais ce volume avant tout aux passionnés et passionnées de BD. Car si vous aimez ce médium, vous aimerez voir ce qu’en fait quelqu’un qui ne se conforme pas à la manière traditionnelle qu’on a de le consommer. Quitte à ne pas forcément trouver ça intéressant, vous aurez ouvert votre esprit. Et quiconque lira ces histoires, plutôt que de se dire que « c’est pas de la bande dessinée », pourra se rendre compte que « ça aussi, c’est de la bande dessinée ».

  • Tout au bout du quartier est disponible en librairie depuis le 18 août 2021, aux éditions Mangetsu

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