Spécialiste du RPG, Obsidian Entertainment proposait en 2019 la licence The Outer Worlds, un titre assez inspiré de leur travail sur Fallout: New Vegas il y a quinze ans, mais plus moderne, avec une histoire fortement orientée vers une critique du capitalisme. Assez bien accueilli par la critique, la licence revient cette fin d’année avec The Outer Worlds 2, une suite prenant place dans le même univers mais sans lien direct avec les évènements du premier épisode. Le jeu est sorti le 29 octobre sur Xbox Series X|S, PC et PlayStation 5.
Ce test a été écrit suite à l’envoi d’une clé Xbox Series X par l’éditeur.
Les lois du marché
Je suis allé vers The Outer Worlds 2 avec beaucoup d’espoirs, car le premier jeu était l’un de mes RPG favoris sur la génération de consoles précédente. Bourré d’humour, avec des personnages bien écrits et une envergure réduite (évitant de s’étaler indéfiniment comme certains autres titres du genre), le premier essai de Obsidian avec cette licence inédite alliait tout le savoir-faire du studio en matière d’écriture et de systèmes de jeu, avec des prétentions mesurées mais efficaces. Cette suite montre vite qu’elle repose sur les mêmes bases. Dans un monde semi-ouvert avec des planètes à explorer (mais à l’espace de jeu assez réduit pour ne pas trop se perdre), une histoire qui repose sur beaucoup d’humour, très sarcastique et un système de RPG assez classique, le jeu m’a vite embarqué et rappelé pourquoi j’avais autant aimé le premier essai. Sans liens avec son prédécesseur malgré quelques références ici et là, The Outer Worlds 2 nous amène du côté d’un système solaire nommé Arcadia, où le voyage interplanétaire a permis à des mégacorporations de s’étendre encore un peu plus, faisant du capitalisme l’alpha et l’omega des différents mondes. Au-dessus de toutes ces sociétés avides de dividendes se trouve la première des trois factions du jeu, le Choix de Tatie, qui prône la liberté par le travail (tiens tiens tiens) en exploitant et en aliénant ses salariés sans trop de considération pour leurs droits les plus simples, offrant au passage l’une des meilleures quêtes du jeu autour d’une grève dans l’une de ses usines. Face à elle, deux autres factions sèment la zizanie dans cet univers gangréné par la pub du Choix de Tatie à chaque recoin du monde : le Protectorat, un régime militaire totalitaire complètement obnubilé par le pouvoir et la violence, et l’Ordre des Ascendants, des illuminés qui ont fait des sciences une religion, pensent prédire l’avenir par des formules mathématiques. Tout ce petit monde tente péniblement de coexister jusqu’à ce que tout vole en éclats, quand des failles cosmiques apparaissent dans ce monde et que chacun·e tentent de les contrôler à son avantage.
Pour naviguer là-dedans, on incarne un·e commandant·e (créé via un sympathique éditeur de personnages) du Directoire terrien, autre faction censée contrôler l’action des mégacorporations pour éviter qu’elles fassent n’importe quoi. Les choses tournent mal, et notre protagoniste retrouve à errer dans le vide spatial au moyen d’une capsule de survie pendant des années jusqu’à être repêché par un ancien membre de notre équipe. Et ainsi on se retrouve propulsé au milieu d’une guerre naissante entre les différentes factions, avec la lourde tâche de comprendre d’où viennent ces failles, et comment y mettre un terme. Bien menée malgré quelques confusions, essentiellement liées à une présentation assez sommaire des factions, l’histoire finit par vraiment accrocher grâce aux nombreuses nuances des dialogues. Il faut partir du principe que tout le monde est pourri (surtout les trois factions), mais le jeu s’éclate à multiplier les dialogues au sarcasme bien senti, avec de nombreuses options de dialogues qui dépendent de la personnalité donnée à notre personnage. La force de l’écriture, c’est sa capacité à rire d’elle-même, à tacler le capitalisme sans arrêt et surtout, à jouer avec les incohérences de ses personnages. Personne ne se prend trop au sérieux, mais on ne tombe pas pour autant dans une écriture lourdingue à la Borderlands. Au contraire, The Outer Worlds 2 sait être plutôt fin, utilisant son humour à bon escient pour dire beaucoup de choses intéressantes sur son monde et les luttes de pouvoirs qui ont provoqué le (probable) armageddon en vue.
Et pour appréhender ces dialogues, essence même du jeu puisque de nombreux combats de boss sont évitables en choisissant les bons mots (et compétences qui débloquent des options de dialogues), la création de personnage nous force à établir dès le début la personnalité, ou au moins, l’état d’esprit de notre personnage. Pour ce faire, il faut choisir des qualités, mais aussi des défauts, qui nous suivront tout au long de l’aventure avec tout ce qu’ils ont de bons et de mauvais. On peut parfaitement créer un personnage bon parleur mais peu brillant, quelqu’un de très pragmatique et intelligent mais qui a du mal à attirer la sympathie, ou encore quelqu’un de complètement bête (ce qui, au moins, a le mérite d’être assez drôle dans beaucoup de dialogues). Il y a, toujours, du pour et du contre : impossible d’avoir le personnage parfait, même si indépendamment de la personnalité définie, les choix de dialogues au fil de l’aventure peuvent permettre de rectifier certains choix initiaux et de revoir la manière dont on aborde les choses. Notamment avec le système de progression par niveaux et le déblocage de compétences passives qui renforcent des options de dialogue (comme celles relatives au leadership ou au speech).
On tire, et ensuite on parle ?
Pour autant, difficile de s’imaginer faire une partie parfaitement pacifiste. Comme je le disais précédemment, on peut éviter certains combats de boss avec les bons mots, en enquêtant et en découvrant des informations utiles pour convaincre (ou extorquer) les antagonistes sans leur taper dessus. Il est possible, aussi, d’y aller plus en finesse en tentant de s’infiltrer dans les différentes zones de combat, de désactiver drones et automechs et d’éviter les ennemis en chaire et en os. D’abord, le jeu offre un accessoire qui permet de désintégrer les ennemis pour que leur corps ne soit pas découvert par des patrouilles. Mais ce n’est pas une constante, et le jeu pousse malgré tout assez souvent à tirer sur tout ce qui bouge. D’abord en proposant un arsenal assez important, allant du pistolet au lance missile, mais aussi en multipliant les bases militaires avancées, les bâtiments remplis d’ennemis et caves pleines de monstres, où il est souvent plus simple d’anéantir tout le monde à grand coup de fusil à l’acide afin de pouvoir, ensuite, glaner toutes les ressources et informations nécessaires à la quête en cours. Ce n’est pas nécessairement un défaut, on sent que le jeu veut aussi maintenir un rythme soutenu dans son aventure, et ça passe parfois par des scènes qui allient le savoir-faire du studio en matière d’écriture et de rebondissements, et de mise en scène hollywoodienne avec des trucs qui explosent un peu partout. Ça marche très bien, et ça permet au jeu d’aller droit au but sans pour autant manquer tous les éléments constitutifs du RPG à l’occidental.
Par cette formule, je parle évidemment des statistiques omniprésentes et de leur importance au cours de l’aventure. Impossible d’accéder à certaines informations scientifiques ou médicales sans augmenter les statistiques du personnage dans ces domaines, pas plus que l’on va intimider ou convaincre qui que ce soit sans en avoir les capacités. Il en est de même avec les compagnons que l’on se fait en cours de route : les six compagnons possibles peuvent ou non nous rejoindre, selon les choix faits au cours de certaines quêtes, et selon notre volonté de les conserver à nos côtés. Ces compagnons aux personnalités variées (et rarement recommandables, c’est une vraie bande de “misfits”) occupent un rôle important puisque au-delà de leur efficacité en combat, c’est leur présence qui peut bouleverser entièrement certaines quêtes. Il convient donc de bien suivre l’histoire, leurs intentions, discuter avec elleux régulièrement pour comprendre leurs intentions et leur volonté de nous accompagner ou non dans certains lieux. Puisqu’on ne peut en amener que deux avec nous à chaque sortie du vaisseau, il faut faire des choix, et la présence de l’un ou l’autre peut offrir des options de dialogues radicalement différentes, des interactions avec des antagonistes qui changent complètement les rencontres. Et ça, c’est quelque chose que Obsidian fait extrêmement bien, en donnant vie à des personnages, en les humanisant malgré leurs intentions souvent douteuses, et avec toujours l’impression que l’un ou l’autre va finir par nous planter un couteau dans le dos.
Leur présence rend l’exploration d’autant plus sympathique qu’on a droit à beaucoup de petites discussions à la découverte des différents lieux, une exploration pourtant sommaire. Avec une petite poignée de planètes à visiter, toutes représentées par des maps à l’espace réduit, on en fait assez vite le tour mais c’est l’une des grandes qualités du jeu, comme de son prédécesseur. En se limitant à quelques quêtes et points d’intérêt par planète, l’aventure ne s’éparpille jamais trop et donne toujours beaucoup de sens aux quêtes à réaliser. D’autant plus que certaines quêtes peuvent être effectuées de plusieurs manières différentes, avec des conclusions qui peuvent être radicalement opposées. On pense notamment aux quêtes d’allégeance à l’une ou l’autre faction (ou aucune, selon la réputation que l’on veut soigner), mais également les quêtes de compagnons et celles glanées en discutant avec les personnages rencontrés sur place, toujours très bien scénarisées, et souvent utiles à l’aventure. Autant pour les récompenses et les informations obtenues, que pour le plaisir d’explorer ce monde, soit à la première personne, soit à la troisième personne, ce dernier mode étant jouable mais franchement moins agréable. On sent que le jeu, comme toutes les productions Obsidian, a été pensé pour être joué à la première personne.
Arcadia, un monde qui nous veut du mal
Alors le défaut c’est peut-être qu’on a parfois l’impression que tout le monde nous veut du mal. Même si l’on travaille bien notre réputation auprès des factions, il y a toujours un moment où on va se faire tirer dessus par des hordes d’ennemis. Pareil pour des quêtes apparemment sans conséquences où chacun·e tente de nous arnaquer. L’autre souci, c’est que l’écriture repose beaucoup trop sur l’un des tropes du RPG, celui qui tourne le protagoniste en homme ou femme à tout faire, chaque interaction avec un nouveau personnage finissant par une demande de coup de main pour trouver quelqu’un, trouver un objet, ou infiltrer une zone pleine de gens armés jusqu’aux dents. Sans pour autant être répétitif, grâce notamment à un level design franchement réussi sur les zones de quêtes mais aussi une écriture qui fait passer la pilule, on aurait aimé un peu plus de subtilité dans la découverte des quêtes. Car en l’état, c’est très mécanique : on va à la rencontre de personnages, et ils nous donnent (quasi) systématiquement un objectif à accomplir contre de l’argent ou des informations importantes. Mais c’est aussi l’une des lois de ce monde sous l’emprise d’un capitalisme sans limite, où chacun cherche son propre intérêt, et où l’argent est maître de tout. Comment ça, ça ressemble à notre monde ?
J’ai aussi beaucoup apprécié ce que cet univers a à dire visuellement. Si tout n’est pas réussi, avec un aspect technique pas forcément à la hauteur des ténors du genre, la direction artistique a une vraie personnalité et pose très vite son identité. Son style rétro-futuriste fonctionne vraiment très bien, avec une technologie omniprésente, une technologie de futuriste telle qu’elle était imaginée au plus fort de l’art déco. À cela le jeu ajoute une faune extraterrestre certes répétitive, avec une poignée de monstres que l’on retrouve un peu partout, mais efficace. Et surtout, c’est très coloré, ce qui tranche avec le pessimisme d’un monde qui court à sa perte, mais qui va très bien avec l’ironie des situations et la folie meurtrière de mégacorporations qui ne cherchent que le profit. Dans l’ensemble, c’est un de ses plus gros points forts, et c’était déjà ce qui faisait l’identité si particulière du premier épisode.
Il y a un vrai plaisir à retourner dans l’univers de The Outer Worlds avec ce second épisode, Obsidian étant fidèle à ses idées, évitant la course au contenu pour préférer une aventure plus condensée (enfin, on parle quand même d’une grosse trentaine d’heures pour en voir le tour !), plus maîtrisée, avec une envergure sûrement moins importante que quelques représentants récents du RPG à l’occidentale. Mais c’est une aventure qui est rarement prise à défaut, avec peu, voire pas de quête inutile, et avec des personnages à l’écriture franchement savoureuse. J’ai beaucoup rigolé tout au long de l’aventure, je me suis souvent interrogé sur les intentions des compagnons ainsi que sur les factions que l’on choisit de saboter ou de défendre, et ça permet de se souvenir qu’il n’y a pas nécessairement besoin de beaucoup pour faire de bonnes choses. C’est une aventure intense, maline, drôle (mais jamais lourdingue), et l’écriture s’en donne à coeur joie sur le capitalisme, alors on en profite.
- The Outer Worlds est disponible depuis le 29 octobre sur PC, PlayStation 5 et Xbox Series X|S.



